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Décisions

CA Paris, 1re ch. A, 17 mars 1998, n° 98-00249

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Électricité de France

Défendeur :

Union Française des Industries Pétrolières

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Conseillers :

MM. Mc Kee, Garban

Avoués :

SCP Teytaud, SCP Gaultier-Kistner-Gaultier

Avocats :

Mes Fourgoux, Boespflug.

T. com. Paris, prés., du 21 nov. 1997

21 novembre 1997

Electricité de France (ci-après désignée " EDF ") a fait diffuser à la télévision, à partir de novembre 1997, un film publicitaire de 45 secondes mettant en scène dans un appartement situé à Paris, en bord de Seine, un jeune homme et une jeune femme tenant le dialogue suivant :

" - Chéri,

- Oui

- Imagine que si les 3/4 de notre électricité n'étaient pas nucléaires il faudrait extraire de notre sol 80 millions de tonnes de pétrole. T'imagines. Sans l'électricité nucléaire, il faudrait importer l'équivalent de 300 super pétroliers et en plus on paierait l'électricité plus cher. T'imagines.

- Je vois d'ici la scène.

- Aujourd'hui l'électricité nucléaire assure notre avenir énergétique. EDF nous vous devons plus que la Lumière ".

Représentant la scène imaginée, le film montre notamment un super pétrolier naviguant sur la Seine, une plate forme pétrolière survolée par un hélicoptère, un derrick avec une torchère.

Estimant ce film dénigrant et trompeur, L'Union Française des Industries Pétrolières (ci-après désignée UFIP) a fait délivrer assignation, le 17 novembre 1997, à EDF en demandant au juge des référés du tribunal de commerce de Paris de :

" Ordonner sur minute l'interdiction de diffuser et d'utiliser la publicité télévisée " Scènes de Paris, campagne publicité nucléaire 1997 " d'Electricité de France, faisant référence de façon déloyale et mensongère aux avantages de l'électricité nucléaire par rapport au pétrole, sous astreinte de 250 000 F par infraction constatée,

Ordonner la publication de la décision à venir, dans trois journaux au choix de la demanderesse et aux frais de la défenderesse, dans la limite de 50 000 F par insertion,

Ordonner la production du plan média sous astreinte de 100 F par jour de retard,

Condamner EDF au paiement de la somme de 25 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ".

Par ordonnance contradictoire du 21 novembre 1997, le premier juge a ordonné l'interdiction de diffuser et d'utiliser le film litigieux sous astreinte de 200 000 F par infraction constatée, ordonné la publication du plan média sous astreinte de 100 F par jour de retard, et condamné EDF à payer à l'UFIP la somme de 20 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, cette dernière étant déboutée de ses autres demandes.

Electricité de France (EDF) a été autorisée à interjeter appel à jour fixe de cette décision. Elle soutient que ce film ne compare pas l'électricité au pétrole, qu'il a pour seul objet l'électricité, et qu'ainsi, il ne peut jeter un discrédit sur le pétrole. Selon elle, l'UFIP travestit la réalité lorsqu'elle évoque une musique désuète alors que celle-ci est gaie ou des couleurs sombres et fanées alors que le document montre un ciel bleu, des arbres verdoyants et une atmosphère claire. Elle en déduit que ce film, qui n'offre aucune " vision d'enfer ", n'est pas dénigrant.

Il n'est pas davantage, à son avis, trompeur, car il n'a aucune prétention écologique, le pétrole n'y étant pas présenté comme une source de pollution. Indiquant que la publicité n'a pas à être exhaustive et informative, elle souligne, cependant, que l'affirmation selon laquelle si l'électricité était produite à partir du pétrole plutôt qu'en utilisant l'énergie nucléaire, elle coûterait plus cher, est exacte. Elle en veut pour preuve diverses publications du Ministère de l'Industrie.

Contestant ainsi ce film soit à l'origine d'un trouble manifestement illicite ou imminent, elle sollicite, en conséquence, l'infirmation de l'ordonnance entreprise et la condamnation de l'UFIP à lui verser la somme de 50 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

L'Union Française des Industries Pétrolières (UFIP) pour conclure à la confirmation de l'ordonnance attaquée et à l'allocation de la somme de 50 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, soutient que le film qui stigmatise le pétrole sous un aspect particulièrement négatif et inexact quant à sa compétivité, est constitutif d'une manœuvre de concurrence déloyale. Elle y voit des informations malveillantes qui se répercutent dans les images : couleurs claires et environnement intime pour le nucléaire, couleurs sombres et fanées, paysages flous et environnement industrie pour le pétrole. Elle voit dans " l'étude " faite par Mme Rodulfo pour l'EDF, l'avis du BVP (bureau de vérification de la publicité) qui aurait mis en garde EDF contre une réaction de l'industrie du pétrole, une confirmation de sa position.

