CA Paris, 4e ch. B, 27 mars 1998, n° 95-08044
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Armor Equipement Scientifique Laboratoire (Sté)
Défendeur :
Jalenques, Interscience (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Boval
Conseillers :
M. Ancel, Mme Regniez
Avoués :
SCP Bommart Forster, Me Moreau
Avocats :
Mes Marcellin, Cousin.
LA COUR statue sur l'appel interjeté par la société Armor Equipement Scientifique Laboratoire, ci-après AES d'un jugement rendu le 3 février 1995 dans un litige l'opposant à François Jalenques et à la société Interscience.
Référence étant faite au jugement entrepris et aux écritures échangées en cause d'appel pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, il suffit de rappeler les éléments qui suivent.
François Jalenques est titulaire de la marque "Ensemenceur Spiral" déposée le 22 mai et enregistrée sous le n° 92.42.2010 pour désigner les produits suivants dans les classes 9 et 10 :
- " Appareils et instruments scientifiques, nautiques, géodésiques, électriques, photographiques, cinématographiques, optiques, de pesage, de mesurage, de signalisation, de contrôle (inspection), de secours (sauvetage) et d'enseignement, appareils pour l'enregistrement, la transmission, la reproduction du son ou des images ; supports d'enregistrement, la transmission magnétique, disques acoustiques; distributeurs automatiques et mécanismes pour appareils après paiement, caisses enregistreuses, machines à calculer, équipements pour le traitement de l'information et les ordinateurs ; extincteurs. Appareils et instruments chirurgicaux, médicaux, dentaires et vétérinaires, membres, yeux et dents artificiels ; articles orthopédiques ; matériel de suture ".
Interscience est titulaire d'une licence exclusive d'exploitation de cette marque, que lui a consentie François Jalenques par contrat du 7 juin 1993.
François Jalenques et Interscience ont appris qu'AES importait en France et vendait un ensemenceur pour le dénombrement rapide de culture microbienne, qu'elle dénommait "Ensemenceur Spiral (r) II Autoplate (tm)", et ce par une publicité que cette dernière a fait paraître dans un ouvrage intitulé "Contrôle de la qualité des produits alimentaires".
AES a par ailleurs fait diffuser une brochure présentant cet "Ensemenceur Spiral (r) II Autoplate (tm)" comme étant :
- " plus rapide
- plus complet
- plus autonome
- plus convivial
- et plus simple d'utilisation ".
AES indiquait de surcroît dans cette brochure que cet appareil "répondait aux normes AOAC méthodes officielles 46110 et AFNOR NFV 08.100".
François Jalenques et Interscience exposaient qu'AES, à la suite de leur réclamation, avait modifié sa publicité en supprimant :
- toutes références à la dénomination "Ensemenceur Spiral",
- le sigle (r),
- les mentions "plus rapide, plus complet, plus autonome, plus convivial et simple d'utilisation", remplacés par les mots " rapide, complet, autonome, convivial et simple d'utilisation ".
Estimant néanmoins qu'ils étaient fondés à obtenir une décision judiciaire interdisant les mentions incriminées subsistant pour une part dans l'ouvrage intitulé "Contrôle de la qualité des produits alimentaires" et réparant leur préjudice subi du fait de l'atteinte à la marque et l'appropriation de la notoriété de leur appareil, François Jalenques et Interscience ont fait assigner AES.
Le jugement a, d'une part, annulé l'enregistrement n° 92.42.2010 de la marque Ensemenceur Spiral et, d'autre part, condamné AES à payer à Interscience la somme de 100.000 F au titre d'actes de concurrence déloyale. Il a par ailleurs prononcé des mesures d'interdiction sous astreinte, laissé à François Jalenques la charge de ses dépens et condamné AES au surplus de ceux-ci.
Au soutien de son appel limité aux faits de concurrence déloyale qui lui ont été reprochés, AES fait valoir :
- que les intimés ne peuvent s'opposer à la commercialisation par elle des ensemenceurs spiraux et lui interdire l'usage de la dénomination Ensemenceur Spiral,
- que ce produit a été réalisé pour la première fois aux Etats-Unis par une société Spiral System,
- qu'un des membres de cette société s'en sépara pour créer sa propre entreprise dénommée Spiral Biotech et vendre des ensemenceurs spiraux pareils à ceux de la société Spiral System et en accord avec cette dernière,
- qu'elle s'est alors fournie chez la société Spiral Biotech tandis que Interscience se fournissait chez Spiral System,
- qu'elle a ainsi vendu en France en 1992 un "Ensemenceur Spiral modèle D" puis la dernière fabrication de la société Spiral Biotech, dénommée "Ensemenceur Spiral II Autoplate",
- que c'est par comparaison avec le produit précédent qu'elle a fait la publicité incriminée, celle-ci ne se référant nullement à l'appareil commercialisé par Interscience,
- que le sigle (r) n'a aucune signification en France,
- que son appareil répond aux normes AOAC et AFNOR comme indiqué dans le prospectus publicitaire.
L'appelante prie en conséquence la Cour de réformer la décision de première instance en ce qu'elle l'a condamnée à payer une somme de 100.000 F pour actes de concurrence déloyale et de la confirmer pour le surplus. Elle sollicite que François Jalenques et Interscience soient condamnés à lui payer une somme de un million de francs pour procédure abusive et que soient prononcées à leur encontre des mesures de publication.
François Jalenques et Interscience concluent à la confirmation en ce que le jugement a retenu à l'encontre de AES des faits de concurrence déloyale et à son infirmation en ce qu'il a annulé l'enregistrement n° 92.42.20 10 de la marque Ensemenceur Spiral.
