CA Angers, 1re ch. A, 9 mars 1998, n° 9600793
ANGERS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Loxam (Sté)
Défendeur :
Loc Énergie (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Chauvel (faisant fonction)
Conseillers :
M. Lemaire, Mme Lourmet
Avoués :
SCP Chatteleyn, George, SCP Gontier-Langlois
Avocats :
Mes Escande, Erineau.
Par acte du 12 septembre 1990, la société Loxam Location devenue depuis la société Loxam - a fait assigner la société Loc Énergie devant le Tribunal de Commerce d'Angers aux fins principalement de l'entendre dire qu'elle a commis des actes de concurrence déloyale à son encontre et qu'elle devra lui verser la somme de 1.500.000 F à titre de dommages intérêts.
Par jugement avant dire droit du 12 février 1992, le Tribunal a désigné Maître Le Levier, Huissier de Justice, avec mission de :
- se rendre dans les locaux de l'Agence Nord-Angers de la société Loc Énergie, ZAC du Moulin - Marcille aux Ponts-de-Cé, afin de constater le réembauchage des quatre salariés démissionnaires, à très brève échéance après leur démission,
- se faire remettre copie des contrats de travail litigieux ainsi que des bulletins de paie des fiches d'entrée et de sortie du personnel, et des justificatifs concernant l'affiliation à l'URSSAF et à la CPAM pour les quatre salariés précités,
- se faire remettre toutes informations relatives aux conditions dans lesquelles ont été signés les contrats de location de matériel avec la société Bouyer et la Direction Départementale de l'Équipement de Maine-et-Loire,
- à cette fin, entendre Monsieur Joly :
* Sur les réponses qu'il a pu formuler aux deux clients potentiels, soit la société Bouyer et la Direction Départementale de 1'Équipement de Maine-et-Loire, lorsqu'il était encore salarié de la société Sam Location.
* Sur les relations entretenues avec ces deux interlocuteurs depuis la date de sa démission, soit le 6 février 1990.
- Se faire remettre copie des contrats signés par la société Bouyer ou la Direction Départementale de l'Équipement de Maine-et-Loire, ou toute autre collectivité territoriale pour laquelle la subdivision intervient,
- Entendre tout sachant concernant toute question relative à sa mission,
- Établir un procès-verbal de constat dans le délai d'un mois à compter du présent jugement.
Maître Le Levier a établi son procès-verbal de constat les 14 et 18 janvier 1993.
Par acte du 24 novembre 1994, la société Loxam a assigné la société Loc Énergie pour l'entendre condamner à lui payer la somme de 200.000 F à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale.
Par jugement du 24 janvier 1996, le Tribunal de Commerce d'Angers a :
- constaté la péremption d'instance introduite par l'assignation de la société Samn Location le 12 septembre 1990,
- débouté la société Loxam de ses demandes et conclusions,
- condamné la société Loxam au paiement à Loc Énergie d'une somme de 20.000 F en réparation du préjudice qu'elle a subi pour procédure injustifiée et de celle de 7.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
- condamné la société Loxam aux dépens.
La société Loxam a interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses écritures, elle demande à la Cour :
- de la déclarer recevable et bien fondée en son appel,
- d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- de dire que par l'envoi de diverses lettres au nom et pour le compte de la société Loxam à Maître Le Levier, Huissier de Justice désigné par jugement du Tribunal de Commerce d'Angers du 12 février 1992, avec copie au Conseil de la société Loc Énergie, le délai de péremption d'instance prévu par l'article 386 du Nouveau Code de Procédure Civile a été interrompu,
- de dire que la société Loc Énergie a commis des actes de concurrence déloyale à son égard,
- de condamner Loc Énergie à lui verser la somme de 200.000 F à titre de dommages-intérêts,
- de condamner la même à lui verser la somme de 30.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, et à supporter les entiers dépens.
Pour sa part, la société Loc Énergie conclut pour entendre :
- confirmer, en toutes ses dispositions, le jugement déféré,
- subsidiairement, dire nulle et inopposable à son égard la mesure d'instruction effectuée par Maître Le Levier et le procès-verbal la retraçant,
- débouter purement et simplement la société Loxam de toutes ses demandes,
- condamner la même au paiement d'une somme de 40.000 F en réparation du préjudice résultant de la procédure injustifiée qu'elle subit depuis cinq ans, et d'une somme de 30.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, ainsi que des entiers dépens.
