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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch. civ., 5 mars 1998, n° 94-4628

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Europe Sailing (SARL)

Défendeur :

Association Europe Nautisme, Baurens

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dragon

Conseillers :

Mme Coux, M. Semeriva

Avoués :

SCP Aube Martin, Bottai, Gereux, SCP Cohen

Avocats :

Mes Drouillat, Burtez-Doucede.

TGI Marseille, du 10 janv. 1994

10 janvier 1994

Faits et procédure

En raison de circonstances exactement relatées par les premiers juges dont la Cour adopte l'exposé, la SARL Europe Sailing a assigné le 27 novembre 1992 devant le Tribunal de Grande Instance de Marseille l'Association Europe Nautisme et son Président, Monsieur Georges Baurens, afin, notamment, d'obtenir le changement de dénomination sociale et le paiement de différentes sommes en réparation de divers chefs de préjudice.

Par jugement du 10 janvier 1994, cette juridiction l'a déboutée de ses prétentions, débouté Monsieur Baurens de sa demande reconventionnelle pour procédure abusive et dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

La SARL Europe Sailing, qui a relevé appel de cette décision le 7 février 1994, procédure arrêtée sous le numéro : 94-4628, fait valoir par conclusions déposées le 6 juin 1994 ;

- que le tribunal a fait application à tort de règles relatives aux marques complexes en exigeant au surplus la preuve d'un préjudice, alors qu'il s'agit d'une usurpation de dénomination sociale qui s'apprécie selon les ressemblances ;

- qu'en l'espèce, les dénominations " Europe Sailing " et " Europe Nautisme " présentent des ressemblances visuelle, sonore et conceptuelle, et donc, un risque de confusion, l'activité des deux entités étant identique ;

- qu'une telle usurpation est constitutive de concurrence déloyale ;

- qu'en outre, l'Association Europe Nautisme fondée par Monsieur Baurens, son ancien Président Directeur Général, s'est domiciliée BP 214, Marseille, son ancien siège social ;

- que l'association a tenté de récupérer les adhérents du club de plaisanciers qu'elle gérait, le club Transat des Alizés " TDA ", en diffusant une circulaire d'information sur ses activités ;

- que Monsieur Baurens a fait savoir que les adhérents du club TDA à jour de leur cotisation 1992 étaient dispensés de celle-ci dans la nouvelle association ;

- que le préjudice consécutif à l'usurpation de dénomination sociale et au détournement de clientèle devra être indemnisé par l'allocation de la somme de 450 000 F à titre de dommages-intérêts, somme qui devra être mise également à la charge in solidum de Monsieur Baurens qui est à l'origine de la création de l'association et de la diffusion de la circulaire.

La société appelante demande ainsi à la Cour de réformer le jugement attaqué, d'ordonner le changement de dénomination sous astreinte, de condamner in solidum les défendeurs au paiement de la somme de 450 000 F avec intérêts au taux légal à compter de la date d'assignation, d'ordonner la publication du présent arrêt et de les condamner in solidum au paiement de la somme de 50 000 F au titre des frais irrépétibles.

Par conclusions déposées le 16 novembre 1994, l'Association Europe Nautisme et Monsieur Baurens expliquent tout d'abord :

- que les membres fondateurs de l'Association Transat des Alizés avaient constitué une SARL Transat des Alizés dont les associés avaient confié la gestion de son club à la SARL Europe Sailing, société dont Monsieur Baurens était le gérant associé à concurrence de 51 % des parts ;

- que le 19 mars 1992, Monsieur Baurens a cédé ses parts et 10 % de celles de Transat des Alizés à Monsieur Kenedi qui souhaitait reprendre l'association et les deux SARL mais qui n'a pu prendre le contrôle que de la SARL Europe Sailing ;

Les intimés soutiennent ensuite :

- que la SARL Europe Sailing et l'Association Europe Nautisme ne se font pas concurrence puisque, ainsi qu'il résulte d'un projet d'accord faisant expressément la distinction entre courses transatlantiques et rallyes, la première gère exclusivement la course la Transat des Alizés et la seconde est ouverte aux plaisanciers qui veulent participer à des rallyes, bien que ces deux concepts aient été assimilés par une récente décision rendue le 20 septembre 1994 par le Tribunal de Grande Instance de Marseille, décision frappée d'appel sous le numéro 94-19619 ;

- que la SARL Europe Sailing ne peut pas organiser de courses, aux termes du contrat du 7 juillet 1989 signé entre la SARL Transat des Alizés et elle ;

