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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 12 mars 1998, n° 96-12138

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Terzibachian, Sport Equipement (SA)

Défendeur :

La Compagnie des Halles aux Textiles

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dragon

Conseillers :

M. Isouard, M. Semeriva

Avoués :

Me Magnan, SCP De Saint Ferreol & Touboul

Avocats :

Mes Bonnaffons, Baschet.

TGI Marseille, du 13 mai 1996

13 mai 1996

EXPOSE DU LITIGE :

Monsieur Edouard Terzibachian est titulaire de deux marques complexes et emblématiques, Sun Valley :

- la première déposée le 12 février 1983 et renouvelée le 5 février 1993 associant le terme Sun Valley à une rose des vents,

- la seconde déposée le 15 mars 1988 composée des mots Sun Valley écrits avec un graphisme particulier surmontés d'un personnage hirsute courant une planche de surf sous le bras droit.

Ces deux marques ont été déposées pour divers produits et notamment des vêtements. L'exploitation de la seconde de ces marques a été concédée à la Société Sport Equipement le 18 mars 1988.

Reprochant à la Compagnie des Halles aux Textiles d'utiliser la marque " Stone Valley ", Monsieur Edouard Terzibachian et la Société Sport Equipement l'ont assignée en contrefaçon et concurrence déloyale. Par jugement du 23 mai 1996, le Tribunal de Grande Instance de Marseille les a déboutés de leurs demandes, a ordonné la main levée de la saisie contrefaçon du 31 mars 1994 et les a condamnés à payer à leur adversaire la somme de 10.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Le 31 mai 1996 Monsieur Edouard Terzibachian et la Société Sport Equipement ont interjeté appel de cette décision.

Ils soutiennent que la marque Stone Valley contrefait la marque Sun Valley car le mot Valley qu'elle reproduit est détachable de l'ensemble de la marque, arbitraire pour désigner des vêtements et constitue l'élément essentiel des deux marques que les adjectifs Sun et Stone ne peuvent différencier en raison de leur ressemblance.

Ils se plaignent aussi d'une concurrence déloyale, leur adversaire diffusant sous la marque contrefaisante des produits médiocres à un prix inférieur aux leurs.

Ils sollicitent l'infirmation de la décision déférée et :

- l'interdiction pour la Compagnie des Halles aux Textiles d'utiliser l'appellation et la marque Stone Valley sous astreinte de 5.000 francs par jour de retard et infraction constatée,

- la désignation d'un expert afin de déterminer le chiffre d'affaires réalisé avec les articles contrefaisants,

- la condamnation de La Compagnie des Halles aux Textiles à payer à Monsieur Edouard Terzibachian une provision de 1.000.000 francs sur la réparation de son préjudice et à la Société Sport Equipement la somme de 1.000.000 francs pour contrefaçon de marque ainsi que celle de 500.000 francs pour concurrence déloyale,

- la publication de cet arrêt dans cinq journaux professionnels de leur choix aux frais de leur adversaire dans la limite de 20.000 francs par insertion,

- la condamnation de la Compagnie des Halles aux Textiles à leur payer la somme de 40.000 francs par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La Compagnie des Halles aux Textiles conclut à la confirmation du jugement attaqué et, formant appel incident, à la condamnation solidaire de Monsieur Edouard Terzibachian et de la Société Sport Equipement à lui payer les sommes de 500.000 francs de dommages-intérêts outre celle de 50.000 francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Elle nie la contrefaçon de marque car le terme Valley ne possède aucun caractère distinctif étant d'un usage banal et usuel pour désigner des vêtements et employé par de nombreuses autres marques ou dénominations sociales. Elle allègue aussi qu'il ne constitue pas l'élément essentiel de la marque Sun Valley mais forme avec le mot " Sun " un tout indissociable et ne peut faire l'objet d'une protection particulière.

Elle souligne l'absence de confusion entre les deux marques qui évoquent chacune des univers différents.

Elle conteste la concurrence déloyale affirmant que ses produits de qualité semblable à ceux de ses adversaires n'avilissent pas la marque Sun Valley.

