CA Paris, 13e ch. B, 4 septembre 1998, n° 98-00178
PARIS
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Ministère public, Chambre Syndicale des Parfumeurs Détaillants de Paris et Ile-de-France, Fédération des Industries de la Parfumerie
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Sauret
Conseillers :
Mmes Marie, Farina Gérard
Avocats :
Mes Fourgoux, Henriot-Bellargent.
Rappel de la procédure :
Le jugement :
Le tribunal, par jugement contradictoire, après avoir rejeté les exceptions de nullité et de moyens,
A déclaré X coupable de vente, prestation de service ou offre à un consommateur avec prime illégale, le 16 juin 1993, à Paris, infraction prévue par l'article 33 al. 1, 24 décret 86-1309 du 29/12/1986, L. 121-35 code de la consommation et réprimée par l'article 33 al. 1 décret 86-1309 du 29/12/1986.
Et, en application de ces articles, l'a condamné à 1 000 F d'amende par infraction soit 53 amendes de 1 000 F chacune,
Sur l'action civile : le tribunal a reçu la Fédération des Industries de la Parfumerie et la Chambre Syndicale des Parfumeurs Détaillants de Paris Ile-de-France, et la FNPD en leur constitution de partie civile et a décidé que la Fédération des Industries de la Parfumerie et la FNPD n'avaient pas apporté la preuve d'un préjudice qui leur ait été propre et les a déboutées de leur action,
et a condamné X à payer à la Chambre Syndicale des Parfumeurs Détaillants de Paris Ile-de-France, la somme de 185 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 3 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Arrêt du 21 mars 1995
Par arrêt en date du 21 mars 1995, la Cour d'appel a déclaré recevable la constitution de partie civile de la Fédération des Industries de la Parfumerie et ayant condamné X à lui payer la somme de 1 F en réparation du préjudice et celle de 2 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale, ainsi qu'à payer à la Chambre Syndicale des Parfumeurs Détaillants de Paris Ile-de-France la somme de 10 000 F en réparation de son préjudice et celle de 2 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale.
Pourvoi en cassation :
Statuant sur le pourvoi formé à l'encontre de l'arrêt de la Cour d'appel, la Cour de cassation, Chambre criminelle, par arrêt en date du 24 avril 1997, après avoir déclaré l'action publique éteinte en application de la loi d'amnistie a cassé et annulé l'arrêt en toutes ses dispositions civiles et renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel autrement composée.
Décision :
Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant sur le pourvoi formé à l'encontre de l'arrêet de la Cour d'appel, la Cour de cassation, Chambre criminelle, par un arrêt en date du 21 avril 1997, après avoir déclaré l'action publique éteinte en application de la loi d'amnistie a cassé et annulé en toutes ses dispositions civiles et renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel autrement composée.
La Cour restant saisie des intérêts civils par application de l'article 21 de la loi susvisée, il sera rappelé qu'il était constaté le 13 juin 1993 qu'était annoncé sur les vitrines extérieures de la parfumerie à l'enseigne " Y " appartenant à l'EURL du même nom dont X est le dirigeant, une réduction de prix de 30 % en parfumerie beauté à partir de 100 F d'achat jusqu'au 27 juin et la présence d'un panneau chevalet placé sur le trottoir portant la même inscription sur les deux faces. La remise était appliquée à la caisse sur les prix de vente des produits tels qu'ils étaient étiquetés et calculés par l'application d'un coefficient multiplicateur de 1,96 sur la base du prix d'achat hors taxe. Ces rabais étaient permanents.
X représenté par son conseil, demande l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il a déclaré la Chambre Syndicale de la Parfumerie de Détail de Paris Ile-de-France et l'a condamné au paiement des sommes de 185 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 3 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale, à titre subsidiaire il demande que le montant de cette condamnation soit ramené à la somme de 1 F.
Le concluant demande la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté la Fédération des Industries de la Parfumerie.
A l'appui de ses prétentions, il fait valoir d'une part que l'intervention de la Chambre Syndicale des Parfumeurs Détaillants de Paris et d'Ile-de-France s'inscrit dans la guerre des prix affichés afin d'imposer une hausse des prix de vente au détail et de limiter la liberté commerciale des revendeurs, d'autre part que la liste des adhérents fournie par la demanderesse est inexacte et que le tribunal ne pouvait allouer une somme de 185 000 F sans proportion avec le préjudice subi. Ceci sans que la Chambre Syndicale des Parfumeurs Détaillants de Paris et d'Ile-de-France, qui a été largement indemnisée par les diverses procédures engagées ait été en mesure de justifier de son préjudice.
