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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 11 février 1998, n° 96-06892

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

CAP Friedland (Sté), Club des Acheteurs Privilégiés (Sté)

Défendeur :

Marie-Christine de la Rochefoucauld Elinas (Sté), de la Rochefoucauld

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Duvergnier

Conseillers :

Mme Mandel, M. Lachacinski

Avoués :

SCP Bernabé Ricard, SCP Hardouin, Le Bousse

Avocats :

Mes Lamoureux, Stenger

TGI Paris, 3e ch., 1re sect., du 29 nov.…

29 novembre 1995

Statuant sur l'appel interjeté par les sociétés Cap Friedland et le Club des Acheteurs Privilégiés du jugement rendu le 29 novembre 1995 par le tribunal de grande instance de Paris (3e chambre 1re section) dans un litige l'opposant à la société Marie-Christine de la Rochefoucauld Elinas (ci-après dénommée société de la Rochefoucauld Elinas) et à Madame Marie-Christine de la Rochefoucauld et sur l'appel incident de ces dernières ;

Faits et procédure

Référence étant faite au jugement entrepris pour l'exposé des faits, de la procédure et des moyens antérieurs des parties, il suffit de rappeler les éléments essentiels suivants :

La société de La Rochefoucauld Elinas se prévalant de ses droits sur un modèle de table basse et sur un modèle de bout de canapé lesquels auraient été crées par Marie-Christine de la Rochefoucauld et faisant valoir que la société capFriedland exposait à la Semaine Internationale de la Maison et de l'Objet des modèles en reproduisant les caractéristiques, a fait procéder le 6 septembre 1994 à une saisie contrefaçon par le commissaire de police sur le stand à l'enseigne capLampada ;

C'est dans ces circonstances que la société de La Rochefoucauld Elinas et Marie-Christine de la Rochefoucauld ont par exploit en date du 20 septembre 1994 assigné devant le tribunal de grande instance de Paris les sociétés Cap Friedland et la Club des Acheteurs Privilégiés " CAP" en contrefaçon de modèles sur le fondement des Livres I et V du Code de la Propriété Intellectuelle ;

Elles sollicitaient outre des mesures d'interdiction sous astreinte, de confiscation et de publication de la décision à intervenir, la condamnation de ces deux sociétés à payer à la société de La Rochefoucauld Elinas la somme de 600 000 F à titre de dommages-intérêts et à Marie-Christine de la Rochefoucauld la somme de 500 000 F et ce avec exécution provisoire ainsi que le versement d'une indemnité de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ;

Les sociétés CAP Friedland et le Club des Acheteurs Privilégiés concluaient à l'irrecevabilité et au mal fondé de ces prétentions, sollicitaient la mainlevée des saisies pratiquées et formaient une demande reconventionnelle en nullité des modèles 278761 et 278762 déposés le 19 octobre 1989 à l'Institut National de la Propriété Industrielle et le paiement d'une somme de 150 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de celle de 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ;

Le tribunal par le jugement entrepris a :

- prononcé la nullité du procès-verbal de la saisie contrefaçon pratiquée le 6 septembre 1994 et ordonné la mainlevée de la saisie ;

- déclaré irrecevable la demande en nullité du procès-verbal de la saisie pratiquée le 30 septembre 1994 au dépôt de la société CAP au Pré-Saint-Gervais ;

- dit que les sociétés CAP Friedland et Club avaient commis des actes de contrefaçon des modèles déposés le 19 octobre 1989 par la société Elinas LR enregistrés sous les n° 896546 et dont Marie-Christine de la Rochefoucauld est l'auteur ;

- prononcé des mesures d'interdiction avec exécution provisoire sous astreinte de 10 000 F par infraction constatée passé un délai de deux mois à compter de la signification du jugement ;

- condamné les sociétés CAP Friedland et Club à payer à :

. la société de La Rochefoucauld Elinas la somme de 300 000 F ;

. Marie-Christine de la Rochefoucauld la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts et une somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

- autorisé diverses mesures de publication ;

- rejeté le surplus des demandes principales et reconventionnelles ;

Appelantes selon déclaration du 13 février 1996, les sociétés CAP Friedland et Club demandent à la Cour d'infirmer le jugement sauf en ce qu'il a ordonné la nullité de la saisie pratiquée le 6 septembre 1994 et sa mainlevée et rejeté le grief de concurrence déloyale et parasitaire et de condamner les intimées à leur payer la somme de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ;

