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Décisions

CA Papeete, ch. com., 29 janvier 1998, n° 88-3

PAPEETE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Société d'équipement de Tahïti et des Iles, Fare de France (SAEM)

Défendeur :

Ordre Régional des Architectes de la Polynésie française

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gaussen

Conseillers :

Mme Delorme, M. Goulard de Curraize

Avocats :

Mes Quinquis, Gaultier.

T. com. mixte, du 29 avr. 1996

29 avril 1996

Par jugement rendu le 29 avril 1996, le Tribunal mixte de commerce de Papeete a constaté que " la SETIL a commis des actes de concurrence déloyale vis-à-vis des architectes de la Polynésie française en s'abstenant de respecter le monopole de maîtrise d'œuvre à eux conféré par les articles 2 et 3 du décret du 25 juin 1947 et en s'abstenant de respecter ses propres statuts " ; a alloué à l'Ordre des architectes la somme de 5 000 000 FCP, à titre de dommages-intérêts ainsi que celle de 200 000 FCP, en application des dispositions de l'article 48-1 du code de procédure civile de la Polynésie française et a interdit " à la SETIL d'accomplir des travaux réservés aux architectes par les articles 2 et 3 du décret du 25 juin 1947 et des travaux contraires à ses statuts ".

Par requête enregistrée au greffe le 1er août 1996, la société d'équipement de Tahiti et des îles (SETIL) et la SAEM Fare de France ont relevé appel de cette décision afin d'en obtenir l'infirmation.

Elles demandent à la Cour de déclarer irrecevable la requête de l'Ordre régional des architectes ; de rejeter les prétentions de celui-ci et de leur allouer la somme de 250 000 FCP, sur le fondement de l'article 48-1 du code de procédure civile de la Polynésie française.

Elles font valoir que les activités de la SETIL ne portent pas atteinte à l'intérêt collectif ou général de la profession d'architecte ; que seuls les intérêts individuels des membres de cette profession pourraient être lésés et qu'ainsi l'Ordre des architectes ne justifie pas d'un intérêt à agir ; que le décret du 25 juin 1947 ne prévoit pas expressément un monopole quelconque au profit des architectes ; que les statuts de la SETIL ne lui imposent plus d'agir " à la demande et pour le compte des autorités du Territoire ", à la suite des modifications intervenues les 10 août 1984 et 26 septembre 1986 ; que la SETIL " a toujours eu recours aux services d'architectes " et qu'à l'exception des marchés concernant le Territoire, les communes et les établissements publics, elle n'est pas tenue de respecter le code des marchés publics.

L'Ordre régional des architectes conclut à l'irrecevabilité de l'appel formé par la SAEM Pare de France et sollicite la confirmation du jugement attaqué ainsi que le paiement de la somme de 300 000 FCP, au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

Il soutient que la SAEM Pare de France ne justifie pas d'un intérêt à contester la décision du 29 avril 1996 ; que " le fait d'exclure l'intervention d'un architecte, quel qu'il soit, dans le cadre de nombreuses opérations de construction menées sur le Territoire, nuit évidemment aux intérêts généraux de la profession " ; que le décret n° 47-1154 du 25 juin 1947 régissant la profession d'architecte sur le Territoire de la Polynésie française donné " compétence exclusive aux architectes en vue d'assurer la maîtrise d'œuvre des opérations de construction " ; que cette interprétation résulte d'un arrêt rendu le 26 juin 1959 par le Conseil d'Etat ; que la SETIL est avant tout : " un instrument destiné à favoriser le développement de la Polynésie " ; que " son domaine d'action se limite aux opérations de promotion " et de maîtrise d'ouvrage ; qu'elle s'est servie de la SAEM Fare de France pour accomplir de nombreux actes de concurrence déloyale ; que son activité est actuellement constituée essentiellement de missions de maîtrise d'ouvre ; qu'elle a, à de multiples reprises, contrevenu aux dispositions du code des marchés publics et du code de l'Aménagement et qu'en 1991, la clientèle privée représentait environ 30% de son chiffre d'affaires annuel.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 juillet 1997.

MOTIF DE LA DECISION :

Sur la recevabilité de l'appel formé par la SAEM Fare de France :

Cette recevabilité ressort de la qualité de maître d'œuvre de la SAEM Fare de France qui explique sa volonté de combattre le monopole que l'Ordre des architectes s'est entendu reconnaître en première instance au profit des membres de sa profession.

Sur la recevabilité de la requête de la SETIL :

La lecture des éléments versés aux débats fait ressortir que les premiers juges ont analysé de façon précise, sérieuse et exacte les faits de la cause et qu'ils leur ont appliqué les principes juridiques adéquats.

