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Décisions

CA Grenoble, ch. civ. réunies, 20 janvier 1998, n° 96-1678

GRENOBLE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Mavilor (SA)

Défendeur :

Mutuelle Générale Loire Sud

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents de chambre :

MM. Berger, Douysset, Beraudo

Conseiller :

Mme Kueny

Avoués :

SCP Perret, Pougnand, SELARL Dauphin, Neyret

Avocats :

Mes Lopez, Lenoir.

TGI Saint-Etienne, 1re ch., du 7 avr. 19…

7 avril 1992

Faits, procédure et moyens des parties :

La société Manufacture Vilebrequins de Lorette, dite " Mavilor " est propriétaire de la marque Mavilor qu'elle a régulièrement déposée le 1er décembre 1987 à l'INPI, sous le numéro 8278.

Elle a mis en place un régime de prévoyance et contribuait financièrement à l'adhésion de ses salariés à l'une des quatre mutuelles suivantes :

- la Mutuelle Chirurgicale et Médicale de la Loire (MCML),

- la Mutuelle Loire Action Mutualiste (LAM),

- la société Mutualiste des Anciens Prisonniers de Guerre (PG),

- la Mutuelle de la Loire, ou Somutrag.

La Mutuelle de la Loire (Somutrag) a décidé de créer une mutuelle d'entreprise qu'elle a appelée " Mutuelle d'Entreprise de Mavilor " dans le but de transférer une partie de ses frais de gestion vers l'entreprise, en faisant notamment assurer les tâches administratives par le personnel de l'entreprise.

Les salariés de la société Mavilor qui adhéraient à la Mutuelle de la Loire Somutrag ont dès lors été transférés au sein de la Mutuelle d'Entreprise Mavilor.

S'estimant propriétaire du terme " Mavilor ", la société Mavilor a demandé qu'il disparaisse de la dénomination de la mutuelle et ses démarches en ce sens ayant été vaines, elle a saisi le Tribunal de grande instance de Saint-Etienne.

Par jugement en date du 7 avril 1992, cette juridiction l'a déboutée de ses demandes d'interdiction d'utilisation ou de modification des statuts sous astreinte, et de ses demandes de réparation par affichage et allocation de dommages et intérêts.

Cette décision a été confirmée par un arrêt de la Cour d'appel de Lyon en date du 17 mars 1994.

Cet arrêt a été cassé en toutes ses dispositions par un arrêt de la Cour de cassation en date du 12 mars 1996, la cause et les parties étant renvoyées devant la Cour d'appel de céans.

La SA Mavilor nous demande de réformer le jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Saint-Etienne le 7 avril 1992, de condamner la Mutuelle d'Entreprise Mavilor à supprimer de sa dénomination toue référence au mot Mavilor, à peine d'une astreinte définitive de 5 000 F par jour de retard à compter du présent arrêt, de dire et juger que la Mutuelle d'Entreprise Mavilor ne pourra utiliser, sous quelque forme que ce soit, le mot " Mavilor " sans y avoir été autorisée, et ce à peine d'une amende de 5 000 F par jour de retard, d'ordonner la publication de la décision sur les portes de l'entreprise, ainsi que sur les tableaux d'affichage réservés au personnel, et de condamner la Mutuelle d'Entreprise Mavilor à lui payer la somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts, ainsi que celle de 15 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Elle expose que le comité d'entreprise avait donné un avis défavorable pour la création d'une mutuelle d'entreprise qui lui serait propre, compte tenu du risque de détournement des fonds dudit comité et de l'absence d'avantages offerts par rapport aux autres mutuelles, que l'appropriation du mot " Mavilor " avait ainsi manifestement pour objet de gommer cet avis défavorable, qu'il s'agissait pour la mutuelle d'entreprise, comme la Cour de cassation l'indique, de se couvrir d'une sorte de légitimité et de crédibilité par rapport au personnel en laissant ainsi penser qu'un privilège pouvait être accordé par l'employeur aux membres du personnel adhérents, qu'en tout état de cause, l'utilisation d'un nom sans l'accord de son propriétaire constitue une faute et une contrefaçon qui justifie la réparation du préjudice subi, lequel doit être apprécié par rapport à l'importance de la société qui comporte environ 500 salariés.

La Mutuelle Générale Loire Sud, qui déclare venir aux droits de la Mutuelle d'Entreprise Mavilor, sollicite la confirmation du jugement déféré et demande que la société Mavilor soit condamnée à lui payer une indemnité de 20 000 F en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Elle fait valoir que le simple usage du terme Mavilor ne saurait caractériser une faute, dès lors que son activité est par nature totalement étrangère aux produits et services visés dans l'acte de dépôt, qu'il est d'usage constant que les institutions sociales (revendicatives, représentatives ou sociales) établies au sein d'une entreprise utilisent le nom de ladite entreprise pour marquer leur attachement, que la société Mavilor n'invoque aucune irrégularité dans la constitution de la Mutuelle d'Entreprise et que l'opposition du comité d'entreprise est sans incidence, puisqu'il dispose seulement du droit de contrôler la gestion de la mutuelle en application de l'article R. 432-3 du Code du Travail.

Elle ajoute que l'existence d'une confusion dans l'esprit des salariés n'est pas rapportée, qu'ils pouvaient se convaincre de l'absence de tout lien entre la Mutuelle d'Entreprise Mavilor et la société Mavilor, que l'utilisation du terme Mavilor était uniquement destinée à renseigner les salariés et qu'en tout état de cause l'appelante ne prouve pas le préjudice qu'elle invoque, seuls les salariés pouvant éventuellement se plaindre de ce que leur adhésion aurait été acquise frauduleusement.

