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Décisions

CA Paris, 25e ch. B, 3 juillet 1998, n° 96-09553

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Rimbault, Société Nationale d'Incendie (SARL), Potteau, Lebeure

Défendeur :

Moreau (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pinot

Conseillers :

M. Cailliau, Mme Radenne

Avoués :

Me Hanine, SCP Gibou-Pignot-Grappotte-Benetreau, SCP Lagourgue

Avocats :

Mes Michel, Stoven, Thomas.

T. com. Montereau, du 23 janv. 1996

23 janvier 1996

LA COUR statue sur l'appel relevé par la société national d'incendie, ci-après SNI, M. Michel Potteau, M. Thierry Lebeure et M. Alain Rimbault du jugement du Tribunal de commerce de Montereau, rendu le 23 janvier 1996, qui les a condamnés solidairement à payer à la société Moreau la somme de 1 million de francs à titre de dommages-intérêts, a ordonné la publication du jugement à leurs frais dans deux journaux locaux, et prononcé l'injonction de cesser immédiatement les agissements déloyaux dénoncés. Les premiers juges les ont également condamnés solidairement à payer à la société Moreau une indemnité de procédure de 10 000 F en application de l'article 700 du NCPC.

Il convient de se reporter aux énonciations détaillées du jugement pour l'exposé des faits de l'espèce, des prétentions et moyens des parties en première instance. Il suffit de rappeler les éléments essentiels suivants.

La société Moreau exploite l'activité de fourniture et d'entretien d'appareils de protection contre l'incendie. Elle a engagé, courant novembre 1986, en qualité d'agent commercial M. Michel Potteau, lequel a présenté sa démission par lettre du 1er décembre 1990. Celui-ci a développé ensuite la même activité à travers l'EURL SNI, à compter du 11 janvier 1991, et a été rejoint par une partie du personnel de la société Moreau, laquelle a fait grief à son ancien agent commercial d'avoir débauché ses salariés ou agents, en violation de clauses de non-concurrence les concernant, et d'avoir tenu des propos discriminatoires à son détriment, par voie de circulaire auprès de sa clientèle. Elle reproche également à M. Potteau d'avoir emporté le fichier clientèle et les livres de stocks au moment de sa démission, d'avoir démarché sa propre clientèle en lui proposant des prestations d'entretien gratuites et d'avoir laissé certains agents commerciaux travailler sous l'enseigne de la société Moreau, avant de procéder à la suppression des emblèmes de la société Moreau sur les appareils pour les remplacer par les références de la société SNI.

C'est dans ces conditions qu'a pris naissance le litige à l'initiative de la société Moreau, qui réclamait la réparation de son préjudice, résultant d'une diminution de son chiffre d'affaires, et la condamnation de M. Potteau, de la SNI et de huit autres agents, à lui payer la somme de 5 millions de francs à titre de dommages-intérêts, outre la publication de la condamnation dans deux journaux locaux, et sollicitait la cessation des agissements déloyaux à son encontre, sous astreinte de 5 000 F par jour de retard.

Les défendeurs se sont tous opposés aux demandes de la société Moreau et ont sollicité reconventionnellement sa condamnation à leur payer à chacun la somme de 5 000 F à titre de dommages-intérêts, outre une indemnité de procédure du même montant, la société SNI réclamant pour sa part la condamnation de la société Moreau à lui payer la somme de 645 652, 70 F, outre la somme de 10 000 F en application de l'article 700 du NCPC.

Les premiers juges, par jugement déféré, ont retenu que M. Potteau avait omis de faire préciser par les anciens mandataires de la société Moreau qu'il avait recrutés s'ils étaient liés par une obligation de non-concurrence à l'égard de leur ancien employeur. Ils ont estimé qu'en créant la société SNI il avait violé l'obligation de non-concurrence qui le liait personnellement à la société Moreau. Ils ont également considéré que les propos discriminatoires contenus dans une circulaire destinée aux anciens clients de la société Moreau constituaient, au préjudice de cette dernière, un acte de concurrence déloyale, comme les manœuvres destinées à créer une confusion entre les deux sociétés et à détourner la clientèle de la société Moreau. Ils ont enfin caractérisé les actes commis par MM. Rimbault et Lebeure à l'égard de la société Moreau comme des actes de concurrence déloyale, justifiant leur condamnation solidaire aux côtés de M. Potteau et de la SNI au profit de la société Moreau.