Le 1er septembre 1997, le Conseiller de la mise en état a clos l'instruction de l'affaire.

Le 5 septembre 1997, la Compagnie des Halles aux Textiles a déposé de nouvelles conclusions pour la recevabilité desquelles elle sollicite la révocation de l'ordonnance de clôture.

Motifs de la décision :

La recevabilité de l'appel n'est pas contestée et rien dans le dossier des parties ne conduit la Cour à la décliner d'office. L'appel sera reçu.

Sur la recevabilité des conclusions du 5 septembre 1997 de la compagnie des halles aux textiles :

L'article 784 du Nouveau Code de Procédure Civile n'autorise la révocation de l'ordonnance de clôture que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue.

Pour justifier sa demande de révocation de l'ordonnance de clôture, la Compagnie des Halles aux Textiles évoque la nécessité de répondre aux dernières conclusions de son adversaire.

Mais ces conclusions ont été déposées le 10 mars 1997 soit plus de cinq mois et demi avant la clôture de l'instruction de l'affaire et la Compagnie des Halles aux Textiles a disposé d'un délai suffisant pour y répliquer avant la clôture. Elles ne peuvent constituer une cause de révocation de l'ordonnance de clôture.

Cette ordonnance étant maintenue et l'article 783 du Nouveau Code de Procédure Civile prohibant tout dépôt de conclusions après ladite ordonnance, les conclusions du 5 septembre 1997 de la Compagnie des Halles aux Textiles doivent être déclarées irrecevables.

Sur la contrefaçon :

La contrefaçon consiste à la reproduction ou à l'imitation de la marque d'autrui déposée antérieurement.

La marque Stone Valley a été déposée le 15 février 1990 par la Société Chaussures André qui a autorisé la Compagnie des Halles aux Textiles, sa filiale, à l'exploiter. Cette marque ne bénéficie pas d'une antériorité envers les marques " Sun Valley " de Monsieur Edouard Terzibachian déposées en 1983 et 1988.

En cas de reproduction d'un élément d'une marque complexe ou emblématique, la contrefaçon est constituée si cet élément est isolable du tout, s'il peut être protégeable en lui-même et s'il présente un caractère essentiel par rapport à l'ensemble complexe de la marque.

Il n'est pas contesté que la marque " Sun Valley " remplit ces conditions même en l'absence de l'emblème avec lequel elle a été déposée.

Le mot Valley communaux marques Sun Valley et Stone Valley est détachable de chacune de ces deux marques.

Il est un terme anglais signifiant " vallée ", et ne constitue pas la désignation habituelle des vêtements ni ne décrit une de leur qualité essentielle ou élément constitutif.

Vainement la Compagnie des Halles aux Textiles invoque-t-elle l'existence de nombreuses autres marques (huit citées dans ses conclusions) de vêtements usant du mot " Valley ".

En effet, tout d'abord, toutes ces marques sont postérieures au 12 février 1983, date du premier dépôt de Monsieur Edouard Terzibachian à laquelle le caractère distinctif doit être apprécié. Ensuite l'emploi d'un terme à titre de marque par plusieurs personnes ne suffit pas à le rendre usuel, qualité exigeant son utilisation habituelle par le public pour désigner l'objet lui-même, condition non remplie en l'espèce.

L'emploi par des tiers du mot " Valley " dans leur nom commercial est sans incidence sur la contrefaçon dont se plaignent Monsieur Edouard Terzibachian et la Société Sport Equipement.

Le terme " Valley " est distinctif à lui seul pour désigner des vêtements et ne forme pas avec lés mots Sun ou Stone un tout indivisible lui faisant perdre son individualité.

Les mots Sun et Stone sont tous deux de langue anglaise, monosyllabes et débutent par la lettre " S ". Outre le caractère essentiel joué par le terme " Valley " le remplacement du premier par le second ne modifie pas suffisamment la marque pour écarter l'imitation.

