CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 11 juin 1998, n° 1880-95
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Swatch AG (SA)
Défendeur :
Métro libre service de gros (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gallet
Conseillers :
MM. Boilevin, Raffejeaud
Avoués :
Me Treynet, SCP Jullien Lecharny Rol
Avocats :
Mes Bejot, Boesflug.
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE :
La société Métro-Libre Service de Gros a fait distribuer un catalogue publicitaire, sous le titre Métro News, pour la période du 17 au 31 décembre 1993, comportant une page entière consacrée à la présentation de 21 modèles de montres de marque Swatch, et dans lequel était annoncée la vente de ces montres dans divers magasins Métro.
Ayant fait constater par huissier, le 17 décembre 1993, que le magasin à l'enseigne Métro situé à Nanterre ne proposait que 15 montres à la vente et n'attendait aucune livraison, la société de droit suisse Swatch AG, propriétaire des marques Swatch et Swatch Quartz déposées auprès de l'Office Mondial de la Propriété Intellectuelle et exploitées par l'intermédiaire de distributeurs dont la société SMH France, a, par acte d'huissier du 10 mars 1994, fait assigner la SARL Métro-Libre Service de Gros, aux fins notamment de voir dire et juger que cette dernière s'est rendue coupable de pratiques de marque d'appel et de prix d'appel ainsi que de concurrence parasitaire et d'agissements déloyaux, de la voir condamner à lui payer la somme de 600.000 F à titre de dommages et intérêts, outre 30.000 F en application de l'article 700 du NCPC, et de se voir autoriser à faire publier le jugement dans 5 journaux de son choix.
Par jugement rendu le 28 octobre 1994, le tribunal de commerce de Nanterre l'a déboutée de ses demandes et l'a condamnée à payer la somme de 10.000 F à la société Métro-Libre Service de Gros en application de l'article 700 du NCPC. Le tribunal a écarté le reproche de la pratique de marque d'appel en retenant que la société Métro-Libre Service de Gros ne s'adresse qu'à des professionnels et non au grand public, que les personnes averties sont en mesure d'apprécier les conditions de vente sur un produit de marque de grande notoriété, et que, en raison de la difficulté d'accès du magasin, seuls des clients intéressés par un produit en promotion feront l'effort de s'y rendre.
Le tribunal a également rejeté l'imputation de concurrence parasitaire en se fondant sur le nombre de montres Swatch figurant dans les stocks de la société Métro-Libre Service de Gros au 31 décembre 1993. Il n'a pas davantage retenu des agissements déloyaux envers la société Swatch en soulignant que cette dernière n'avait pas établi avoir consenti à la société SMH France une exclusivité à laquelle il aurait été porté atteinte.
Par conclusions signifiées le 31 mai 1995, la société Swatch AG, appelante, rappelle que, selon les constatations de l'huissier, la société Métro-Libre Service de Gros ne disposait pas d'une montre par modèle et soutient que le faible nombre de pièces disponibles à la vente caractérise une pratique d'appel en même temps qu'il démontre une publicité trompeuse.
Elle conteste la production tardive par la société Métro-Libre Service de Gros d'un état des stocks et de factures et listings qui ne sauraient infirmer les constatations de l'huissier. Elle invoque encore une tromperie sur les prix de vente annoncés dans le catalogue à une hauteur moindre que dans le magasin. Elle ajoute que si la cour considérait que les prix annoncés ont été les prix effectivement pratiqués, il conviendrait de retenir la vente à perte.