Appelant, M. Alain Rimbault conclut à l'infirmation du jugement et sollicite le débouté de la société Moreau en toutes ses demandes dirigées contre lui. Il sollicite la condamnation de la société Moreau à lui payer une indemnité de cessation de contrat ainsi que ses commissions dues en vertu de son contrat d'agent commercial du 3 février 1989, à déterminer par mesure d'expertise. Il demande en outre la condamnation de la société Moreau à lui payer la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 25 000 F en application de l'article 700 du NCPC.

Il fait valoir en substance que :

- chargé dans un premier temps par la société Moreau d'un mandat exclusif de représentation dans le département de la Seine et Marne, il s'est vu confier, par avenant du 4 septembre 1989, huit autres départements,

- la société Moreau n'a pas respecté ses obligations professionnelles à son égard, en portant atteinte à l'exclusivité qui lui avait été consentie, et en omettant de lui verser l'intégralité des commissions qui lui étaient dues,

- la société Moreau et son dirigeant sont seuls responsables de la rupture abusive de son contrat d'agent commercial et du départ de leurs autres agents et salariés,

- il s'est toujours présenté à ses clients, à compter du 1er janvier 1991, comme l'agent commercial de la société SNI (cartes de visite, facturiers, véhicule professionnel identifié), pour qui il intervenait sur un secteur géographique différent de celui qui lui avait été confié par la société Moreau, et n'a commis aucun acte de concurrence déloyale à l'encontre de cette société, qui, au demeurant, n'apporte pas la preuve de ses accusations,

- le tribunal de commerce a omis de statuer sur sa demande reconventionnelle d'indemnité de rupture et d'arriérés de commissions,

- la clause de non-concurrence post contractuelle figurant au contrat d'agence commerciale conclu entre M. Rimbault et la société Moreau doit être considéré comme illicite,

- la société Moreau ne peut lui reprocher d'avoir commis des actes de concurrence déloyale, alors que, en sa qualité de mandataire, n'agissant qu'au nom et pour le compte de la société Moreau, il ne pouvait effectuer aucun acte de commerce,

- la rupture du mandat d'agent commercial le concernant étant imputable à la société Moreau cette dernière doit réparer le préjudice qu'elle lui a causé et sollicite une mesure d'instruction pour évaluer le montant de l'indemnité de rupture et l'arriéré de commissions restant du, dans la mesure où la société Moreau est la seule à détenir les éléments comptables permettant de procéder à une telle évaluation,

Il sollicite enfin que la non-solidarité entre les débiteurs soit reconnue par la Cour, dès lors qu'ils intervenaient dans des secteurs différents, et qu'un acte de concurrence déloyale reproché à l'un d'entre eux ne pouvait être imputé aux autres agents commerciaux.

Appelants, la société SNI, MM. Potteau et Lebeure sollicitent l'infirmation du jugement en ce qu'il les a condamnés solidairement à payer des dommages-intérêts à la société Moreau et demandent la condamnation de la société Moreau à payer :

- à la société SNI et à M. Potteau la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts et 50 000 F au titre de l'article 700 du NCPC,

- à M. Lebeure la somme de 20 000 F en application de l'article 700 du NCPC,

- à M. Potteau les sommes de :

* 7 140,25 F à titre d'indemnisation pour le décapage du parking de M. Potteau ayant servi d'agence pour la société Moreau,

