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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch. civ., 3 septembre 1998, n° 95-16317

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Eau Vapeur Service (Sté)

Défendeur :

Contrôle Recherche en Economie d'Energie et Eau (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dragon

Conseillers :

MM. Isouard, Semeriva

Avoués :

SCP de Saint-Férréol-Touboul, SCP Cohen

Avocats :

SCP Bonnabel, Me Tiret

T. com. Marseille, du 4 juill. 1995

4 juillet 1995

Exposé du litige :

Par contrat du 7 janvier 1991, la société Eau Vapeur Service (la société EVS) a confié à la société Contrôle Recherches en Economie d'Energie et Eaux (la société CREEE) le mandat de la représenter durant deux ans pour la vente de produits de conditionnement des eaux. Cette convention fixait pour mission à la société CREEE de maintenir la clientèle existante suivant liste jointe et stipulait une clause d'exclusivité et de non-concurrence réciproque sur cette clientèle.

Le 23 janvier 1992, la société EVS a résilié ce contrat reprochant à la société CREEE d'enfreindre la clause d'exclusivité.

Par jugement du 4 juillet 1995, le Tribunal de commerce de Marseille a condamné la société CREEE à payer à la société EVS la somme de 57 599,98 F en réparation de la violation de la clause de non-concurrence ainsi que celle de 3 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile et a débouté la société EVS sa demande en dommages et intérêts en réparation des actes déloyaux de captation de clientèle.

Le 1er août 1995, la société EVS a interjeté appel de cette décision limitant son recours au rejet de sa demande pour concurrence déloyale.

Elle sollicite sa confirmation en ce qu'elle lui a alloué les sommes de 57 599,98 F et 3 500 F et son infirmation pour le surplus demandant la condamnation de la société CREEE à lui payer la somme de 700 000 F de dommages et intérêts en réparation de la concurrence déloyale sauf à renvoyer les parties devant l'expert Nazarian déjà désigné avec une astreinte à la charge de son adversaire de 10 000 F par jour de retard en cas d'opposition de sa part à l'exécution de la mission expertale.

Elle souhaite également la condamnation de la société CREEE à lui payer la somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

Elle expose que dès le début du contrat du 7 janvier 1991, la société CREEE a vendu auprès de la clientèle définie à cette convention des produits provenant d'autres fournisseurs.

Elle allègue qu'après la résiliation du contrat son adversaire s'est livré à une concurrence déloyale en conservant le fichier des clients, en continuant à démarcher ses clients en vue de les détourner à son profit et en continuant à vendre sur son secteur des produits Vanlaer pour lesquels elle bénéficiait d'une exclusivité.

La société CREEE qui a également relevé appel le 31 août 1995 du jugement attaqué, requiert acte de ce qu'elle se reconnaît débitrice de la somme de 6 500 000 F et conclut :

- au débouté de la société EVS,

- à la condamnation de celle-ci à lui rembourser, après compensation avec la somme de 6 500 F, celle de 51 199,98 F perçue en vertu de l'exécution provisoire,

- à la condamnation de son adversaire à lui payer la somme de 37 905,63 F solde de factures impayées,

- la condamnation de la EVS à lui payer les sommes de 50 000 F pour procédure abusive, de 50 000 F pour dénigrement et de 10 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

Elle argue du caractère illicite de l'accord la liant à la société EVS qui a pour effet de restreindre le jeu de la libre concurrence en imposant cette dernière société comme intermédiaire dans la distribution des produits Vanlaer et qui par là, contrevient aux articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et 85 et 86 du Traité de Rome du 25 mars 1957.

Elle nie toute déloyauté dans la concurrence après rupture du contrat soulignant qu'elle ne disposait d'aucun fichier, que le démarchage de la clientèle EVS était licite et qu'elle avait le droit de distribuer des produits Vanlaer.

En réplique, la société EVS soulève l'irrecevabilité de la demande en paiement des factures car nouvelle en appel.

Motifs de la décision :

La recevabilité de l'appel n'est pas contestée et rien dans le dossier des parties ne conduit la Cour à la décliner d'office.

1°) Sur la violation de la clause de non-concurrence :

Le contrat du 7 janvier 1991 stipule à son article 3 que la société EVS accorde à la société CREEE la représentation exclusive sur les clients définis à l'article 2 et que la société CREEE s'interdit tous contrats de représentations ou autres avec d'autres firmes pouvant être considérées comme concurrents de la société EVS dans la distribution des réactifs de conditionnement afférents aux clients de l'article 2 de la période dudit contrat.

Cette clause, qui instaure entre le mandant et le mandataire une exclusivité réciproque, a pour objet de garantir une exécution loyale du contrat car elle empêche chacune des parties d'utiliser à son profit exclusif la clientèle générée par ce contrat. Elle ne contrevient pas aux dispositions sur la concurrence édictée tant par l'ordonnance du 1er décembre 1986 que par le Traité de Rome.

Il ressort des documents produits notamment du rapport de l'expert Nazarian que durant la période d'exécution du contrat la société CREEE a vendu aux clients définis à ce contrat des produits qui ne provenaient pas de la société EVS et qui concurrençaient ceux diffusés par celle-ci.

Ces faits, dont la réalité n'est pas contestée par la société CREEE constituent une violation de la clause de non-concurrence.

L'expert Nazarian évalue la perte subie par la société EVS par cette infraction jusqu'au 23 janvier 1992, pour les produits à 44 919,98 F et pour les contrats à 12 680 F précisant pour ces derniers que doit être déduite de cette somme, la rémunération qui aurait été reversée à la société CREEE définie au cas par cas.

