CA Versailles, 13e ch., 26 mars 1998, n° 2150-95
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Rudolf Veldhoven BV (SARL), North Sea Fashion BV (SARL)
Défendeur :
Société Ouest (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Monteils
Conseillers :
M. Besse, Mme Bardy
Avoués :
Me Bommart, SCP Fievet-Rochette-Lafon
Avocats :
Mes Nauta-Dutilh, Levine.
Au mois de décembre 1989, un échange de lettres est intervenu entre la Société de droit hollandais Soap Studio BV, exploitant la marque de vêtement "Soap Studio" et Monsieur Mirzayantz, au terme duquel il a été convenu que ce dernier créerait la SARL Ouest pour importer et distribuer en France cette marque.
La SARL Ouest a été immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés le 5 avril 1990, pour un début d'exploitation en janvier 1990. Elle a vendu la collection hiver 1990. Son chiffre d'affaires s'est élevé au 31 décembre 1990 à 565.129 francs pour les différentes marques qu'elle commercialisait.
La Société de droit hollandais Soap Studio BV a été mise en liquidation judiciaire au mois de mai ou de juin 1990. Ses actifs ont été acquis par la Société Daniels Reflex au mois de juin 1990, puis ont été exploités par la Société North Sea Fashion BV, filiale du groupe hollandais Rudolf Veldhoven.
Pour l'année 1991, le chiffre d'affaires de la SARL Ouest s'est élevé à 607.392 francs au 31 mai 1991, et à 2.950.218 francs au 31 décembre 1991.
Au printemps 1991, Rudolf Veldhoven BV et la SARL Ouest ont entamé des pourparlers pour parvenir à un accord de partenariat pour la distribution en France de la marque
"Soap Studio", mais également des marques "Sandwich" et "Easy Pieces" exploitées dans plusieurs autres pays d'Europe par le groupe Rudolf Veldhoven.
Le 2 juillet 1991 ont été établis les projets de deux contrats. Ces deux projets ont été modifiés le 26 septembre 1991.
Au terme de ces projets il était prévu que serait créée la SARL United Clothing France, entre la Société Rudolf Veldhoven BV, titulaire de 60 % des parts et la SARL Ouest, titulaire de 40 % des parts. La SARL United Clothing France serait distributeur exclusif pour la France des marques exploitées par le groupe Rudolf Veldhoven, Monsieur Mirzayantz serait embauché comme directeur commercial et Madame Kaminsky comme attachée de direction. L'exploitation de cette société devait commencer par la collection d'hiver 1992.
La commercialisation de la collection printemps-été 1992, a été effectuée par la SARL Ouest, avec le financement de la Société Rudolf Veldhoven BV qui a versé 1.050.000 francs en cinq versements du 10 juin au 9 septembre 1991. Le montant des ventes s'est élevé à 965.605 francs.
Le 18 novembre 1991, la Société Rudolf Veldhoven Textiel Agenturen BV a avisé la SARL Ouest qu'elle ne créerait pas avec elle une nouvelle société pour développer la vente de ses produits en France, et qu'elle mettrait fin à leurs relations le 31 décembre 1991.
Le 16 décembre 1991 la SARL Ouest a fait citer la Société Rudolf Veldhoven BV et la Société North Sea Fashion BV en paiement de 5,5 millions de francs à titre de dommages-intérêts, pour brusque rupture de la société de fait ayant existé entre elles. En cours d'instance la SARL Ouest a également fondé son action sur des faits de concurrence déloyale reprochés à la Société Rudolf Veldhoven BV.
Le groupe Rudolf Veldhoven a fait une demande reconventionnelle à titre de dommages-intérêts, et la Société North Sea Fashion BV une demande en paiement de factures.