En outre que la Fédération des Industries de la Parfumerie qui soutenait que son action était fondée sur l'atteinte à l'image de marque des fabricants de parfums, ne peut soutenir sérieusement l'existence d'un impact négatif ou d'une altération de l'image de marque des produits du fait de ces pratiques de rabais, alors que les fabricants se montrent satisfaits de la distribution de leurs produits dans ses parfumeries.
La Fédération des Industries de la Parfumerie, partie civile appelante, représentée par son conseil, sollicite la condamnation de X à lui payer outre la somme de 1 F à titre de dommages-intérêts, celle de 2 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale.
A l'appui de sa demande, elle fait valoir en premier lieu qu'entre le 22 décembre 1992 et le 16 juin 1993, la parfumerie " Y " a offert à sa clientèle de façon ininterrompue des remises allant de 25 à 40 % selon les périodes et les produits et souligne que les responsables du magasin étaient dans l'incapacité de justifier que le prix de référence ait été effectivement pratiqué dans la parfumerie au cours des 30 derniers jours précédant l'opération et que compte tenu du caractère incessant des pratiques de réduction de prix litigieuses, que le prix de référence n'a jamais été pratiqué en réalité dans le magasin.
La concluante ajoute que les constatations des enquêteurs ont porté sur 53 articles provenant de 10 fournisseurs différents et qu'ils ont relevé qu'aucun de ces fournisseurs ne diffusait de barèmes de prix maximum conseillés à leurs distributeurs et que les pièces produites par X sont constituées par des dossiers de presse que les grandes marques établissent à l'occasion du lancement ou de la relance d'un produit et faisant état d'un prix de vente indicatif afin de satisfaire la curiosité des consommateurs, le prix indicatif ainsi fourni n'ayant pas le caractère d'un prix de revente conseillé aux revendeurs.
En deuxième lieu, que les prix pratiqués par certains grandes marques de parfums dans les magasins qu'elles exploitent directement ne constituent pas davantage la recommandation de prix publics de revente vis-à-vis des distributeurs agréés.
En troisième lieu qu'il n'existe pas comme le soutient X de pratique verbale et officieuse de prix conseillés. La Fédération des Industries de la Parfumerie prétend qu'une telle pratique ne répondrait pas aux exigences posées par l'article 3 de l'arrêté 77-105 P du 2 septembre 1977, l'article 3 in fine de ce texte imposant à l'annonceur de justifier à la fois de la réalité des prix conseillés par le fabricant et du fait que ces prix sont couramment pratiqués par les autres distributeurs du même produit.
Sur l'existence de son préjudice, la Fédération soutient que la stratégie de rabais permanents adoptée par X porte atteinte à l'image de marque des produits qui en sont la cible qui sont tous des produits de prestige, bénéficiant d'une très grande notoriété, en France et au plan international. Elle souligne que l'élaboration de l'image d'un produit de luxe n'est jamais achevée, le maintien et l'élaboration de cette image nécessite des efforts constants et que les fabricants doivent en permanence promouvoir leurs marques.
La concluante précise que les produits de parfumerie de luxe distribués de manière sélective représentant en France 94,5 % des ventes de produits de parfumerie alcoolique à l'exportation et 84,2 % du chiffre d'affaires global à l'exportation, tous produits de parfumerie confondus. La concluante estime que cette situation n'est pas le fruit du hasard et que si la distribution sélective des produits de parfumerie fait de la parfumerie française la troisième industrie exportatrice de la France, c'est en raison de l'adéquation entre l'image de marque de produits et leur mode de distribution. Une distribution inadéquate selon elle, provoquerait la disparition du produit en tant que produit de luxe ou de prestige.
Elle estime que le prix des produits est un élément indissociable de leur haute qualité et de leur prestige, puisqu'aussi bien un produit de prestige est nécessairement plus cher et moins accessible qu'un produit banal.
La Fédération des Industries de la Parfumerie fait remarquer que le Directeur Général de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes reconnaît que l'image de discount peut paraître assez contraire à l'image d'un réseau de sélectivité fondé sur la notion de produit de luxe et que ces pratiques ne sont pas bonnes pour l'image du secteur auprès des consommateur et ajoute que les pratiques litigieuses de X par l'annonce incessante de rabais fallacieux, laissent à penser que l'ensemble des fabricants continuerait à conseiller des prix et que ces prix seraient artificiellement élevés au regard de la qualité des produits qui se trouvent ainsi dévalorisés sans raison.
Elle ajoute que le fait de pratiquer des annonces de réduction de prix illicites constitue une concurrence déloyale vis-à-vis des distributeurs qui respectent la réglementation. Selon elle, si cet aspect intéresse davantage les distributeurs concurrents lésés que les fabricants, ceux-ci sont néanmoins concernés dans la mesure où leurs produits sont distribués selon les modalités de la distribution sélective, c'est-à-dire dans un cadre dans lequel se développe une coopération permanente et étroite entre chaque fabricant et les distributeurs de son réseau pour valoriser l'image de marque des produits.