Elle estime que si EDF est parfaitement libre de présenter une campagne publicitaire sur les avantages de l'énergie nucléaire, il lui était également parfaitement possible de présenter son message en s'abstenant de faire toute référence au pétrole, et en présentant une publicité plus neutre et réellement informative. Elle dénie à EDF la possibilité de se référer en l'espèce à la jurisprudence relative à la publicité hyperbolique, dès lors qu'il est soutenu que celle-ci serait informative et qu'elle est totalement dénuée d'humour.

Enfin, elle reproche à cette publicité de masquer volontairement les risques liés à l'énergie nucléaire et de prétendre de façon fallacieuse que celle-ci offre aux consommateurs des caractéristiques supérieures aux produits pétroliers.

Affirmant que cette publicité, si elle avait été intégralement diffusée, lui aurait causé un préjudice irrémédiable, et invoquant ainsi un dommage imminent, elle conclut qu'à bon droit le juge des référés, constatant la possibilité pour EDF de rectifier sa campagne publicitaire, a ordonné son interdiction sous astreinte.

Le film litigieux a été diffusé à la cour à l'occasion de l'audience de plaidoirie.

Sur ce, LA COUR :

Considérant qu'il appartient à l'UFIP de démontrer que la diffusion du film litigieux est susceptible de lui causer un dommage imminent, comme elle le soutient dans ses conclusions d'appel, ou que l'interdiction de celle-ci est nécessaire pour mettre fin au trouble manifestement illicite dont l'existence a été retenue par la décision du premier juge ;

Considérant que pour apprécier l'impact du film litigieux, le juge n'a pas à considérer les espoirs, les objectifs, les analyses et supputations partisanes et intéressées des conseils en publicité, ni même les discussions de ces derniers dans les médias, mais doit se déterminer d'après le contenu du document lui-même et le sentiment vraisemblable qu'il produira sur le public visé ;

Considérant, en l'espèce, que le message diffusé s'adresse " au grand public " qui bien que n'étant pas aussi averti qu'un public professionnel, n'ignore cependant pas les inconvénients de l'énergie nucléaire, l'exposition des dangers de celle-ci constituant une part importante de l'activité de certaines formations politiques ; que le souvenir de la catastrophe de Tchernobyl, largement médiatisée à l'époque, et plus généralement du risque nucléaire, ravivé à chaque avancée ou recul du programme français en ce domaine, ne peut être absent de la pensée du téléspectateur ;

Que pareillement, le grand public sait que le pétrole vient en général de pays étrangers, qu'il représente donc pour l'économie française une dépense de devises, qu'il n'est pas sans lien avec l'effet de serre ni avec la pollution, notamment urbaine, question patrticulièrement d'actualité en France deouis quelques mois ;

Considérant dans ces conditions, que si le film litigieux, à l'évidence de fiction, ainsi qu'en atteste la répétition de l'impératif " imagine ", qui ne constitue pas une publicité comparative au sens de l'article 121-8 du code de la consommation, a pu, par ses aspects techniques réussis et son message, amuser ou irriter le public, il n'a pu et ne peut l'induire en erreur ;

Considérant que la publicité, activité qui a pour but de faire connaître un produit, une marque, ou un service pour en développer la consommation, ne parvient généralement à ce résultat qu'en majorant les qualités du bien considéré ; que si elle peut être informative, elle n'est pas tenue, pour être licite, de dévoiler les aspects négatifs du bien en question et encore moins de promouvoir les vertus des produits concurrents ;

Qu'il est donc vainement reproché à ce document qui n'était pas destiné à promouvoir l'industrie du pétrole, de ne citer que des produits pétroliers liquides et de faire abstraction, notamment, du gaz ;

Qu'on ne saurait pas davantage lui faire grief de démontrer la supériorité économique de l'énergie nucléaire, ce qu'il ne prétend pas établir ; que ni les couleurs employées, ni la musique de fond, ni le bruit non exagéré de l'hélicoptère, ni le texte du dialogue ne permettent de voir dans ce film le dénigrement de l'industrie du pétrole ou la manifestation d'un comportement déloyal avec l'évidence nécessaire pour justifier l'exercice des pouvoirs du juge des référés ;

Considérant, dans ces conditions, que, sauf à interdire toute publicité en faveur d'autre source d'énergie que le pétrole, l'UFIP ne peut prétendre que le film publicitaire en cause serait pour elle source d'un dommage imminent, ou qu'il lui causerait un trouble manifestement illicite comme l'a retenu le premier juge ;

Que l'ordonnance entreprise doit donc être infirmée ;

Considérant qu'il y a lieu d'allouer à EDF la somme de 10 000 F pour l'indemniser des frais exposés et non compris dans les dépens ;

Par ces motifs, Infirme l'ordonnance entreprise ; Dit n'y avoir lieu à référé ; Condamne L'Union Française des Industries Pétrolières à payer à Electricité de France la somme de 10 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Condamne L'Union Française des Industries Pétrolières aux dépens de première instance et d'appel ; Dit que les dépens d'appel pourront être recouvrés par la SCP Teytaud dans les conditions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.