Par jugement en date du 3 février 1995, le Tribunal de commerce de Nanterre a :
- rejeté l'exception soulevée par la Société Rudolf Veldhoven BV et par la Société North Sea Fashion BV et dit qu'il n'y avait pas lieu de surseoir à statuer,
- condamné la Société Rudolf Veldhoven BV à payer à la SARL Ouest la somme de 3 millions de francs en réparation du préjudice que lui a causé la rupture brutale et non justifié d'une promesse de contrat de société, et la demande faite à la Société De Lage Landen de cesser tout financement de la SARL Ouest,
- condamné la Société Rudolf Veldhoven BV à payer à la SARL Ouest la somme de 175 millions de francs pour concurrence déloyale,
- condamné la Société North Sea Fashion BV au paiement de ces sommes, solidairement avec la Société Rudolf Veldhoven BV, mais pour un montant limité à 3 millions de francs,
- dit que seront déduites de ces condamnations les sommes déjà perçues par la SARL Ouest du fait des condamnations déjà prononcées contre la Société Rudolf Veldhoven BV et la Société North Sea Fashion BV pour les mêmes causes,
- débouté la Société Rudolf Veldhoven BV de sa demande en paiement de la somme de 724.964750 francs à titre de dommages-intérêts,
- ordonné la publication du jugement ou d'un extrait dans deux journaux ou revues au choix de la SARL Ouest, sans que les frais puissent excéder la somme de 25.000 francs H.T.,
- débouté les parties du surplus de leurs réclamations, et notamment la Société North Sea Fashion BV de sa demande en paiement de factures pour un montant de 487.495,28 francs avec les intérêts au taux légal à compter du 20 février 1992,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement, à charge par la SARL Ouest de fournir une caution en cas d'appel,
- condamné la Société Rudolf Veldhoven BV et la Société North Sea Fashion BV aux dépens, et à payer à la SARL Ouest la somme de 35.000 francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La Société Rudolf Veldhoven BV et la Société North Sea Fashion BV ont interjeté appel de ce jugement et demandent à la Cour à titre principal :
- de condamner la SARL Ouest à payer à la Société North Sea Fashion BV la somme de 487.495,28 francs au titre des factures impayées, avec les intérêts au taux légal à compter du 20 février 1992,
- de condamner la SARL Ouest à payer à la Société Rudolf Veldhoven BV la somme de 724.964,50 francs en réparation de son préjudice commercial.
A titre subsidiaire elles demandent :
- de débouter la SARL Ouest de ses prétentions à l'encontre de la Société North Sea Fashion BV,
- de constater que la Société Rudolf Veldhoven Beheer Maatschappij BV n'est pas partie à l'instance,
- de constater que la SARL Ouest a été remplie de ses droits en recevant sur les ventes de la collection printemps-été 1992 des honoraires à hauteur de 1.050.000 francs et 20 % du chiffre d'affaires, suivant ordonnance de référé du 27 février 1992,
- d'ordonner à Maître Accou qui a remplacé Maître Adam, séquestre désigné par Monsieur Le Président du Tribunal de commerce de Nanterre, de restituer à la Société Rudolf Veldhoven BV et à la Société North Sea Fashion BV l'intégralité des montants séquestrés,
- plus subsidiairement de nommer un expert pour examiner la réalité et le montant du préjudice allégué par la SARL Ouest, à ses frais avancés,
- de condamner la SARL Ouest à payer sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile la somme de 100.000 francs à la Société Rudolf Veldhoven BV et la somme de 50.000 francs à la Société North Sea Fashion BV.
La SARL Ouest demande à la Cour :
- de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les sociétés appelantes, et en ce qu'il a partiellement fait droit à ses demandes,
- de dire qu'elle a contracté avec la Société Rudolf Veldhoven Beheer Maatschappij BV, et de prononcer en conséquence toutes les condamnations contre cette société,
- subsidiairement, pour le cas où la Cour estimerait qu'elle a contracté avec la Société Rudolf Veldhoven Textiel Agenturen BV, de condamner cette société, et en outre, solidairement avec celle-ci, la Société Rudolf Veldhoven Beheer Maatschappij BV,
- formant appel incident, de condamner solidairement la Société Rudolf Veldhoven Beheer Maatschappij BV et la Société North Sea Fashion BV à lui payer la somme de 5.438.174,30 francs pour rupture abusive de l'association ayant existé avec ces sociétés,
- d'ordonner la publication de l'arrêt pour un montant de 75.000 francs à la charge des sociétés appelantes,
- d'ordonner la libération de la totalité des sommes détenues par Maître Adam au titre du séquestre,