La Chambre Syndicale des Parfumeurs Détaillants de Paris et d'Ile-de-France représentée par son conseil demande l'infirmation du jugement entrepris et sollicite qu'il lui soit alloué la somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale.
A l'appui de ses demandes, elle prétend qu'il a fallu cinq ans de procédure pour voir X abandonner les pratiques illicites pour lesquelles il était poursuivi, mais qui lui ont permis toutefois de prendre une place déterminante sur le marché national et spécialement celui de Paris et de la région parisienne.
Sur le grief formulé par X à l'encontre de l'évaluation du préjudice retenue par le tribunal en produisant un relevé inexact de ses adhérents, elle fait valoir que la parfumerie " La Rose de France " qui selon celui-ci n'aurait plus été adhérente en 1994, elle réplique que cette parfumerie était bien dans la liste des adhérents en 1994 et explique que les appels de cotisation ont lieu chaque année avant le congrès annuel et couvrent deux années, en l'espèce 93/94 soit d'octobre 1993 à fin septembre 1994, qu'en conséquence si la parfumerie " La Rose de France " n'a pas renouvelé sa cotisation en octobre 1994, elle figurait bien au rang des adhérents au titre de l'année calendaire 1993/1994.
Quant à la réalité de son préjudice, la concluante fait observer qu'en l'état des données statistiques vérifiées, le nombre des fermetures sur les seules années 1995/1996 dans le secteur de la parfumerie sélective, soit en pleine période de la perpétuation des agissements en cause, était de 421 sur le territoire et que le groupe X, dans la même période, devenait le premier distributeur français en nombre de points de vente fortement implantés en région parisienne et réalisant un chiffre d'affaires global de l'ordre de 1 milliard de francs environ.
Sur ce,
Sur la demande de la Fédération des Industries de la Parfumerie :
Considérant que les fautes reprochées à X portent atteinte à l'image de marque des produits de l'industrie de la parfumerie qui se trouvent dévalorisés par une pratique de rabais des prix qui aboutit à en faire des produits banaux;
Qu'il est en conséquence causé un préjudice aux fabricants de ces produits de renommée internationale dont il est dû réparation à la Fédération des Industries de la Parfumerie, qui en tant qu'union de syndicats est chargée de la défense des intérêts collectifs de la profession;
Que la Cour possède les éléments suffisants pour évaluer à un franc le préjudice subi par la Fédération des Industries de la Parfumerie ;
Qu'il convient donc d'infirmer le jugement déféré et de condamner X à lui payer cette somme à titre de dommages-intérêts ;
Considérant que la demande d'une somme de 2 000 F formulée par la partie civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel est justifiée et qu'il doit y être fait droit.
Sur la demande de la Chambre Syndicale des Parfumeurs Détaillants de Paris et d'Ile-de-France :
Considérant que les pratiques de X ont abouti notamment à un détournement de la clientèle au préjudice des détaillants de la parfumerie;
Que la Chambre Syndicale des Parfumeurs Détaillants de Paris Ile-de-France, chargée de la défense de l'intérêt collectif de la profession est bien fondée à en demander réparation ;
Que la Cour sans retenir le nombre des adhérents de ladite Chambre syndicale comme l'avait fait le tribunal possède les éléments suffisants pour évaluer le préjudice qu'elle a subi à 100 000 F ;
Que le jugement entrepris sera donc réformé de ce chef ;
Que le jugement sera confirmé sur le montant de la somme allouée au titre des frais irrépétibles exposés en première instance ;
Considérant que la demande d'une somme de 5 000 F formulée par la partie civile, au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel est justifiée, mais doit être ramenée à la somme de 2 000 F ;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement comme Cour de renvoi après cassation et dans les limites de celle-ci, Reçoit les appels du prévenu, du Ministère Public et de la Fédération de la Parfumerie, Sur l'action civile seule en cause d'appel, en raison des dispositions de la loi d'amnistie du 3 août 1995, Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la Fédération des Industries de la Parfumerie, Condamne X à lui payer outre la somme de 1 F à titre de dommages-intérêts, celle de 2 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale, Réforme le jugement entrepris sur le montant des dommages-intérêts alloués à la Chambre Syndicale des Parfumeurs Détaillants de Paris et d'Ile-de-France, Condamne X à lui payer la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts, Confirme le jugement sur la condamnation au titre des frais irrépétibles exposés en première instance, Y ajoutant, Condamne X à payer à la Chambre Syndicale des Parfumeurs Détaillants de Paris et d'Ile-de-France, partie civile, la somme de 2 000 F au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale.