Cass. com., 3 juin 1998, n° 96-15.969
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Profinox Créations (SARL), DM Ateliers (Sté)
Défendeur :
Inoxyform (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
M. Léonnet
Avocat général :
M. Lafortune
Avocats :
SCP Vier, Barthélémy, Me Thomas-Raquin.
LA COUR : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Toulouse, 11 mars 1996 ), rendu après cassation, que la société Inoxyform qui fabrique des meubles de cuisine destinés à des collectivités a assigné en 1990 les sociétés DM Ateliers et Profinox Créations en dommages et intérêts pour concurrence déloyale, notamment par débauchage de personnel et copie servile de meubles de cuisine ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses trois branches : - Attendu que les sociétés Profinox Créations et DM Ateliers font grief à l'arrêt partiellement confirmatif de les avoir condamnées, alors, selon le pourvoi, d'une part, que le salarié qui n'est pas lié à son ancien employeur par une clause de non-concurrence est libre, après cessation de son contrat de travail, de se réembaucher dans une entreprise concurrente et de démarcher pour lui-même ou pour son nouvel employeur la clientèle concurrente; qu'il ne peut résulter de tels faits aucune présomption de concurrence déloyale, en dehors de la preuve de l'utilisation de moyens répréhensibles; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que huit salariés de divers niveaux de la société Inoxyform avaient été embauchés en l'espace de cinq mois par les sociétés Profinox et DM Ateliers et que le départ de M. Coulon avait joué un rôle prépondérant; qu'elle a déduit de ces seuls faits ajoutés au départ de "divers clients" la "démonstration de la faute commise" et la désorganisation de l'entreprise; qu'en se limitant à ces énonci tions sans caractériser davantage le caractère déloyal et répréhensible des moyens qu'auraient utilisés les sociétés exposantes pour parvenir à cette situation et sans avoir égard notamment au fait que 8 salariés seulement sur les 28 démissionnaires de la société Inoxyform, qui comptait à l'origine 80 salariés, avaient été embauchés par les sociétés Profinox et DM Ateliers, sans qu'aucun avantage particulier ne leur soit consenti, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1382 du Code civil; alors, d'autre part, que la copie partielle d'un produit ne constitue pas un acte de concurrence déloyale lorsque les similitudes dénoncées proviennent d'une nécessité fonctionnelle ou technique; qu'en ne recherchant pas en l'espèce, si, ainsi qu'il ressortait des éléments photographiés insérés aux conclusions des sociétés exposantes dans le domaine de la restauration des collectivités les similitudes entre les différentes productions ne s'expliquent pas par l'état de la technique et des connaissances acquises, tombées dans le domaine public, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1382 du Code civil; et alors, enfin, qu'en s'arrêtant à la similitude existant entre une installation précise des sociétés exposantes et la production de la SA Inoxyform, sans constater le risque de confusion susceptible d'en résulter, et sans s'arrêter par ailleurs au fait que les similitudes se retrouvaient pareillement dans toutes les productions concurrentes, la cour d'appel a privé encore sa décision de toute base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel a constaté qu'entre le 6 décembre 1989 et le 23 mai 1990 "soit en l'espace de cinq mois" les sociétés litigieuses ont embauché huit salariés de la société Inoxyform, ces embauches concernant un ingénieur commercial, deux chefs d'ateliers, un employé et des chaudronniers "tous démissionnaires et personnel qualifié, connaissant tant les techniques de fabrication que les clients de la société Inoxyform et qu'ils allaient exercer leur activité dans un domaine identique que celui qu'ils quittaient" alors que les vingt-huit licenciements dont il était fait état s'étaient étalés sur une durée de deux ans; que la cour d'appel a également constaté "le rôle prépondérant joué par M. Coulon, premier salarié de la société Inoxyform à avoir quitté celle-ci" et qui connaissait son personnel "ses aptitudes, le réseau de distribution et les procédés de fabrication"; qu'enfin, après avoir relevé que "cet ensemble de faits démontrait la faute commise par la société DM Ateliers et Profinox Créations et la société Profinox, d'autant que peu après ce débauchage divers anciens clients de la société Inoxyform faisaient exécuter leur commande "par ces entreprises, la cour d'appel a pu estimer que ces départs avaient eu pour effet de désorganiser la société Inoxyform;
