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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 15 mai 1998, n° 95-12330

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Plantes et Médecines (SA)

Défendeur :

Invitance (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boval

Conseillers :

M. Ancel, Mme Regniez

Avoués :

Me Baufume, SCP Bommart-Forster

Avocats :

Mes Morvilliers, Evangelista.

T. com. Paris, 7e ch., du 28 mars 1995

28 mars 1995

LA COUR statue sur l'appel interjeté par la société Plantes et Médecines d'un jugement rendu le 28 mars 1995 par le Tribunal de Commerce de Paris dans un litige l'opposant à la société Plantes et Médecines [sic].

Référence étant faite au jugement entrepris et aux écritures échangées en cause d'appel pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, il suffit de rappeler les éléments qui suivent.

Invitance, société créée en 1981, expose qu'elle commercialise les produits du Docteur Valnet et en particulier un désinfectant des voies respiratoires à base d'essences aromatiques naturelles sous le nom de Climarome, qui représenterait une part de 60 % de son chiffre d'affaires.

Selon elle, des pourparlers ont eu lieu en 1991 avec Plantes et Médecines du groupe des laboratoires Fabre à Cahors et une collaboration fût envisagée pour la distribution de Climarome par le réseau de vente de cette dernière. Par lettre du 17 juillet 1991 Plantes et Médecines remettait à Invitance un projet d'accord de distribution des produits de la gamme Valnet établi par elle, précisant cependant qu'il ne s'agissait que d'une proposition destinée à préparer une entrevue prévue pour le mois de septembre 1991 entre Monsieur Fabre de la société Fabre et Madame Tiphaigne, gérante d'Invitance. Celle-ci aurait remis à son futur partenaire Plantes et Médecines toute la documentation relative aux principaux produits du Docteur Valnet.

Aucune suite ne devait être donnée à ce projet. Le rendez-vous entre Monsieur Fabre et Madame Tiphaigne était en fait repoussé jusqu'à avril 1992. Madame Tiphaigne qui avait demandé cette entrevue précisait que " Plantes et Médecines ne sera pas le sujet de notre discussion. Mes propos se situeront à un autre niveau où pourront être abordés des sujets confidentiels sur une évolution possible des produits du Docteur Valnet ".

Reprochant à Plantes et Médecines d'avoir lancé en septembre 1993 sur le marché un produit identique à Climarome sous le nom de Brume Aromatique et d'avoir en outre, d'une part, copié l'argumentaire de vente spécifique de cet article et, d'autre part, utilisé la même présentation du produit en pharmacie, Invitance a fait assigner celle-ci pour la voir condamner pour actes de concurrence déloyale et parasitaire.

Le jugement entrepris a relevé tout d'abord que :

- "la formulation, si elle n'est pas identique, est proche, mais le principe de l'inhalation d'essences ou huiles essentielles dans le traitement ou la prévention des affections respiratoires est du domaine public,

- les cartonnages de présentation diffèrent complètement, Climarome alliant le bleu, le blanc et le rose et portant l'inscription "les soins naturels du Docteur Valnet", Brume Aromatique étant vendu dans un étui vert turquoise de couleur unie et portant la marque de la gamme Phytorama en gros caractères,

- les présentoirs en pharmacie diffèrent également sensiblement, Invitance fournissant également aux pharmaciens un "testeur gratuit" à la disposition de la clientèle, ce que Plantes et Médecines ne fait pas,

- la présentation de Climarome sous forme de vaporisateur peut être considérée comme une nouveauté, mais là encore il ne peut s'agir d'exclusivité, ce mode de diffusion étant de plus en plus répandu en pharmacie et en parfumerie,

- enfin la concurrence ne peut qu'être encouragée pour autant qu'elle soit loyale".

Les premiers juges ont toutefois retenu que Plantes et Médecines :

- "a lancé son produit peu de temps après la cessation des pourparlers avec Invitance, juste le temps de mettre en fabrication son propre produit,

- ne justifie pas des travaux ayant conduit à la mise au point de la Brume Aromatique, si ce n'est par l'évocation de l'embauche en 1988 de Monsieur Mortier comme pharmacien responsable du laboratoire, Monsieur Mortier étant l'auteur d'une thèse sur les "huiles essentielles et aromathérapie application au thym ", ce qui est insuffisant,

- ne justifie d'aucune publicité pour soutenir le lancement de Brume Aromatique, et n'a fourni aucune information sur le volume de ses ventes, s'étant simplement placée dans le sillage d'Invitance, et son produit étant présenté à côté de celui d'Invitance sur les comptoirs des pharmacies, ce qui est bien la marque d'une situation de concurrence déloyale et d'agissement parasitaire".