- de condamner solidairement les sociétés appelantes à lui payer la somme de 200.000 francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La SARL Ouest fait notamment valoir :
- qu'elle a été créée en 1990 par Monsieur Mirzayantz, ancien directeur de l'export chez Daniel Hetcher,
- qu'elle a commencé son activité comme importateur et distributeur exclusif pour la France des vêtements de la marque "Soap Studio", exploitée par un société hollandaise,
- que cette société fut reprise, après dépôt de son bilan, par la Société North Sea Fashion BV, filiale du groupe hollandais Rudolf Veldhoven,
- que ces sociétés l'ont maintenue comme importateur et distributeur exclusif en France des vêtements de la marque "Soap Studio",
- que le groupe hollandais Rudolf Veldhoven qui distribuait déjà des vêtements dans la plupart des grands pays européens a voulu s'implanter en France, et pour cela profiter des connaissances de la SARL Ouest sur le marché français,
- qu'elle a ainsi voulu distribuer les vêtements de marque "Sandwich" et "Easy Pieces",
- qu'au mois de mai 1991, à la suite de nombreuses réunions, les parties ont convenu de créer une société commune, la SARL United Clothing France, dans laquelle elle détiendrait 40 % des parts, et Rudolf Veldhoven 60 %, tandis que Monsieur Mirzayantz serait embauché comme Directeur Commercial,
- que Rudolf Veldhoven a assuré le financement de la société et elle-même a apporté sa connaissance du marché français, sa clientèle, son travail, ses locaux, et notamment un show room de 480 m2,
- que pour la saison printemps-été 1992, il a été décidé qu'elle prendrait les commandes et assurerait les livraisons, pour le compte de la SARL United Clothing France,
- que le groupe Rudolf Veldhoven s'était engagé à ne pas s'installer en France sans elle, et pour le cas où elle ne s'implanterait pas en France de ne pas arrêter l'activité de la SARL United Clothing France, pour une période de deux années,
- qu'elle a consacré tous ses efforts pour la distribution des vêtements du groupe Rudolf Veldhoven, renonçant corrélativement à plusieurs offres de distribution d'autres fabricants étrangers, concurrents,
- qu'entre le 10 juin et le 9 septembre 1991, Rudolf Veldhoven a fait apport à l'association de la somme de 1.050.000 francs en 5 virements bancaires.
- que Rudolf Veldhoven s'est porté caution solidaire auprès de sa société de factoring De Lage Landen,
- que le 2 juillet 1991, deux projets de contrats ont été établis par les avocats de Rudolf Veldhoven, l'un appelé de "service agreement", l'autre de cession des actions de la SARL United Clothing France à la SARL Ouest, supposé éviter le paiement des droits de mutation sur la cession du fonds de commerce de Ouest,
- qu'elle a demandé des modifications à ces projets, de manière que l'étendue du financement de Rudolf Veldhoven soit précisé, ainsi que les raisons qui pourraient justifier la cessation de ses activités en France après le mois de mars 1992,
- que les parties ont constaté leur accord lors d'une réunion du 11 septembre1991, et ont convenu de formaliser ces accords fin septembre ou début octobre,
- que Monsieur Mirzayantz s'est rendu en Hollande le 26 septembre 1991, que le parfait accord des parties a été confirmé, mais que la signature des contrats a été reportée pour des motifs de convenance des dirigeants et des avocats de Rudolf Veldhoven,
- que cependant les relations entre les parties ont été brusquement rompues par Rudolf Veldhoven à la fin du mois d'octobre 1991, puis par une lettre de rupture du 18 novembre 1991,
- que le 21 novembre 1991 Rudolf Veldhoven a demandé à la Société De Lage Landen de cesser immédiatement tout financement de Ouest,
- qu'ultérieurement Rudolf Veldhoven a fait immatriculer la SARL United Clothing France qui s'est livrée à des actes de concurrence déloyale vis à vis de Ouest,
- qu'ainsi la SARL United Clothing France a procédé au débauchage de Monsieur Woudenberg qui lui a apporté son fichier client et a démarché sa clientèle, se présentant comme le distributeur exclusif des vêtements de marques Veldhoven, et procédant au dénigrement de Ouest,
- qu'elle a en conséquence saisi le Tribunal de commerce de Nanterre pour demander réparation du préjudice causé par la rupture abusive de la société de fait entre elle-même et les Société Rudolf Veldhoven BV et North Sea Fashion BV, ainsi que par les actes de concurrence déloyale et de violation de l'accord d'exclusivité commis par ces sociétés.