Elle soutient avoir subi un important préjudice, eu égard aux sommes qu'elle dépense pour la promotion de ses marques et en considération du fait que les clients attirés par la publicité ont dû, en définitive, acheter un autre produit, faute de stocks suffisants. Elle fait aussi valoir que la société Métro-Libre Service de Gros s'est rendue coupable de concurrence parasitaire en tentant de profiter de la réputation et du sérieux de sa marque pour attirer une clientèle et lui vendre d'autres produits. Elle évalue son préjudice en fonction de son propre budget publicitaire. Elle réfute tout caractère abusif à son action destinée à préserver légitimement ses droits. Elle demande à la cour de :
- réformer en tous points les termes du jugement du 28 octobre 1994 du tribunal de commerce de Nanterre, si ce n'est la confirmation du débouté de la demande de Métro tendant à obtenir des dommages et intérêts, et en conséquence:
- dire et juger qu'en ne disposant le 17 décembre 1993, premier jour de l'opération promotionnelle engagée dans son magasin que de 15 montres en tout, la société Métro a cherché à tromper les consommateurs et s'est rendue coupable de pratique de marque d'appel,
- dire et juger qu'en commercialisant les montres visées dans le catalogue publicitaire Métro News à un prix sensiblement supérieur à celui annoncé, la société Métro a trompé le consommateur et s'est rendue coupable de pratique de prix d'appel et que si elle a vendu aux prix promotionnels elle s'est rendue coupable de vente à perte ;
- dire et juger que la société Métro en cherchant à profiter de la notoriété de la marque Swatch s'est rendue coupable de concurrence parasitaire et a agi de manière déloyale,
En conséquence :
- condamner la société Métro à lui payer la somme de 600.000 F (six cent mille francs) à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par elle du fait des agissements de la société Métro,
- l'autoriser à faire publier l'arrêt à intervenir dans 5 journaux de son choix aux frais de la société Métro sans que le coût de chaque insertion puisse excéder la somme de 20.000 F HT (vingt mille francs);
- débouter purement et simplement la société Métro de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la société Métro à payer à la société Swatch la somme de 50.000 F (cinquante mille francs) au titre des dispositions de l'article 700 du NCPC, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, lesquels seront recouvrés par Maître Treynet, avoué à la cour, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.
Par conclusions signifiées le 19 novembre 1996, la société Métro-Libre Service de Gros invoque l'état de ses stocks pour soutenir qu'elle disposait de 143 exemplaires des montres Swatch offertes dans le catalogue, voire même 206 exemplaires pour l'ensemble de ses magasins. Elle en déduit que le grief de pratique de marque d'appel n'est pas démontré. Elle réfute également la tromperie sur les prix en affirmant avoir pratiqué les prix annoncés dans le catalogue. Elle invoque l'irrecevabilité de la demande de la société Swatch relative à une prétendue vente à perte, non invoquée devant les premiers juges, et, en tout cas, elle en conteste le bien fondé. Elle demande à la cour de :
- voir dire et juger la société Swatch irrecevable et mal fondée en son appel et l'en débouter,
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dIspositions,
- condamner la société Swatch à payer à la société Métro Libre Service De Gros une indemnité de 30.000 F (trente mille francs) en vertu de l'article 700 du NCPC;
- condamner la société Swatch aux entiers dépens de première instance et d'appel dont le recouvrement pour ceux la concernant sera effectué par la SCP Jullien Lecharny Rol, société titulaire d'un office d'avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.
Par conclusions signifiées le 4 mars 1997, la société Swatch AG se réfère à nouveau aux constatations de l'huissier pour reprendre son argumentation, et conteste que l'invocation de la revente à perte constitue une demande nouvelle puisqu'il en était fait mention dans l'exploit introductif d'instance. Elle ajoute que ladite revente à perte est caractérisée en réfutant les arguments de son adversaire.
La procédure a été clôturée par une ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 6 janvier 1998 et l'affaire a été plaidée à l'audience du 19 mars 1998.