La société Mavilor a maintenu ses demandes en précisant en outre qu'il devait être fait interdiction à la Mutuelle générale Loire Sud d'appeler " Section Mutuelle d'Entreprise Mavilor " la section qu'elle gère au sein de la société Mavilor, et ce à peine d'une astreinte de 5 000 F par infraction constatée.

Elle porte en outre sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile à 20 000 F.

Elle précise que s'il est exact qu'en matière de marque, de nom commercial et de dénomination sociale, le signe n'est protégé que pour des produits et des services déterminés, la jurisprudence veille à ce qu'il n'y ait aucun risque de confusion et à ce que l'auteur de l'usurpation ne tire aucun profit du renom acquis par la société victime de l'usurpation, qu'elle devait maintenir une égalité entre les différentes mutuelles, égalité qui était rompue si une seule d'entre elle utilisait le nom de l'entreprise.

Elle indique que la mutuelle absorbante, la Mutuelle Générale Loire Sud, demeure responsable du préjudice subi dans la mesure où, loin de supprimer toute référence au terme Mavilor, elle a laissé subsister une section dénommée " Section Mutuelle d'Entreprise de Mavilor ".

Motifs et décision :

Il est établi et d'ailleurs non discuté que la société Manufacture de Vilebrequins de Lorette a déposé à l'INPI, le 1er décembre 1987, la marque Mavilor sous le numéro 8278.

Aux termes des articles L. 713-1 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle, l'enregistrement de cette marque confère à son titulaire un droit de propriété pour les produits et services qu'il a désignés et sont interdits, sauf autorisation de la société Mavilor, la reproduction et l'usage de cette marque pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l'enregistrement et la reproduction et l'usage, s'il peut en résulter un risque de confusion dans l'esprit du public, pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l'enregistrement.

Dès lors que la société Mavilor et la Mutuelle Générale Loire Sud n'exercent pas d'activité identique ou similaire, les textes sus-mentionnés ne peuvent recevoir application, le principe de spécialité limitant le domaine de la propriété aux seuls produits et services désignés par l'enregistrement et interdisant dès lors toute action fondée sur la propriété de la marque lorsque les domaines d'activité du propriétaire de la marque et ceux du contrefacteur sont différents.

En revanche, le comportement de celui qui, comme en l'espèce, reproduit un nom commercial, est susceptible d'engager sa responsabilité quasi-délictuelle, et cela sans qu'il soit tenu compte de sa bonne ou mauvaise foi.

L'adjonction du nom de l'employeur à celui de la Mutuelle d'Entreprise sans le consentement de la première a pu laisser croire aux salariés de l'entreprise que ladite mutuelle avait le soutien de l'employeur, ce qui laissait présumer l'existence d'avantages. La reproduction du nom de la société créait ainsi manifestement une confusion à laquelle celle-ci est en droit de s'opposer. Dès lors que les activités sont différentes, il s'agissait même d'un acte parasitaire, la Mutuelle d'Entreprise ayant tenté de profiter du label de l'employeur pour susciter des adhésions.

L'apparence créée par l'emprunt du nom de Mavilor ne peut être tolérée par la société, dans la mesure où il y a plusieurs mutuelles et où l'employeur ne peut donner l'impression de favoriser l'une d'elles, ce qui pourrait lui être reproché et entraîner, le cas échéant, la mise en jeu de sa responsabilité.

La faute commise par la Mutuelle d'Entreprise est ainsi établie.

La société Mavilor peut arguer d'un préjudice matériel et d'un préjudice moral. Elle ne justifie pas de l'existence d'un préjudice matériel mais elle a, de façon indéniable, subi un préjudice moral qui peut être justement réparé par l'allocation de la somme de un franc à titre de dommages et intérêts.

Pour que cesse ce préjudice à l'avenir, il convient en outre de faire interdiction à la Mutuelle Générale Loire Sud d'utiliser sous quelque forme que ce soit le terme Mavilor, sans l'autorisation de la société Mavilor, à peine d'une astreinte provisoire de 2 000 F par infraction constatée et de lui faire injonction de supprimer sur tous ses documents administratifs et commerciaux le terme de Mavilor dans le délai de un mois à compter du présent arrêt, une astreinte provisoire de 2 000 F par jour de retard étant due passé ce délai.

Il n'y a pas lieu d'ordonner l'affichage du présent arrêt.

L'équité justifie qu'une indemnité de 15 000 F soit allouée à la société Mavilor en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

La Mutuelle Générale Loire Sud, qui succombe, sera déboutée de sa demande à ce titre.

Par ces motifs : LA COUR : Statuant publiquement, sur renvoi de cassation et par arrêt contradictoire, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Réforme le jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Saint-Etienne le 7 avril 1992 en toutes ses dispositions ; Statuant à nouveau, Déclare la Mutuelle Générale Loire Sud responsable du préjudice moral subi par la Société Mavilor à la suite de l'utilisation parasitaire par la première du terme " Mavilor " ; La condamne à lui payer la somme de un franc à titre de dommages et intérêts et celle de 15 000 F en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; Fait interdiction à la Mutuelle Générale Loire Sud d'utiliser sous quelque forme que ce soit le terme Mavilor, sans l'autorisation de la société du même nom, à peine d'une astreinte provisoire de 2 000 F par infraction constatée ; Fait injonction à la Mutuelle Générale Loire Sud de supprimer sur tous ses documents administratifs et commerciaux le terme de Mavilor dans le délai d'un mois à compter du présent arrêt, une astreinte provisoire de 2 000 F par jour de retard étant due passé ce délai ; Déboute la société Mavilor de ses autres demandes ; Déboute la Mutuelle Générale Loire Sud de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; Condamne la Mutuelle Générale Loire Sud aux dépens de première instance et d'appel avec application, pour ceux d'appel, au profit de la SELARL Dauphin-Neyret des dispositions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.