Elles concluent à l'irrecevabilité et au mal fondé des demandes ;

La société de La Rochefoucauld Elinas et Marie-Christine de la Rochefoucauld prient la Cour de valider la saisie pratiquée le 6 septembre 1994, de dire que les sociétés appelantes ont commis des actes de concurrence déloyale et de porter le montant des dommages et intérêts à la somme de 600 000 F en ce qui concerne la société de La Rochefoucauld Elinas et à 500 000 F pour Marie-Christine de la Rochefoucauld ;

Ultérieurement elles ont conclu à ce qu'il soit jugé que la société de La Rochefoucauld Elinas est recevable à former devant la Cour une demande subsidiaire de dommages et intérêts pour concurrence déloyale et parasitaire et de condamner de ce chef les sociétés appelantes à lui payer la somme de 600 000 F à titre de dommages-intérêts ;

Enfin les intimées sollicitent le versement d'une somme de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ;

Sur ce, LA COUR

I. Sur la recevabilité

Considérant que les sociétés appelantes soutiennent d'une part que la société de La Rochefoucauld Elinas ne justifiant pas être cessionnaire des droits d'auteur sur la table et sur le bout de canapé invoqués, est irrecevable à agir en contrefaçon sur le fondement du Livre I du Code de la Propriété Intellectuelle ;

Que, d'autre part, elles font valoir que Marie-Christine de la Rochefoucauld n'établissant pas être l'auteur desdites créations est également irrecevable à agir sur ce même fondement ;

Considérant que les intimées répliquent que Marie-Christine de la Rochefoucauld démontre tant par les coupures de presse que par les témoignages mis aux débats qu'elle est la créatrice d'une collection de mobilier utilisant des livres anciens ou objets détournés, collection née courant 1989 à laquelle appartiennent les deux modèles numéros 278761 et 278762 ;

Que s'agissant de la société de La Rochefoucauld Elinas, elles exposent qu'elle est recevable à agir sur le fondement du Livre 1 du Code de la Propriété Intellectuelle dès lors qu'il est établi que Marie-Christine de la Rochefoucauld lui a cédé ses droits patrimoniaux d'auteur sur les créations en cause ;

Considérant que la recevabilité à agir de la société de La Rochefoucauld Elinas sur le fondement du Livre 1 du Code de la Propriété Intellectuelle sera examinée ci-après dans le cadre de la demande en nullité de la saisie du 6 septembre 1994 ;

Considérant qu'il est certes exact que Marie-Christine de la Rochefoucauld ne produit aucun croquis signé de sa main reproduisant les deux modèles invoqués dans le cadre du présent litige ;

Mais considérant que les articles de presse de l'année 1989 mis aux débats et l'attestation de Monsieur Fernandez confirment comme l'atteste Marie-Christine de la Rochefoucauld qu'elle est l'auteur des modèles déposés par Elinas LR sous les numéros 278761 et 278762 ;

II. Sur la validité de la saisie

Considérant qu'il est constant que seule demeure en litige la saisie du 6 septembre 1994, aucune des parties ne critiquant le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande en nullité de la saisie pratiquée le 30 septembre 1994 au dépôt de la société CAP au Pré Saint-Gervais et qui fait l'objet d'un autre litige ;

Considérant que les intimés font valoir que c'est à tort que les premiers juges ont annulé cette saisie effectuée par le commissaire de police sur le fondement de l'article L. 332-1 du Code de la Propriété Intellectuelle dans la mesure où la société de La Rochefoucauld Elinas est cessionnaire des droits patrimoniaux d'auteur sur les deux modèles invoqués.