* 2 000 F pour un lot promis lors d'un concours,

* 14 170,50 F à titre de commission sur factures,

* 15 000 F à titre de prime sur le chiffre d'affaires 1990,

* 17 927,83 F de commissions d'agence non réglées en 1989,

* 39 414,12 F de commissions d'agences non réglées en 1990,

M. Lebeure soutient qu'il n'a démissionné de ses fonctions d'agent commercial de la société Moreau qu'en raison de l'attitude de cette dernière qui ne respectait pas l'exclusivité du secteur qu'elle lui avait concédé, lors de la signature de son contrat, le 9 mai 1988. La société Moreau ne rapporte pas, selon lui, la preuve des agissements qu'elle lui reprochait, autrement que par des attestations de complaisance, dépourvues de toute signification. La société Moreau ne peut lui reprocher d'actes de concurrence déloyale, en sa qualité de mandataire non habilité à effectuer des actes de commerce, et n'établit pas le préjudice dont elle demande réparation. Il conteste toute solidarité entre lui-même, la SNI et les autres agents, et demande la condamnation de la société Moreau à lui payer la somme de 20 000 F en application de l'article 700 du NCPC.

M. Potteau et la SNI sollicitent la confirmation du jugement en ce qu'il a écarté deux des griefs formulés contre eux par la société Moreau, concernant la rétention de documents (fichier clients et livre de stock) et le débauchage de personnel. M. Potteau conteste tout acte de complicité dans la violation par MM. Pénault, Lebeure, Mangin et Durocher de leur obligation de non-concurrence. M. Potteau en créant l'EURL SNI estime n'avoir commis aucun acte répréhensible, dans la mesure où la société Moreau elle-même n'avait pas respecté ses propres obligations (primes non versées, violation du secteur d'exclusivité), le contraignant ainsi à donner sa démission. Il souligne que les pièces produites par la société Moreau pour établir le caractère discriminatoire des termes d'une circulaire adressée à sa clientèle par M. Potteau, sont inopérantes face au propre comportement de la société Moreau à son égard.

Ils contestent la réalité du préjudice prétendument subi par la société Moreau au regard du chiffre d'affaires obtenu au cours des exercices 1991, 1992 et 1993, en progression constante et ne traduisant aucune perte de clientèle.

Intimée, la société Moreau Extincteurs sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné solidairement les appelants à lui payer la somme de 1 million de francs à titre de dommages-intérêts, à publier à leurs frais la décision dans deux publications locales et à lui payer la somme de 10 000 F en application de l'article 700 du NCPC.

Elle sollicite en outre le débouté de M. Potteau de ses demandes reconventionelles et la condamnation solidaire des appelants à lui payer la somme de 30 000 F au titre des frais irrépétibles d'appel en application de l'article 700 du NCPC.

Elle fait principalement valoir que :

- M. Potteau ne peut prétendre à aucune indemnité de clientèle, ayant lui-même présenté sa démission, sans invoquer dans sa lettre la moindre faute de la part de la société Moreau,

- à la suite de la démission de M. Potteau, celui-ci était mis en demeure par la société Moreau de lui remettre les carnets de bons de commandes encore en sa possession, et d'ordonner à ses collaborateurs de se présenter à la clientèle sous leur réelle qualité d'agents de la SNI, et de respecter les obligations de non-concurrence qui concernait certains d'entre eux,

- M. Potteau a créé une société ayant la même activité et dans le même secteur que son ancien employeur, en utilisant au surplus, dans un court laps de temps, les collaborateurs démissionnaires de la société Moreau, embauchés déloyalement par la société SNI qui les a faits intervenir sur des secteurs qui leur avaient été attribués précédemment par la société Moreau,

- M. Potteau ne pouvait ignorer que les anciens collaborateurs de la société Moreau étaient tenus par une obligation de non-concurrence, et aurait dû tenir compte immédiatement des lettres de mise en demeure de la société Moreau pour les affecter sur d'autres secteurs, sans pouvoir invoquer utilement le caractère illicite des clauses de non-concurrence,

- la comparaison des comptes de la société Moreau en 1990 et pendant l'année 1991, au cours de laquelle ont été constatés les actes de concurrence déloyale, laisse apparaître, dès le mois de novembre 1990 jusqu'en juin 1991, puis en août et novembre 1991, des diminutions de chiffres d'affaires correspondant à des actes de concurrence déloyale, évaluées jusqu'en 1992 à la somme de 12 892 176,83 F.