Ils prient la Cour de :
- dire que la marque Ensemenceur Spiral est valable et contrefaite par AES,
- prononcer à l'encontre d'AES des mesures d'interdiction sous astreinte et de publication,
- condamner AES à payer à François Jalenques et à AES chacun une somme de 250.000 F à titre de dommages-intérêts.
Chacune des parties revendique l'application à son profit des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR :
Sur la marque Ensemenceur Spiral :
Considérant qu'il ressort des pièces versées aux débats que la nonne AFNOR, antérieure de cinq ans au dépôt de la marque Ensemenceur Spiral (22 mai 1992) utilisait pour désigner le type d'appareil visé dans le dépôt, les mots "ensemenceur spiral" qui permettent de décrire de façon complète un ensemenceur utilisant une spirale ;
Considérant que François Jalenques utilise lui-même le mot ensemenceur dans son brevet 92.09765 pour désigner les appareils de l'état antérieur de la technique ; qu'il ne peut donc soutenir que le terme ensemenceur serait un néologisme alors qu'il s'agit d'un mot banal pour désigner un appareil à ensemencer ; que le mot spiral est pour sa part l'adjectif qui qualifie cet ensemenceur selon une spirale ;
Considérant que les premiers juges ont donc à bon droit décidé que la marque "Ensemenceur Spiral" était, d'une part, la désignation nécessaire d'un appareil et instrument scientifique, électrique de pesage, de mesurage, de signalisation, de contrôle ou d'enregistrement ainsi que des supports d'enregistrement ou d'équipement pour le traitement de l'information et une machine à calculer, et d'autre part, déceptive pour les autres produits qu'elle désignait dès lors qu'elle était de nature à tromper le public sur ces produits ; que le jugement sera confirmé en ce qu'il a annulé l'enregistrement n° 92.42.2010 et rejeté la demande en contrefaçon de marque ;
Sur la concurrence déloyale :
Considérant que les intimés incriminent une publicité d'AES présentant l'Ensemenceur Spiral (r) II Autoplate (tm) comme étant plus rapide, plus complet, plus autonome, plus convivial et plus simple d'utilisation ainsi que répondant aux normes américaine AOAC et française AFNOR NFV 08.100 ;
Considérant qu'AES soutient que ces qualificatifs s'appliquent à une comparaison d'un premier appareil dénommé "Ensemenceur Spiral modèle D" qu'elle aurait antérieurement commercialisé ; qu'à l'appui de ses dires ABS verse aux débats plusieurs offres de prix dont il n'est pas établi qu'elles aient été suivies de ventes et de trois factures toutes postérieures, d'une part, à la diffusion du document publicitaire et, d'autre part, à l'introduction de la présente instance ; que ces pièces ne font donc pas la preuve que ABS ait commercialisé antérieurement un modèle d'Ensemenceur Spiral ; qu'il en résulte que sa brochure publicitaire comparative ne peut que viser, comme en atteste la mention (r) qui y est portée, 1'Ensemenceur Spiral des appelants.
Considérant que cette brochure était donc de nature comme l'indiquent les appelants à faire croire aux consommateurs que l'ensemenceur spiral (r) Autoplate (tm) était le nouveau modèle d'ensemenceur précédemment commercialisé par Interscience et bénéficiant par rapport à ce dernier des avantages ci-dessus énumérés ;
Considérant que c'est en vain qu'AES invoque un accord passé entre les sociétés américaines, celui-ci étant antérieur à la diffusion de la brochure et ne portant pas sur la dénomination Ensemenceur Spiral mais sur celle de Spiral Plater ;
Considérant que tout aussi vainement AES fait valoir que son appareil répond à la norme AFNOR alors qu'il résulte des procès-verbaux 99 et 100 de l'Association Française de Normalisation " AFNOR " que celui-ci n'a pas reçu la validation AFNOR ; que la référence à la norme AENOR contenue dans la brochure en question est donc une inexactitude fautive constitutive d'un acte de concurrence déloyale supplémentaire;
Considérant qu'enfin la mention (r) est perçue du public français comme désignant une marque étrangère enregistrée; qu'en utilisant ce sigle en se référant abusivement à une norme AFNOR et en diffusant la brochure incriminée, AES a commis à l'encontre de Interscience des actes de concurrence déloyale,ce dont elle a eu conscience puisqu'elle a, à la première réclamation de ses adversaires, modifié ladite brochure dans le sens sus-indiqué ;
Considérant en revanche que du fait que la marque Ensemenceur Spiral ait été déclarée nulle comme étant la désignation nécessaire du produit, l'ensemenceur spiral, les appelants ne peuvent faire grief à AES d'avoir désigné par cette expression l'appareil qu'elle commercialisait ;
Considérant que les premiers juges, compte tenu de la modification de la publicité opérée par AES et des autres éléments de la cause, ont exactement et intégralement réparé le préjudice subi par Interscience ; que le jugement sera donc confirmé en son entier ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu compte tenu de l'ancienneté des faits et de la suppression des mentions incriminées de faire droit aux mesures de publication sollicitées par les appelants ;
Considérant que l'équité commande d'allouer à François Jalenques et à Interscience une indemnité complémentaire de 8.000 F pour leurs frais irrépétibles d'appel ;
Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris ; Y ajoutant : Rejette le surplus des demandes ; Condamne la société AES à payer à François Jalenques et à la société Interscience la somme de 8.000 F pour leurs frais irrépétibles d'appel ; Les condamne aux dépens ; Admet Me Moreau au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.