Attendu, en second lieu, que tant par motifs propres qu'adoptés la cour d'appel, qui n'avait pas à rechercher si les similitudes relevées entre les produits fabriqués par les sociétés concurrentes étaient imposées par des nécessités fonctionnelles ou techniques cet argument n'ayant pas été invoqué dans les écritures d'appel, a apprécié les éléments de preuve versés au débat en relevant que le matériel produit par les sociétés Profinox et DM Ateliers correspondait "en tous points" à celui fabriqué par la société Inoxyform; qu'ayant notamment constaté que l'adoption d'un décor semblable, constitué par une bande horizontale et une bande oblique pouvait " créer une confusion dans l'esprit de la clientèle "l'arrêt n'encourt pas les griefs des deux dernières branches du moyen ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le second moyen : - Attendu que les sociétés Profinox et DM Ateliers font grief à l'arrêt de les avoir condamnées au paiement de la somme de 500 000 F à titre de dommages et intérêts, alors, selon le pourvoi, qu'une partie ne saurait être condamnée à payer à son adversaire une certaine somme au titre d'un préjudice autre que celui invoqué; qu'en l'espèce, ayant expressément écarté l'existence d'un lien de causalité entre les faits de concurrence déloyale reprochés aux exposantes et le préjudice économique pour lequel, exclusivement, la société Inoxyform réclamait réparation, la cour d'appel ne pouvait donc satisfaire la demande à hauteur de 500 000 F au titre d'un préjudice moral non invoqué; qu'elle a ainsi violé l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que si la cour d'appel n'a pas constaté qu'il existait une relation entre les faits de concurrence déloyale et la baisse de son chiffre d'affaires elle a relevé qu' " il est incontestable que les fautes commises par les sociétés DM Ateliers et Profinox ont créé à la société Inoxyform un préjudice moral incontestable en relation directe avec celles-ci "préjudice dont elle a souverainement apprécié le montant par l'évaluation qu'elle en a faite; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le moyen unique du pourvoi incident, pris en ses deux branches : - Attendu que la société Inoxyform fait grief à l'arrêt d'avoir limité à 500 000 F la réparation de son préjudice, alors, selon le pourvoi incident, d'une part, que le rapport du conseil d'administration pour l'exercice clos au 31 décembre 1990 comportait la mention expresse suivante : "la baisse de productivité de l'usine a été encore amplifiée du fait qu'en début d'année, un groupe d'employés a quitté la société pour créer une entreprise concurrente, avec le savoir-faire acquis chez Inoxyform. Nous avons intenté une action juridique à ce sujet"; qu'en omettant cette indication en résumant ce rapport et en énonçant que celui de l'exercice suivant "ne fait toujours aucune allusion à la concurrence déloyale invoquée et à ses répercussions", la cour d'appel a dénaturé par omission ce document qui constitue l'unique fondement de son refus d'indemniser la perte de chiffre d'affaires, en violation de l'article 1134 du Code civil; et alors, d'autre part, que l'accroissement de la concurrence était expressément visé par ces rapports parmi les causes de la baisse d'activité; qu'après avoir elle-même jugé que cette concurrence était, du moins pour sa part émanant des sociétés DM Ateliers et Profinox, déloyale, la cour d'appel ne pouvait refuser d'indemniser la part correspondante de baisse d'activité sans méconnaître les conséquences légales de ses propres constatations en violation de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que la cour d'appel a relevé que le rapport du conseil d'administration pour l'exercice clos au 31 décembre 1990 indique "que la chute des ventes provient de trois causes principales : la conjoncture générale, une nouvelle pression commerciale, l'apparition d'une concurrence de même nature; que ce rapport ne mentionne aucune perte chiffrée leur étant imputable"; qu'en l'état de ces constatations la cour d'appel n'encourt pas les griefs du moyen; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi principal et le pourvoi incident.