Par conclusions responsives, la société Loxam s'oppose à ces prétentions et sollicite l'entier bénéfice de ses précédentes écritures.
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 25 septembre 1997.
Sur ce,
1) Sur la péremption :
La société Loxam fait valoir :
- que la jurisprudence considère que toute démarche accomplie par les parties auprès du technicien désigné pour exécuter une mesure d'instruction constitue une diligence interruptive de prescription, même si elle n'emprunte par la forme d'un acte de procédure,
- que les diverses correspondances adressées, à son nom et pour son compte, à Maître Le Levier ont, contrairement à ce qu'à retenu le tribunal, date certaine et ont été portées à la connaissance de la société Loc Énergie soit de son Conseil qui la représentait,
- qu'elle ne saurait encourir la sanction de la péremption puisqu'elle ne s'est pas désintéressée de l'instance qu'elle avait initiée, contrairement à ce qui est avancé par Loc Énergie,
La société Loc Énergie répond :
- qu'entre le jugement du 12 février 1992 et l'assignation du 24 novembre 1994, seul un acte de procédure est intervenu : le procès-verbal de Maître Le Levier,
- que ce procès-verbal n'est pas une diligence accomplie par la société Loxam et n'a donc pas interrompu le délai de péremption courant depuis le 12 février 1992,
- que l'assignation de la société Loxam du 24 novembre 1994 est intervenue plus de deux ans après le jugement intervenu le 12 février 1992,
- que par conséquent la péremption était acquise depuis le 12 février 1994,
- qu'il en résulte que la demande de la société Loxam devant le premier juge était irrecevable, l'instance étant manifestement périmée,
- qu'aucune des lettres invoquées par la société Loxam ne comporte une date certaine,
- que la société Loxam ne justifie pas que les correspondances avaient été portées à sa connaissance,
- que ces correspondances ne pouvaient avoir un effet interruptif de la péremption,
- qu'il a déjà été jugé que les correspondances entre les parties ne peuvent interrompre le délai de péremption car elles ne font pas partie de l'instance,
- que reconnaître un effet interruptif à ces correspondances conduirait à violer l'esprit de la loi qui a organisé une procédure spécifique pour ce type de difficulté,
- que les articles 155 et 167 du Nouveau Code de Procédure Civile permettaient à la société Loxam de saisir le Président du Tribunal de Commerce d'Angers pour régler les difficultés dont elle fait état aujourd'hui,
- que par conséquent, elle est malvenue à présent d'invoquer des correspondances dénuées de toute force interruptive,
- qu'en définitive, en droit comme en équité, la sanction de la péremption était bien encourue par la société Loxam.
En réponse, la société Loxam maintient son argumentation et observe que la société Loc Énergie a bien été informée de son intention de poursuivre la procédure.
Les pouvoirs conférés au Juge par les articles 155 et 167 du Nouveau Code de Procédure Civile n'ont pas pour conséquence de priver les parties de la possibilité d'accomplir des diligences.
En l'espèce, la société Loxam verse aux débats des photocopies de lettres en date des 4 Juin, 19 août, 1er octobre, 12 octobre 1992 et du 8 janvier 1993 dont le destinataire est Me Le Levier, Huissier de Justice, désigné par le jugement avant dire droit du 12 février 1992.
Dans cette dernière correspondance du 8 janvier 1993, le Conseil de la société Sam Location, devenue depuis la société Loxam, indique à son correspondant :
" Je dois constater que malheureusement vous n'avez toujours pas procédé aux opérations de constat demandées par le Tribunal de Commerce d'Angers malgré mes précédents courriers en date des 14 juin, 19 août, 1er et 12 octobre derniers, sans compter mes divers appels téléphoniques.
Le 23 octobre, vous m'aviez assuré que vous procéderiez à ce constat dans la semaine qui suivait.
Cette situation donne une image déplorable de la Justice à ma cliente qui ne comprend pas votre inaction.
