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Décisions

Cass. com., 13 janvier 1998, n° 95-13.425

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Océane Automobiles (SA)

Défendeur :

Automobiles des garages Sorin (SA), Guenant automobiles (SA), La Roche automobiles (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Léonnet

Avocat général :

M. Lafortune

Avocats :

SCP Ryziger, Bouzidi, SCP Gatineau.

T. com. La Roche-sur-Yon, du 28 juin 199…

28 juin 1994

LA COUR : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Poitiers, 11 janvier 1995), que les sociétés Guenant automobiles, Automobile des garages Sorin et La Roche automobiles, respectivement concessionnaires exclusifs des véhicules automobiles Citroën, Peugeot et Renault à La Roche-sur-Yon (Vendée) ont assigné, en concurrence déloyale, devant le tribunal de commerce, la société l'Océane automobiles pour voir prononcer à son encontre l'interdiction de vendre des véhicules de ces mêmes marques, en violation du contrat de concession exclusive qui leur avait été octroyée par les fabricants ; que les sociétés ont fait valoir que la société l'Océane automobiles exposait en vue de les vendre, d'importants stocks de voitures neuves de plusieurs marques et ne justifiait d'aucun mandat qui lui ait été donné par un utilisateur final en vue de se procurer les véhicules litigieux dans un pays de la Communauté ;

Sur le premier moyen : - Attendu que la société l'Océane automobiles fait grief à l'arrêt d'avoir refusé d'annuler le jugement du tribunal de commerce en raison des doutes qu'elle émettait sur l'impartialité d'un des magistrats ayant siégé dans la cause, alors, selon le pourvoi, que toute personne a droit à un procès équitable ; que si la partie qui veut récuser un juge doit, aux termes de l'article 342 du nouveau Code de procédure civile, en principe, le faire avant la clôture des débats, elle ne peut être privée des garanties à un procès équitable que lui confère l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme lorsqu'elle apprend l'existence d'une cause de récusation, postérieurement au jugement ; que, dans ce cas, la cour d'appel est tenue de rechercher si la cause de récusation existait bien, et dans ce cas, d'annuler le jugement ; qu'en refusant d'annuler le jugement de première instance par le motif que la demanderesse ne saurait faire l'économie des exigences de la procédure de récusation et, notamment, des formalités de l'article 340 du nouveau Code de procédure civile pour mettre utilement en cause, après la clôture des débats, l'impartialité d'un magistrat consulaire et demander de ce chef, l'annulation d'un jugement, la cour d'appel a, en réalité, violé les dispositions de l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde ;

Mais attendu que c'est à bon droit que la cour d'appel a énoncé qu'il résulte de l'article 342 du nouveau Code de procédure civile, et sans méconnaître les dispositions de l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, qu'une demande de récusation d'un juge ne peut être utilement formée après la clôture des débats ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le second moyen pris en sa première branche : - Vu les articles 85, paragraphes 1 et 3 et 1er, 2 et 3 du règlement n° 123-85-CEE de la Commission concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du Traité à des catégories d'accords de distribution et de service de vente et d'après-vente de véhicules automobiles ; - Attendu que, pour accueillir la demande des concessionnaires, l'arrêt retient que l'article 85, paragraphe 1, du Traité instituant la Communauté économique européenne, prévoit la possibilité de limiter dans certains cas l'interdiction d'accords et de pratiques concertés ayant pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun et, qu'en application de ces dispositions, la Commission a pris le 12 décembre 1984 le règlement n° 123-85 concernant les accords de distribution et de services de vente et d'après-vente de véhicules automobiles ; que ce règlement prévoit des exemptions accordées au titre de l'article 85, paragraphe 3, du Traité CEE en faveur des accords auxquels ne participent que deux entreprises et dans lesquels une partie à l'accord s'engage vis-à-vis de l'autre à ne livrer, à l'intérieur d'une partie définie du Marché commun, qu'à celle-ci, un nombre déterminé d'entreprises du réseau de distribution, dans le but de la revente, des véhicules déterminés, en liaison avec ceux-ci leurs pièces de rechange, accords dans le cadre desquels le distributeur s'engage à ne vendre les véhicules automobiles de la gamme visée ou des produits correspondants à des utilisateurs finals utilisant les services d'un intermédiaire, que si ces utilisateurs ont auparavant mandaté par écrit l'intermédiaire pour acheter, et en cas d'enlèvement par celui-ci, pour prendre livraison d'un véhicule déterminé ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que la Cour de justice des Communautés européennes, dans deux arrêts du 15 février 1996 (Grand Garage albigeois et Nissan France SA), a dit pour droit que le règlement n° 123-85 de la Commission doit être interprété en ce sens qu'il ne fait pas obstacle à ce qu'un opérateur, qui n'est ni revendeur agréé du réseau de distribution du constructeur d'une marque automobile déterminée ni intermédiaire mandaté au sens de l'article 3, point II, de ce règlement, se livre à une activité d'importation parallèle et de revente indépendante de véhicules neufs de cette marque et que ce règlement ne s'oppose pas davantage à ce qu'un opérateur indépendant cumule les activités d'intermédiaire mandaté et celles de revendeur non agréé de véhicules provenant d'importations parallèles, la cour d'appel a violé les textes susvisés;

Et sur le second moyen, pris en sa troisième branche : - Vu l'article 1382 du Code civil ; - Attendu que, pour statuer comme il l'a fait, l'arrêt retient encore que la société l'Océane automobiles, qui reconnaît ne pas agir en tant que mandataire des clients finals mais revend habituellement des véhicules ayant parcouru moins de 3 000 km ou immatriculés depuis moins de 3 mois, en tentant de les faire passer officiellement pour des véhicules d'occasion, les amalgamant dans ses publicités avec des véhicules réellement d'occasion, afin d'attirer le chaland par de bonnes affaires, en cherchant à tourner frauduleusement une réglementation qu'elle connaît parfaitement et conteste à tort, pouvant se fournir, en dépit de la vigilance des constructeurs, impuissants à garantir l'étanchéité de leur réseau, chez des loueurs ou des concessionnaires peu scrupuleux, apparaît avoir eu un comportement fautif, constitutif d'une concurrence déloyale envers les concessionnaires qui ont subi un préjudice par captation de clientèle et remise en cause de leurs tarifs ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si le revendeur justifiait de l'origine régulière des produits qu'il présentait aux acheteurs, dès lors que le fait pour un tiers de satisfaire des commandes avec des produits acquis régulièrement, en dépit des droits d'exclusivité dont bénéficiaient à sa connaissance des concessionnaires exclusifs, ne constitue pas en soi un acte de concurrence déloyale, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la deuxième branche du second moyen : casse et annule, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 janvier 1995, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Limoges.