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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 11 mars 1998, n° 96-08291

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Perrot

Défendeur :

Le Matériel Scolaire (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Duvernier

Conseillers :

Mme Mandel, M. Lachacinski

Avoués :

SCP Bernabe Ricard, SCP Fisselier Chiloux Boulay

Avocats :

Mes Delval, Trefigny.

T. com. Bobigny, 2e ch., du 22 févr. 199…

22 février 1996

Faits et procédure

Philippe Perrot exerce, en nom propre depuis 1994 sous l'enseigne Ludic, l'activité d'édition de matériels scolaires destinés aux classes des écoles primaires, et notamment de fiches regroupées suivant des thèmes dans un recueil conforme au programme de l'Education Nationale ;

La société Le Matériel Scolaire estimant qu'en commercialisant le même type de support qu'elle, Philippe Perrot a commis à son égard des actes de concurrence déloyale et parasitaire, l'a assigné le 17 mars 1995 devant le tribunal de commerce de Bobigny en paiement de la somme de 1 000 000 F à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice, pour qu'il lui soit enjoint de cesser sous astreinte d'employer pour désigner son matériel pédagogique la formule " Ludifiches " imitation de sa formule " Copyfiches ", et pour que la destruction des stocks soit ordonnée ;

Par jugement du 22 février 1996 assorti de l'exécution provisoire, le tribunal saisi a :

- dit qu'en fabriquant, faisant fabriquer et commercialisant les cahiers dénommés " Ludifiches ", Philippe Perrot a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire,

- condamné Philippe Perrot à :

* payer à la société Le Matériel Scolaire les sommes de 300 000 F à titre de dommages et intérêts et de 10 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile,

* cesser d'employer, pour désigner du matériel pédagogique la formule " Ludifiches ", imitation de la formule " Copyfiches ", ainsi que de cesser de distribuer lesdits produits, et ce sous astreinte de 500 F, par cahier et par jour, dont la présence pourrait être constatée dans les locaux de Philippe Perrot, ou dans son réseau de distribution, à compter du jugement,

* procéder à la destruction des stocks des produits " Ludifiches " qui pourraient être encore en sa possession au jour de la signification du jugement, sous le contrôle d'un huissier de justice,

- débouté la société Le Matériel Scolaire du surplus de ses demandes, et Philippe Perrot de sa demande reconventionnelle,

- condamné Philippe Perrot aux entiers dépens ;

Par ordonnance du 10 juin 1996, l'exécution provisoire du jugement susvisé en ce qu'il a condamné Philippe Perrot à payer la somme de 300 000 F à titre de dommages et intérêts à la société Le Matériel Scolaire a été arrêtée ;

Philippe Perrot appelant demande à la Cour de réformer le jugement déféré, soutient qu'il n'a commis aucun acte de concurrence déloyale et qu'il n'a eu aucun comportement parasitaire, et sollicite la condamnation de la société Le Matériel Scolaire à lui payer, outre la somme de 20 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, la somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Il fait observer que la technique des fiches scolaires à polycopier ou à photocopier est ancienne, que l'utilisation du titre générique " Ludifiches " d'une grande banalité ne saurait lui être reprochée, que les " similarités " ou " l'identité flagrante " (reliures, fenêtres évidées, transparents) qui lui sont imputées sont justifiées par des impératifs techniques ou réglementaires, que le produit qu'il commercialise est différent de celui proposé à la vente par la société Le Matériel Scolaire (thèmes répertoriés selon les niveaux scolaires), que les similitudes pouvant exister entre les produits, en l'absence de preuve de la volonté de s'approprier sans frais le résultat des efforts d'un autre, ne suffisent pas à caractériser un acte de concurrence déloyale et que le risque de confusion pour des professionnels de l'enseignement n'existe manifestement pas ;

Il indique également pour soutenir qu'il n'a pas commis d'agissements parasitaires qu'il n'a usurpé ni la réputation, ni les efforts intellectuels et les investissements de la société Le Matériel Scolaire qui n'a subi de son fait aucune baisse de son chiffre d'affaires depuis le mois de septembre 1994, date de commercialisation des " Ludifiches " ;