En l'absence d'éléments fournis par les parties pour déterminer le taux de cette commission, la Cour la fixe compte tenu de la nature des contrats (vérification de la qualité de l'eau) à 30 % du montant soit à la somme de 3 804 F. Le préjudice de la société EVS s'élève pour les contrats à 8 876 F (12 680 F - 3 804 F).

Le dommage subi par la société EVS par la violation de la clause de non-concurrence se chiffre à 53 795,98 F (44 919,98 + 8 876 F) et la société CREEE doit être condamnée à lui payer cette somme.

2°) Sur la concurrence déloyale :

A été joint au contrat une liste d'une cinquantaine de clients concernés par le mandat. Cette énumération ne peut s'assimiler à un véritable fichier clientèle et la société CREEE n'avait pas à la restituer. D'ailleurs, compte tenu de son importance limitée, le gérant de la société CREEE, après un an d'exécution du contrat, la connaissait nécessairement sans avoir à s'y reporter et sa conservation n'a causé à la société EVS aucun préjudice.

Certes, en l'absence comme en l'espèce de clause de non-concurrence pour la période post-contractuelle, chaque partie, à l'expiration d'un contrat retrouve sa liberté et peut exercer une activité similaire à celle de son ancien partenaire en entrant en concurrence avec celui-ci.

Cependant ainsi que le montrent les constats d'huissier produits, la société CREEE, après la résiliation du mandat d'intérêt commun, s'est livrée à un démarchage systématique de la clientèle définie à ce contrat lequel avait été rompu prématurément parce qu'elle n'en respectait pas les conditions. Une telle attitude constitue un manquement aux obligations que commande la loyauté de la concurrence.

Après la rupture du mandat, la société CREEE a diffusé auprès des clients visés à ce contrat des produits Vanlaer pour lesquels la société EVS possédait l'exclusivité sur le secteur considéré, concession dont elle connaissait l'existence.

Elle ne peut pour dégager sa responsabilité prétendre avoir acquis ces produits régulièrement auprès de la société Vanlaer. En effet, celle-ci n'avait accepté qu'elle les commercialise qu'auprès d'une clientèle nouvelle sans entrer en concurrence avec la société EVS.

Ainsi, en ne respectant pas les conditions de vente imposées par la société Vanlaer et par là en portant atteinte à l'exclusivité dont bénéficiait la société EVS, la société CREEE a commis une faute.

Vainement, la société CREEE soutient-elle que cette exclusivité contreviendrait aux règles sur la concurrence. Ces dispositions prohibent non pas toute atteinte au libre jeu de la concurrence mais seulement celles qui tendent véritablement à limiter abusivement l'exercice normal de la concurrence en empêchant ou en limitant trop fortement toute possibilité de substitution d'une offre concurrente sur une partie substantielle du marché intérieur.

Tel n'était pas le cas en l'espèce où l'exclusivité portait sur six départements pour un chiffre d'affaires annuels d'environ 1 300 000 F.

A fortiori un tel accord n'était pas susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres de la Communauté européenne.

Ainsi après la rupture du contrat de représentation, la société CREEE s'est livrée à une concurrence déloyale envers son ancien partenaire.

Pour évaluer le préjudice causé par cette concurrence, il convient de relever le refus de la société CREEE de participer aux opérations d'expertise concernant la période postérieure à la résiliation du contrat bien que la mission de l'expert Nazarian ait été étendue aux livraisons effectuées jusqu'au 30 mai 1992 par arrêt de cette Cour (2e chambre) du 17 décembre 1992 statuant sur appel de l'ordonnance de référé définissant cette mission.

Par là, la société CREEE a privé son adversaire d'éléments de preuve qu'il avait été autorisé par décision de justice à réunir.

Comme le montrent ses bilans, la société CREEE a connu pour l'exercice 1992 durant lequel se sont commis les actes de concurrence déloyale une très forte progression de son chiffre d'affaires qui a plus que d'oublié par rapport à l'exercice précédent passant de 1 284 329 F à 2 732 453 F. Cette augmentation correspond à peu près au chiffre d'affaires de l'ordre de 1,4 million de francs réalisé en 1989 par la société EVS avec les clients détournés.

Il convient, compte tenu de ces observations de chiffrer à 500 000 F le préjudice résultant de la concurrence déloyale.

3°) Sur les autres demandes :

La demande en paiement de factures de la société CREEE doit être déclarée irrecevable car elle a été formée pour la première fois en appel et qu'elle n'était pas virtuellement comprise dans celles soumises aux premiers juges ni n'en constituait l'accessoire, la conséquence ou le complément.

Les lettres que la société EVS aurait adressé à ses clients relatives au différend l'opposant à la société CREEE ne sont pas produites aux débats et il ne peut être vérifié si elles dénigrent cette dernière.

La société CREEE qui succombe à la procédure, doit être déboutée de ses demandes accessoires et condamnée à payer à son adversaire la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit l'appel; Réforme le jugement du 4 juillet 1995 du Tribunal de commerce de Marseille, Statuant à nouveau, condamne la société Centre Recherche en Economie d'Energie et Eau à payer à la société Eau Vapeur Service, les sommes de : - cinquante trois mille sept cent quatre vingt quinze francs quatre vingt dix huit centimes (53 795,98 F) de dommages et intérêts pour concurrence déloyale, - Dix mille francs (10 000 F) au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile, Rejette toutes les autres demandes, Condamne la société Centre Recherche en Economie d'Energie et Eau aux dépens et autorise la SCP d'avoués de Saint Férréol-Touboul à recouvrer directement ceux d'appel dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.