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Décisions

CA Rennes, 2e ch., 24 juin 1998, n° 9704271

RENNES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Gaz de France, Electricité de France

Défendeur :

Chambre syndicale des négociants détaillants en combustibles du Morbihan, Fédération des combustibles

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bothorel

Conseillers :

MM. Van Ruymbeke, Poumarede

Avoués :

Mes Chaudet-Brebion, Cadiou-Nicolle & Guillou

Avocats :

Mes Pellisier, Bourgeon

T. com. Vannes, du 21 mars 1997

21 mars 1997

Exposé des faits - Procédure - Objet du recours

Suite au lancement par Gaz de France du 1er mars au 15 mai 1995, d'une campagne publicitaire fondée sur l'offre de 4 mois de chauffage gratuit et d'une économie de plus de 40 % sur le prix du raccordement à tout client s'engageant à installer avant le 31 juillet 1995 une chaudière à gaz en remplacement d'une chaudière au fioul ou au propane, la Chambre syndicale des négociants détaillants en combustibles du Morbihan et la fédération des combustibles, s'estimant lésées et victimes d'actes de concurrence déloyale, ont fait assigner Gaz de France et Electricité de France les 29 septembre et 2 octobre 1995.

Par jugement rendu le 21 mars 1997, le Tribunal de commerce de Vannes a mis hors de cause Electricité de France, mais condamné Gaz de France à verser à la Chambre syndicale des négociants détaillants en combustibles du Morbihan et la Fédération des combustibles 1 F symbolique ainsi qu'à faire publier à ses frais le jugement dans le journal " Le Ploermelais " dans deux éditions successives, sans que chacune des insertions excède le seuil de 20 000 F hors taxes, condamné Gaz de France à payer à la Chambre syndicale des négociants détaillants en combustibles du Morbihan et la Fédération des combustibles 10 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et rejeté les autres demandes présentées par Gaz de France.

Par acte du 6 juin 1997, Gaz de France a formé appel de ce jugement. Par acte du 13 mars 1998, la Chambre syndicale des négociants détaillants en combustibles du Morbihan et la Fédération des combustibles ont assigné EDF en report d'appel.

Moyen proposés par les parties

A l'appui de son appel, Gaz de France fait valoir que :

- elle n'a commis aucune faute ni aucun acte de concurrence déloyale et n'a pas failli aux usages dans un marché concurrentiel,

- la demande fondée sur une publicité mensongère et trompeuse est irrecevable, les sociétés demanderesses regroupant des professionnels et non des consommateurs,

- la publicité n'est ni mensongère ni trompeuse et les informations complémentaires ont été diffusées concomitamment,

- les primes consistant en des services ou des produits de même nature que ceux faisant l'objet du contrat principal sont licites, puisque l'offre portait soit sur de la consommation de gaz (gratuite), soit sur des sommes en espèces,

- le traitement de l'ensemble des abonnés est le même.

En conséquence, Gaz de France demande à la cour de rejeter les demandes de la Chambre syndicale des négociants détaillants en combustibles du Morbihan et la Fédération des combustibles et leur réclame 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La Chambre syndicale des négociants détaillants en combustibles du Morbihan et la Fédération des combustibles font valoir que :

- l'opération commerciale constitue à la fois une concurrence déloyale (opérant un détournement de clientèle, l'offre étant ciblée sur les utilisateurs de fioul à usage domestique), une publicité trompeuse (l'offre de 1 500 F étant incompréhensible pour le consommateur, l'économie avancée sur le branchement étant tantôt de 50 %, tantôt de 40 % et le caractère trompeur devant être apprécié dès la réception du message) et une vente à prime illicite,

- elles ont qualité à agir sur le fondement de l'article 31 du nouveau Code de procédure civile,

- la publicité a été diffusée par un service commercial commun à EDF et GDF,

- la dénomination EDF apparaît sur le coupon joint à la lettre circulaire et la liste des clients n'a pu être établie qu'avec son concours.

Elles concluent à la confirmation de la décision déférée sur les condamnations de la décision déférée sur les condamnations prononcées, mais demandent également que EDF soit condamnée solidairement avec GDF et que soit délivrée une injonction sous astreinte de fournir la liste des utilisateurs contactés.