Qu'elles ajoutent qu'il est sans portée que la réquisition ait contenu, de façon surabondante, la mention que les modèles avaient fait l'objet de dépôts au nom de la société Elinas selon la loi du 14 juillet 1909 ;

Considérant que les sociétés appelantes répliquent que la société de La Rochefoucauld Elinas ne justifiant pas être cessionnaire des droits d'auteur sur la table et sur le pied de table invoqués, ne pouvait faire procéder à une saisie contrefaçon par le commissaire de police et se devait de mettre en œuvre la procédure prévue en matière de dessins et modèles ;

Considérant ceci exposé qu'ainsi que l'admet elle-même la société de La Rochefoucauld Elinas, dont il n'est pas contesté que c'est la nouvelle dénomination sociale de la société Elinas LR, elle ne pouvait faire diligenter une saisie contrefaçon par commissaire de police qu'à condition d'être à la date de la saisie titulaire des droits patrimoniaux d'auteur sur les modèles par elle invoqués dans sa réquisition ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que la société Elinas LR est une société unipersonnelle dont Marie-Christine de la Rochefoucauld est la gérante et l'associée unique ;

Considérant que par une attestation en date du 24 juillet 1997, Marie-Christine de la Rochefoucauld a confirmé qu'elle avait cédé à la société Elinas à la date du 19 octobre 1987 ses droits patrimoniaux d'auteur sur les créations objet du dépôt effectué le même jour par cette société sous le n° 896546 dont deux n° 278761 et 278762 font l'objet du présent litige ;

Considérant que les termes de cette attestation sont confirmés par les documents publicitaires et les factures de l'année 1989 versés aux débats portant les références de la société Elinas LR, et qui même s'ils ne portent pas expressément sur les deux modèles en cause, établissent que cette société commercialisait sous son nom la collection de meubles livres créée par Marie-Christine de la Rochefoucauld ;

Que ces actes d'exploitation et cette attestation de la personne physique ayant créé les modèles font présumer, même en l'absence d'acte de cession en bonne et due forme, à l'égard des sociétés appelantes poursuivies pour contrefaçon que la société de La Rochefoucauld Elinas était titulaire à la date de la saisie des droits patrimoniaux de l'auteur sur les œuvres invoquées ;

Qu'il s'ensuit qu'à ce titre la société de La Rochefoucauld Elinas était fondée à faire procéder à une saisie contrefaçon par commissaire de police sur le fondement de l'article L. 332-1 du Code de la Propriété Intellectuelle quand bien même serait-elle titulaire par ailleurs d'un dépôt de modèles, dès lors que dans sa requête elle s'est expressément prévalue de ce que les modèles de table basse et de bout de canapé bénéficiaient de la protection de la loi du 11 mars 1957 ;

Qu'aucune disposition particulière ne lui imposait d'agir sur le fondement de l'article L. 521-1 du Code de la Propriété Intellectuelle ;

Que le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a prononcé la nullité de la saisie effectuée le 6 septembre 1994 ;

Considérant que par voie de conséquence la société de La Rochefoucauld Elinas est fondée à agir en contrefaçon sur le fondement du Livre 1 pour les motifs ci-dessus énoncés et sur le fondement du Livre V du Code de la Propriété Intellectuelle, la société Elinas LR ayant déposé à l'Institut National de la Propriété Industrielle le 19 octobre 1989 plusieurs modèles de mobilier dont un modèle de table n° 278761 et un piètement n° 278762, exposés à partir du 1er juin 1990 ;

III. Sur la validité des modèles

Considérant que les sociétés appelantes se prévalant de divers documents soutiennent que les modèles invoqués ne révèlent aucun effort créatif et ne présentent pas les caractères de nouveauté et d'originalité requis par la loi pour bénéficier de la protection accordée par les Livres I et V du Code de la Propriété Intellectuelle ;

Que selon elles le recours à des piles de livres en bois peint, en trompe l'oeil, pour constituer et décorer des articles mobiliers, procède d'un style d'ameublement déjà très ancien et que les modèles opposés ne possèdent pas de caractéristiques spécifiques qui les distinguent des créations antérieures ;

Considérant que les intimées répliquent que les documents opposés ne sont pas pertinents et que les deux modèles déposés présentent un caractère de nouveauté et d'originalité au demeurant salué lors de leur lancement par la presse ;

Considérant que les deux modèles en cause dont la date de création doit être fixée au 19 octobre 1989, date de leur dépôt, à défaut d'élément plus précis se caractérisent ainsi :

- en ce qui concerne le modèle 278761 :

il se rapporte à une table basse constituée d'une dalle de verre transparente de forme rectangulaire aux angles arrondis et de deux piétements faits de piles de livres factices imitant des livres anciens, celui de gauche comportant quatre livres posés horizontalement et de façon décalée l'un par rapport à l'autre et celui de droite un livre posé à plat sur lequel reposent deux livres placés verticalement et en oblique ;