Discussion
Sur l'exclusivité
Considérant que la SARL Ouest prétend qu'elle bénéficiait d'une exclusivité pour la distribution en France de la marque Soap Studio ; qu'elle se définit comme importateur et distributeur exclusif de cette marque ; qu'elle estime qu'il n'est pas nécessaire de revenir à nouveau sur la démonstration de l'existence d'un tel contrat, le Tribunal de commerce de Paris l'ayant expressément relevé dans son jugement du 15 septembre 1993 en ces termes : " les dossiers et les dires des parties établissent amplement qu'Ouest était distributeur exclusif pour la France des vêtements incriminés ... aussi doit-il être dit qu'il y avait contrat de distribution exclusif pour la France en faveur d'Ouest, consenti par la Société Veldhoven, voire par la Société filiale North Sea Fashion BV " ;
Mais considérant que le jugement du 15 septembre 1993 ne peut être juridiquement pris en considération dans le présent litige car il ne concerne pas les mêmes parties ; que de plus sa motivation ne constitue que l'affirmation d'une opinion, et n'est d'aucun secours pour connaître quels sont les pièces et les dires des parties qui permettent de penser que la SARL Ouest a bénéficié de l'exclusivité de la distribution des vêtements en France ;
Considérant qu'il est tout d'abord démontré que le groupe Rudolf Veldhoven a refusé de confier à la SARL Ouest la distribution, de ses marques Easy Piece et Sandwich, et a fortiori leur distribution exclusive ; qu'en effet l'intention de Rudolf Veldhoven est clairement exprimée dans le projet de contrat de cession d'actions du 26 septembre 1991 qui stipule expressément que la SARL United Clothing France sera le distributeur exclusif de tous les produits prêt à porter de Veldhoven BV ; qu'aucun élément du dossier ne permet de penser qu'au cours des pourparlers la Rudolf Veldhoven ait envisagé une autre solution que celle de confier la distribution exclusive de ses marques à une filiale ;
Considérant qu'il reste loisible à la SARL Ouest de démontrer que la Société Soap Studio BV lui a consenti l'exclusivité de la distribution de sa marque ; que cependant l'échange de lettre des parties des 7 et 21 décembre 1989 ne fait aucune allusion à une exclusivité ; que la télécopie du 9 mai 1990 fait état d'un contrat d'importation, mais ne précise nullement qu'il s'agit d'un contrat d'importation exclusive ; que l'exclusivité n'est donc pas démontrée ;
Considérant qu'à supposer même que la Société Soap Studio BV ait accordé une exclusivité à la SARL Ouest, la mise en liquidation judiciaire de cette société y aurait mis fin ; qu'en effet la Rudolf Veldhoven n'a acquis que les actifs de la société, mais n'a pas repris les contrats ; que certes les relations commerciales se sont poursuivies en fait pour la distribution des deux collections de l'année 1991, mais sans qu'il ait jamais été envisagé de conférer une exclusivité à ces relations de fait ;
Considérant que la SARL Ouest ne démontre donc pas que la distribution des vêtements lui ait été donnée en exclusivité et doit être déboutée de son action en ce qu'elle est fondée sur la violation de l'accord d'exclusivité ;
Sur la société créée de fait
Considérant que la SARL Ouest prétend qu'il a existé une société créée de fait entre la Société Rudolf Veldhoven Beheer Maatschappij BV, la Société North Sea Fashion BV et elle-même ; qu'elle fait valoir que ses associées ont fait des apports en argent à hauteur de 1.050.000 francs, qu'elle-même a fait des apports en nature par son travail et la mise à disposition de ses locaux, et qu'il existait un véritable "affectio societatis" dans la mesure où chacune des sociétés était intéressée aux bénéfices et aux pertes ;
Mais considérant que l'intention des parties est connue par les projets de contrats qu'elles ont établis ; que cette intention était de créer, à l'avenir, une société de droit ; que cette création devait intervenir par cession d'actions entre le 15 février et le 1er mars 1992; que cette intention de reporter dans l'avenir la création d'une société de droit implique nécessairement que les parties n'avaient pas l'intention de se considérer comme associés d'une société créée de fait ; qu'avant la constitution de la société de droit, les sociétés ont convenu que la SARL Ouest procéderait à la distribution de la collection printemps-été 1992, pour le compte de la société en formation, avec le financement de Rudolf Veldhoven ; que le caractère temporaire et délimité dans le temps de cet accord, pour la période d'une saison, interdit de l'assimiler à une société créée de fait qui suppose la volonté de s'associer pendant une certaine durée ;