À défaut de réception de ce procès-verbal, je me verrai contraint d'intervenir auprès du Tribunal de Commerce. "
Elle justifie qu'en réponse Maître Le Levier lui a adressé le 14 janvier 1993 un courrier qui commence ainsi : " Je reviens vers vous à la suite de nos différents entretiens téléphoniques et vos courriers. Je vous indique que j'ai procédé à mes constatations et je vous remercie de m'indiquer si je dois vous adresser directement le procès-verbal. ". Ce courrier émanant de l'huissier de Justice commis par la décision avant dire droit démontre la volonté de la société de continuer l'instance et qu'elle à bel et bien fait des démarches auprès de lui (appels téléphoniques et courriers) ayant pour but de faire avancer l'instance s'agissant en l'occurrence de diligences incitant l'huissier commis à dresser et à déposer le constat nécessaire à la poursuite de la procédure. La diligence requise par l'article 386 du Nouveau Code de Procédure Civile n'est pas obligatoirement un acte de procédure au sens technique du terme. Les lettres de la société Loxam (dont celles des 2 et 12 octobre 1992 et 8 janvier 1993 communiquées au conseil de la partie adverse) auxquelles le courrier en réponse de l'huissier judiciairement désigné confère date certaine par référence à leur antériorité, qui font partie de l'instance et la continue, constituent des diligences au sens du texte précité. L'assignation du 24 novembre 1994 a été délivrée avant que deux ans se soient écoulés depuis ces diligences processuelles effectuées après le jugement du 12 février 1992, ayant interrompu le délai de péremption. C'est donc à tort que le Tribunal a considéré que l'instance était périmée.
2) Sur la nullité du procès-verbal de constat dressé les 14 et 18 janvier 1993.
La société Loc Énergie soutient que les opérations de Maître Le Levier sont nulles.
Elle développe :
- que l'article 160 du Nouveau Code de Procédure Civile impose que les parties soient convoquées aux mesures d'instruction et leurs conseils avisés,
- que la partie non convoquée se trouve privée de la possibilité d'user de son droit de se faire assister lors de la mesure d'instruction, faculté organisée par l'article 161 du Nouveau Code de Procédure Civile,
- que les conseils non avisés sont eux privés du droit de suivre l'exécution de la mission, de formuler des observations et d'assister leur client, facultés organisées par l'article 162 du Nouveau Code de Procédure Civile,
- qu'il en résulte une violation flagrante des droits de la défense, la mesure d'instruction et par conséquent le procès-verbal qui la relate sont parfaitement nuls et inopposables,
- qu'en l'espèce ni la société Loc Énergie ni les défenseurs de celle-ci n'ont fait l'objet de la moindre mesure d'information concernant le jour et l'heure où la mesure d'instruction interviendrait,
- qu'au surplus la société Loc Énergie et ses conseils n'ont eu connaissance du procès-verbal retraçant la mesure d'instruction dressé en janvier 1993, que par communication que le conseil de Loxam en a fait en décembre 1994,
- que l'article 173 du Nouveau Code de Procédure Civile impose que le procès-verbal retraçant une mesure d'instruction soit communiqué aux deux parties soit par le secrétaire du Tribunal soit par la personne en charge de la mesure d'instruction et que mention en soit faite sur l'original du procès-verbal,
- que le procès-verbal ne comporte pas la mention d'une quelconque communication à la société Loc Énergie,
- que la communication à une seule des parties au procès (Loxam) est donc intervenue au mépris du principe de la contradiction et en violation caractérisée des droits de la défense,
- que le fait que les droits de la société Loxam aient été apparemment violés à l'instar des siens ne saurait effacer la nullité du procès-verbal,
- que la circonstance que la société Loxam ne soit pas responsable de la violation des droits de la défense et de la nullité du procès-verbal qui en découle, est indifférente,
- que la nullité du procès-verbal est indivisible et indépendante de son contenu,
- qu'il semble que Maître Le Levier ait été directement rémunéré par la société Loxam et ce au mépris des dispositions de l'article 248 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La Loxam prétend elle :
- qu'il a été procédé au constat sans que les parties n'aient été convoquées ou prévenues, ce dont on ne saurait lui faire grief,
- que l'essentiel des constatations effectuées par l'huissier a porté sur les dates d'embauche des ex-salariés de la société Loxam ce qui constitue des faits objectifs que la société Loc Énergie ne conteste pas dans ses propres écritures et ne peut en tout état de cause contester,
- que la question de l'opposabilité ou de l'inopposabilité de ce constat est dénuée de pertinence eu égard au litige à trancher.
Les parties s'accordent pour dire que l'huissier de justice commis par la décision avant dire droit du 12 février 1992 ne les a pas convoquées à ses opérations.
C'est donc non contradictoirement que l'huissier de Justice désigné a procédé à sa mission.