- en ce qui concerne le modèle 278762 :

il montre un piètement formé d'un livre posé à plat sur lequel reposent deux livres placés verticalement et en oblique et un troisième livre posé à plat entre les deux précédents ;

Considérant que les seuls documents ayant une date certaine antérieure sont : la photographie d'une bibliothèque réalisée en 1890 par Carabin, un extrait de la revue Maison Française de décembre 1987, une page de la Gazette de l'Hôtel Drouot du 23 février 1996 montrant un meuble présenté comme faisant partie d'une vente de meubles et objets d'art 18e et 19e siècles et de style, une table de Christian Prost photographiée dans la revue Métiers d'Art d'octobre 1984 et une table de la société Artelano déposée à titre de modèle le 11 septembre 1984 ;

Considérant que la bibliothèque de Carabin a une forme complètement différente des modèles invoqués et est simplement surmontée de trois figurines féminines dont deux paraissent assises sur une pile de livres ;

Considérant que le deuxième document concerne une paire de coffres en bois sur pieds d'époque Louis XVI représentant des piles de quatre livres en trompe l'oeil placés horizontalement et régulièrement l'un au-dessus de l'autre sur un tabouret ;

Considérant que la vente proposée dans la Gazette de l'Hôtel Drouot montre un tabouret livres identique à celui ci-dessus décrit et photographié dans la revue Maison Française de décembre 1987 ;

Considérant que la table de Christian Prost intitulée " Bureau Livre ouvert " est constitué d'un grand livre ouvert en son milieu dont la partie horizontale sert de table et est soutenue par une pile de livres en colimaçon tandis que l'autre partie est inclinée vers le bas et vient toucher le sol ;

Considérant enfin que la table Artelano, au demeurant peu visible paraît se composer d'un plateau soutenu par deux livres disposés verticalement ;

Considérant que, si ces documents démontrent qu'il était connu d'utiliser comme élément d'un meuble de faux livres en trompe l'oeil, il demeure qu'en combinant de manière spécifique d'une part trois faux livres et quatre faux livres pour en faire le piètement d'une table basse avec un plateau en verre transparent permettant de voir les livres, d'autre part quatre faux livres pour former un piètement, Marie-Christine de la Rochefoucauld a donné à ses œuvres un aspect particulier qui porte l'empreinte de sa personnalité et leur confère un caractère original ;

Que celle-ci est donc bien fondée à se prévaloir du bénéfice du Livre 1 du Code de la Propriété Intellectuelle ;

Considérant que les appelants ne justifient d'aucune antériorité de tout pièce à la date où la société Elinas LR a déposé ses modèles ;

Que ceux-ci de par le choix des éléments et leur agencement présentent une physionomie propre les distinguant d'autres tables basses ou piètement de table et leur conférant un caractère de nouveauté ;

Qu'ils sont donc protégeables sur le fondement de l'article L. 511-3 du Code de la Propriété Intellectuelle ;

IV. Sur la contrefaçon

Considérant que Marie-Christine de la Rochefoucauld n'agissant que sur le fondement de son droit moral et ne demandant réparation qu'à ce titre alors que la société de La Rochefoucauld Elinas ne réclame aucune somme sur ce point et ne se prévaut que de ses droits patrimoniaux sur les deux modèles en cause, les appelantes sont mal fondées à soutenir que les premiers juges ont à tort accueilli la demande de Marie-Christine de la Rochefoucauld et ont indemnisé deux fois les mêmes faits ;

Considérant sur la matérialité de la contrefaçon que les sociétés CAP soutiennent qu'il existe entre les modèles en présence des différences d'agencement et de positionnement, que les caractéristiques des modèles invoqués ne sont pas reproduites et que le tribunal a, à tort étendu la protection à un genre consistant dans l'utilisation d'un assemblage de livres comme support de table ;

Considérant que les intimées répliquent que la contrefaçon s'apprécie par les ressemblances et non les différences et qu'en l'espèce " les deux modèles incriminés reprennent les caractéristiques qui confèrent aux œuvres déposées par Elinas LR un effet extérieur original et un caractère de nouveauté, les différences étant constituées de détails mineurs " ;

Considérant que la présentation à l'audience du piètement saisi, les photographies de la table incriminée et de la table invoquée révèlent que celles-ci présentent en commun la particularité d'être constituées d'une part d'un plateau en verre transparent de forme rectangulaire, d'autre part de deux pieds constitués de faux livres anciens ;

