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Décisions

CA Rennes, 2e ch., 6 mai 1998, n° 9607563

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Société Nouvelle de Tréfilerie Normande (SA)

Défendeur :

Alcor Equipements (SARL), L'Attraction à Vent (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bothorel

Conseillers :

MM. Van Ruymbeke, Poumarede

Avoués :

Mes d'Aboville & de Moncuit St Hilaire, Cadiou-Nicolle & Guillou

Avocats :

Mes Monegier du Sorbier, Fouquet.

T. com. Saint-Brieuc, du 9 sept. 1996

9 septembre 1996

EXPOSE DES FAITS - PROCEDURE - OBJET DU RECOURS

La société l'Attraction à Vent, immatriculée le 17 janvier 1991, exerce une activité de vente de spectacles et d'édition musicale. Compte tenu de son développement, une seconde société a été créée, la société Alcor Equipements. La société Alcor Equipements, immatriculée le 18 mai 1994, a notamment pour activité, outre l'édition musicale, l'achat, la conception et la vente de structures métalliques de collectivités. Leur siège social est situé à la même adresse et leur gérant est commun.

Lors du dernier trimestre de l'année 1993, la société L'Attraction à Vent s'est adressée à la société nouvelle de Tréfilerie Normande en vue de la commande de barrières de ville. Le 6 avril 1994, la société nouvelle de Tréfilerie Normande lui adressait des photographies de ses barrières de ville "Vite Clos". Cependant, suite à la livraison, la société L'Attraction à Vent s'est plainte auprès de son fournisseur, par un courrier du 9 mai 1994, invoquant notamment le fait que la société nouvelle de Tréfilerie Normande avait apposé sa marque commerciale alors qu'elle en revendiquait la conception. Elle lui reprochait également la fragilité du système d'accrochage et la fragilité du piétement.

Dans sa réponse du 18 mai 1994, la société nouvelle de Tréfilerie Normande revendiquait à son tour la conception de la machine, au même titre que sa fabrication, rappelant qu'elle avait déposé la marque "Vite Clos", les seules modifications apportées, à la demande de son client conformément à un fax transmis le 7 avril 1994, portant sur les systèmes d'accrochage et le piétement des barrières.

Un nouveau litige relatif à ces barrières devait intervenir en 1995. Le 27 mars 1995 en effet, le conseil de la société nouvelle de Tréfilerie Normande mettait en garde la société Alcor Equipements, suite à la parution d'une publicité dans la revue "Moniteur" du 27 janvier 1995, contre la fabrication ou la commercialisation de barrières présentant des caractéristiques communes à celles conçues et fabriquées par la société nouvelle de Tréfilerie Normande.

La société nouvelle de Tréfilerie Normande faisait ainsi constater par huissier le 1er juillet 1995 que des barrières "Alcor" et des barrières "Vite Clos" étaient utilisées sur le circuit du prologue du Tour de France, celles-ci ayant, selon elle, un aspect identique.

Le 9 octobre 1995, la société nouvelle de Tréfilerie Normande faisait assigner la société Alcor Equipements et la société L'Attraction à Vent pour acte de concurrence déloyale et, subsidiairement, pour acte parasitaire.

Par jugement rendu le 9 septembre 1996, le tribunal de commerce de Saint-Brieuc a cependant rejeté les demandes de la société nouvelle de Tréfilerie Normande et l'a condamnée à payer à la société Alcor Equipements et à la société L'Attraction à Vent 10.000 francs par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Par acte du 8 octobre 1996, la société nouvelle de Tréfilerie Normande a formé appel de ce jugement.

MOYENS PROPOSES PAR LES PARTIES

A l'appui de son appel, la société nouvelle de Tréfilerie Normande fait valoir que:

- elle a élaboré et conçu en 1993 un nouveau type de barrière de ville, commercialisé sous la dénomination "Vite clos"

- la nouveauté de cette barrière résulte d'un grillage de couleur à maillage rectangulaire, permettant un meilleur isolement du public, un allègement du produit et une amélioration des processus et des coûts de fabrication,

- la promotion de cette barrière a fait l'objet d'une publicité dans la revue "Le Moniteur" du 25 mars 1994,

- la société Alcor Equipements et la société L'Attraction à Vent ont commis des actes de concurrence déloyale et, subsidiairement, des actes parasitaires.

En conséquence, la société nouvelle de Tréfilerie Normande demande à la Cour d'ordonner, sous astreinte, à la société Alcor Equipements et à la société L'Attraction à Vent de cesser la fabrication et la commercialisation, d'ordonner la publication de la décision et réclame 200.000 francs à titre de dommages et intérêts ainsi que 50.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

La société nouvelle de Tréfilerie Normande demande en outre à la Cour un sursis à statuer dans l'attente d'un jugement à intervenir du tribunal de commerce d'Angers dans un litige visant des actes de contrefaçon reprochés par elle au fabricant des barrières incriminées, la société Teolitub.

La société Alcor Equipements et la société L'Attraction à Vent font valoir que:

- elles n'ont commis ni des actes de concurrence déloyale, ni des actes parasitaires,

- elles n'ont commis aucune faute et la société nouvelle de Tréfilerie Normande ne subit aucun préjudice.

Elles concluent à la confirmation de la décision déférée et sollicitent 30.000 francs à titre de dommages intérêts pour procédure abusive et injustifiée ainsi que 20.000 francs par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Par conclusions du 4 février 1998, la société nouvelle de Tréfilerie Normande demande le report de la clôture afin que soit produite une sommation interpellative. La société Alcor Equipements et la société L'Attraction à Vent s'opposent à la révocation et sollicitent le rejet des conclusions et pièces déposées et signifiées par la société nouvelle de Tréfilerie Normande les 30 janvier et 4 février 1998.

MOTIFS DE L'ARRET

Procédure

Considérant au préalable que l'ordonnance de clôture, au vu des dispositions de l'article 784 du Nouveau code de procédure civile, ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue; qu'en l'espèce aucune cause grave n'est intervenue ni même alléguée; qu'enfin la date de clôture, soit le 22 janvier 1998, est proche de celle des plaidoiries (17 mars 1998), ce délai n'étant nullement excessif;

Considérant par conséquent que la demande tendant à ce que soient écartées des débats, pour violation du principe du contradictoire, les conclusions et pièces déposées et signifiées par la société nouvelle de Tréfilerie Normande les 30 janvier et 4 février 1998, alors que l'ordonnance de clôture est intervenue le 22 janvier 998, sont justifiées, la société Alcor Equipements et la société l'Attraction à Vent n'ayant pu en prendre connaissance et y répondre en temps utile;

Les relations contractuelles

Considérant à l'origine que par courrier du 13 juin 1994, la société nouvelle de Tréfilerie Normande indiquait qu'elle avait accepté de remplacer les 2.000 barrières commandées initialement, après avoir relevé qu'il s'agissait d'un nouveau produit lancé par elle sur le marché, celle-ci ne souhaitant pas ternir son image de marque par "un défaut de conception" dont la responsabilité incombait à la société l'Attraction à Vent;

Considérant qu'elle ajoutait dans ce courrier qu'elle avait suivi à la lettre les modifications sollicitées par son client, lequel avait, après examen des barrières modifiées, donné son accord pour les porter à la galvanisation; qu'ainsi elle admettait que celui-ci avait contribué à l'élaboration des barrières litigieuses;

Considérant ainsi que la société nouvelle de Tréfilerie Normande reconnaissait expressément dans ce courrier avoir suivi les instructions de son client qu'elle avait "toujours considéré comme un spécialiste en la matière" ; que le 17 mai 1994, la société nouvelle de Tréfilerie Normande acceptait de reprendre les barrières "détériorées" pour réparation du piétement, admettant que cette situation "était "la conséquence de l'imprécision" dont avait fait preuve son client dans la définition de son besoin "et aussi de la précipitation dans laquelle cette première commande a été exécutée", compte tenu des délais de livraison extrêmement courts;

Considérant qu'il en ressort que ces deux sociétés ont travaillé en commun sur la conception du piétement des barrières vendues à l'origine par la société nouvelle de Tréfilerie Normande;

Considérant par ailleurs que, dans un courrier adressé à son client le 28 janvier 1994, la société nouvelle de Tréfilerie Normande a reconnu elle-même qu'elle venait seulement de lancer sur le marché les barrières "Vite clos" ;

La concurrence déloyale

Considérant que, dans son courrier de mise en garde du 19 juillet 1995, le conseil de la société nouvelle de Tréfilerie Normande a lui-même indiqué que les barrières litigieuses n'étaient pas celles vendues par la société nouvelle de Tréfilerie Normande à l'origine, "leurs caractéristiques visuelles et techniques n'étant pas identiques" ; que cette expression est claire et ne peut prêter à confusion;

Considérant que ces caractéristiques "visuelles et techniques" permettent effectivement d'éviter toute confusion, étant précisé que :

- il existe sur le marché de nombreux modèles voisins et présentant de grandes similitudes, lesquelles ne présentent aucune originalité,

- la seule mise en place d'un grillage soudé à l'intérieur d'un tube aux lieux et place de barreaux métalliques verticaux ne suffit à caractériser un élément d'originalité, étant observé que ce type de grillage est utilisé par un autre concurrent, Heras,

- la pose de porte-étiquettes de personnalisation, comme leur emplacement, est d'un usage courant sur ce type de barrières et de surcroît ils sont en l'espèce de tailles différentes,

- la forme générale comme la longueur des différents types de barrière, qui ne sont pas exactement les mêmes, ne présentent pas davantage d'originalité, compte tenu des ressemblances à cet égard entre les différentes barrières utilisées usuellement,

- de nombreux types de barrière présentent des crochets permettant de les assembler et les systèmes d'attache sont, en l'espèce, différents (le crochet inférieur SNTM étant positionné plus bas que le crochet Alcor),

- le fait de peindre des barrières ne présente aucune originalité;

Considérant ainsi qu'il n'existe pas de risque de confusion dans l'esprit de la clientèle entre les deux types de barrières, d'autant plus que sont apposées sur les barrières les marques respectives des deux sociétés;

Les actes parasitaires

Considérant que la société nouvelle de Tréfilerie Normande ne démontre pas que la société Alcor Equipements ou la société L'Attraction à Vent aient tiré profit, sans bourse délier, d'efforts réalisés par la société nouvelle de Tréfilerie Normande sur le plan technique et commercial en vue de s'approprier sa clientèle, sans recherche ou frais d'étude ou de mise au point; qu'il n'est nullement établi que ces sociétés aient cherché à s'approprier la renommée de la société nouvelle de Tréfilerie Normande ou aient porté atteinte à sa réputation en mettant sur le marché des produits de moindre qualité; que la société nouvelle de Tréfilerie Normande ne démontre pas l'existence d'actes parasitaires;

Considérant au surplus que la société nouvelle de Tréfilerie Normande ne justifie d'aucun préjudice (ni davantage d'un risque de préjudice) dans un marché ouvert à la concurrence; qu'il en est ainsi notamment du fait allégué par la société nouvelle de Tréfilerie Normande, de la similarité entre des prospectus réalisés par la société Alcor Equipements et elle-même;

Considérant enfin que la présente instance vise des faits de concurrence déloyale; qu'il ne saurait en conséquence être sursis à statuer dans l'attente d'un jugement à intervenir du tribunal de commerce d'Angers dans un litige, de nature différente, visant des actes de contrefaçon reprochés par la société nouvelle de Tréfilerie Normande au fabricant des barrières incriminées, la société Teolitub;

Considérant qu'il convient en conséquence de confirmer la décision déférée qui a rejeté l'ensemble des demandes de la société nouvelle de Tréfilerie Normande; que la société nouvelle de Tréfilerie Normande, qui échoue en son recours, n'est pas fondée à réclamer le remboursement de ses frais irrépétibles et supportera la totalité des dépens;

Considérant que si la société Alcor Equipements et la société L'Attraction à Vent n'apportent pas la preuve du préjudice qu'est censé leur occasionner la procédure, qu'elles estiment abusive, engagée par la société nouvelle de Tréfilerie Normande, il serait en revanche inéquitable de laisser à leur charge les nouvelles sommes exposées par elles en instance d'appel et non comprises dans les dépens; qu'il leur sera alloué à ce titre la somme globale de 20.000 francs, cette somme s'ajoutant aux frais irrépétibles justement alloués par les premiers juges;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, écarte des débats les conclusions et pièces déposées et signifiées par la société nouvelle de Tréfilerie Normande les 30 janvier et 4 février 1998, confirme le jugement déféré, condamne en outre la société nouvelle de Tréfilerie Normande à verser à la société Alcor Equipements et à la société L'Attraction à Vent la somme globale de 20.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, rejette toutes autres demandes, condamne la société nouvelle de Tréfilerie Normande aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.