C'est donc par des motifs pertinents que la Cour adopte purement et simplement qu'ils ont déclaré recevable la requête de la SETIL.

Sur les actes de concurrence déloyale reprochés à la SETIL :

Selon l'article 2 du décret n° 47-1154 règlementant la profession d'architecte en Polynésie française, l'architecte est un artiste et un technicien. Dans le cadre des techniques de son art, il compose les édifices, en détermine les proportions, la structure, la distribution, en dresse les plans, rédige les devis et coordonne l'ensemble de l'exécution par les entrepreneurs choisis par le maître de l'ouvrage.

L'article 3 du même décret interdit d'exercer la profession d'architecte, à défaut, notamment, d'un titre ou d'un diplôme officiel.

Il résulte de ces textes que l'architecte a compétence générale en matière de construction immobilière, de la conception à la réalisation en passant par la coordination et le contrôle et qu'il est le seul, s'il possède un titre, à pouvoir exercer l'ensemble des prestations énumérées par l'article 2 susvisé.

Toutefois, si un non-architecte ne peut ainsi pratiquer en même temps toutes les activités définies pour l'architecte, ce serait ajouter aux dispositions du décret du 25 juin 1947 que d'estimer qu'il interdit à quelqu'un d'exercer l'une ou plusieurs desdites activités.

Par ailleurs, aucune assimilation ne doit être opérée entre la qualité de maître d'œuvre et celle d'architecte.

En effet, si ce dernier a une compétence illimitée, l'intervention d'un technicien, qui sera dénommé maître d'œuvre, est toujours possible au cours de la construction d'un immeuble, mais de façon parcellaire et ponctuelle.

Enfin, l'arrêt rendu le 26 juin 1959 par le Conseil d'Etat dont se prévaut l'intimé ne possède pas l'autorité de la chose jugée vis-à-vis de la Cour, d'autant qu'il s'est prononcé dans une instance ayant un objet totalement étranger au présent litige.

C'est donc à tort que les premiers juges ont conféré aux architectes le monopole de la composition des édifices et de la maîtrise d'œuvre et ont considéré que la SETIL avait violé ce monopole.

En outre, l'article 2 des statuts de la SETIL stipule qu'" en tant qu'instrument destiné à favoriser le développement de la Polynésie, la Société a pour objet, de promouvoir l'aménagement, la mise en valeur des terres dans le cadre d'un développement rural ou urbain, et la construction de bâtiments ; de plus, pour le compte d'organismes publics ou privés, la Société pourra exercer toutes prestations intellectuelles ainsi que les activités d'exploitation et de gestion d'ouvrages ou organismes, notamment dans le domaine des Concession Aéroportuaires.

A cet effet, la Société procédera à toutes études et effectuera toutes opérations mobilières ou immobilières se rapportant aux objets définis ci-dessus, ou y participera. "

Ces dispositions font, dans ces conditions, apparaître que la SETIL n'agit plus, comme par le passé, comme mandataire du Territoire de la Polynésie française ; que la maîtrise d'œuvre entre dans son objet social et qu'elle n'est pas obligatoirement astreinte à appliquer le code des marchés publics.

Et sa qualité de maître d'œuvre à l'égard de la SAEM Fare de France résulte d'une convention du 18 novembre 1988.

Aucun acte de concurrence déloyale ne pouvant, en conséquence, être reproché à la SETIL, le jugement attaqué doit être infirmé.

Il serait inéquitable de laisser à la charge des appelantes la totalité des frais exposés pour leur défense et non compris dans les dépens et il doit leur être alloué la somme de 250 000 FCP, sur le fondement de l'article 48-1 du code de procédure civile de la Polynésie française.

Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort ; Déclare recevable l'appel formé par la société d'équipement de Tahiti et des îles, agissant en qualité de liquidateur de la SAEM Fare de France à l'encontre du jugement rendu le 29 avril 1996 par le Tribunal mixte de commerce de Papeete ; Infirme ledit jugement en toutes ses dispositions à l'exception de celles concernant la recevabilité de la requête de l'Ordre régional des architectes de Polynésie française qui sont confirmées ; Dit que l'Ordre régional des architectes de Polynésie française doit verser à la société d'équipement de Tahiti et des îles, agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de liquidateur de la SAEM Fare de France, la somme de 250 000 FCP, sur le fondement de l'article 48-1 du code de procédure civile dé la Polynésie française ; Dit que l'Ordre régional des architectes de Polynésie française supportera les dépens de première instance et d'appel.