La remise des documents qu'il a obtenue et les constatations sur l'embauchage des quatre salariés concernés ne sont accompagnées d'aucun avis de l'huissier sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter. Il s'ensuit que les constatations et remises opérées dans le cadre de la mission impartie à l'huissier même si elles n'ont pas été faites contradictoirement, ne portent pas grief à la société Loc Énergie, s'agissant de constatations et remises matérielles sur lesquelles la présence des parties à la cause ne pouvait influer. Pour ce qui est de l'audition de Monsieur Joly à laquelle l'huissier a procédé, elle éclaire la remise des documents opérée. En cela, elle ne porte pas grief aux parties. Toutefois les précisions données par Monsieur Joly qui figurent à la page 3 du constat n'éclairent pas les constatations et remises matérielles et abordent d'autres questions du fait. Ces précisions recueillies par l'huissier hors la présence des parties et sans qu'elles aient été convoquées, violent le principe de la contradiction. Cette partie du procès-verbal (" Monsieur Joly m'a précisé : quand j'étais à Sam Location..., et aucun avec la DDE Angers-Sud ") qui fait grief à la société Loc Énergie comme étant susceptible de mettre en cause son activité, encourt la nullité. Elle sera par conséquent annulée.
Pour le reste, la société Loc Énergie a eu connaissance du constat incriminé dans un temps, (en décembre 1994 si on l'en croit), qui lui a permis d'en prendre pleinement connaissance et d'en discuter utilement. Elle ne peut donc tirer argument du non-respect de l'article 173 du Nouveau Code de Procédure Civile pour obtenir l'annulation de l'acte en son entier faute de grief. Enfin, si elle est fautive, la violation de l'interdiction faite à l'huissier de recevoir directement d'une partie sa rémunération, n'est pas sanctionnable par la nullité de l'acte, qui en l'espèce, n'encourt aucun grief de partialité, l'huissier désigné n'ayant émis aucun avis ni tiré de conséquences de ses constatations.
3) Sur le fond :
Au soutien de son appel, la société Loxam fait valoir :
- que les deux sociétés travaillent dans le même secteur géographique et s'adressent à la même clientèle,
- que les agences locales de Sam Location et Loc Énergie sont directement concurrentes, la nature même de leur activité n'étant liée à aucune relation de quartier ou de chaland mais à la présence dans un secteur donné permettant une intervention rapide et efficace,
- que l'embauche de l'équipe constituant le personnel de toute une agence a forcément désorganisé celle-ci,
- que cette embauche a été massive,
- que la société Loc Énergie ne peut " ignorer " avoir joué un rôle actif dans le départ des salariés et notamment de Monsieur Joly,
- que la simultanéité des départs des salariés et des lettres d'embauche de Loc Énergie établit la collusion entre les parties dont les manœuvres n'ont pas manqué de désorganiser la société concurrente, ce qui constitue en soi un acte grave de concurrence déloyale même s'il n'y avait pas de clause de non concurrence et même si l'embauche des salariés au sein de l'agence de Loc Énergie ne s'est pas faite à des conditions supérieures,
- que la faute est ainsi incontestable, la société défenderesse ne pouvant utilement plaider une mésentente entre Monsieur Joly et la société Loxam ou imaginer " une ambiance exécrable " au sein de son agence,
- que la faute a été commise sciemment pour nuire à un concurrent mais aussi pour bénéficier des connaissances de son ex-chef d'agence qui a photocopié des documents appartenant à son ex-employeur pour les emmener chez lui,
- que le lien de causalité entre la faute et le préjudice ainsi que l'existence de ce dernier, sont incontestables,
- qu'elle est fondée à obtenir à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil, la somme de 200.000 F c'est-à-dire le montant de la marge nette qu'elle aurait dû obtenir en réalisant le chiffre d'affaires de 1.500.000 F dont elle a été privée.
La société Loc Énergie répond :
- que les agences Loxam d'Angers-Nord et Loc Énergie des Ponts-de-Cé ne sont pas en rapport de concurrence,
- qu'elles ne travaillent pas dans le même secteur géographique et ne s'adressent pas à la même clientèle,
- qu'elle n'a détourné aucun marché,
- qu'elle n'a débauché aucun salarié,
- que les quatre salariés démissionnaires de Loxam n'étaient pas liés par une clause de non-concurrence,
- que leurs démissions n'ont pas été " simultanées ",
- qu'en réalité, compte tenu de l'ambiance exécrable régnant à l'agence Loxam, les salariés en question ont profité de l'implantation en février 1990 d'une agence Loc Énergie au Sud d'Angers, sans qu'elle même ait manqué aux règles de la concurrence,
- que leurs embauches sont licites,
- que la preuve d'une désorganisation de l'agence Loxam n'est pas non plus rapportée ni celle d'un préjudice en rapport de causalité avec la faute de Loc Énergie elle aussi inexistante,
- qu'en réalité, elle supporte depuis sept années une procédure injustifiée.
