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Décisions

CA Lyon, 3e ch., 20 mars 1998, n° 98-00603

LYON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Boiro (SA), Dussouillez (Sté)

Défendeur :

Peintures Cimentol (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bailly

Conseillers :

Mme Martin, M. Ruellan

Avoués :

SCP Dutrievoz, Me Guilhem

Avocats :

Mes Gardette, Terryn, Stouls.

T. com. Lyon, du 12 janv. 1998

12 janvier 1998

Faits et procédure :

En juillet 1996, la société Boiro, fabriquant et distributeur de peintures, commande au studio Dussouilez des photos d'illustration pour ses supports publicitaires et acquitte les droits de reproduction des photos selon factures des 27 juillet 1996 et 25 février 1997.

Constatant la présence d'une photo identique sur un catalogue édité par la société Peintures Cimentol pour la promotion d'un produit de peinture, la société Boiro assigne la société Peintures Cimentol par devant le juge des référés du tribunal de commerce de Lyon aux fins de voir cesser le trouble manifestement illicite dont elle se plaint, outre voir désigner un expert pour chiffrer son préjudice commercial.

Par ordonnance du 12 janvier 1998, le juge des référés du tribunal de commerce de Lyon se déclare incompétent ratione loci au profit du tribunal de commerce de Bobigny.

Sur autorisation de monsieur le premier président en date du 19 janvier 1998 et par exploit du 21 janvier 1998, la société Boiro fait citer la société Peintures Cimentol à comparaître par devant la troisième chambre de la Cour d'appel siégeant en son audience du 13 février 1998.

Par acte du 21 janvier 1998, la société Boiro déclare interjeter appel de l'ensemble des dispositions de l'ordonnance susvisée.

Prétentions des parties :

La société Boiro expose que conformément à l'article 46, al. 2 du NCPC, elle est fondée à saisir la juridiction du lieu du fait dommageable qui consiste en l'utilisation et la diffusion de la photo litigieuse sur les produits de l'intimé et ses brochures auprès de la clientèle, que ces produits sont notamment distribués à Villeurbanne, lieu d'offre des produits à la vente et du dommage subi, que dès lors, la compétence du juge des référés de céans doit être retenue.

La société Boiro soutient que la société Peintures Cimentol a utilisé de manière illicite la photo dont elle a acquis les droits de reproduction, qu'il s'agit d'un trouble manifestement illicite justifiant sa cessation par retrait immédiat de tout support la reproduisant à peine d'une astreinte de 1000 F par infraction constatée dans les 8 jours de la signification de la présente ordonnance, outre la désignation d'un expert pour chiffrer son préjudice commercial.

La société Boiro sollicite une provision ad litem de 40 000 F au titre des frais d'expertise, outre une somme de 15 000 F au titre des frais irrépétibles.

La société Peintures Cimentol conteste le bien fondé de l'appel contre elle diligenté.

Elle expose que le fait dommageable s'entend de la faute ayant entraîné le dommage, qu'en l'espèce, c'est dans le ressort du tribunal de Bobigny que la photo litigieuse a été reproduite sur ses supports publicitaires, qu'il échet donc de confirmer l'ordonnance de ce chef, et ce d'autant plus qu'il n'est pas prouvé que ses produits aient été distribués dans la région lyonnaise.

La société Peintures Cimentol conteste en effet l'achat par les établissements Gagnieur d'un seul de ses produits litigieux, affirme que cette entreprise ne lui achète que des peintures et produits de sol non concurrents de ceux fabriqués et distribués par la société Boiro.

Subsidiairement, la société Peintures Cimentol soutient qu'elle a cessé toute utilisation de la photo litigieuse, qu'elle a fait rapatrier les 3500 pots écoulés et a masqué la photo contestée.

Elle conteste la réalité et l'étendue du préjudice revendiqué par l'appelante au motif que la société Boiro commercialise ses produits en grande surface alors qu'elle-même les distribue auprès des grossistes, que les marques sont différentes et que le principe d'une concurrence déloyale reste à établir par le juge du fond. Elle s'oppose à toute provision ad litem et suggère une mission d'expertise centrée sur la recherche de l'établissement d'éventuelles responsabilités et préjudice encourus.

Sur ce, LA COUR,

I - Sur la compétence ratione loci :

Attendu qu'en matière délictuelle, le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction où demeure le défendeur, celle du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort duquel le dommage a été subi;

Attendu qu'il suffit que le dommage se soit révélé, même partiellement dans le ressort du tribunal de Lyon, pour que sa compétence soit fondée ;

Attendu en l'espèce que la société Boiro verse aux débats un courrier du 13 novembre 1997 établi par la société Peintures Cimentol à l'adresse d'une cliente à Lyon et lui joignant une documentation sur ses produits reproduisant la photo litigieuse en lui recommandant les établissements Gagnieur de Villeurbanne comme son " distributeur dans votre région " ;

Attendu que ce document démontre que la société Peintures Cimentol a confié aux établissements Gagnieur de Villeurbanne, la distribution et la diffusion de ses produits dans la région, peu importe que cette entreprise l'ait ensuite partiellement contesté dans un courrier de complaisance adressé le 27 janvier 1998 à l'intimé ;

Attendu qu'il convient dès lors de réformer de ce chef l'ordonnance entreprise et de retenir la compétence du juge des référés de céans ;

II - Sur le trouble manifestement illicite :

Attendu qu'après avoir statué sur l'exception de procédure susvisée, il apparaît de bonne justice d'évoquer les points non jugés afin de donner à l'affaire une solution définitive dans les limites de la saisine du juge des référés conformément à l'article 568 du NCPC ;