La société Le Matériel Scolaire intimée prie la Cour de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, et de condamner Philippe Perrot à lui payer la somme de 30 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;

Elle reproche à Philippe Perrot d'avoir sans nécessité particulière repris " par démarques " l'ensemble des éléments caractéristiques des Copyfiches (titre, concept, présentation extérieure, format, thèmes, détails) et estime que celui-ci ne peut invoquer des impératifs techniques pour expliquer les " similitudes fortuites " entre les produits litigieux ;

Elle soutient qu'il existe manifestement entre ceux-ci un risque de confusion certain qui résulte de l'impression d'ensemble qu'ils révèlent ;

Elle indique enfin que Philippe Perrot a eu un comportement parasitaire en se plaçant dans son sillage sans avoir fourni le moindre effort intellectuel et financier, puisqu'il n'a fait que purement et simplement " démarqué " son produit et termine en faisant remarquer que " la somme arrêtée par le tribunal, bien que faiblement évaluée par le tribunal correspond à de réels manques à gagner " ;

Sur quoi, LA COUR

Considérant que la société Le Matériel Scolaire déclare avoir créé en 1990-1991 un nouvel outil pédagogique dénommé " Copyfiches " destiné essentiellement aux enseignants des écoles maternelles, primaires et secondaires constitué par l'utilisation de transparents qui permettent de construire et de modifier des exercices à volonté, et d'être reproduits ou projetés respectivement à l'aide d'un photocopieur ou d'un rétroprojecteur afin de faciliter la communication du savoir et de provoquer l'éveil des enfants ;

Que cette création se présente sous la forme d'un cahier à spirale de format 21 x 29,7 cms qui comporte, outre le mode d'emploi sur la deuxième couverture, des suggestions de travail, et en alternance, d'une part une feuille en papier de couleur blanche sur laquelle figure un dessin et d'autre part un transparent sur lequel est reproduit un thème, la page de garde présentant une partie découpée sous la forme d'une étiquette de forme octogonale qui laisse apparaître le titre du thème principal du cahier ;

Que dans la partie supérieure de la couverture figure en gros caractères le mot " Copyfiches " La fiche spéciale photocopieur et rétroprojecteur " et dans la partie inférieure l'indication " Le Matériel Scolaire " ;

Considérant que le produit " Ludifiches " diffusé par Pascal Perrot possède également la forme d'un cahier à spirale de même format que le précédent dont la page de garde comporte une étiquette octogonale évidée laissant apparaître le titre du thème traité avec sur la partie supérieure de la couverture en gros caractères écrit le mot " Ludifiches " et dans la partie inférieure " Editions Ludic Ecoles " ;

Que ce cahier révèle, outre le mode d'emploi sur le deuxième page de la couverture, des suggestions de travail, des énoncés de thèmes étapes par étapes, et des feuilles en alternance imprimées et transparentes ;

- Sur les actes de concurrence déloyale

Considérant que la société Le Matériel Scolaire reproche à Philippe Perrot qui lui avait auparavant entre les mois de mars à juin 1994 passé commande d'un certain nombre de " Copyfiches " dont une partie retournée au mois de novembre 1994, d'avoir volontairement et en connaissance de cause diffusé sur le marché un produit concurrent du sien ;

Que la société Le Matériel Scolaire a fait dresser le 7 février 1995 dans les locaux exploités par Philippe Perrot sous le nom commercial Ludic un constat d'huissier duquel il résulte notamment que les cahiers " Ludifiches " sont commercialisés depuis le mois d'octobre 1994 ;

Considérant que Philippe Perrot ne conteste pas que la société Le Matériel Scolaire a créé, produit et diffusé les cahiers " Copyfiches " antérieurement à la date susvisée ;

Que cependant pour contester la faute qui lui est imputée, il ne saurait évoquer une absence d'atteinte aux droits privatifs de la société intimée, et spécialement au droit des marques, alors que celle-ci n'évoque pas un tel fondement juridique ;

Qu'il ne peut davantage se retrancher derrière les ouvrages qui auraient été édités antérieurement à ceux diffusés par la société Le Matériel Scolaire dans la mesure où le litige est d'une part circonscrit aux seuls produits en présence, à l'exclusion de tous autres, et où d'autre part il est en l'espèce exclusivement fondé sur la notion de comportement déloyal et/ou parasitaire ;

