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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 5 mars 1998, n° 7912-94

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Axe Majeur Automobiles (SA), Bonnefoy (Epoux), Saab France (SA)

Défendeur :

Apart (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gallet

Conseillers :

MM. Boilevin, Raffejealjd

Avoués :

SCP Jupin Algrin, SCP Lambert- Debray-Chemin, SCP Gas

Avocats :

Mes Kuzmiak, de Plater, Mouzon.

T. com. Pontoise, du 3 mai 1994

3 mai 1994

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

La société Apart, reprochant à ses anciens salariés, les époux Bonnefoy, d'avoir constitué une société concurrente dénommée Axe Majeur Automobiles (AMA), d'avoir obtenu auprès de la société Saab la distribution de véhicules de cette marque, d'avoir détourné des commandes de véhicules d'occasion, d'avoir pillé sa clientèle, d'avoir débauché son personnel, d'avoir copié ses fichiers et sa comptabilité, et d'avoir entretenu la confusion entre les deux sociétés, a, par actes d'huissier successifs des 29 octobre et 3 novembre 1993, fait assigner respectivement la société AMA et les époux Bonnefoy, d'une part, et la société Saab France, d'autre part, aux fins de les voir condamner "conjointement et solidairement" au paiement de la somme de 3.500.000,00 F en réparation de son préjudice découlant de ces actes de concurrence déloyale.

Par jugement en date du 3 mai 1994, le tribunal de commerce de Pontoise a condamné solidairement la société Axe Majeur Automobiles et les époux Bonnefoy à payer à la société Apart la somme de 500.000 F à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale, les a déboutés de leur demande reconventionnelle, a débouté la société Apart de son action contre la société Saab France et a débouté cette dernière de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts.

Le tribunal a considéré qu'aucune faute ne pouvait être retenue à l'encontre de la société Saab France qui, au demeurant, n'avait aucune relation contractuelle avec la société Apart. Par ailleurs, il a estimé que cette dernière société ne pouvait reprocher aux époux Bonnefoy et à la société Axe Majeur Automobiles d'avoir conclu un contrat de concession avec la société Saab France. En revanche, il a retenu des faits de concurrence déloyale imputables à la société Axe Majeur Automobiles et aux époux Bonnefoy, à savoir le débauchage du personnel et le détournement de la clientèle de la société Apart, ajoutant que les époux Bonnefoy ont confondu leur qualité de salariés et d'associés de cette société avec leur qualité de futurs actionnaires de la société Axe Majeur Automobiles et ont entretenu la confusion entre les deux sociétés auprès de la clientèle.

Par conclusions signifiées le 19 décembre 1994, la société Axe Majeur Automobiles et les époux Hervé et Mireille Bonnefoy, appelants de ce jugement, rappellent ne pas être à l'origine de la non-réalisation du projet d'installation d'une concession Saab envisagé entre les époux Bonnefoy et les époux Lyonnet, tous associés de la société Apart, ces derniers en étant seuls responsables. Ils demandent à la cour de :

- recevoir les concluants en leur appel,

- réformer la décision entreprise,

- débouter la société Apart de l'ensemble de ses prétentions,

- condamner la société Apart à payer aux concluants une somme de 100.000 F (cent mille francs) à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, les associés de droit ou de fait ayant fait dégénérer en abus leur droit d'ester en justice, et également en application de l'article 700 du NCPC;

- condamner la société Apart aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec autorisation pour ces derniers, donnée à Maître Jupin, avoué près la cour d'appel de Versailles, de les recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.

Par conclusions signifiées le 17 octobre 1995, la société Apart rappelle avoir été constituée entre d'une part, M. Bonnefoy, et, d'autre part, M. Lyonnet, concessionnaire non exclusif Saab à Argenteuil, dans le cadre d'une société Auto Dis, pour exercer une concession Saab à Pontoise, mais que, M. Lyonnet n'ayant pas voulu poursuivre le projet, Monsieur et Madame Bonnefoy ont créé la société Axe Majeur Automobiles qui embaucha huit de ses salariés, qui détourna deux commandes qu'elle avait reçues, qui pilla sa clientèle et qui s'empara d'un panneau Saab pour le réinstaller dans ses propres locaux. Elle indique avoir subi un préjudice important découlant de ces actes de concurrence déloyale.