Attendu que la société Peintures Cimentol ne pouvait ignorer qu'elle utilisait pour ses propres peintures la photo d'un concurrent puisqu'elle verse elle-même aux débats le magazine dans lequel elle l'a extraite et qui mentionne expressément en lettres grasses le nom " Boiro ";

Attendu que si les deux sociétés n'avaient pas la même activité, la société Peintures Cimentol n'aurait pas emprunté pour ses supports publicitaires la photo utilisée par la société Boiro pour la promotion de produits en tous points identiques, s'agissant de peintures, peu importe qu'elles soient distribuées dans des circuits commerciaux différents, l'objectif étant toujours d'atteindre le consommateur ;

Attendu en l'espèce que le trouble manifestement illicite causé par la diffusion de produits et de brochures représentant la photo d'un produit concurrent dont le droit de reproduction est protégé, s'évince de toute évidence des circonstances de la cause ;

Attendu que la cessation de ce trouble manifeste s'impose par l'interdiction immédiate de l'utilisation gratuite ou onéreuse de tout support reproduisant la photo litigieuse, à peine d'une astreinte de 1000 F par infraction constatée passé le délai de 8 jours de la signification de la présente ordonnance;

III - Sur la provision ad litem et l'expertise :

Attendu que c'est à juste titre que la société Boiro sollicite une telle provision puisqu'elle doit faire l'avance des frais d'une expertise judiciaire consécutive à l'attitude fautive de l'intimé, qu'il convient de lui allouer de ce chef la somme de 20 000 F;

Attendu que l'expert aura pour mission d'évaluer le préjudice commercial subi par la société Boiro ensuite du trouble manifestement illicite dont elle a été victime de la part de la société Peintures Cimentol, qu'il y a lieu en conséquence de retenir le projet de mission proposé par l'appelant tout en l'amendant ;

II - Sur les demandes accessoires :

Attendu que les circonstances de la cause justifient l'allocation à la société Boiro d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile;

Par ces motifs, LA COUR, Réforme en toutes ses dispositions l'ordonnance du juge des référés du tribunal de commerce de Lyon en date du 12 janvier 1998 ; Dit que le juge des référés du tribunal de commerce de Lyon est compétent ratione loci ; Vu l'article 568 du NCPC, Évoquant les faits, Constate l'existence d'un trouble manifestement illicite dont s'est rendu responsable la société Peintures Cimentol ; Ordonne la cessation immédiate de l'utilisation gratuite ou onéreuse de tout support reproduisant la photo litigieuse, à peine d'une astreinte de 1000 F par infraction constatée passé le délai de 8 jours suivant la signification de la présente ordonnance ; Condamne par provision la société Peintures Cimentol à payer à la société Boiro la somme de 20 000 F à titre de provision ad litem ; Ordonne une expertise ; Commet à cet effet Jean Richerme, demeurant à Lyon, 38, rue Saint-Maximin, 69003, avec mission de : 1°) Déterminer le nombre de supports réalisés par la société Peintures Cimentol à partir de la photographie copiée en accédant à tous documents utiles détenus par cette société ; 2°) Se faire remettre contre décharge la totalité des clichés non encore utilisés et les conserver jusqu'à ce qu'il ait été statué au fond ; 3°) Donner à la Cour tous éléments permettant d'évaluer le manque à gagner subi par la société Boiro du fait de l'acte de concurrence déloyale perpétré par la société Peintures Cimentol et plus généralement, donner son avis sur le préjudice commercial subi par la société Boiro; Dit que l'expert accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 273 à 283 du NCPC, Dit que l'expert dressera rapport de ses opérations pour être déposé au Greffe de la troisième chambre de la Cour d'appel avant le 30 septembre 1998 en un original et une copie après en avoir adressé un exemplaire à chacune des parties en cause. Fixe l'avance des frais d'expertise à valoir sur le montant des honoraires de l'expert à la somme de 10.000 F qui sera consignée par la société Boiro à la Régie d'avances et de recettes de la Cour d'appel avant le 30 avril 1998. Dit qu'à défaut de consignation de la provision dans le délai imparti, la désignation de l'expert sera caduque. Dit que lors de la première réunion l'expert dressera un programme de ses investigations et évaluera d'une manière aussi précise que possible le montant prévisible de ses honoraires et de ses débours. Dit qu'à l'issue de cette réunion l'expert fera connaître au conseiller de la mise en état chargé du contrôle de l'expertise la somme globale qui lui paraît nécessaire pour garantir en totalité le recouvrement de ses honoraires et sollicitera le cas échéant, le versement d'une provision complémentaire. Dit que l'expert tiendra le conseiller chargé du contrôle de l'expertise informé de l'avancement de ses opérations et le saisira de toutes difficultés y afférentes. Dit qu'il sera pourvu au remplacement de l'expert dans les cas, conditions et formes des articles 234 et 235 du NCPC. Rappelle que les délais fixés à l'expert sont impératifs, que leur non-respect constitue une faute grave sauf motif légitime et qu'à défaut il pourra être fait application de l'article 235 al. 2 du NCPC. Dit qu'à l'issue de ses opérations, l'expert adressera aux parties un projet de sa demande de recouvrement d'honoraires et débours, en même temps qu'il l'adressera au magistrat taxateur. Désigne le conseiller de la mise en état de la troisième chambre de la Cour d'appel en qualité de magistrat chargé du contrôle de l'expertise à compter de la présente décision et jusqu'à la taxe des honoraires de l'expert. Condamne par provision la société Peintures Cimentol à payer à la société Boiro la somme de 8000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile; Condamne la société Peintures Cimentol aux entiers dépens qui seront distraits au profit de l'avoué qui en aura fait l'avance, sans provision préalable et suffisante