Mais considérant que l'originalité (ou la nouveauté si on se place sur le fondement de l'article L. 511-3 du Code de la Propriété Intellectuelle) du modèle de table basse opposé réside dans l'agencement spécifique que Marie-Christine de la Rochefoucauld a choisi pour les deux piètements ;

Que c'est la combinaison d'un piètement comportant quatre livres posés horizontalement et de façon décalée l'un par rapport à l'autre et d'un second piètement constitué d'un livre posé à plat sur lequel reposent deux livres placés verticalement et en oblique qui contribue à conférer à cette table une physionomie propre ;

Que Marie-Christine de la Rochefoucauld et la Société de La Rochefoucauld Elinas ne sauraient sous peine de revendiquer la protection d'un genre étendre le droit privatif qu'elles tiennent de leur modèle à toute table basse comportant un plateau en verre transparent et un piètement constitué de faux livres anciens de différents formats ;

Or, considérant que les sociétés appelantes ont donné à la table incriminée une interprétation différente des caractéristiques revendiquées ;

Que loin de s'analyser comme une modification de détail, cette interprétation donne à leur table une configuration distincte du modèle 278761 ;

Considérant en effet que dans le modèle CAP d'après la photographie mise aux débats, seule pièce permettant d'avoir une vision de la table, les deux piètements sont identiquement formés d'un livre couché sur le sol sur lequel reposent trois livres placés verticalement, le plus petit étant au milieu ;

Que cet assemblage parfaitement symétrique donne à la table un aspect d'ensemble différent de celui du modèle 278761 ;

Considérant en conséquence que le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné les sociétés appelantes pour contrefaçon de ce modèle ;

Considérant en revanche que c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu que le piètement incriminé constituait une contrefaçon du modèle 278762 ;

Considérant en effet qu'il est également formé de quatre livres : un grand livre couché sur le sol sur lequel sont posés trois livres dont celui du milieu est de taille plus petite ;

Que la présentation à l'audience des livres factices des sociétés appelantes, objet de la saisie du 6 septembre 1994, a permis à la Cour de constater en présence des parties, que les deux plus grands livres disposés verticalement s'insérant dans le livre couché sur le sol au moyen d'un pivot alors que le troisième plus petit est totalement indépendant cette position permet de placer les deux premiers en oblique et le troisième couché tout comme sur le modèle 278762 ;

Qu'au surplus il convient de relever que le livre disposé au milieu étant plus petit échappe à l'attention du consommateur ;

V - Sur la concurrence déloyale

Considérant que la société de La Rochefoucauld Elinas fait valoir que les sociétés CAP l'ont volontairement parasitée en commercialisant des copies serviles fabriquées en Thaïlande à des prix très inférieurs ;

Qu'elles se sont incontestablement appropriées le résultat du travail de recherche et de mise au point des meubles de la société Elinas en achetant des produits afin de mieux les copier;

Considérant que la société de La Rochefoucauld Elinas soutient à titre subsidiaire que dans l'hypothèse où il n'y aurait pas contrefaçon de modèles, le fait par la société CAP Friedland, " après avoir attiré la clientèle dans ses magasins grâce au modèle qu'elle avait acheté à la société Elinas, de faire fabriquer en Thaïlande une copie accrochant le regard par les mêmes caractéristiques du produit pour le vendre avec un meilleur bénéfice, relève du comportement du parasite qui s'approprie sans aucune nécessité le fruit du travail et des investissements de son premier fournisseur " ;

Considérant qu'il est établi par les factures mises aux débats que la société CAP, enseigne de la société Club des Acheteurs Privilégiés avait acheté en septembre et octobre 1989 des piles de livres factices à la société Elinas ;

Qu'il résulte par ailleurs de l'article paru dans Madame Figaro du 7 octobre 1989 que les " meuble livres " créés par Marie-Christine de la Rochefoucauld, pieds de table, siège, porte revues, étaient offerts à la vente dans la boutique CAP.