C'est dans ces conditions que le tribunal a dit que Plantes et Médecines s'était rendue coupable d'actes de concurrence déloyale à l'encontre d'Invitance et l'a condamnée à lui payer une somme de 600.000 F à titre de dommages-intérêts. Il a en revanche rejeté la demande d'interdiction formée par Invitance, indiquant laisser "le libre jeu de la concurrence décider des parts de marché respectives des deux produits".

Plantes et Médecines poursuit la réformation du jugement. Elle réitère son exception d'incompétence au profit du Tribunal de grande instance de Cahors, Tribunal du domicile du défendeur et sur le fond fait valoir que :

- grâce à son savoir-faire en matière d'utilisation des huiles essentielles et d'aromathérapie elle a une antériorité certaine sur Invitance,

- sa stratégie étant d'occuper l'ensemble des marchés des médecines alternatives elle a acquis le 1er février 1988 la gamme Phytorama qui lui a permis de développer son département aromathérapie et de mettre au point en toute logique son produit Brume Aromatique,

- ce n'est pas elle, mais au contraire Mme Tiphaigne qui était demanderesse aux pourparlers qui avaient été engagés, Mme Tiphaigne espérant ainsi nouer des contacts fructueux avec le groupe Fabre,

- le projet de contrat de distribution établi à la demande d'Invitance n'a jamais fait allusion à la protection d'un quelconque savoir-faire,

- la documentation relative aux produits du Docteur Valnet ne portait que sur des informations générales par ailleurs accessibles au grand public,

- les produits sont différents et l'utilisation d'essences ou huiles essentielles dans la prévention des affections respiratoires, "vieille comme le monde",

- il n'y a aucune confusion possible entre les produits, ni aucune ressemblance dans leur présentation.

L'appelante prie en conséquence la Cour de faire droit à l'exception d'incompétence qu'elle a soulevée in limine litis et, subsidairement, de débouter Invitance, en la condamnant à lui payer une somme de 400.000 F pour procédure abusive.

Invitance conclut à la confirmation du jugement dans son principe. Elle soutient :

- que son activité est entièrement constituée par l'exploitation des produits du Docteur Valnet, Climarome comptant pour 60 % de son chiffre d'affaires,

- qu'elle distribue Climarome depuis 1986 et que l'augmentation de son chiffre d'affaires, de 4,9 MF en 1987 à 8,2 MF en 1993 est due au niveau élevé de ses dépenses publicitaires (600.000 F en moyenne annuelle de 1987 à 1989, près d'un million de francs par an de 1990 à 1993),

- qu'outre ses qualités intrinsèques, Climarome se distingue par sa présentation en vaporisateur et par le présentoir exposé en pharmacie,

- que l'établissement d'un projet de contrat de représentation des produits Valnet par Plantes et Médecines et le fait qu'elle ait remis à celle-ci une documentation sur ces produits démontrent bien l'intérêt qu'attachait son adversaire à la perspective de distribuer Climarome,

- que quelques mois après l'abandon des pourparlers, Plantes et Médecines lançait Brume Aromatique, produit identique dans ses composantes techniques à Climarome, en utilisant la connaissance qu'elle avait acquise de son savoir faire technique et commercial, et en commettant de la sorte des actes de concurrence déloyale et parasitaire,

- que son chiffre d'affaires pour 1994 a été affecté par la concurrence du produit lancé par Plantes et Médecines.

L'intimée prie la Cour de la déclarer bien fondée en son appel incident, de faire droit à ses demandes d'interdiction et de publication, de désigner un expert pour évaluer le préjudice qu'elle a subi et à défaut de lui allouer une somme de 2.000.000 F à titre de dommages-intérêts.