Considérant que la SARL Ouest doit donc être déboutée de ses demandes en ce qu'elle se fondent sur l'existence d'une société créée de fait ;
Sur la rupture abusive
Considérant que la SARL Ouest prétend :
- que la promesse de cession d'actions qui devait être levée entre le 15 février et le 1er mars 1992, n'était soumise qu'à deux conditions suspensives, la première étant la bonne exécution du contrat de services par la SARL Ouest, et la seconde étant la décision de Rudolf Veldhoven de continuer l'existence de la SARL United Clothing France au vu de ces résultats,
- que ces deux conditions suspensives ont été remplies,
- que Rudolf Veldhoven ne lui a jamais fait de remarques sur la bonne exécution du contrat de services,
- que la SARL United Clothing France a effectivement été créée et a poursuivi son activité,
- que ce n'est que pour masquer ses agissements, que Rudolf Veldhoven a imaginé qu'un objectif de 4,1 millions de francs de chiffre d'affaires avait été convenu,
- que ce chiffre est manifestement excessif, et ne ressort que d'une vague feuille de prévisions, portant sur trois saisons de vente et non sur une seule, commençant début 1991, et non six mois plus tard, et ne faisant état que des marques Soap Studio et Sandwich, à l'exclusion de la marque Easy Pieces,
- que dans la lettre de rupture du 18 novembre 1991, Rudolf Veldhoven fait état d'objectifs "espérés", et non d'objectifs fixés en commun par les parties,
- que la rupture de l'association a été faite brutalement sans aucune justification valable,
- que Rudolf Veldhoven a attiré la SARL Ouest dans une association pour qu'elle consacre tous ses efforts au cours de la dernière saison de vente, puis pour l'abandonner, et ainsi s'accaparer de son fonds de commerce au moindre coût ;
Considérant qu'il est exact qu'il n'est pas démontré que les parties se soient accordées pour qu'un chiffre d'affaires de 4,1 millions de francs soit exécuté ;
Considérant cependant que lors de la rupture du 18 novembre 1991, les parties se trouvaient toujours en pourparlers pour aboutir à un accord ; qu'en effet les deux projets établis le 2 juillet puis le 26 septembre 1991 n'ont pas été signés ; que dans ces projets, la cession d'actions devait intervenir entre le 15 février et le 1er mars 1992 ; que les parties se trouvaient dans une situation pré-contractuelle à laquelle l'une ou l'autre pouvait mettre fin à tout moment ; que la SARL Ouest ne démontre pas que la rupture des pourparlers par Rudolf Veldhoven ait été abusive ; qu'il apparaît normal que le chiffre d'affaires réalisé, d'un montant de 965.605 francs ait paru insuffisant, alors que les frais engagés se sont élevés à la somme de 1.050.000 francs ; que Rudolf Veldhoven a pu sans commettre de faute, renoncer à créer une société de droit avec la SARL Ouest, dès lors qu'elle estimait que cette société ne lui apparaissait pas suffisamment performante ; qu'il n'est pas établi que Rudolf Veldhoven ait exigé que la SARL Ouest travaille exclusivement à la promotion de ses marques de vêtements ; que la SARL Ouest ne précise pas ce qui lui permet de penser que Rudolf Veldhoven a voulu en réalité s'accaparer de son fonds de commerce et n'a jamais envisagé sérieusement une collaboration loyale entre les deux sociétés pour leur profit commun ; que la SARL Ouest doit être déboutée des demandes qu'elle forme sur les fautes commises dans la conduite des pourparlers et dans leur rupture ;
Sur la concurrence déloyale
Considérant que la SARL Ouest reproche aux appelants de l'avoir dénigrée auprès de ses clients, de ses fournisseurs et de la Société De Laye Landen, ainsi que d'avoir détourné ses clients ;
Considérant que pour faire la preuve du dénigrement auprès de ses clients, la SARL Ouest verse aux débats trois attestations pré-dactylographiées, en date des 15 et 16 avril 1992, émanant des responsables des achats du "Bazar de l'Hôtel de ville", de la boutique "Des souris et des hommes" et de la boutique "Elles aimaient les garçons" ;
Considérant que ces attestations établissent que la SARL United Clothing France est venue démarcher ces clients au début de l'année 1992 pour leur vendre les nouvelles collections ; qu'elles ne démontrent pas l'existence de dénigrement ;