La société Loxam rétorque qu'elle verse aux débats les preuves de ses allégations contre la société Loc Énergie et qu'elle justifie également de son préjudice.
La société Sam Location devenue la société Loxam exerce une activité de location de matériels travaux publics, bâtiments et industrie. Elle réalise son activité par l'intermédiaire de diverses agences dont celles d'Angers Nord et d'Angers Sud. La société Loc Énergie exerce elle une activité de " Location de tout matériel notamment pour le bâtiment l'industrie et les travaux publics ". Le 1er mars 1990, elle a commencé l'exploitation d'un établissement secondaire aux Ponts-de-Cé (Angers Sud). De ces données, il résulte que les sociétés Loc Énergie et Loxam ont des activités similaires et l'exerce dans le même secteur géographique à savoir l'agglomération d'Angers. Elles sont donc bien des sociétés concurrentes.
Il est établi :
- que le 6 février 1990, Monsieur Joly, responsable de l'agence Loxam Angers-Nord a donné sa démission,
- que le 8 février 1990, il a demandé à Loxam de le dispenser d'effectuer son préavis de trois mois,
- que le 12 février 1990, il a signé avec la société Loc Énergie un contrat à durée indéterminée comme " Commercial chef d'Agence, responsable de l'Agence d'Angers ", avec date d'embauche le 12 février 1990,
- que le 8 février 1990, Monsieur Deniau, responsable de location à l'Agence Loxam Angers-Nord a donné sa démission en demandant de ne pas effectuer la totalité de son préavis pour quitter l'agence le 23 février 1990 au soir,
- que le 6 février 1990, il avait signé avec la société Energie ses conditions d'engagement comme responsable de trafic à l'agence des Ponts-de-Cé, la date d'embauche étant laissée en blanc,
- que Monsieur Joly a indiqué à Maître Le Levier que Monsieur Deniau avait été embauché le 1er mars 1990,
- que le 13 février 1990, Monsieur Garry, mécanicien à Loxam d'Angers-Nord a donné sa démission,
- que le 6 février 1990, il avait signé avec la société Loc Énergie ses conditions d'engagement comme responsable atelier mécanique de l'agence des Ponts-de-Cé, la date d'embauche étant laissée en blanc,
- que Monsieur Joly a indiqué à Maître Le Levier que Monsieur Garry avait été embauché le 1er mars 1990,
- que le 26 mars 1990, Monsieur Gremont, chauffeur à l'agence d'Angers-Nord a donné sa démission,
- que le 28 mars 1990, il a signé avec la société Loc Énergie ses conditions d'embauche comme chauffeur poids lourds plus entretien matériels en complément à l'agence des Ponts-de-Cé, avec comme date d'embauche début avril 1990.