Elles demandent que la décision soit diffusée auprès de ceux-ci, sous astreinte, dans le mois du prononcé de l'arrêt, et réclament le paiement de dommages et intérêts équivalents au montant total des primes illicites versées. Elles sollicitent 10 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

EDF rétorque qu'EDF et GDF sont deux établissements publics indépendants, EDF/GDF Services Morbihan étant une simple adresse postale locale dépourvue de personnalité morale et qu'elle n'a commis aucune faute. EDF conclut à sa mise hors de cause et sollicite 5 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Motifs de l'arrêt

Considérant au préalable que les deux instances doivent être jointes dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice ;

La qualité à agir

Considérant qu'ont qualité à agir, sur le fondement de l'article 31 du nouveau Code de procédure civile, toutes personnes ayant un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, indépendamment de la faculté ouverte aux associations de consommateurs par l'article L. 421-1 du Code de la consommation ; que des organisations professionnelles regroupant des négociants en combustibles, ont intérêt à agir sur le fondement d'actes de concurrence déloyale commis par un concurrent résultant, entre autres, de publicités prétendues trompeuses ou mensongères et visant leur clientèle ; que les faits, à les supposer établis, sont de nature à leur occasionner un préjudice ;

EDF

Considérant qu'EDF et GDF sont deux établissements publics indépendants, EDF/GDF Services Morbihan n'apparaissant sur les documents distribués que comme une simple adresse postale locale destinée uniquement à recevoir les réponses des clients ; que les agissements incriminés ne concernent que GDF ; qu'ils ne tendent qu'à l'installation du chauffage au gaz ; que les documents publicitaires litigieux sont établis à l'entête de GDF et non d'EDF ; qu'il en est de même des annonces promotionnelles ; que les offres n'ont été faites qu'au nom de GDF ;

Considérant que l'affirmation selon laquelle GDF aurait utilisé le fichier d'EDF n'est confortée par aucun élément de preuve ; qu'en outre, le seul fait qu'EDF ait pu communiquer à GDF des éléments de son fichier (par nature confidentiel), dans le cadre de relations commerciales normales s'agissant de deux établissements publics, ne saurait, en lui-même, constituer une faute engageant la responsabilité d'EDF ; qu'il ne peut être reproché tant à GDF qu'à EDF de ne pas avoir communiqué la liste des clients prospectés ;

Considérant qu'il n'est nullement établi qu'EDF ait agit de concert avec GDF ;

Considérant que les demandes présentées à l'encontre d'EDF qui n'a joué aucun rôle dans la diffusion des documents commerciaux et dans l'opération promotionnelle seront en conséquence rejetées ;

La concurrence déloyale

Considérant que le fait qu'une opération commerciale ou promotionnelle soit ciblée sur une catégorie de clients démarchés par des concurrents, dans un secteur soumis à la libre concurrence, n'est pas, en lui-même, constitutif d'un acte de concurrence déloyale; qu'en l'espèce aucun procédé déloyal n'a été utilisé ; que la clientèle était ciblée sur une clientèle définie au vu de critères objectifs et non cantonnée à un concurrent déterminé, puisqu'elle était ciblée en fonction d'un mode de chauffage; que ces clients étaient sélectionnés en fonction du remplacement, qui pouvait être envisagé, par ces personnes de leur chaudière fioul ou propane ;

Considérant qu'il n'importe que d'autres clients potentiels utilisent d'autres sources d'énergie, telles que l'électricité, et qu'ils n'aient pas été bénéficiaires d'une offre identique, les critères de sélection ayant été définis de façon objective ;

La publicité mensongère

Considérant que la proposition de versement d'une prime est précise - 1 500 F outre la réduction sur les frais de branchement - claire et lisible ;que la référence au mode de calcul adopté est même précisée ;que le consommateur visé pouvait aisément comprendre que l'offre correspondait à une estimation moyenne ;qu'il est clairement précisé, grâce à un astérisque et à un renvoi figurant sur la même page et parfaitement lisibles dans des conditions normales, que les 4 mois de chauffage gratuit offerts correspondent à un montant forfaitaire de 1 500 F, ce qui est conforme à une consommation annuelle moyenne ;