Considérant que pour faire la preuve de dénigrement auprès de ses fournisseurs, la SARL Ouest verse aux débats une lettre que lui a adressée la Société Tiffany's le 24 février 1992, et une lettre adressée 7 mars 1992 par la Société Bruni Osvaldo à Rudolf Veldhoven ;
Mais considérant que ces deux correspondances font état des difficultés que la SARL Ouest a rencontrées avec deux de ses fournisseurs, mais n'établissent pas que Rudolf Veldhoven soit à l'origine de ses difficultés, et notamment que ce groupe se soit livré à un dénigrement ;qu'au contraire la société Bruni Osvaldo donne des renseignements à Rudolf Veldhoven sur ses relations antérieures avec la SARL Ouest ;
Considérant que la SARL Ouest fait également valoir qu'elle a été dénigrée auprès de la Société De Lage Landen, et verse aux débats la lettre que Rudolf Veldhoven a adressée le 22 novembre 1991 à cette Société pour lui demander de cesser tout financement de la SARL Ouest ;
Mais considérant que le 19 juillet 1991, la Société De Lage Landen a résilié le contrat d'affacturage du 3 janvier 1991 qui la liait à la SARL Ouest seule, pour le 19 octobre 1991 ; que le 9 octobre 1991, la Société De Lage Landen a accepté que la résiliation intervenue le 19 juillet1991 soit nulle et non avenue, en demandant que le contrat d'affacturage soit passé solidairement avec la SARL Ouest et la Société Rudolf Veldhoven Textiel Agenturen BV ; qu'il n'est pas douteux que l'établissement financier n'a accepté de revenir sur la résiliation du contrat que parce que la Société Rudolf Veldhoven Textiel Agenturen BV s'est engagée solidairement avec la SARL Ouest ; qu'en effet la solvabilité de cette dernière était largement obérée, alors que le montant de ses capitaux propres étaient négatifs de 554.872 francs au 31 décembre 1990, et négatif de 885.421 francs au 31 mai 1991 ; qu'ainsi le solde éventuellement débiteur du compte d'affacturage devait être supporté en totalité par la Société Rudolf Veldhoven Textiel Agenturen BV, avec un recours fort aléatoire contre la SARL Ouest ; que d'ailleurs dans la lettre adressée le 21 novembre 1991 à la Société De Lage Landen, Rudolf Veldhoven précise que toutes les affaires relatives au contrat de factoring seront à négocier avec elle avant d'entamer une action contre la SARL Ouest ; qu'il apparaît ainsi que la Société Rudolf Veldhoven Textiel Agenturen BV n'a commis aucune faute en indiquant à la Société De Lage Landen que sa collaboration avec la SARL Ouest avait cessé, et que le contrat de factoring auquel elle était cocontractante, ne devait plus donner lieu à de nouveaux financements ;
Considérant que la SARL Ouest reproche à la SARL United Clothing France et à Rudolf Veldhoven d'avoir débauché Monsieur Woudenberg et d'avoir utilisé son fichier client, apporté par ce dernier ;
Considérant que Monsieur Woudenberg a occupé les fonctions de chef des ventes et de responsable administratif de la SARL Ouest, du 1er juin 1990 au 31 octobre 1991, date à laquelle il a donné sa démission ; qu'il a travaillé ensuite pour la SARL United Clothing France du 1er février 1992 au 31 janvier 1993 ; qu'il a fait une attestation le 10 octobre 1993 au profit de la SARL Ouest ;
Considérant que les poursuites pénales engagées par la Société Rudolf Veldhoven Textiel Agenturen BV contre Monsieur Woudenberg et la SARL Ouest pour faux et usage de faux et visant cette attestation, ont fait l'objet d'une ordonnance de non lieu, confirmée par arrêt de la Chambre d'accusation ; que la force probante de cette attestation est donc incontestable ;
Considérant qu'il ressort de cette attestation que Monsieur Woudenberg a donné sa démission pour entrer immédiatement au service de la SARL United Clothing France, dès le mois de novembre 1991, bien que son embauche ne remonte officiellement qu'à partir du 1er février 1992 ;
Considérant que Monsieur Woudenberg n'était pas lié à la SARL Ouest par une clause de non concurrence ;que sa démission et son embauche par une société concurrente n'est donc pas fautive en elle-même ; que cependant Monsieur Woudenberg indique que la SARL United Clothing France a pu utiliser les représentants et le fichier des clients de la SARL Ouest car il disposait de ce fichier ;