Considérant que l'action en concurrence déloyale est destinée à protéger les agents économiques contre les agissements déloyaux de leurs concurrents ;

Considérant que la comparaison du contenu des ouvrages litigieux met en évidence entre eux une ressemblance certainerésultant de l'utilisation commune d'un même format 21 x 29,7 cms, de la présentation d'une étiquette octogonale comportant une bordure en page de garde destinée à laisser apparaître le titre du thème abordé, de la mise en œuvre en page 2 de la couverture des mêmes thèmes et conseils d'utilisation, de la présentation identique résultant de l'alternance des pages transparentes et des pages blanches ou imprimées, de la spirale reliant les feuillets de l'ouvrage, et des thèmes choisis ;

Que ces similitudes sont également renforcées par l'utilisation dans le titre du substantif " Fiches " sans que les termes " Copy " ou " Ludi " qui les précèdent soient de nature à conférer à ce mot une suffisante distinction ;

Que l'explication fournie par Philippe Perrot sur l'utilisation du titre " Ludifiches " qui trouverait sa source dans le nom commercial Ludic est dépourvue de pertinence puisque dans le cadre d'une action en concurrence déloyale, le titre, pour lequel aucune protection légale n'est revendiquée, ne doit pas être analysé isolément, dans le contexte général de l'ouvrage critiqué ;

Considérant que pour tenter d'échapper aux griefs qui lui sont faits, Philippe Perrot ne peut pas plus soutenir que les ressemblances entre les cahiers " Ludifiches " et " Copyfiches " s'expliquent par la nécessité de se conformer aux programmes déterminés par les directives du Ministère de l'Education Nationale;

Qu'en effet, si les enseignants sont tenus de respecter les programmes scolaires définis par leur autorité de tutelle, il n'en demeure pas moins que les éditeurs d'ouvrages scolaires conservent le choix de la méthode pédagogique qu'ils estiment la mieux adaptée au but recherché, et qu'il ne leur est pas permis d'imiter de façon servile ou quasi-servile le produit d'un concurrent ;

Que si Philippe Perrot conteste l'originalité des cahiers " Copyfiches " en prétendant que des maisons d'édition, comme par exemple Sudime Chantecler, ont utilisé des transparents dans les ouvrages pédagogiques avant la société Le Matériel Scolaire, il ne rapporte pas la preuve de cette affirmation ;

Que la société Le Matériel Scolaire a au contraire édité à partir des années 1990-1991 un produit indéniablement original puisque la méthode pédagogique mettant en œuvre dans les établissements scolaires l'utilisation de la photocopieuse a supplanté celle qui se rapportait aux anciens duplicateurs à alcool ;

Que Philippe Perrot ne peut également soutenir que l'imitation qui lui est reprochée n'est que la conséquence d'impératifs techniques;

Que rien dans le format, dans la présentation de la page de garde, dans la technique de reliure, dans les thèmes abordés et dans la mise en œuvre de la méthode pédagogique grâce à l'utilisation de pages transparentes n'a été imposé par une quelconque exigence technique ou réglementaire, mais résulte uniquement du choix arbitraire de l'éditeur qui détermine les méthodes à utiliser en fonction des objectifs qui lui sont assignés ;

Considérant que le risque de confusion pour un consommateur d'attention moyenne qui n'aurait pas les deux produits sous les yeux ne saurait pas conséquent être contesté par Philippe Perrot, quand bien même lesdits produits s'adressent comme il le souligne à des professionnels de l'enseignement qui ne sont cependant pas et contrairement à ses affirmations à l'abri du risque sus-évoqué tant l'imitation est importante et avérée;

Que le prix de vente supérieur des cahiers " Ludifiches " par rapport aux cahiers " Copyfiches " ou l'utilisation de couleurs différentes des couvertures ne constituent pas une justification suffisante qui permet d'éviter le risque de confusion allégué ;