Considérant qu'en faisant fabriquer dans ces conditions en Thaïlande pour être à même de les commercialiser moins chères des tables basses à dessus en verre dont le piètrement était formé de faux livres anciens, les sociétés CAP Friedland et Club des Acheteurs Privilégiés ont manifestement cherché à s'insérer dans le sillage d'un concurrent et à tirer profit de la notoriété acquise par les intimées avec leur mobilier " livres ";

Considérant que leur attitude est d'autant plus fautive qu'il apparaît qu'en 1991 la société Elinas avait déjà fait procéder à une saisie contrefaçon au siège de la société CAP Friedland avenue de Fridland à Paris au sujet d'une table comportant deux piètements formés de faux livres importés de Thaïlande ;

Considérant qu'un tel comportement parasitaire engage la responsabilité des sociétés CAP Friedland et Club des Acheteurs Privilégiés sur le fondement de l'article 1382 du code civil;

VII. Sur les mesures réparatrices

Considérant que Marie-Christine de la Rochefoucauld fait valoir que les premiers juges ont sous-estimé son préjudice et réclame paiement d'une somme de 500 000 F ;

Considérant que les sociétés CAP répliquent qu'elle ne justifie pas en quoi le montant de la condamnation, déjà élevé, devrait être augmenté ;

Considérant que, si Marie-Christine de la Rochefoucauld justifie par les coupures de presse mises aux débats bénéficier d'un certain renom, il demeure que les piètements contrefaisants ne sont pas de qualité médiocre ;

Que, par ailleurs, seule doit être indemnisée l'atteinte portée à son droit moral du fait de la contrefaçon du piètement déposé sous le numéro 278762 ;

Que dans ces conditions, son préjudice a été justement réparé par les premiers juges par le versement d'une somme de 100 000 F, précision étant faite que la condamnation est in solidum ;

Considérant que la société de La Rochefoucauld Elinas expose que " l'indemnité accordée par les premiers juges couvre à peine son manque à gagner sur la base des déclarations de vente d'une centaine de modèles par la société CAP qui s'est toujours refusée à produire ses comptes " ;

Qu'elle réclame paiement d'une somme de 600 000 F ;

Considérant que les sociétés CAP répliquent que cette demande ne repose sur aucun fondement et que le chiffre d'affaires de la société intimée est en croissance constante ;

Considérant ceci exposé qu'il résulte des déclarations de Madame Boccara actionnaire de la société CAP dont le siège social est au Pré Saint-Gervais (société dont la dénomination sociale est Club des Acheteurs Privilégiés selon l'extrait K bis communiqué) que les modèles de table incriminés étaient importés de Thaïlande depuis 7 à 8 ans et vendus respectivement 850 F HT et 1950 F HT ;

Qu'elle a indiqué ne pas être en mesure de préciser la quantité commandée à l'occasion du salon mais en dépit des engagements pris, qu'aucune information n'a été fournie sur ce point par la société appelante pas plus que sur le nombre de tables vendues antérieurement ;

Considérant que Madame Boccara a par ailleurs mentionné que la société CAP Friedland dont son mari était le gérant commercialisait le même produit ;

Considérant que lors de la saisie contrefaçon effectuée le 30 septembre 1994 au dépôt de la société CAP Canapé au Pré Saint-Gervais, le commissaire de police a dénombré la présence de 19 cartons contenant chacun 8 éléments constituant un jeu de deux piles pour table basse et d'un carton contenant onze livres retournés par les magasins de la société CAP et que Madame Pagès lui a indiqué qu'environ 50 ensembles pour tables basses avaient été vendus depuis trois ans et que le fournisseur était la société Daon'Garn ;

Considérant qu'il convient de préciser qu'en 1991 le fournisseur des livres factices était le même et que le commissaire de police avait relevé que les livres constituant le jeu de pieds étaient vendus 4 900 F, ce qui permet de douter de la véracité du prix et des quantités déclarés par Madame Boccara le 6 septembre 1994, observation étant faite que les sociétés appelantes se sont abstenues de produire des factures ;

Considérant que selon l'expert comptable de la société de La Rochefoucauld Elinas, celle-ci aurait en 1994 commercialisé ses piles de 4 livres entre 4 600 F HT et 6 600 F HT selon qu'elles étaient vendues à des professionnels ou au détail alors que le prix de revient en serait de 1 954 F HT ;

Que toutefois ces affirmations ne sont confortées par aucune pièce comptable certifiée ;