Elle ajoute qu'en refusant de livrer à la société Auto Dis par l'intermédiaire de laquelle elle-même assurait la distribution des véhicules Saab et en transférant les commandes au profit de la société AMA, la société Saab a commis une faute, de même qu'en accordant une subvention aux époux Bonnefoy et à la société AMA en formation, alors qu'elle savait que M. Bonnefoy était un de ses salariés, et en favorisant le débauchage de son personnel. Elle demande à la cour de :

- déclarer recevables mais partiellement mal fondés la société AMA et les époux Bonnefoy en leur appel,

Faisant droit à son appel incident,

- confirmer le principe de la condamnation de la société AMA et des époux Bonnefoy,

infirmant pour le surplus la décision attaquée,

statuant à nouveau,

- condamner au même titre la société Saab France,

- condamner conjointement et solidairement la société AMA, Monsieur et Madame Bonnefoy et la société Saab France à lui payer à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale la somme de 3.500.000 F assortie des intérêts de droit à compter du 29 octobre 1993, date de l'assignation introductive d'instance et ce le cas échéant à titre de dommages et intérêts complémentaires ;

- ordonner la capitalisation des intérêts, échus depuis plus d'un an,

- condamner sous la même solidarité la société AMA, les époux Bonnefoy et la société Saab France au paiement d'une somme de 50.000 F (cinquante mille francs) sur le fondement de l'article 700 du NCPC qui s'ajoutera à l'indemnité accordée par les premiers juges ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés par la SCP Lambert Debray Chemin, avoués à la cour dans les conditions de l'article 699 du NCPC.

Par conclusions signifiées le 27 février 1996, la société Saab France, appelante incidente, indique que la société Apart n'est investie d'aucun droit de distribuer les voitures de sa marque à Pontoise, et rappelle qu'elle s'est réservée le droit de nommer un concessionnaire sur le secteur si ses conditions n'étaient pas respectées par la société Apart. Elle se réfère au jugement, mais invoque le caractère abusif des demandes de la société Apart. Elle demande à la cour de :

I - confirmer le jugement du 3 mai 1994, en ce que le tribunal de commerce de Pontoise a, par ce jugement :

- débouté la société Apart de toutes ses demandes à l'encontre de la société Saab France,

- mis Saab France hors de cause,

- et a condamné la société Apart au paiement d'une indemnité de 30.000 F (trente mille francs) au profit de la société Saab France au titre de l'article 700 du NCPC ;

II - déclarer la société Apart mal fondée en son appel incident,

- débouter la société Apart de ses demandes, défenses, fins et conclusions dirigées contre la société Saab France,

- rejeter l'allégation des autres parties à l'instance d'après laquelle la société Apart aurait été détentrice du panneau Saab en qualité d'agent, cette qualité d'agent étant formellement contestée par la société Saab France ;

III - recevoir son appel incident et condamner la société Apart à lui payer des dommages et intérêts d'un montant de 200.000 F (deux cent mille francs) pour procédure abusive à son encontre ;

En toute hypothèse, condamner la société Apart au paiement d'une indemnité de 20.000 F (vingt mille francs) à la société Saab France sur le fondement de l'article 700 du NCPC ;

- et condamner la société Apart aux entiers dépens de première instance et d'appel, lesquels seront recouvrés par la SCP Gas, avoués à la cour conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.

Par conclusions signifiées le 3 janvier 1997, la société Axe Majeur Automobiles et les époux Bonnefoy indiquent que ces derniers et les époux Lyonnet se sont mis d'accord pour mettre un terme à leur projet d'association pour l'obtention et l'exploitation d'une concession exclusive Saab à Pontoise, aboutissant à la création de la société Axe Majeur Automobiles par les époux Bonnefoy, à la cession aux époux Lyonnet des parts de la société Apart détenues par les époux Bonnefoy et à la répartition et au transfert du personnel.