- l'évaluation du préjudice faite par les premiers juges à la somme de 1 958 174 F, correspondant à une baisse de chiffre d'affaires du mois de novembre 1990 au mois de juin 1991, justifie la condamnation solidaire des appelants à lui payer la somme de 1 million de francs de dommages-intérêts,

Subsidiairement, elle sollicite une mesure d'expertise pour établir la liste des clients perdus de la société Moreau du fait des agissements de la société SNI à compter de l'année 1991, et déterminer le montant du préjudice subi,

Les demandes reconventionnelles formulées par M. Potteau ne sont pas fondées et doivent être écartées,

En ce qui concerne M. Lebeure, qui a invoqué la violation de l'exclusivité de son secteur (départements 28 et 41) pour dénoncer son mandat, elle lui fait grief d'avoir fourni des prestations d'entretien et de vérification annuelle d'extincteurs au sein de la clientèle de son ancien employeur et à obtenir la signature de nouveaux contrats en faveur de la société SNI, laissant entendre que la société Moreau avait cédé sa clientèle à la société SNI ou avait disparu,

Aux termes du contrat d'agent commercial de M. Lebeure, conclu avec la société Moreau avant l'entrée en vigueur de la loi du 25 juin 1991, la clause de non-concurrence qu'il contenait était limitée dans le temps et lui permettait d'exercer la même activité dans tous autres départements, ou une autre activité dans son ancien secteur,

Le comportement de M. Rimbault est, lui aussi, caractéristique d'une concurrence déloyale, à l'égard de la société Moreau, et résulte d'actes de dénigrement, de la confusion entretenue entre les deux sociétés, et de détournement de clientèle, notamment par substitution de carnets d'entretien et remplacement d'étiquettes sur les appareils au profit de la société SNI,

La clause de non-concurrence figurant sur le contrat liant M. Rimbault à la société Moreau, d'une durée de deux années et s'appliquant au secteur qui lui avait été attribué (le département de Seine et Marne), était parfaitement licite et ne faisait pas obstacle à l'exercice normal de l'activité de M. Rimbault, dès lors qu'il pouvait vendre d'autres types de matériels dans le département composant son secteur, et que ladite clause était d'application limitée dans le temps,

La responsabilité personnelle du mandataire à l'égard des tiers sur le fondement de la responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle est engagée lorsque le délit civil a été commis spontanément par le mandataire, mais aussi sur instructions du mandant, et peut se cumuler avec celle du mandant pour engager leur responsabilité " in solidum ", justifiant ainsi la condamnation solidaire des appelants par les premiers juges,

La demande reconventionnelle de M. Rimbault n'est pas fondée en l'absence de tout élément de preuve de la violation de l'exclusivité de son secteur ; sa démission volontaire ne pouvait en conséquence donner lieu à une quelconque indemnité de rupture.

Par conclusions signifiées le 17 mars 1998, la SNI, MM. Potteau et Lebeure contestent la réalité de tout acte de concurrence déloyale à la charge de M. Lebeure. La violation de l'exclusivité du secteur de M. Lebeure ne peut revenir à M. Potteau, sous les ordres duquel il était placé, mais incombait aux dirigeants de la société Moreau.

M. Lebeure se défend d'avoir commis des actes de dénigrement à l'encontre de la société Moreau. Il souligne que la clause de non-concurrence qui ne lui est pas applicable avait été incluse dans le contrat souscrit en 1988 avec M. Moreau personnellement et non avec la société Moreau, qui n'existait pas lors de la conclusion du contrat.

