CA Paris, 4e ch. A, 27 mai 1998, n° 96-11921
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Estyle (SA)
Défendeur :
Société Française de Revues (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Duvernier
Conseillers :
Mme Mandel, M. Lachacinski
Avoués :
SCP Duboscq Pellerin, Me Pamart
Avocats :
Mes Argan, Durewski.
FAITS ET PROCEDURE
La société Française de Revues ci-après dénommée SFR édite depuis 1985 un magazine intitulé " Coiffures Modes ", tandis que la société Estyle diffuse deux revues, " Coiffures et Styles " et " Estetica France ".
La SFR ayant constaté qu'au mois de janvier 1995, la société Estyle avait selon elle reproduit dans sa publication les principaux éléments de la couverture de sa revue " Coiffures Modes " des mois de juillet-août 1994, l'a assignée le 4 septembre 1995 devant le Tribunal de commerce de Paris sur le fondement de la concurrence déloyale afin d'obtenir, outre la cessation des agissements sous astreinte, la destruction des magazines litigieux et des mesures de publication, sa condamnation à lui payer la somme de 50.000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 10.000 F en application de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile.
La société Estyle s'opposait aux demandes formées contre elle, et réclamait la condamnation de SFR à lui payer les sommes de 50.000 F en réparation de son préjudice et celle de 15.000 F pour ses frais hors dépens.
Par jugement du 15 mars 1996, le Tribunal saisi a condamné la Société Estyle à :
- détruire tous les exemplaires du numéro de janvier février 1995 de la revue " Coiffures et Styles " et les documents y relatifs,
- payer la somme de 10.000 F à titre de dommages et intérêts à la Société Française de Revues,
et a rejeté le surplus des demandes respectives des parties.
La Société Estyle appelante conclut à la réformation du jugement déféré en toutes ses dispositions et à titre reconventionnel à la condamnation de la Société Française de Revues à lui payer la somme de 50.000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 25.000 F pour ses frais non compris dans les dépens.
La SFR intimée sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a ordonné la destruction de la revue " Coiffures et Styles " de janvier-février 1995, mais son infirmation pour le surplus, demande de constater que la société Estyle a commis des agissements caractéristiques de la concurrence déloyale, d'ordonner la cessation desdits agissements sous astreinte de 1.000 F par infraction constatée à l'expiration d'un délai de huit jours à compter de la signification du jugement à venir (sic) et la destruction de tous les magazines et documents commerciaux litigieux, d'autoriser la publication aux frais de la société appelante du dispositif du jugement à venir dans le premier magazine Coiffures et Styles édité ou diffusé à paraître après le prononcé de l'arrêt à venir et de condamner la société Estyle à lui payer, outre la somme de 15.000 F au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile, celle de 50.000 F à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu'elle a subi.
Sur quoi, LA COUR
Considérant que l'appel ne défère à la Cour que la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément ou implicitement et de ceux qui en dépendent.
Considérant que le litige soumis à la cour par la société Estyle tel qu'il résulte de ses écritures porte notamment sur l'utilisation contestée par SFR qu'elle aurait faite d'une photographie en couverture parue dans sa revue Coiffures et Styles.
Considérant que la société Estyle soutient que l'utilisation involontaire dans le numéro de janvier-février 1995 de Coiffures et Styles d'une photographie identique à celle publiée sur la couverture de la revue Coiffures Modes de juillet-août 1994, ce dont elle n'est pas selon elle responsable, n'a engendré aucun risque de confusion entre les deux magazines, le sien vendu en kiosques étant essentiellement destiné au public tandis que celui diffusé sous la forme d'abonnement par la société intimée s'adresse aux professionnels, et que par conséquent la SFR n'a subi aucun préjudice de son fait.
Qu'elle indique encore en fournissant de nombreux exemples que l'utilisation de photographies identiques dans des revues traitant des mêmes sujets est un phénomène fréquent.
Considérant que SFR répond que le magazine Coiffure et Styles des mois de janvier-février 1995 constitue une reproduction servile de celui qu'elle a publié aux mois de juillet-août 1994 du fait de l'utilisation de la même photographie, de la même mise en page avec l'emploi du même substantif Coiffure couvrant le haut de la page et la mention Style déclarée à droite, et de la couleur bleue pour son titre.
Considérant que SFR reproche également à la société Estyle d'avoir commis, de façon délibérée, des actes de concurrence déloyale en publiant à la première page de sa revue de mars avril 1995 une photographie représentant deux mannequins à la chevelure aux couleurs contrastées, blonde pour l'une, brune pour l'autre pour illustrer le thème de la coloration et d'avoir de cette façon abordé le même sujet qu'elle même avait évoqué dans son magazine des mois de janvier février 1995.