Ils s'attachent à réfuter les actes de concurrence déloyale qui leur sont reprochés et contestent l'évaluation faite par le tribunal du préjudice de la société Apart. Ils demandent à la cour de :

- les recevoir en leurs appels et les y déclarer bien fondés,

En conséquence,

- infirmer le jugement rendu le 3 mai 1994 par le tribunal de commerce de Pontoise en ce qu'il les a condamnés solidairement à payer à la société Apart la somme de 500.000 F (cinq cent mille francs) pour concurrence déloyale et celle de 30.000 F (trente mille francs) au titre de l'article 700 du NCPC ;

- constater qu'il existait entre M. et Mme Bonnefoy, d'une part et M. et Mme Lyonnet d'autre part, un accord pour que les premiers deviennent concessionnaires Saab indépendants des seconds ;

- constater que cet accord, exprimé par la gérante de la société Apart et confirmé dans les écritures de cette dernière, exclut tout caractère déloyal de l'éventuelle concurrence entre les entreprises en cause ;

- dire et juger que le départ du personnel, embauché par la suite par la société Axe Majeur Automobile a été accepté par la société Apart et n'a aucun caractère fautif ;

- dire et juger qu'aucun autre acte fautif n'a été commis par M. et Mme Bonnefoy ou par la société Axe Majeur Automobile ;

- constater que la société Apart ne justifie d'aucun frais de "reconstitution d'une équipe" non plus que d'un préjudice en liaison avec les faits par elle invoqués ;

- la débouter en conséquence de toutes ses demandes, fins et conclusions et, notamment de son appel incident ;

- la condamner au paiement de la somme de 50.000 F (cinquante mille francs) au titre de l'article 700 du NCPC ;

- la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec autorisation pour ces derniers, donnés, à Maître Jupin, avoué près la cour d'appel de Versailles, de les recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.

Par conclusions signifiées le 22 avril 1997, la société Apart rappelle les fautes commises, notamment par la société Saab France qui s'était engagée à lui proposer un contrat de concession et, dans le même temps, négociait avec les époux Bonnefoy et la société AMA. Elle précise que cet engagement l'a déterminée à réaliser l'acquisition d'un fonds de commerce et que, en rompant brutalement et abusivement les pourparlers, la société Saab France a eu également une attitude fautive. Elle demande à la cour de :

- lui adjuger le bénéfice de ses précédentes écritures,

- Y ajoutant,

- dire et juger qu'en s'engageant à lui proposer la signature d'un contrat de concession, en lui accordant une subvention, la convaincant ainsi de faire l'acquisition d'un fonds de commerce, pour ensuite refuser cette signature et refuser d'honorer les commandes passées, la société Saab France a engagé sa responsabilité délictuelle, aggravant celle-ci en se rendant co-auteur ou complice de la concurrence déloyale à l'origine de laquelle se sont trouvés la société AMA et les époux Bonnefoy ;

- en conséquence, condamner conjointement et solidairement la société AMA, M. et Mme Bonnefoy et la société Saab France à payer à la société Apart à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, la somme de 3.500.000 F assortie des intérêts de droit à compter du 29 octobre 1993, date de l'assignation introductive d'instance et ce le cas échéant à titre de dommages et intérêts complémentaires ;

- ordonner la capitalisation des intérêts échus depuis plus d'un an,

- condamner sous la même solidarité la société AMA, les époux Bonnefoy et la société Saab France au paiement d'une somme de 50.000 F (cinquante mille francs) sur le fondement de l'article 700 du NCPC qui s'ajoutera à l'indemnité accordée par les premiers juges ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés par la SCP Lambert Debray Chemin, avoués à la cour dans les dispositions de l'article 699 du NCPC.

Par conclusions signifiées le 6 mai 1997, la société Saab France soutient avoir toujours répondu à M. Lyonnet - société Auto Dis et privilégié ses relations avec ces derniers, et conteste tout engagement à l'égard de la société Apart

La procédure a été clôturée par une ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 23 septembre 1997, et l'affaire a été plaidée à l'audience du 3 décembre 1997.