La société SNI et M. Potteau rappellent que le départ de nombreux collaborateurs de la société Moreau était dû au mauvais climat régnant dans l'entreprise, qui ne respectait pas les secteurs exclusifs d'activité, imposait une charge de travail considérable à ses agents et détournait les commissions qui leur étaient dues.

La prétendue complicité imputée à la SNI et à M. Potteau de la violation de la clause de non-concurrence, imposée à certains collaborateurs de la société Moreau, n'est pas caractérisée dans la mesure où cette dernière n'établit pas l'envoi en recommandé des lettres prétendument adressées les 20 et 21 mars 1991 à la SNI pour l'informer des clauses de non-concurrence concernant notamment MM. Rimbault et Lebeure. Par ailleurs, plusieurs collaborateurs de la société Moreau avaient démissionné avant la création de la société SNI, pour être embauchés dans un premier temps par d'autres sociétés.

La société SNI conteste avoir donné à ses collaborateurs la moindre instruction pour commettre les actes litigieux, lesquels, à les supposer établis, ne peuvent être mis à la charge de la société mandante et engager sa responsabilité in solidum.

En ce qui concerne la demande subsidiaire d'expertise formulée par le société Moreau pour établir le lien de causalité entre les agissements déloyaux des appelants et le préjudice souffert par la société Moreau, en comparant la liste des clients de la SNI avec celle des clients perdus par la société Moreau depuis 1991, la SNI souligne que le départ des clients de la société Moreau peut être imputé à tort à la société SNI, alors, en outre, que l'évolution du chiffre d'affaires de la société Moreau n'est pas significatif d'un tel préjudice. Il convient de relever le tassement relatif du chiffre d'affaires de 1991, qui a pour cause le départ de collaborateurs en raison du climat de l'entreprise.

M. Potteau maintient ses demandes reconventionnelles ainsi que sa demande d'expertise aux fins d'évaluer son indemnité de clientèle en fonction des résultats obtenus par l'entreprise Moreau de 1986 à 1991, grâce notamment à son activité.

Par conclusions signifiées le 1er avril 1998, M. Potteau développe ses précédentes écritures. Il conteste avoir commis un acte de concurrence déloyale à l'encontre de la société Moreau. Il rappelle que, par son libellé, la clause de non-concurrence litigieuse lui interdisait, en fait, toute activité similaire, dès lors qu'elle s'étendait à tous les départements sur lesquels les établissements Moreau avaient une activité, c'est-à-dire sur l'ensemble du territoire. Il souligne que la société Moreau n'a pas établi la réalité de son préjudice par la production de pièces comptables ayant une valeur juridique indiscutable.

Sur quoi, LA COUR,

Considérant que les clauses de non-concurrence contenues dans les contrats d'agence commerciale conclus par MM. Rimbault et Lebeure avec M. Philippe Moreau sont étendues à l'ensemble des départements sur lesquels les établissements Moreau, devenus société Moreau, avaient leur activité, c'est-à-dire sur l'ensemble du territoire national;

Qu'une telle clause est illicite en ce qu'elle n'est pas limitée au secteur géographique concédé à l'agent;

Que, en conséquence il ne peut être fait grief à la société SNI ni à M. Potteau de s'être rendus complices de la violation de clauses inopérantes ;

Considérant que les agissements de MM. Potteau, Rimbault et Lebeure à l'égard de la société Moreau, tant par les actes de dénigrement caractérisés que par un comportement commercial équivoque à l'égard de la clientèle, entretenant une confusion entre les deux sociétés et laissant entendre que la SNI succédait à la société Moreau, constituent des actes de concurrence déloyale qui ont causé un préjudice à la société Moreau;

Que de tels actes, commis par MM. Lebeure et Rimbault, accomplis principalement dans l'intérêt commercial de la société SNI et de M. Potteau, ne peuvent avoir été accomplis à leur seule initiative, bien qu'ils aient eu avantage à consolider leur clientèle personnelle par la conservation de celle de leur ancien mandant ; que leur qualité de mandataire de la société SNI n'est pas de nature à les exonérer de toute responsabilité résultant de leurs agissements déloyaux à l'égard de la société Moreau, dès lors qu'ils agissaient sous couvert de leur mandante et dans leur intérêt personnel, en raison de la nature même du mandat d'intérêt commun que constitue le mandat d'agence commerciale ;