Considérant que la liberté du commerce autorise tout acteur économique, à tenter d'attirer vers lui les clients ou les consommateurs de ses concurrents, sous l'expresse condition que son action s'exerce à l'égard de ces derniers exclusivement par le fait d'agissements loyaux qui à défaut pourrait engager sa responsabilité délictuelle.
Considérant que si en l'espèceles sociétés Française de Revues et Estyle diffusent l'une et l'autre des magazines traitant des modes ou des styles et de la coiffure en particulier, rien dans les revues opposées, tant au niveau de la mise en page de la couverture, des couleurs qui y sont utilisées, du contenu des revues, et de la présentation en général, ne permet de conclure comme le fait la société intimée qu'il existe entre elles une quelconque ressemblance susceptible de provoquer chez un consommateur d'attention moyenne un risque de confusion.
Que les différents modes allégués de diffusion des revues, l'un en kiosque, l'autre par abonnements destinés essentiellement aux professionnels, diminuent encore davantage le risque de confusion invoqué.
Que la mise en œuvre de thèmes identiques à intervalles même rapprochés dans des revues traitant de sujets aussi spécialisés que ceux de la coiffure, ne constitue pas en soi un fait fautif dans la mesure où le risque de reprises ou de redites ne peut pas être évité dans un domaine où le renouvellement des thèmes abordés apparaît au fil des ans difficile.
Que la SFR en convient puisqu'elle écrit dans ses conclusions : " Pour cette raison, les mêmes thèmes sont étudiés au même moment dans ces magazines ".
Qu'il ne saurait davantage reprocher à la société Estyle d'utiliser pour désigner sa revue le terme de Coiffure auquel est adjoint celui de Styles, alors que cette dénomination générique ne sert qu'à désigner un magazine consacré essentiellement à la coiffure et à tout ce qui s'y rattache.
Ques'agissant de la photographie diffusée par la société Estyle en couverture de sa revue des mois janvier-février 1995 qui correspond exactement à celle publiée également en première page dans le magazine Coiffures Modes de juillet-août 1994, il convient de relever que celle-ci ne fait que s'insérer de façon " illustratrice " du fait qu'elle a vocation à être attractive, mais cependant accessoire, puisque servant de support à un ensemble destiné à être pérennisé constitué essentiellement par le titre, la maquette de la couverture et par l'indication des rubriques qui y figurent et qui renvoient les lecteurs aux articles traités.
Que le moyen tiré du risque de confusion allégué est d'autant moins fondé que le lecteur d'attention moyenne ne pourra que faire la différence entre les revues opposées, puisqu'il lui sera difficilement concevable d'imaginer qu'un même magazine diffuse en couverture deux fois la même photographie à 6 mois d'intervalle.
Considérant que les demandes formées par SFR de destruction de magazines et de documents commerciaux, de publication de l'arrêt et de condamnation à titre de dommages et intérêts et aux frais non compris dans les dépens devront être rejetées.
Que la Société Française de Revues sera par conséquent déboutée de l'intégralité de ses demandes et le jugement déféré partiellement confirmé, mais réformé en ce qu'il a estimé que la société Estyle a commis une faute en utilisant pour la couverture de sa revue Coiffure et Styles des mois de janvier-février 1995 la même photographie que la Société Française de Revues pour la couverture de son magazine Coiffures Modes des mois de juillet-août 1994.
Considérant que la Société Française de Revues ayant pu se méprendre sur la valeur et sur l'étendue de ses droits ne peut être condamnée au paiement des dommages et intérêts réclamés par la société Estyle.
Considérant qu'il apparaît en revanche inéquitable de laisser à la charge de la société Estyle la totalité des frais qu'elle a dû engager tant en première instance qu'en cause d'appel qu'il convient de compenser à hauteur de la somme de 20.000 F.
Par ces motifs : Confirme la jugement rendu le 15 mars 1996 par le Tribunal de commerce de Paris, à l'exception des mesures de destruction et de condamnation prononcées contre la société Estyle, Le réformant et statuant à nouveau, Rejette les demandes formées par la Société Française de Revues et par la société Estyle au titre de son préjudice pour procédure abusive, Condamne la Société Française de Revues à payer à la société Estyle la somme de 20.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile. Condamne la Société Française de Revues aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ces derniers au profit de la SCP d'avoués Duboscq Pellerin dans les conditions de l'article 699 du nouveau code de Procédure Civile.