Sur ce, LA COUR,

Sur l'action de la société Apart à l'encontre de la société Axe Majeur Automobiles et des époux Bonnefoy :

Considérant qu'il est constant, comme ressortant des pièces et des affirmations concordantes des parties, que, fin 1990-début 1991, MM. Lyonnet et Bonnefoy ont envisagé ensemble l'exploitation d'une concession Saab, à Pontoise, sous la forme d'une société commerciale à créer ; qu'ils ont ainsi constitué, par acte sous seings privés du 26 novembre 1991, une société à responsabilité limitée, dénommée Apart, dont ils détenaient chacun, pratiquement, la moitié du capital social, dont le début d'activité a été fixé au 4 décembre 1991, dont les époux Bonnefoy sont devenus salariés et dont Mme Lyonnet a été désignée gérante ; que la société, alors en cours de constitution, a acquis, le 12 novembre 1991, un fonds de commerce de garage, situé 79 bis rue de Gisors, à Pontoise ; qu'au vu des exigences de la société Saab France quant aux caractéristiques des locaux, MM. Lyonnet et Bonnefoy ont projeté une extension des locaux, puis ont envisagé la constitution d'une autre société dénommée Automobiles Axe Majeur pour l'exploitation de locaux mieux adaptés, situés 83 rue de Rouen ; qu'en définitive, le 15 décembre 1992, a été constituée, entre les époux Bonnefoy, détenteurs de presque l'intégralité du capital social, et d'autres actionnaires, une société anonyme, dénommée Axe Majeur Automobiles, dont le siège social et le lieu d'activité ont été fixés 11 avenue du maréchal Delattre de Tassigny, et dont M. Hervé Bonnefoy a été nommé président directeur général ;

Considérant qu'il ressort clairement des courriers de la société Saab France, en date des 11 et 25 juillet 1991, 28 août, 15 octobre et 19 novembre 1991, 10 janvier et 5 février 1992, adressés à la société Auto Dis soit à l'attention de M. Lyonnet soit à l'attention de MM. Lyonnet et Bonnefoy, que les locaux situés au 79 bis rue de Gisors ne correspondaient pas au standard minimum pour obtenir la concession de la marque ; que cette situation a conduit les intéressés à rechercher un autre lieu pour satisfaire aux exigences du constructeur Saab et à envisager la constitution d'une autre société qui pourrait être concessionnaire; que cette nouvelle perspective a été concrétisée par la conclusion d'un protocole d'accord, consécutif à une réunion en date du 22 juin 1992, signé à la fois par M. Bonnefoy et par M. Lyonnet, tous deux "agissant en qualité de gérants" de la société Automobiles Axe Majeur, par lequel étaient prévues les modalités de financement de cette nouvelle société et les garanties financières que devaient apporter ses promoteurs; qu'il est ainsi manifeste que, dès ce moment, M. Lyonnet avait renoncé à ce que la société Apart soit concessionnaire de la marque Saab ;

Que le document manuscrit, non daté, dont il n'est pas contesté qu'il émane de Mme Lyonnet, en sa qualité de gérante de la société Apart, ainsi rédigé : "JF ne voit pas d'inconvénient à ce que vous fassiez Axe Majeur tout seul. A ce moment-là, on pourrait reprendre vos parts sur Apart et le garder pour nous. Il faut voir comment l'on peut faire sur le plan administratif et fiscal et aussi avec le personnel. Qui va où ? Si vous en êtes d'accord, le mieux serait de faire vite, afin que chacun sache où il va et puisse s'organiser au mieux. JF a finalement fort bien pris la chose. Je crois qu'il s'est rendu compte que 3 c'était vraiment trop. Et puis en ce moment, il en a marre de tout et ça le décharge d'un problème. Tant mieux pour moi et j'espère aussi pour vous.", établit que M. Jean-François Lyonnet s'est désengagé du projet de constitution de la nouvelle société; que, si ce document ne comporte pas de date, il se situe nécessairement entre la fin juillet 1992 et le 5 novembre 1992, puisque, d'une part, une lettre du 17 juillet 1992 du Crédit Agricole, adressée à la société Apart, fait état de la nécessité d'un cautionnement solidaire des époux Bonnefoy et des époux Lyonnet pour garantir le prêt destiné au "financement de travaux de transformation et d'aménagement d'un local commercial pour la création d'une concession Saab" dans les locaux appartenant aux consorts Lefebvre, 11 avenue Delattre de Tassigny, futur siège de la société Axe Majeur Automobiles en projet, et d'autre part, la lettre du 4 décembre 1992 de la société Saab mentionne la date de la réunion du 5 novembre 1992 au cours de laquelle M. Bonnefoy a fait part du désistement de M. Lyonnet ; que, cependant, d'autres éléments permettent d'en préciser la date pour la situer entre le 27 octobre et le 5 novembre 1992 ; qu'en effet, l'attestation, non sérieusement critiquée et dont rien ne permet de mettre en doute la sincérité, en date du 14 novembre 1995, émanant des consorts Lefebvre, révèle que M. Lyonnet a participé aux réunions de travail qui ont eu lieu successivement les 22 juillet, 8 septembre et 21 octobre 1992, relatives à la discussion des conditions du bail commercial afférents aux locaux devant être occupés par la société Axe Majeur Automobiles ;