Chacune des parties revendique l'application à son profit des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR :

Considérant qu'à juste titre les premiers juges ont écarté l'exception d'incompétence soulevée par Plantes et Médecines ; qu'en effet selon l'article 46 du nouveau Code de procédure civile, le demandeur peut saisir en matière délictuelle la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi ; qu'en l'espèce Invitance justifie par un constat d'huissier dressé le 24 avril 1993 dans une pharmacie parisienne que le produit Brume Aromatique était vendu dans le ressort du tribunal saisi ;

Considérant qu'à juste titre également le Tribunal a relevé que :

- le principe de l'inhalation d'essences ou huiles essentielles dans le traitement ou la prévention des affections respiratoires était du domaine public,

- les cartonnages de présentation différaient complètement,

- les présentoirs en pharmacie différaient également sensiblement,

- la présentation de Climarome sous forme de vaporisateur était banale ;

Considérant qu'Invitance fait valoir que son produit Climarome serait original et se serait trouvé en situation de monopole sur le marché avant l'apparition de Brume Aromatique ;

Mais considérant qu'il résulte d'un article paru en décembre 1993 dans "La Vie Naturelle" produit par l'intimée, que le Climarome du Docteur Valnet relève d'un "procédé vieux comme le monde qui consiste à placer des substances aromatiques ou des essences et huiles essentielles dans de l'eau bouillante puis d'en inhaler les vapeurs, on prend pour ce faire un simple bol d'eau bouillante et une serviette de toilette ou un inhalateur quelque peu plus perfectionné en plastique ou en émail" ; que comme l'ont rappelé les premiers juges, le recours à un vaporisateur est très répandu en pharmacie et en parfumerie ;

Considérant qu'il ressort des pièces versées aux débats, et particulièrement d'un panel de l'IMS, versé aux débats par l'appelante, qu'Invitance n'a pas la situation prééminente ni l'antériorité qu'elle allègue sur le marché très concurrentiel des huiles essentielles, et sur lequel son produit, Climarome, commercialisé depuis 1971, n'occupait à la fin de l'année 1997, qu'une place moyennement importante (16 % contre 56 % pour l'Essence Algérienne apparue dès 1905 et 8 % pour l'Aromasol de la gamme Phytorama lancé en 1954) ;

Considérant qu'Invitance soutient que Plantes et Médecines n'avait jamais eu "l'idée" avant d'entrer en contact avec elle de commercialiser le produit Brume Aromatique, et qu'elle n'a pu le faire que grâce à ses pourparlers avec Madame Tiphaigne et aux informations confidentielles, portant notamment sur son chiffre d'affaires, qui lui ont été transmises à cette occasion ; qu'elle en déduit que Plantes et Médecines aurait commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire en s'introduisant sur un marché dont elle ignorait auparavant l'existence, sans bourse délier, en exploitant simplement les informations confidentielles qu'elle lui avait confiées et en tirant profit de ses investissements publicitaires ;

Considérant cependant qu'Invitance ne produit pas les documents confidentiels dont se serait emparée Plantes et Médecines ; que le projet de contrat entre les parties ne fait d'ailleurs pas allusion à la protection d'un quelconque savoir-faire; qu'elle n'est pas fondée à incriminer la simple reprise d'une "idée" commerciale, ne faisant l'objet d'aucun droit exclusif ;

Considérant qu'outre le fait qu'il était aisé pour un professionnel de ce secteur de réaliser un produit comme Brume Aromatique, il y a lieu de relever que Plantes et Médecines s'est adjoint les services d'un pharmacien, Monsieur Mortier, auteur d'une thèse sur les "huiles essentielles et aromathérapie application au thym" et d'un mémoire de DEA dont le sujet était "Mise au point pour l'extraction des huiles essentielles", qui a attesté avoir mis au point la formule retenue pour la commercialisation ; qu'au demeurant l'intimée admet que Plantes et Médecines "avait les capacités techniques de développer ce type de produit";

Considérant qu'alors au surplus que l'appelante justifie de dépenses publicitaires pour son produit, qu'il n'est pas établi que la rupture des pourparlers avec son adversaire ait été de son fait, et que les produits en cause diffèrent tant dans leur présentation que dans leur mode de publicité, la commercialisation de Brume Aromatique, qui relève de l'exercice de la liberté du commerce, n'apparaît pas répréhensible;que par réformation du jugement Invitance sera déboutée de ses demandes ;

Considérant que l'intimée ayant eu gain de cause en première instance, la demande de dommages intérêts pour procédure abusive formée par Plantes et Médecines ne saurait prospérer; que l'équité n'exige pas qu'il lui soit alloué d'indemnité pour ses frais irrépétibles;

Par ces motifs : réforme le jugement sauf en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société Plantes et Médecines ; statuant à nouveau et ajoutant : déboute la société Invitance de ses demandes et la société Plantes et Médecines de ses demandes reconventionnelles; condamne la société Invitance aux dépens de première instance et d'appel; admet M. Baufume au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.