Considérant que ces éléments démontrent que les sociétés appelantes ont commercialisé un nombre important de piètements à un prix inférieur à celui de la société de La Rochefoucauld Elinas du moins pour la vente au détail ce qui a manifestement généré un préjudice commercial pour celle-ci, observation étant faite que les sociétés CAP Friedland et Club Des Acheteurs Privilégiés qui entretiennent des rapports étroits et qui ont le même dirigeant, Alain Francis Boccara, ne contestent pas leur responsabilité ;

Que, par ailleurs, les sociétés appelantes ont, par leur comportement porté atteinte à la valeur attractive du modèle créé par Marie-Christine de la Rochefoucauld et commercialisé par la société de La Rochefoucauld Elinas, atteinte d'autant plus grave qu'elles distribuaient à l'origine les créations de Marie-Christine de la Rochefoucauld ;

Considérant toutefois que la société de La Rochefoucauld Elinas ne démontrant pas que suite aux actes de contrefaçon et de concurrence parasitaire, le chiffre d'affaires par elle réalisé avec piètement invoqués ait régressé, les premiers juges ont fait une juste appréciation de son préjudice toutes causes confondues en lui allouant la somme de 300 000 F ;

Qu'il convient de préciser que cette condamnation est in solidum ;

Considérant qu'il y a lieu en outre de faire droit aux mesures d'interdiction et de publication telles qu'énoncées ci-après au dispositif lesquelles seront substituées à celles ordonnées par le tribunal ;

VIII. Sur l'article 700 du NCPC

Considérant que les sociétés appelantes qui succombent seront déboutées de leur demande de ce chef ;

Considérant que l'équité commande d'allouer aux intimées pour les frais hors dépens par elles engagées en appel une somme complémentaire de 20 000 F ;

Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a dit que les sociétés CAP Friedland enseigne CAP Canapés et Club des Acheteurs Privilégiés sigle CAP avaient commis des actes de contrefaçon du modèle déposé le 19 octobre 1989 à l'Institut National de la Propriété Industrielle numéro 278762 enregistré sous le numéro 896546 et dont Marie-Christine de la Rochefoucauld est l'auteur ; condamné ces deux sociétés à payer à la société de La Rochefoucauld Elinas la somme de 300 000 F à titre de dommages et intérêts et à Marie-Christine de la Rochefoucauld la somme de 100 000 F, précision étant faite que ces condamnations sont in solidum ; condamné les sociétés appelantes à payer aux intimées la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ; Le réformant pour le surplus, statuant à nouveau et y ajoutant ; Déboute les sociétés CAP Friedland enseigne CAP Canapés et Club des Acheteurs Privilégiés enseigne CAP de leur demande en nullité de la saisie pratiquée le 6 septembre 1994 ; Dit la société de La Rochefoucauld Elinas recevable à agir sur le fondement du Livre I du Code de la Propriété Intellectuelle ; Déboute Marie-Christine de la Rochefoucauld et la Société de La Rochefoucauld Elinas de leur demande en contrefaçon du modèle déposé à l'Institut National de la Propriété Industrielle le 19 octobre 1989 numéro 278761 enregistré sous le numéro 896546 et dont Marie-Christine de la Rochefoucauld est l'auteur ; Dit que les sociétés CAP Friedland et Le Club Des Acheteurs Privilégiés ont commis des actes de concurrence parasitaire à l'encontre de la société de La Rochefoucauld Elinas ; Fait interdiction aux sociétés CAP Friedland et Le Club des Acheteurs Privilégiés de commercialiser le piètement objet de la saisie contrefaçon du 6 septembre 1994 sous astreinte de 10 000 F par infraction constatée à compter de la signification du présent arrêt et ce pendant un délai de deux mois au delà duquel il sera de nouveau fait droit par cette chambre qui s'en réserve expressément le pouvoir ; Autorise Marie-Christine de la Rochefoucauld et la société de La Rochefoucauld Elinas à faire publier le dispositif du présent arrêt dans trois journaux ou revues de leur choix et aux frais des sociétés appelantes sans que ceux-ci puissent excéder la somme globale de 45 000 F HT ; Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ; Condamne les société CAP Friedland et Le Club des Acheteurs Privilégiés à payer à Marie-Christine de la Rochefoucauld et à la Société de La Rochefoucauld Elinas, une somme complémentaire de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ; Les condamne aux dépens d'appel ; Admet la SCP Parmentier Hardouin Le Bousse, titulaire d'un office d'avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de Procédure Civile.