Que la lettre du 27 octobre 1992 de la société Saab France. adressée à la société Auto Dis, qui fait référence à la visite commune des locaux, le 21 octobre 1992, est à l'attention de Messieurs Lyonnet et Bonnefoy ; qu'il est ainsi acquis qu'à cette époque de recherche de locaux appropriés destinés à l'activité de la nouvelle société à créer ou en cours de constitution, l'un et l'autre se trouvaient encore concernés par ce projet, étant noté que rien ne permet de penser que M. Lyonnet n'a pas eu connaissance de ce courrier alors qu'il ne conteste pas avoir reçu les précédents adressés de manière identique ; que celui-ci ne conteste d'ailleurs pas avoir conclu, à la même époque, un contrat de concession pour la marque Dahaïtsu ;

Que, eu égard à cette chronologie, à la nouvelle perspective née du projet commun de MM. Bonnefoy et Lyonnet de constituer la société Axe Majeur Automobiles pour être concessionnaire Saab, puis au désengagement de M. Lyonnet au moment de la concrétisation de ce projet qui avait reçu l'accord conditionnel de la société Saab France, la société Apart ne saurait invoquer les actes de concurrence déloyale qu'elle impute aux époux Bonnefoy et à la société Axe Majeur Automobiles ;

Qu'en effet, il résulte des développements précédents, d'une part, que l'objectif essentiel et initialement commun à MM. Bonnefoy et Lyonnet de l'implantation d'une structure commerciale à Pontoise était l'exploitation, en cette ville, d'une concession Saab animée principalement par M. Bonnefoy, et d'autre part, que la constitution de la société Axe Majeur Automobiles n'est pas intervenue à l'insu des époux Lyonnet, qu'il faut souligner, à nouveau, qu'avec leur accord, elle devait même, en définitive, être la bénéficiaire de la concession Saab aux lieu et place de la société Apart ;

Que, dès lors, comme l'a, à bon droit, décidé le tribunal, les époux Lyonnet ne sont pas fondés à reprocher aux époux Bonnefoy et à la société Axe Majeur Automobiles d'avoir détourné à leur profit les négociations en vue de l'obtention de la concession Saab, étant noté que la société Saab France n'avait pris aucun engagement à cet égard avec la société Apart qui n'a assuré la commercialisation de véhicules Saab, sans droits acquis, que par l'intermédiaire de la société Auto Dis gérée par M. Lyonnet, à Argenteuil, ainsi que cela ressort notamment du courrier du 5 février 1992 de la société Saab France, laquelle s'était réservée la possibilité de rechercher un concessionnaire sur le secteur; que, pour des raisons similaires, ne sauraient être retenus comme caractérisant des actes de concurrence déloyale, ni l'enlèvement de panneaux publicitaires Saab ni la suppression de l'indication "Saab concessionnaire" au regard des coordonnées du minitel, à l'usage desquels la société Apart n'avait aucun droit, étant rappelé, sur ce dernier point, que M. Bonnefoy, qui a signé la demande adressée à France Telecom avant la remise de sa démission, avait jusqu'alors délégation de signature pour le compte de la société Apart ;