Qu'il convient, en conséquence, de retenir que les appelants ont tous participé, à des niveaux divers mais à un même degré, aux actes de concurrence déloyale imposés à la société Moreau, et qu'ils devront en conséquence en supporter la responsabilité " in solidum " ;

Considérant que la société Moreau se réfère exclusivement à la diminution de son chiffre d'affaires au cours de l'année 1991 pour évaluer son préjudice, sur des bases semblables à celles retenues par elle en première instance et en cause d'appel, pour réclamer la somme de 5 millions de francs à titre de dommages-intérêts devant les premiers juges et 1 million de francs devant la Cour ;

Considérant que, si le fondement de la demande de réparation de la société Moreau ne doit plus être débattu, l'évaluation de son préjudice justifie en revanche que soit ordonnée une mesure d'expertise, portant notamment sur les causes de la diminution du chiffre d'affaires de l'exercice 1991 et de sa relation comptable avec les agissements des appelants ;

Considérant que les demandes reconventionnelles formées par MM. Rimbault et Lebeure seront rejetées en ce qui concerne l'indemnité de rupture, ou de clientèle, qu'ils réclament, dès lors qu'ils ont dénoncé leurs mandats respectifs sans justifier que les circonstances de la rupture étaient imputables au mandant, ni établir la violation par ce dernier de l'exclusivité de leur secteur d'activité;

Considérant qu'en ce qui concerne les primes, commissions et prises en charges diverses restant dues, tant à M. Rimbault qu'à M. Lebeure, il convient de recourir à la même mesure d'expertise pour en vérifier le principe et en fixer le montant ;

Considérant que la société SNI réduit sa demande reconventionnelle de dommages-intérêts et réclame avec M. Potteau la condamnation de la société Moreau à leur payer la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts, sans justifier de la réalité du préjudice ;

Qu'ils seront, en conséquence, déboutés de ce chef ;

Considérant qu'il y a lieu de surseoir à statuer sur l'article 700 et de réserver les dépens ;

Par ces motifs : Déboute la société SNI et M. Potteau de leur demande de dommages-intérêts contre la société Moreau, Statuant par arrêt avant dire droit, Ordonne une mesure d'expertise, et désigne pour y procéder M. Jean-Yves Rostocker, expert inscrit sur la liste de la Cour d'appel de Paris, demeurant 10, rue Chardin à Paris 16e, tel. 01.42.24.62.62 avec mission, connaissance prise du dossier et les parties convoquées et entendues, de : - procéder à l'évaluation du préjudice supporté par la société Moreau, au cours de l'exercice 1991, résultant des actes de concurrence déloyale commis par ses anciens agents et la société SNI, susceptibles d'avoir eu une incidence directe sur la diminution de son chiffre d'affaires et sur sa marge bénéficiaire, - évaluer les commissions restant dues à MM. Potteau et Lebeure lors de leur démission de la société Moreau à la fin de l'année 1990, ainsi que le montant des primes et prises en charges diverses auxquelles ils peuvent prétendre, Dit que la société Moreau devra consigner au greffe de la Cour la somme de 15 000 F à valoir sur les honoraires de l'expert, dans le délai d'un mois suivant la signification de l'arrêt, Dit que cette somme doit être versée au Régisseur d'avances et de recettes de la Cour d'appel de Paris, 34 quai des Orfèvres (75055) Paris Louvre SP ; Désigne M. Cailliau, conseiller, pour suivre les opérations d'expertise, Dit que l'expert remettra son rapport dans les quatre mois de sa saisine, Fixe au 4 mars 1999 la clôture de la procédure et au 24 juin la date des plaidoiries ; Réserve les dépens.