Sur ce, LA COUR,
Considérant que la publicité litigieuse, parue dans la brochure éditée sous l'intitulé New's Métro, annonce la vente promotionnelle, dans les huit magasins exploités sous la dénomination Métro, de 21 modèles de montres de marque Swatch, dont 8 modèles de montres analogiques avec bracelet plastique au prix de 159 F HT, 6 modèles de montres analogiques avec bracelet cuir au prix de 189 F HT, 4 modèles de montres automatiques avec tous types de bracelets au prix de 209 F HT, et 3 modèles de montres chronographes avec tous types de bracelets au prix de 335 F HT, pour la période du 17 au 31 décembre 1993;
Que la société Swatch AG fait essentiellement grief à la société Métro-Libre Service de Gros d'avoir diffusé cette annonce publicitaire sans disposer de tous les modèles présentés ni d'un nombre suffisant de modèles offerts à la vente, et d'avoir pratiqué des prix de vente inférieurs aux prix d'achat effectifs, en se fondant sur les constatations faites par huissier, selon acte dressé le 17 décembre 1993, dans le milieu de l'après-midi, dans les locaux du magasin exploité par la société Métro à Nanterre, faisant état de quinze montres Swatch exposées à la vente, dont quatre montres chrono à 395 F, trois à 165 F, cinq à 205 F et trois à 325 F, et de l'absence d'autres montres de cette marque en stock, la dernière facture d'achat remontant au 27 septembre 1993
Considérant, cependant, que la société Métro-Libre Service de Gros produit un état des stocks de son magasin de Nanterre, au 17 décembre 1993, comportant la mention de 143 montres de quinze modèles différents, dont 48 au prix de 159 F, 30 au prix de 209 F, et 65 au prix de 335 F; qu'elle produit également un état des stocks de l'ensemble des huit magasins comportant la mention de 896 montres des vingt-et-un modèles objet de la publicité, dont 161 au prix de 159 F, 206 au prix de 189 F, 146 au prix de 209 F, et 383 au prix de 335 F; qu'il faut ajouter que la facture d'achat du 27 septembre 1993, ci-dessus évoquée, porte sur 197 montres des vingt-et-un modèles concernés; qu'au vu de ces documents et en raison des liens entre les huit magasins à l'enseigne Métro, reliés à la même centrale d'achats MCA Métro, et susceptibles de mettre réciproquement tel ou tel modèle à la disposition de l'un ou de l'autre, en fonction des besoins, ce que traduit, au demeurant, l'absence d'individualisation des stocks par magasin, il y a lieu de retenir, en l'absence de preuve contraire, que chacun des modèles proposés à la vente se trouvait disponible dans les stocks de la société Métro-Libre Service de Gros, au début de la période de promotion ;
Que la communauté et la mobilité des stocks entre les magasins concernés enlèvent toute pertinence aux observations de la société Swatch selon lesquelles, d'une part, le magasin Métro de Nanterre n'aurait pas disposé de tous les modèles au début de la période de vente promotionnelle, et, d'autre part, le nombre total d'articles d'un modèle déterminé aurait été insuffisant compte tenu du nombre de montres de ce modèle détenu dans un magasin et du nombre de magasins ;
Que les listings relatifs à l'état des stocks produits par la société Métro-Libre Service de Gros, non argués de faux par la société Swatch et dont rien ne permet de suspecter l'authenticité même s'ils paraissent comporter des erreurs minimes, contredisent l'indication contenue dans l'acte d'huissier selon laquelle "il n'y a aucune autre montre Swatch en stock", particulièrement simpliste et non étayée par la mention des diligences effectuées pour s'en assurer, de sorte qu'on ne sait si cette affirmation procède de constatations ou d'une déclaration recueillie ;
Que, de plus, la société Swatch ne rapporte pas la preuve que la société Métro-Libre Service de Gros n'ait pas été en mesure de s'approvisionner dans des délais lui permettant de faire face à la demande, dans le délai fixé pour la vente promotionnelle ;
Qu'en outre, la preuve n'est pas davantage rapportée d'une marge manifestement discriminatoire par rapport à celle pratiquée pour des produits similaires vendus dans les magasins Métro, de sorte qu'il n'est pas établi que les quantités de montres Swatch disponibles à la vente pour chacun des vingt-et-un modèles aient été incitative à la dérive des ventes vers d'autres marques ;