Que, s'agissant du transfert du personnel de la société Apart vers la société Axe Majeur Automobiles, qualifié de débauchage par les époux Lyonnet, il convient de relever, contrairement à l'appréciation du tribunal, que les attestations des nommés Bruno Dolle, Giuseppe Scavone et Sébastien Giordano, selon lesquelles ils avaient été embauchés au sein de la société Apart pour, outre leurs liens personnels avec les époux Bonnefoy, suivre ou travailler sur les véhicules de marque Saab, se trouvent confortées par le dossier de création d'une concession automobile Saab" constitué pendant le premier semestre 1991 à l'attention de la société Saab France, en vue de la présentation du projet d'exploitation de cette marque, et où, dans la rubrique 4 - la structure, on peut lire : "1 responsable après-vente et magasin et 1 mécanicien-électricien (d'ores et déjà recrutés)" ;

Qu'au demeurant, ce transfert est en cohérence avec la teneur du document manuscrit établi par Mme Lyonnet et précédemment évoqué, qui laisse entendre la perspective d'un accord sur le sort du personnel ; qu'il faut, d'ailleurs, observer que les époux Lyonnet ne justifient pas de protestations lors de la démission des salariés concernés, et ont même accepté, au nom de la société Apart, le versement d'une indemnité pour non-respect du préavis pour l'un de ces salariés;qu'a fortiori, le départ des époux Bonnefoy est conforme au rôle qui leur avait été consensuellement dévolu dans l'animation de la concession Saab lorsqu' avait été envisagée la constitution de la société Automobiles Axe Majeur ;

Que, pareillement, les époux Lyonnet et la société Apart ne justifient pas du détournement de deux commandes de véhicules Saab neufs par la société Axe Majeur Automobiles; que, comme l'a, à juste titre, relevé le tribunal, ils ne prouvent pas, au vu des documents produits, que la commande de M. Hebert, exécutée par la société Axe Majeur Automobiles, ait été faite auprès de la société Apart, le bon de commande, daté du 8 décembre 1992, jour de la lettre de démission de M. Bonnefoy, ayant été signé par ce dernier seul, sans mention de la société Apart, ni que cette dernière ait adressé ladite commande à la société Saab ; qu'il en est de même de la commande de M. Orsal, également exécutée par la société Axe Majeur Automobiles, dès lors que le document, présentant la mention "confirmation de commande", émanant de la société Lease France, daté du 29 décembre 1992, qui paraît effectivement comporter le timbre humide de la société Apart, ne comporte pas la signature de Monsieur ou de Madame Lyonnet telle qu'elle apparaît sur certaines pièces soumises à la cour, et présente, comme l'autre document de la même date et à l'attention de M. Bonnefoy, le terme Aximage que l'on peut remarquer sur la lettre adressée, le 26 novembre 1990, à M. Bonnefoy personnellement par la société Saab (cf. pièce 2 - SCP Gas), étant ajouté que les époux Lyonnet ne rapportent la preuve d'aucune démarche auprès de la société Saab aux fins d'honorer ladite commande ;

Que, eu égard à la lettre datée du 7 janvier 1993, émanant de la société Beaunier Transports qui "demande expressément M. Bonneffoy de bien vouloir conserver, dans nouvelle société, la garde et la vente des quatre véhicules ci-dessous désignés, que nous vous avons personnellement confiés il y a quelques jours", et en l'absence d'une preuve contraire permettant d'établir qu'ils avaient été remis à la société Apart, la reprise de ces véhicules par la société Axe Majeur Automobiles ne peut être qualifiée d'acte de concurrence déloyale ni ne revêt un caractère fautif démontré, étant noté qu'à cette époque les époux Lyonnet ne pouvaient ignorer l'activité autonome de M. Bonnefoy qu'il en est de même du prêt à un tiers d'un véhicule Saab appartenant à la société Apart par M. Bonnefoy qui l'a, en définitive, acquis auprès de la société Auto Dis, ainsi que cela est établi par la facture d'achat, sans que les circonstances de "l'emprunt" initial soient clairement définies ; que, s'agissant de la détention du listing de la comptabilité de la société Apart, comprenant, selon le constat d'huissier du 26 avril 1993, les fournisseurs et la clientèle, la preuve n'est pas rapportée d'un usage qui aurait pu en être fait au détriment de cette société, de sorte qu'aucun préjudice n'est caractérisé ; qu'il en va pareillement de la vente par la société Axe Majeur Automobiles des deux voitures d'occasion confiées par la société Sambre et Meuse en vue de la revente, en septembre 1992, à M. Bonnefoy qui en avait assuré la prise en charge au nom de la société Apart, ainsi que cela ressort du courrier établi, le 20 novembre 1992, sur un papier à l'en-tête de cette entreprise, mais dont il ressort de l'attestation, en date du 23 novembre 1993, de la société propriétaire que, n'ayant pas été vendues par la société Apart, elles ont été transférées, par la société Sambre et Meuse elle-même, dans les locaux de la société Axe Majeur Automobiles, sans qu'un comportement fautif prouvé de la part de cette dernière ou des époux Bonnefoy soit à l'origine de cette décision ;