Le rôle essentiel du terme " Valley " est confirmé par les étiquettes de la Compagnie des Halles aux Textiles où ce mot apparaît en gros caractères avec un graphisme original, les lettres V et Y encore plus importantes alors que le mot Stone y figure au- dessus avec des lettres de dimension moitié moindre toutes égales et d'une typographie plus ordinaire.

Ainsi la Compagnie des Halles aux Textiles a reproduit dans la marque " Stone Valley " un élément isolable, distinctif et essentiel de la marque adverse. Elle a contrefait cette marque.

Elle ne peut arguer de la tolérance à l'usage de sa marque dont aurait fait preuve ses adversaires. En effet cette tolérance ne rend irrecevable l'action en contrefaçon que si elle a duré pendant cinq ans, délai qui débute à compter de l'entrée en vigueur de la loi du 4 janvier 1991 (28 décembre 1991) pour les marques antérieures à cette loi. Or l'action en contrefaçon a été introduite le 13 avril 1994 à l'intérieur de ce délai.

Il convient d'interdire à la Compagnie des Halles aux Textiles d'utiliser la marque " Stone Valley " sous l'astreinte indiquée au dispositif.

La contrefaçon porte sur un nombre important de produits puisque lors de la saisie contrefaçon l'huissier a évalué à plus de 200 articles ceux portant la marque Stone Valley et la Compagnie des Halles aux Textiles reconnaît dans ses conclusions que ces articles ainsi marqués sont vendus dans nombre de ses magasins.

Cette contrefaçon a dévalué l'impact de la marque et sa force attractive pour distinguer les produits.

Il convient, sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une expertise, la Cour disposant des éléments d'appréciation suffisants, d'évaluer à 50.000 francs le préjudice subi par Monsieur Edouard Terzibachian.

Par contre celui-ci ayant agi en défense de sa marque, la Société Sport Equipement, seulement bénéficiaire d'un droit d'exploitation, ne peut fonder son action sur la contrefaçon et sa demande de ce chef doit être rejetée.

Sur la concurrence déloyale :

S'il n'apparaît pas que les produits commercialisés par la Compagnie des Halles aux Textiles soient de moindre qualité que ceux vendus par la Société Sport Equipement, par contre la contrefaçon pour des produits identiques de la marque donnée en licence à celle-ci a porté atteinte à ses droits d'exploitation et constitue envers elle des actes de concurrence déloyale.

Il convient de réparer le préjudice qui en résulte par l'allocation de la somme de 150.000 francs de dommages-intérêts.

Sur les autres demandes :

Les condamnations ci-dessus prononcées réparent l'entier préjudice causé par la contrefaçon et la concurrence déloyale. Il n'y a pas lieu d'ordonner la publication de l'arrêt.

Succombant à la procédure, la Compagnie des Halles aux Textiles doit être déboutée de ses demandes accessoires et condamnée à payer à ses adversaires la somme de 10.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Par ces motifs : La Cour statuant publiquement et par arrêt contradictoire ; Reçoit l'appel ; Déclare irrecevable les conclusions du 5 septembre 1997 de la Compagnie des Halles aux Textiles ; Infirme le jugement du 13 Mai 1996 du Tribunal de Grande Instance de Marseille ; Statuant à nouveau ; Interdit à la Compagnie des Halles aux Textiles à utiliser à quelque titre que ce soit l'appellation " Stone Valley " sous astreinte de 1.000 francs par infraction constatée et jour de retard qui courra deux mois après la signification de cet arrêt ; Condamne la Compagnie des Halles aux Textiles à payer à : 1. Monsieur Edouard Terzibachian la somme de 50.000 francs de dommages-intérêts pour contrefaçon de marque ; 2. la Société Sport Equipement la somme de 150.000 francs de dommages-intérêts pour concurrence déloyale ; Condamne la Compagnie des Halles aux Textiles à payer à Monsieur Edouard Terzibachian et à la Société Sport Equipement la somme de 10.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Rejette toutes les autres demandes ; Condamne la Compagnie des Halles aux Textiles aux dépens et autorise Maître Magnan, Avoué, à recouvrer directement ceux d'appel dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.