Considérant que si la lettre adressée aux clients et datée du 10 avril 1995 mentionne un taux de réduction sur le coût de l'installation de 50 % alors que l'offre ne mentionnait qu'un taux de 40 % elle ne faisait que rectifier une erreur (la présentation finale étant d'ailleurs en réalité plus intéressante qu'il n'y paraissait à l'origine), erreur facilement décelable à la simple lecture de l'offre puisqu'elle faisait expressément figurer, au titre du prix du branchement, un montant de 2 372 F au lieu de 5 337 F ;

Considérant que la référence à une moyenne ne peut constituer en elle-même une information trompeuse sur la moyenne consommée, faute de précisions sur les logements concernés ;

Considérant que le fait que le tract envoyé ne mentionne pas la condition liée au remplacement d'une chaudière fioul ou propane ne peut être trompeur puisque :

- le tract mentionne que les avantages ne sont offerts que si le client opte pour le gaz naturel, ce qui implique nécessairement qu'il change de mode de chauffage,

- il y est fait expressément état du " branchement ", ce qui conforte l'exigence du changement de mode de chauffage,

- le mailing distribué concomitamment dans le cadre de l'ensemble de l'opération promotionnelle fait expressément état du remplacement d'une chaudière fioul ou propane par du gaz naturel,

Considérant ainsi que la publicité ne peut être qualifiée de trompeuse ou mensongère;

Les ventes avec prime

Considérant qu'aux termes de l'article L. 121-35 du Code de la consommation " est interdite toute vente ou offre de vente de produits ou de biens ou toute prestation ou offre de prestation de service faites aux consommateurs et donnant droit, à titre gratuit, immédiatement ou a terme, à une prime consistant en produits, biens ou services sauf s'ils sont identiques à ceux qui font l'objet de la vente ou de la prestation " ;

Considérant que la prime offerte en l'espèce est celle relative à l'équivalent de 4 mois de chauffage gratuit, indépendamment de la consommation effective, payable au vu de la facture d'installation ; qu'elle consiste en un versement en espèces nullement prohibé par le texte susvisé ; qu'au surplus elle représente l'équivalent de la consommation moyenne du produit fourni ;

Considérant que cette offre est liée à la fourniture de gaz, l'installation d'une chaudière à gaz étant par nature destinée à permettre à l'utilisateur, qu'il soit locataire ou propriétaire, de se chauffer au gaz ;

Considérant que l'offre n'est pas " contraire à l'égalité de traitement " puisque, si les nouveaux clients devaient bénéficier de la prime et d'une réduction sur le coût de l'installation, les prix pratiqués à leur égard restaient les mêmes que ceux supportés par les autres abonnés ; que l'adhésion de nouveaux abonnés, encouragée par les primes et la réduction sur les frais d'installation, était même conforme à leurs intérêts, le prix facturé dépendant pour partie du nombre d'abonnés ;

Considérant qu'il convient en conséquence de rejeter l'ensemble des demandes présentées par la Chambre syndicale des négociants détaillants en combustibles du Morbihan et la Fédération des combustibles que celles-ci, qui échouent en instance d'appel, ne sont pas fondées à réclamer le remboursement de leurs frais irrépétibles et supporteront la totalité des dépens ;

Considérant qu'il serait en revanche inéquitable de laisser à la charge de Gaz de France et Electricité de France les sommes exposées par elles et non comprises dans les dépens ; qu'il leur sera alloué respectivement, à ce titre, les sommes globales de 15 000 et 5 000 F ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Ordonne la jonction des deux instances enregistrées sous les numéros 9704271 et 9802190 sous le numéro 9704271 ; Infirme le jugement déféré, Rejette l'ensemble des demandes présentées par la Chambre syndicale des négociants détaillants en combustibles du Morbihan et la Fédération des combustibles, Condamne la Chambre syndicale des négociants détaillants en combustibles du Morbihan et la Fédération des combustibles à verser à Gaz de France la somme globale de 15 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la Chambre syndicale des négociants détaillants en combustibles du Morbihan et la Fédération des combustibles à verser à Electricité de France la somme globale de 5 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Rejette toutes autres demandes, Condamne la Chambre syndicale des négociants détaillants en combustibles du Morbihan et la Fédération des combustibles à l'ensemble des dépens, ceux d'appel pouvant être recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.