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Décisions

Cass. com., 13 janvier 1998, n° 95-18.023

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Transports Verdier (SA), Rambour (ès qual.), Courret (ès qual.)

Défendeur :

Transports Verdier-Giraudeau (SA), Verdier

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Léonnet

Avocat général :

M. Lafortune

Avocats :

SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, Mes Rambour, Courret, Foussard.

Cass. com. n° 95-18.023

13 janvier 1998

LA COUR : Sur le moyen unique, pris en ses six branches : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Limoges, 31 mai 1995), rendu après cassation, que la société Transports Verdier (société Verdier) a été créée, en 1955, et qu'elle était spécialisée, pour certaines de ses lignes, dans le transport des denrées périssables, essentiellement la marée fraîche, par véhicules isothermes ; que Mme Lucette Verdier, épouse Bougerol, fille aînée des époux Verdier est devenue présidente du directoire de la société en 1973 ; que son frère, M. Guy Verdier, travaillait également dans cette entreprise dont il a gravi les différents échelons jusqu'à occuper les fonctions de directeur d'exploitation au mois de décembre 1986 ; qu'il a quitté au mois de février 1987 la société à la suite d'une modification de son contrat de travail qui lui était imposée par les dirigeants sociaux et refusée par lui ; qu'il a, alors, saisi la juridiction prud'homale pour être indemnisé ; que, parallèlement à cette procédure, son fils, Frédéric, et son gendre, M. Giraudeau, ont créé une entreprise concurrente dénommée société Transports Verdier-Giraudeau (société TVG) ; que la société Verdier, reprochant à la société TVG et à M. Guy Verdier de l'avoir désorganisée par débauchage de son personnel, d'avoir détourné sa clientèle et d'avoir particulièrement entretenu auprès de celle-ci une confusion entre les deux entreprises, les a assignés en dommages et intérêts pour concurrence déloyale ;