Qu'enfin, aucun autre agissement fautif caractérisé n'est démontré à l'encontre des appelants, non plus qu'un préjudice susceptible d'en être résulté, étant rappelé que, dès la fin octobre au plus tard, les époux Lyonnet avaient parfaitement connaissance de la concrétisation du projet de constitution d'une société distincte, poursuivi par les époux Bonnefoy parallèlement à leur activité salariée au sein de la société Apart, en vue de l'exploitation de la concession Saab ;

Que, dans ces conditions, il convient d'infirmer le jugement entrepris et de débouter les époux Lyonnet et la société Apart de leurs demandes ;

Sur l'action de la société Apart à l'encontre de la société Saab France ;

Considérant que, compte tenu des développements précédents, il ne saurait être reproché à la société Saab France d'avoir participé aux ou favorisé les actes de concurrence déloyale prétendument commis par la société Axe Majeur Automobiles ou les époux Bonnefoy, étant ajouté que le libellé et la teneur de ses courriers montrent qu'elle en a toujours rendu destinataire ou tenu informé M. Lyonnet tant qu'elle a pu considérer qu'il restait associé aux démarches relatives à l'exploitation de la concession de sa marque, aucune preuve d'un comportement fautif n'étant par ailleurs rapportée ; qu'en particulier, il a déjà été précisé qu'elle n'a pas entretenu l'illusion de la concession de sa marque à la société Apart dont les locaux n'ont pas recueilli son adhésion ;

Qu'il ne peut davantage lui être imputé une conduite dolosive ou une rupture abusive des pourparlers relatifs, à la concession de sa marque puisque ses courriers subordonnaient clairement une telle perspective à la réalisation de travaux et à la fourniture de garanties, en se réservant la possibilité de rechercher et de nommer un autre concessionnaire sur le secteur; qu'ayant appris le désengagement de M. Lyonnet, elle a été fondée à ne traiter, postérieurement, qu'avec M. Bonnefoy ;

Que le jugement entrepris doit donc être confirmé sur ce point ;

Considérant que le caractère abusif de la procédure introduite par la société Apart n'est pas démontré, eu égard au contexte des relations liant les parties ;

Considérant que l'équité ne commande pas l'application de l'article 700 du NCPC ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ; Déclare recevables l'appel principal formé par la société Axe Majeur Automobiles et les époux Bonnefoy, et les appels incidents formés par la société Apart et la société Saab France ; Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Apart à payer à la société Saab France la somme de 20.000 F (vingt mille francs) sur le fondement de l'article 700 du NCPC, et en ce qu'il s condamné solidairement la société Axe Majeur Automobiles et les époux Bonnefoy à payer à la société Apart la somme de 500.000 F (cinq cent mille francs) à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale et celle de 30.000 F (trente mille francs) au titre de l'article 700 du NCPC, ainsi qu'aux dépens ; Et statuant à nouveau, dans cette limite ; Déboute la société Apart de ses demandes ; Confirme les autres dispositions du jugement entrepris ; Condamne la société Apart aux entiers dépens de première instance et d'appel, qui, pour ces derniers, pourront être recouvrés directement, chacun pour ce qui la concerne, par la SCP Gas et par la SCP Jupin et Algrin ; Déboute les parties de leurs conclusions contraires ou plus amples.