Les intimés font valoir par conclusions déposées le 22 novembre 1995 :

- qu'en ce qui concerne la prétendue usurpation de la dénomination sociale, les motifs de la décisions déférée devront être adoptés ;

- que Monsieur Kenedi avait demandé lui-même à Monsieur Baurens de continuer à gérer le club TDA et Europe Sailing dans l'attente de la mise en place de la nouvelle organisation ;

- qu'il avait été convenu que les membres du club TDA à jour de leur cotisation 1992 bénéficieraient des mêmes avantages que les adhérents d'Europe Nautisme sans être dans l'obligation de régler une autre cotisation ;

- que d'accord avec Monsieur Kenedi, Monsieur Baurens a assuré bénévolement la transition et que ce n'est qu'après la rupture définitive de ses négociations avec TDA en septembre 1992 que le premier a engagé son action ;

- que la somme de 450 000 F est demandée dans les deux procédures pendantes devant la Cour.

Les intimés demandent ainsi, outre la confirmation de la décision déférée, la condamnation de la société appelante au paiement de la somme de 250 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et de celle de 50 000 F en vertu des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

La SARL Europe Sailing observe, par conclusions déposées le 19 décembre 1997, que les intimés n'ont versé aucune pièce à l'appui de leurs allégations et qu'ils avaient expressément reconnu les agissements de concurrence déloyale qui leur sont reprochés et avoir repris en juin 1992 la totale gestion du club TDA qui était son activité.

L'instruction a été déclarée close le 5 janvier 1998 en cet état de la procédure.

Motifs de la décision

Attendu que la recevabilité de l'appel n'est pas contestée ; qu'en l'absence de fin de non-recevoir susceptible d'être relevée d'office, il convient de le déclarer recevable ;

Attendu, sur le fond, que l'action en concurrence déloyale implique, outre l'existence de deux entreprises, celle d'une situation de concurrence ; qu'en l'espèce l'action est diligentée par une société commerciale à l'encontre d'une association dont la SARL Europe Sailing ne démontre pas que l'activité réelle est contraire aux dispositions de l'article 1er de la loi du 1er juillet 1901 qui prévoit que le but poursuivi doit être autre de partager des bénéfices ; qu'il ressort de la circulaire à en tête " Association de propriétaires de bateau de plaisance " " Europe Nautisme " versée aux débats que le but en l'espèce poursuivi est celui de permettre aux adhérents ainsi regroupés d'obtenir des remises de la part des fournisseurs ;

Attendu ensuite que la différence de statut juridique des deux entités prétendument concurrentes rend encore plus inexistant le risque de confusion entre les dénominations " Europe Nautisme " et " Europe Sailing " ;

Qu'il est peu sérieux de soutenir qu'elles se ressemblent sur les plans visuel, sonore et " conceptuel " alors que si un consommateur d'attention moyenne, mais possédant quelques rudiments de la langue anglaise, peut en déduire un rapport avec la navigation, le nom anglais " Sailing " (voile selon l'édition 1996 du dictionnaire Harper's Shorter) ne présente aucune analogie visuelle ou phonétique avec " Nautisme ", le nombre de syllabes étant différent ainsi que leur prononciation ; que l'utilisation du vocable " Europe " dans les deux cas n'accentue en aucune façon la ressemblance entre les deux dénominations prises dans leur ensemble, chacune d'entre elles conservant son identité propre, Nautisme se traduisant en anglais, selon le même ouvrage, non pas par " Sailing ", mais par " Water Sports " ;

Attendu sur le prétendu détournement de " clientèle ", qu'il s'agit non pas de la clientèle de la SARL Europe Sailing mais des adhérents de l'Association Transat des Alizés qui avait seulement mis à la disposition de la SARL Transat des Alizés, aux termes du contrat du 1er juillet 1989, le nom et le concept des courses Transat des Alizés ainsi que l'exploitation de leurs implications commerciales.

Que pour le surplus la Cour adopte les motifs pertinents des premiers juges dont la décision doit être confirmée en toutes ses dispositions y compris en ce qu'elle a débouté Monsieur Baurens de sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive ;

Qu'il sera fait application des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile au profit des intimés dans la mesure indiquée au dispositif ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et par arrêt contradictoire, Reçoit l'appel, Confirme le jugement entrepris, Condamne la SARL Europe Sailing au paiement de la somme totale de 10 000 F (dix mille francs) sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, La condamne aux dépens d'appel et autorise la SCP Cohen, titulaire d'un office d'avoué, à recouvrer directement ceux dont elle a fait l'avance sans recevoir provision.