Attendu que la société Verdier, M. Rambour, pris en sa qualité d'administrateur de cette entreprise et M. Courret, en sa qualité de représentant des créanciers, font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leurs demandes en dommages et intérêts, alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'action en concurrence déloyale ne requiert pas la constatation d'un élément intentionnel ; que la cour d'appel, qui se borne à énoncer que les erreurs de nom commises par les fournisseurs ne caractérisent pas le caractère frauduleux du comportement de la société TVG et que l'utilisation du domicile personnel de M. Guy Verdier n'est pas déloyale car il n'est pas interdit à un père ou beau-père d'aider sa famille sans rechercher si la domiciliation de la société concurrente chez M. Guy Verdier, ancien dirigeant de la société Verdier, pendant 8 mois n'aggravait pas la confusion possible entre les deux établissements aux noms communs, a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du Code civil ; alors, d'autre part, qu'après avoir constaté que la démission brutale sur une période d'un mois de 11 salariés de la société Verdier avait été suivie de l'embauche de 8 d'entre eux par la société TVG et après avoir relevé que le départ du quart de ses chauffeurs routiers, parmi les plus anciens et les plus qualifiés, avait désorganisé de façon substantielle la première, la cour d'appel ne pouvait écarter la concurrence déloyale sans rechercher si ces départs concomitants d'un nombre important de salariés, pour exercer des fonctions analogues au sein de la société concurrente, n'étaient pas de nature à établir qu'ils avaient été provoqués par la société des TVG, fait pouvant constituer une manœuvre sanctionnée par la loi ; qu'ainsi, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard des articles susvisés ; alors, de surcroît, que la société Verdier faisait valoir dans ses conclusions d'appel que, par suite de la désorganisation de ses lignes de transport et du transfert massif de sa clientèle, jusqu' ici fidèle, au profit de la société TVG, elle avait vu son chiffre d'affaires chuter en quelques mois de 50 % tandis que la société nouvellement créée réalisait le sien à 87 % sur la clientèle détournée ; si bien que la société de TVG était directement à l'origine de la perte de toute valeur du fonds de commerce de la société Verdier ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, par ailleurs, que l'action en concurrence déloyale formée contre un ancien salarié n'est pas subordonnée à l'existence d'un lien de droit entre l'intéressé et l'entreprise concurrente au bénéfice de laquelle s'exercent les manœuvres déloyales ; qu'en décidant que la responsabilité de M. Guy Verdier devait être appréciée en fonction de l'absence de lien juridique l'unissant à la société des TVG jusqu'en juillet 1989, la cour d'appel a violé les articles 1382 et 1383 du Code civil ; alors, en outre, que l'action en concurrence déloyale ne requiert pas la constatation d'un élément intentionnel ; qu'après avoir constaté que M. Guy Verdier a assisté son fils et son gendre dans la création de la société TVG, qu'il les a fait profiter de son expérience et des relations qu'il avait entretenues pendant le temps de son service à la société Verdier, enfin qu'il a mis à leur service une partie de son domicile afin de loger les bureaux de la nouvelle société et après avoir relevé l'existence concomitante d'un transfert de clientèle vers la société Transports Giraudeau et d'une désorganisation de la société Verdier, la cour d'appel déclare, cependant, qu'en agissant ainsi dans le souci de donner à son fils et à son gendre une situation financière rémunératrice, M. Guy Verdier n'a pas usé de procédés déloyaux ; qu'en statuant ainsi, elle a violé les articles 1382 et 1383 du Code civil ; et alors, enfin, que la société Verdier faisait valoir devant la cour d' appel, pour établir le rôle direct joué par M. Guy Verdier dans le débauchage de certains de ses salariés que la société Express côte d'amour reconnaissait elle-même, dans le cadre du litige l'opposant à la société Verdier devant le tribunal de commerce, avoir procédé à leur embauche sur la recommandation de l'ancien dirigeant ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel n'a pas énoncé que l'action en concurrence déloyale requérait l'existence d'un élément intentionnel mais a seulement rappelé qu'elle impliquait la preuve de l'existence d'une faute ; qu'après avoir apprécié le caractère probatoire des documents versés au débat elle a constaté que la société TVG, en adoptant le sigle TVG, aussi bien dans ses documents de correspondance que sur la carrosserie de ses véhicules, avait voulu réduire les effets d'une éventuelle confusion entre les deux; qu'elle a également relevé que le fait que certains clients aient pu par erreur s'adresser à la société TVG, n'était pas constitutif d'un caractère déloyal de sa part ; qu'ayant, en outre, constaté que la société TVG avait été domiciliée à titre temporaire et pendant un court délai au domicile de M. Guy Verdier, la cour d'appel a pu statuer ainsi qu'elle l'a fait, sans encourir les griefs de la première et cinquième branches du moyen ;

Attendu, en deuxième lieu que, si l'arrêt a constaté que le départ de 9 chauffeurs et de 2 manutentionnaires sur une courte période avait désorganisé la société Verdier, il a relevé que 3 de ces salariés avaient été embauchés par une tierce entreprise et qu'il n'était pas apporté la preuve que ces départs aient eu pour origine des manœuvres de débauchage de la part de la société TVG, ce qui ressortait du fait que la société Verdier avait assigné ces 11 préposés devant la juridiction prud'homale en dommages et intérêts pour rupture abusive de contrat ; qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel, qui n'avait pas à entrer dans le détail de l'argumentation contenue dans les conclusions de la société Verdier, a pu statuer, ainsi qu'elle l'a fait, sans encourir les griefs de la deuxième et sixième branches du moyen ;

Attendu, en troisième lieu, que la cour d'appel n'ayant pas relevé de fautes constitutives de concurrence déloyale par détournement de clientèle à l'encontre de la société TVG et de M. Guy Verdier, n'avait pas à s'expliquer sur les motifs de la baisse du chiffre d'affaires de la société Verdier, les clients de cette société restant libres de contracter avec l'entreprise de transport de leur choix ;

Attendu enfin, que l'arrêt a constaté, qu'entre le 13 avril 1987 et le mois de juillet 1989, M. Guy Verdier n'avait été ni salarié, ni actionnaire ou dirigeant social de la société TVG et que c'est seulement au mois de juillet 1989 qu'il en était devenu le directeur technique ; qu'il a également relevé que la société Verdier n'apportait pas la preuve que M. Guy Verdier ait été "le dirigeant de fait" de la société TVG ou qu'il ait "joué un rôle quelconque dans la gestion" de cette entreprise ; qu'en l'état de ces constatations la cour d'appel a pu statuer ainsi qu'elle l'a fait ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi.