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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 8 avril 1998, n° 96-86610

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Alain Ayache Developpement (SCS)

Défendeur :

Emap France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Duvernier

Conseillers :

Mme Mandel, M. Lachacinski

Avoués :

Mes Ribaut, Bodin Casalis

Avocats :

Mes Antonini, Moncorge.

T. com. Paris, 15e ch., du 4 oct. 1996

4 octobre 1996

Faits et procédure

Dans un article consacré aux magazines qui traitent des questions de santé, le n° 933 du mensuel Stratégie du mois de septembre 1995 a analysé trois publications destinées au grand public Top Santé, Réponse à Tout Santé et Santé Magazine, et a enregistré les déclarations de leur dirigeant respectif.

La société Alain Ayache Developpement estimant que les propos reproduits dans le journal Stratégie et tenus par Jacqueline Ducrez directeur général adjoint de Top Santé selon lesquels : "Ayache nous copie, mais mal " et " Son magazine est trop fouillis et pas toujours crédible sur le plan de la santé ", constituaient des actes de dénigrement de son magazine, a le 23 octobre 1995, assigné la société Star Presse devant le Tribunal de Commerce de Paris afin qu'il soit jugé notamment que celle-ci est responsable à son égard d'actes de concurrence déloyale, de dénigrement, et d'atteinte à son image de marque, et qu'elle soit condamnée à lui payer la somme de 3 000 000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 20 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Par jugement du 4 octobre 1996, le tribunal saisi a :

- dit la société Alain Ayache Developpement partiellement fondée en ses demandes,

- dit que la société Star Presse, par certains des propos tenus en son nom par Jacqueline Ducrez dans le mensuel Stratégie n° 933 du mois de septembre 1995, s'était rendue coupable de dénigrement à l'encontre de la société Alain Ayache Developpement,

- condamné la société Star Presse à payer à la société Alain Ayache Developpement un franc symbolique de dommages et intérêts, et a débouté les parties du surplus de leurs demandes respectives,

- condamné la société Star Presse aux entiers dépens.

La société Alain Ayache Developpement appelante conclut à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Star Presse pour dénigrement, mais demande à la Cour de le réformer sur son préjudice au motif qu'il justifiait la condamnation de la société Star Presse à lui payer la somme de 3 000 000 F à titre de dommages et intérêts, et celle de 10 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

La société Star Presse sollicite l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il a dit que les propos attribués à Jacqueline Ducrez selon lesquels " Réponse à Tout Santé n'est pas toujours crédible sur le plan de la santé " constituent un fait de dénigrement relevant de la concurrence déloyale, mais de le confirmer pour le surplus, dans la mesure où les propos susvisés " restent dans les bornes de la liberté d'expression et de critique, et qu'ils doivent être replacés dans le contexte polémique qui opposait alors les parties en raison du comportement déloyal et justement sanctionné par le juge des référés et par le juge du fond de la société Alain Ayache Developpement ".

Elle évalue à la somme de 30 000 F ses frais hors dépens.

La société Emap France venant aux droits de la société Star Presse est volontairement et régulièrement intervenue par conclusions signifiées le 3 mars 1998.

Sur quoi, LA COUR

Considérant que le litige opposant la société Alain Ayache Developpement à la société Emap France porte sur une partie de l'article diffusé dans la revue Stratégie, et essentiellement sur les mentions figurant au bas à gauche de la page 29 ainsi rédigées :

" Entraîné par ce succès, Alain Ayache a multiplié les versions étrangères de Réponse à Tout Santé. Après le Portugal, l'Italie, l'Argentine, le Brésil et la Turquie, c'est, à partir du mois de septembre, au tour du Canada à savoir comment soigner son corps " à la française ".

Jacqueline Ducrez, directeur général adjoint de Top Santé, plaindrait plutôt les canadiens. " Ayache nous copie, mais mal " (Top Santé a attaqué Réponse à Tout en référé pour s'être inspirée de son logo). " Son magazine est trop fouillis et pas toujours crédible sur le plan de la santé ? "

Au contraire de nous ... serait-on tenté d'ajouter. Mais Top Santé a d'autres chats à fouetter ... "

Considérant que les sociétés Alain Ayache Developpement et Emap France qui diffusent respectivement les magazines Réponse à Tout et Top Santé visent la même clientèle et sont donc en situation de concurrence.

Qu'il leur appartient en conséquence de lutter à égalité sans jamais utiliser des moyens déloyaux contraires à l'harmonie qui doit présider aux relations concurrentielles.

Considérant que les propos qui portent atteinte à la réputation commerciale d'un concurrent constituent un acte de dénigrement.

Considérant que si la société Star Presse possède effectivement le droit de critiquer la qualité des publications concurrentes, cette critique ne saurait cependant être sans limite, mais doit au contraire être mesurée.

Considérant que si l'affirmation " Ayache nous copie mais mal " tenue par Jacqueline Ducrez ne constitue pas en soi un acte de dénigrement de la société appelante dans la mesure où elle n'est que la conséquence des procédures en contrefaçon qui ont opposé les parties au sujet du logo apposé sur le magazine Réponse à Tout Santé, en revanche la critique émise selon laquelle celui-ci n'est " pas toujours crédible sur le plan santé " porte nécessairement atteinte à l'image de la publication qui s'en trouve discréditée, puisqu'elle sous-entend que les informations sur la santé qu'elle diffuse ne sont pas toujours pertinentes, voire même qu'elles sont susceptibles de tromper les lecteurs par leur manque de fiabilité.

Que le reproche de " trop fouillis " du magazine Réponse à Tout constitue également une remarque désobligeante de nature à porter atteinte à la réputation de la société éditrice, puisque l'emploi du terme " fouillis " qui possède une connotation péjorative dénigre la mise en forme de la publication, alors que sa présentation constitue pour le lecteur l'un des éléments essentiels qui le décide à acheter la revue.

Que la société Emap France ne peut soutenir comme elle le fait qu'elle n'a occasionné aucun préjudice à la société Alain Ayache Developpement du fait que les propos litigieux ont été tenus dans un journal professionnel de la communication dont les lecteurs ne sauraient se confondre avec ceux du magazine Réponse à Tout Santé.

Qu'en effet, les actes de dénigrement reprochés à la société Emap France par une société concurrente constituent en eux-mêmes une faute causant nécessairement un préjudice moral qui doit être réparé.

Considérant que la gravité des accusations justifie la condamnation de la société Emap France à payer à la société Alain Ayache Developpement la somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts.

Considérant qu'il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la société Alain Ayache Developpement la totalité des frais qu'elle a dû engager en cause d'appel et qui ne sont pas compris dans les dépens et qu'il convient de compenser à hauteur de la somme de 10 000 F.

Que la demande formée sur le même fondement juridique par la société Emap France qui succombe devra être rejetée.

Par ces motifs, Confirme le jugement rendu le 4 octobre 1996 par le Tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions, à l'exception de celles se rapportant à l'indemnisation du préjudice subi par la société Alain Ayache Developpement, Et statuant à nouveau sur ce point, Condamne la société Emap France à payer à la société Alain Ayache Developpement la somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts, et celles de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, Condamne la société Emap France aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ces derniers au profit de Maître Alain Ribaut avoué dans les conditions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.