Considérant que, s'il est exact que l'huissier mandaté par la société Swatch a constaté l'affichage de prix différents de ceux annoncés dans la publicité, la société Métro-Libre Service de Gros justifie, par la production de plusieurs factures, avoir effectivement appliqué les prix annoncés à l'occasion de la vente des modèles concernés; que l'appelante, qui ne rapporte aucun élément de preuve, ne peut avancer l'argumentation d'une modification des prix pratiqués aux caisses après le passage de l'huissier, étant noté qu'il est crédible que le maintien de l'affichage des anciens prix, au tout début de l'opération promotionnelle, ait résulté d'une omission et alors que le procès-verbal dressé ne précise même pas l'heure à laquelle les constatations ont été effectuées et que seule une vague indication contenue dans un courrier adressé, six mois plus tard, par cet officier ministériel, permettrait de les situer "dans le milieu de l'après-midi";
Que,dans ces conditions, la pratique du prix d'appel et la publicité trompeuse ne sont pas établies à l'encontre de la société Métro-Libre Service de Gros;
Considérant que la vente à perte, au demeurant évoquée dans l'acte introductif d'instance, pouvant constituer un élément de la pratique du prix d'appel, la prétention formulée par la société Swatch devant la cour, sur ce fondement, ne constitue pas une demande nouvelle et est donc recevable;
Qu'il résulte de la facture d'achat produite par la société Métro-Libre Service de Gros, en date du 27 septembre 1993, que les trois modèles San-400, Sam-400 et San-101, et les modèles référencés GN-126, GN-402, GK-152, GK-154, GN-126 et LK-110, vendus aux prix promotionnels respectivement de 209 F HT et de 189 F HT, ont été achetés aux prix respectivement de 295 F et de 190 F, auprès de la société UWT.
Que, cependant, cette société justifie, pour les premiers modèles, que sa centrale d'achat MCA a obtenu un avoir de 15.824,00 F auprès de son fournisseur; que cette centrale d'achat, agissant pour le compte de ses sociétés affiliées, a nécessairement fait bénéficier ces dernières de cet avoir, en sorte que, en l'état des éléments soumis à l'appréciation de la cour, la preuve n'est pas rapportée que la société Micro-Libre Service de Gros ait revendu ces articles à perte; qu'il en est de même pour les autres modèles, dès lors que la facture visée par la société Swatch ne concerne que les prix des articles eux-mêmes et n'intègre pas les autres frais afférents à l'acquisition, notamment les frais de transport, en sorte qu'il n'est pas établi que le prix d'achat effectif, au sens de l'article 32 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ait été inférieur au prix de vente de 189 F HT, soit 224,15 F TTC ;
Qu'ainsi, la revente à perte imputée à la société Micro-Libre Service de Gros par la société Swatch n'est pas caractérisée ;
Considérant que, compte tenu des développements qui précèdent, il n'est pas démontré que la promotion des produits de la marque Swatch ait eu pour objet ou pour effet d'attirer la clientèle au profit de marques concurrentes; qu'il ne peut être fait grief à la société Métro-Libre Service de Gros d'avoir organisé une campagne de ventes promotionnelles pour des produits, parmi lesquels les montres de marque Swatch, dont la notoriété est, en effet, susceptible d'attirer la clientèle, dès lors que, comme en l'espèce, l'opération ne s'est accompagnée d'aucune pratique anticoncurrentielle ni d'aucune atteinte à la marque des produits concernés; que l'utilisation de la marque Swatch par la société Métro-Libre Service de Gros, pour une opération promotionnelle qui s'adresse à des professionnels de la distribution et qui porte sur des produits qu'elle était en droit de commercialiser et pour lesquels la société Swatch ne prouve pas l'existence d'un réseau de distribution exclusive ou sélective, organisée dans des conditions qui ne génèrent aucun risque de confusion avec la société Swatch ou sa filiale française SMH France, ne caractérise aucun acte de parasitisme ni, plus généralement, aucun acte de concurrence déloyale;
Considérant que l'équité ne commande pas l'application de l'article 700 du NCPC.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, déclare recevable l'appel formé par la société Swatch AG à l'encontre du jugement rendu le 28 octobre 1994 par le tribunal de commerce de Nanterre, confirme le jugement entrepris, y ajoutant, condamne la société Swatch AG aux dépens de la procédure d'appel, qui pourront être recouvrés directement par la SCP Jullien-Lecharny-Rol, conformément à l'article 699 du NCPC, déboute les parties de leurs conclusions contraires ou plus amples.