Que la société Le Matériel Scolaire pour démontrer la nature et la qualité de l'imitation fait au surplus justement remarquer en produisant les documents à l'appui de son affirmation que Philippe Perrot lui avait, avant de promouvoir ses propres cahiers au mois d'octobre 1994, commandé des Copyfiches entre les mois de mars à juin 1994 dont une partie lui avait été retournée au mois de novembre de la même année avec l'indication : " 50 exemplaires des Copyfiches dont nous ne pouvons plus assumer la vente " ;

Que Philippe Perrot ne saurait par conséquent soutenir comme il le fait " que la similitude, si tant est qu'elle existe, ne présenterait alors qu'un cas fortuit " ;

- Sur les agissements parasitaires

Considérant que la société Le Matériel Scolaire reproche à Philippe Perrot d'avoir " démarqué " purement et simplement son produit, d'avoir diminué ses frais de recherche, de conception, et de prospection, et d'avoir ainsi en se plaçant dans son sillage économisé ses investissements intellectuels, matériels et publicitaires ;

Considérant que l'usurpation du travail de conception d'autrui, du fruit des recherches sans apport ou avec un apport personnel restreint compte tenu de la nature ou de la qualité du produit original constitue des agissements parasitaires, celui qui se place volontairement dans le sillage de son concurrent s'appropriant indûment un avantage économique auquel il n'a pas droit qui s'analyse en une dispense d'investissements personnels et financiers, et a pour conséquence de rompre le pacte de loyauté auquel tous les concurrents doivent se soumettre ;

Considérant que Philippe Perrot en commandant à la société Le Matériel Scolaire le produit litigieux pour s'en inspirer, en puisant dans celui-ci les éléments caractéristiques essentiels qui en font l'originalité, en s'abstenant d'apporter à son propre produit une empreinte personnelle qui lui permettrait de le démarquer de façon significative de celui de son concurrent a eu un comportement parasitaire fautif qui a eu pour conséquence d'appauvrir à son profit le patrimoine de son concurrent;

- Sur la réparation du préjudice allégué par la société Le Matériel Scolaire

Considérant que Philippe Perrot ne peut invoquer pour contester la réalité du préjudice allégué par la société Le Matériel Scolaire l'existence chez celle-ci d'une augmentation du chiffre d'affaires entre le 31 août 1993 et le 31 août de l'année suivante malgré la diffusion des cahiers Ludifiches, alors que ce préjudice doit tenir compte, non seulement du manque à gagner subi par la société intimée du fait des actes de concurrence déloyale ou des agissements parasitaires qui l'ont affectée, mais également de la faute commise qui justifie une indemnisation destinée à réparer l'entier préjudice subi par la société Matériel Scolaire ;

Considérant qu'il convient au surplus de remarquer que si le chiffre d'affaires concernant les cahiers Copyfiches a effectivement augmenté de la somme de 1.763.284,21 F à celle de 4.569.966,59 F entre les périodes susvisées, il convient cependant d'observer pour contredire les allégations de Philippe Perrot que celui révélé au 31 août 1997 a diminué pendant la durée de la commercialisation des cahiers Ludifiches de plus de 10 % par rapport à l'exercice de l'année précédente ;

Que les premiers juges ont par conséquent fait une juste appréciation de la gravité de la faute commise par Philippe Perrot et ont exactement et équitablement évalué le préjudice subi par la société intimée ;

Que le jugement déféré sera par conséquent confirmé en toutes ses dispositions ;

- Sur les autres demandes

Considérant que la confirmation du jugement entrepris conduit à rejeter les demandes formées par Philippe Perrot, tant à titre de dommages et intérêts que sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;

Considérant qu'il apparaît en revanche inéquitable de laisser à la charge de la société Le Matériel Scolaire la totalité des frais qu'elle a dû engager en cause d'appel qui ne sont pas compris dans les dépens et qu'il convient de compenser à hauteur de la somme de 20 000 F ;

Par ces motifs : Et ceux non contraires des premiers juges, Confirme le jugement rendu le 22 février 1996 par le tribunal de commerce de Bobigny en toutes ses dispositions, Rejette toutes demandes autres, contraires ou plus amples des parties, Condamne Philippe Perrot à payer à la société Le Matériel Scolaire la somme de 20 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, Condamne Philippe Perrot aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ces derniers au profit de la SCP Fisselier Chiloux Boulay dans les conditions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.