De ce qui précède, il ressort que lorsque le 6 février 1990, Messieurs Deniau et Garry ont signé avec la société Loc Énergie les conditions de leurs embauches, ils étaient toujours dans les liens du contrat de travail qu'ils avaient respectivement conclu en 1981 et en 1986 avec la société devenue depuis Loxam. Attachée au contrat de travail, l'obligation de non-concurrence de plein droit qui pèse sur le salarié s'applique tant que le contrat de travail est en vigueur. Il s'ensuit que la société Loc Énergie a commis une faute en contractant avec Messieurs Deniau et Garry, toujours salariés de sa concurrente potentielle Loxam. Ce n'est donc pas à tort que la société Loxam argue du débauchage de son personnel. Monsieur Deniau et Monsieur Garry ont été respectivement embauchés par Loc Énergie en tant que responsable de trafic à l'agence des Ponts-de-Cé et responsable Atelier mécanique à cette agence. Leur engagement s'est accompagné le 12 février 1990 de celui de Monsieur Joly, chef de l'agence de Loxam Angers-Nord. Ainsi en l'espace de quelques jours, la société Loc Énergie a engagé l'équipe d'encadrement de l'agence concurrente Loxam Angers-Nord. Lorsqu'elle a commencé le 1er mars 1990 son exploitation aux Ponts-de-Cé, elle avait, par les embauches sus rappelées, désorganisé l'agence Loxam Angers-Nord et récupéré le savoir-faire de son encadrement. L'ambiance exécrable alléguée au sein de l'agence Loxam d'Angers-Nord n'est pas établie. Si Monsieur Joly affirme que le 6 février 1990, il lui aurait été répondu par le PDG de Loc Énergie qu'il avait déjà un chef d'agence pour Angers, il n'en reste pas moins que quelque six jours plus tard il a été embauché à ce poste par ce même PDG. Les quelques motifs personnels mis en avant par un Monsieur Joly pour expliquer sa démission après treize ans passés au service de Loxam n'influent pas sur la réalité des embauches opérées qui ne pouvaient manquer de perturber l'exploitation de l'agence d'Angers-Nord. Elles constituent de la part de la société Loc Énergie la concurrence déloyale avancée par Loxam. La société Loc Énergie ne peut utilement tirer argument du fait que l'agence Angers-Sud n'a pas vu son exploitation perturbée par son implantation dans la mesure où c'est l'agence Angers-Nord de Loxam et non celle d'Angers-Sud qui a été affectée par le départ de son personnel à son profit.
Il est établi que l'agence Loxam Angers-Nord a connu en 1990 une chute de son chiffre d'affaires (2.540.000 F réalisé en 1990 au lieu de 3.547.000 F en 1989), et que cette chute a été constante à compter d'avril 1990.
Il est prouvé qu'en 1990, l'agence Loxam Angers-Sud a augmenté son chiffre d'affaires par rapport à ce qu'il était en 1989 et ce nonobstant l'activité des sociétés concurrentes. C'est donc vainement que la société Loc Énergie explique la chute du chiffre d'affaires de la société Loxam Angers-Nord par le jeu normal de la concurrence auquel participent pas moins de dix entreprises de la région. En 1989, il est prouvé que l'agence Loxam Angers-Nord avait de meilleurs résultats que l'agence Loxam-Sud (3.547.000 F Angers-Nord / 2.713.000 F Angers-Sud). En 1990, la situation s'était inversée (2.540.000 Angers-Nord/ 2.903.000 F Angers Sud). Mise à part la désorganisation de l'agence Angers Nord sus décrite, rien ne permet d'expliquer cette chute qui ne correspond pas au jeu normal de la concurrence ainsi qu'il a été dit et qui est sans commune mesure avec la fermeture de l'agence pendant les ponts du 1er et du 8 mai. La désorganisation de l'agence Loxam Angers-Nord a influé sur son exploitation et par voie de conséquence sur les résultats qui, l'année où elle est intervenue, ont chuté dans les proportions sus relatées. Cette chute de résultats, étant en relation de cause à effet avec la concurrence déloyale commise par Loc Énergie, la société Loxam est bien fondée à voir réparer son préjudice ainsi caractérisé par l'allocation de la somme de 200.000 F à titre de dommages-intérêts.
La société Loc Énergie qui succombe, sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts et d'indemnité au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, la société Loxam étant déchargée des condamnations prononcées par les premiers juges à son encontre lesquelles ne sont pas justifiées.
Il est inéquitable de laisser à la charge de la société Loxam les frais irrépétibles qu'elle a dû engager. Par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, la société Loc Énergie sera condamnée à lui payer une indemnité de 10.000 F.
Par ces motifs, Statuant publiquement, et contradictoirement, Infirme le jugement déféré, Dit que l'instance n'était pas périmée, Fait partiellement droit à la demande d'annulation du procès-verbal établi les 14 et 18 janvier 1993 par Maître Le Levier, Annule la partie de ce procès-verbal qui commence par " Monsieur Joly m'a précisé : ... " et s'achève par " , et aucun avec la DDE Angers Sud " (cf. Page 3) ; Dit que la société Loc Énergie s'est rendue coupable de concurrence déloyale envers la société Loxam, La condamne en conséquence à payer à la société Loxam la somme de 200.000 F à titre de dommages-intérêts, La condamne en outre à lui payer une somme de 10.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, Décharge la société Loxam des condamnations prononcées à son encontre, Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires, Condamne la société Loc Énergie aux dépens de première instance et d'appel qui pour ces derniers, seront recouvrés par la SCP Chatteleyn et George, Avoué conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.