Considérant que par ailleurs le constat d'huissier dressé le 11 mai 1992 établit que le listing de la SARL Ouest comporte 550 noms, que celui de la SARL United Clothing France comporte 400 noms, que 110 noms sont communs, que trois clients communs ont passé des commandes de la ligne "Sandwich" 1992, pour 157.620 francs HT et que 4 clients communs ont passé des commandes de la ligne "Soap Studio" 1992, sur huit commandes, dont une pour un montant non chiffré, mais qui paraît important ; que ce constat montre que la SARL United Clothing France dispose d'une clientèle qui lui est personnelle, mais aussi qu'elle a bénéficié du fichier client de la SARL Ouest pour démarcher la clientèle de cette dernière ; que ce démarchage ressort également des trois attestations des 15 et 16 avril 1992 déjà examinées ;
Considérant que Monsieur Woudenberg indique également que le litige existant entre la SARL Ouest et Rudolf Veldhoven risquait de provoquer le retard ou la non livraison de commande, et que la SARL United Clothing France a contacté les clients concernés en leur présentant une image défavorable de la SARL Ouest dans le but de les rassurer et d'obtenir de nouvelles commandes ;
Considérant qu'il est ainsi établi que le débauchage de Monsieur Woudenberg a permis un démarchage fautif de la clientèle de la SARL Ouest ;que cette dernière est en droit d'obtenir la réparation du préjudice qui en est résulté pour elle ;
Considérant qu'au vu des éléments du dossier, et notamment du montant du chiffre d'affaires détourné et des conséquences sur la marge brute d'exploitation que cela implique, ce préjudice doit être fixé à la somme de 400.000 francs ; que pour une réparation complète, le point de départ des intérêts doit être fixé au 16 décembre 1991, date de l'assignation ;
Considérant que la SARL Ouest demande que la condamnation soit prononcée solidairement contre la Société Rudolf Veldhoven Beheer Maatschappij BV, la Société Rudolf Veldhoven Textiel Agenturen BV et la Société North Sea Fashion BV ;
Considérant que le groupe Rudolf Veldhoven a fait plaider qu'il a été jugé dans le précédent arrêt en date du 4 juillet1996, que la société contractante était la Société Rudolf Veldhoven Textiel Agenturen BV ;
Mais considérant qu'il s'agissait d'apprécier dans le précédent arrêt si la plainte pénale déposée par la Société Rudolf Veldhoven Textiel Agenturen BV pouvait justifier un sursis à statuer ; que c'est à ce propos que la Cour a jugé que la Société Rudolf Veldhoven Textiel Agenturen BV est intervenue dans les pourparlers ;
Considérant qu'il s'agit désormais de rechercher si d'autres sociétés ont commis des fautes à l'origine du préjudice de la SARL Ouest ;
Considérant que le détournement de clientèle a été commis grâce au débauchage de Monsieur Woudenberg et à l'utilisation du fichier client dont il disposait ; que la Société North Sea Fashion BV exploitait la marque "Soap Studio", et ne pouvait ignorer le rôle primordial joué par Monsieur Woudenberg pour la distribution de cette marque de juin 1990 à octobre 1991 ; qu'elle n'a pu ignorer l'embauche de Monsieur Woudenberg par la SARL United Clothing France et a continué à livrer les anciens dients de la SARL Ouest ; qu'elle a participé au détournement de clientèle et doit être condamnée à réparer le préjudice causé ;
Considérant que dans son attestation Monsieur Woudenberg indique qu'il a été contacté par les responsables de la société Veldhoven BV ; que par ailleurs la plupart des documents versés aux débats sont au nom de la Société Rudolf Veldhoven BV qui n'existe pas ; que la déclaration d'appel est déposée sous le même nom, ainsi que les conclusions d'appel ; que force est de rechercher la véritable identification de la société concernée ; qu'il est conforme à la logique de lier, au nom générique du groupe, la société mère, et non l'une des sociétés filiales ; que par ailleurs les 6 versements d'un montant de 1.050.000 francs ont été effectués à partir du compte bancaire de la Société Rudolf Veldhoven Beheer Maatschappij BV ; qu'il n'est pas douteux que le débauchage de Monsieur Woudenberg a été connu de la société mère, sinon réalisé par elle ; que pour toutes ces raisons, il convient de dire que la Société Rudolf Veldhoven Beheer Maatschappij BV a participé aux fautes commises à l'encontre de la SARL Ouest, et de la condamner à réparer le préjudice qui en est résulté ;
Sur la demande de Rudolf Veldhoven
Considérant que le groupe Rudolf Veldhoven demande que la SARL Ouest soit condamnée à lui payer à titre de dommages-intérêts la somme de 724.964,50 francs représentant le total des sommes suivantes :
- 278.610 francs au titre des commandes annulées,
- 122.027,54 francs au titre des livraisons refusées,
- 87.904,70 francs au titre des dients en liquidation judiciaire,
- 97.694 francs au titre des commandes annulées à temps,
- 15.000 francs au titre des frais des procédures de recouvrement;
Mais considérant que si Rudolf Veldhoven verse aux débats des documents qui établissent que des commandes ont été annulées, que des livraisons ont été refusées, et que des clients ont été mis en liquidation judiciaire, il ne démontre pas que la SARL Ouest soit responsable de ces événements susceptibles de survenir dans toutes les opérations de vente ; que par ailleurs les annulations de commande et refus de livraisons qui pourraient être motivées par la rupture des relations commerciales ne sauraient être imputées à la SARL Ouest qui n'est pas à l'origine de cette rupture ; que Rudolf Veldhoven soutient que des commandes auraient été transmises avec retard, mais n'en rapporte pas la preuve ; que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a débouté Rudolf Veldhoven de ce chef de demande ;
Considérant au surplus que cette demande est formée par déclaration d'appel et voie de conclusions prises par la Société Rudolf Veldhoven BV qui n'existe pas ; qu'elle est donc irrecevable ;
Sur la demande de la Société North Sea Fashion BV
Considérant que la Société North Sea Fashion BV demande que la SARL Ouest soit condamnée à lui payer la somme de 487.495,28 francs en paiement de factures de livraisons ;
Considérant que l'existence de cette créance est démontrée par la production des factures ;
Considérant que la SARL Ouest soutient que Rudolf Veldhoven avait convenu avec elle de prendre en charge cette dette vis à vis de sa filiale ; qu'elle démontre cet engagement en faisant remarquer qu'il s'agit de factures pour des livraisons de 1990 et du début de l'année 1991 qui n'ont jamais été réclamées, et en versant aux débats la lettre du 20 décembre 1991 dans laquelle Rudolf Veldhoven précise "nous pensons que notre proposition qui consistait à éponger vos dettes auprès de nos filiales était généreuse" ;
Mais considérant qu'il ressort de cette correspondance que ce transfert de créance était subordonné à l'aboutissement des pourparlers entre les parties et à la poursuite de leur collaboration ; que ces conditions n'étant pas remplies, l'engagement de Rudolf Veldhoven est devenu caduc ; que la SARL Ouest doit être condamnée à payer les factures d'un montant de 487.495,28 francs ; que les intérêts sont dus à compter de la mise en demeure résultant des conclusions prises le 20 février 1992 devant le juridiction des référés ; que le jugement doit être infirmé en conséquence ;
Sur les autres demandes
Considérant que la publication de la présente décision n'apparaît pas utile à la réparation du préjudice, alors que la SARL Ouest a cessé toute activité et se voit par ailleurs condamnée ;
Considérant que les sommes séquestrées devront être réparties en conformité avec la présente décision ;
Considérant qu'il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge des parties la totalité des frais irrépétibles exposés par elles ;
Considérant que la SARL Ouest est plus excusable d'avoir retenu le paiement de factures, que les sociétés appelantes d'avoir commis des actes de concurrence déloyale, à l'origine de l'instance ; que les dépens seront mis en totalité à la charge des appelants ;
Par ces motifs : Statuant publiquement et contradictoirement ; Confirme le jugement rendu le 3 février 1995 en ce qu'il a débouté le groupe Rudolf Veldhoven de sa demande en paiement de la somme de 724.964,50 francs ; L'infirme pour le surplus ; Statuant à nouveau, déboute la SARL Ouest de ses demandes en ce qu'elles sont fondées sur la rupture d'une société créée de fait, et sur la violation d'exclusivité ; Condamne solidairement la Société Rudolf Veldhoven Beheer Maatschappij BV, la Société North Sea Fashion BV et la Société Rudolf Veldhoven Textiel Agenturen BV à payer à la SARL Ouest, à titre de dommages-intérêts, la somme de 400.000 francs, avec les intérêts au taux légal à compter du 16 décembre 1991 ; Condamne la SARL Ouest à payer à la Société North Sea Fashion BV la somme de 487.495,28 francs, avec les intérêts au taux légal à compter du 20 février 1992 ; Dit que les sommes séquestrées seront réparties conformément à la présente décision ; Condamne solidairement la Société Rudolf Veldhoven Beheer Maatschappij BV, la Société North Sea Fashion BV et la Société Rudolf Veldhoven Textiel Agenturen BV aux dépens de première instance et d'appel et accorde à la SCP Fievet, Rochette, Lafon, titulaire d'un office d'Avoué, le droit de recouvrement conforme aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.