CA Versailles, 13e ch., 20 novembre 1997, n° 1074-96
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Optipress (SNC)
Défendeur :
Editions La Rivière (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Monteils
Conseillers :
M. Besse, Mme Bardy
Avoués :
Me Bommart, SCP Fievet-Rochette-Lafon
Avocats :
Me Bourdon, Me Halbern.
La société Optipress édite la revue " Cheval magazine ", la société Editions la Rivière édite la revue " Cheval pratique " ;
La société Optipress a fait publier dans les numéros 275, 277 et 276 de Cheval Magazine des tableaux comparatifs afin de présenter l'évolution des petites annonces parues dans sa revue ainsi que dans les magazines concurrents dont l'Eperon et Cheval Pratique ;
Elle a par ailleurs adressé à différents annonceurs un courrier traitant de ce sujet, sous forme de mailing ;
La société Edition la Rivière estimant ces agissements constitutifs d'actes de concurrence déloyale après tentative de règlement amiable a fait assigner la société Optipress devant le Tribunal de Commerce de Nanterre lequel par jugement en date du 13 décembre 1995 a tenu ces actes pour constitutifs d'un dénigrement et a condamné la société Optipress :
- à payer à la société Edition la Rivière la somme de 500.000 F à titre de dommages intérêts ;
- à communiquer à la société Edition la Rivière dans le délai de quinze jours de la signification du jugement la liste exhaustive des annonceurs destinataires de la lettre et du document d'accompagnement incriminés sous astreinte de 1000 F par jour de retard ;
- à adresser à ses frais à chacun des annonceurs mentionnés dans ladite liste par courrier recommandé avec avis de réception une lettre sur papier à en-tête de la revue Cheval Magazine signée par le directeur de la publication comportant le libellé du texte suivant accompagné de l'intégralité du jugement imprimé sur une pleine page du format de la revue Cheval Magazine ;
" Cher Annonceur,
Par lettre en date du (date de l'envoi incriminé), nous vous avons communiqué un document de publicité comparative qui mentionnait des informations concernant, notamment, les revues Cheval Pratique et Cheval Magazine.
Ces informations ne revêtaient pas les caractères de loyauté et de véracité qui sont imposées par l'article 10-1 de la loi numéro 92-60 du 18 janvier 1992, sur la publicité comparative ; leur présentation était, en outre, de nature à induire en erreur le destinataire de ce document.
Le Tribunal de commerce de Versailles a prononcé, en date du 13 décembre 1995, un jugement condamnant la société Optipress, éditrice de la revue Cheval Magazine à vous communiquer le texte complet dudit jugement, accompagné de la présente lettre.
Nous vous prions d'agréer, Cher Annonceur, l'expression de nos meilleurs salutations ".
- à justifier de l'envoi de ces courriers dans les six semaines de la signification du jugement et du retour de l'accusé réception sous astreinte de 1000 F par jour de retard ;
Le Tribunal a par ailleurs ordonné l'exécution provisoire du jugement laquelle a été arrêtée sauf pour les condamnations à des dommages et intérêts par ordonnance de référé du Premier Président en date du 5 avril 1996 en contre partie de la publication par la société Optipress sur une pleine page dans le prochain numéro à paraître de la revue Cheval Magazine le texte suivant :
"Par jugement du 13 décembre 1995 le tribunal de commerce de Versailles, tenant pour constitutive de dénigrement de la revue " Cheval Pratique " une publicité comparative parue dans la revue " Cheval Magazine ", a notamment condamné la société Optipress, éditrice de cette dernière revue, à verser à la société Editions La Rivière une somme de 500 000 F à titre de dommages intérêts. La société Optipress a relevé appel de ce jugement par déclaration au greffe de la Cour d'appel de Versailles le 8 janvier 1996 " ;
La société Optipress a interjeté appel du jugement dont elle demande l'infirmation en toutes ses dispositions ;
Elle critique les motifs de la décision entreprise qui démontrent une appréciation des faits et du droit inexacte de la part des premiers juges.
Sans nier en définitive l'obligation d'information préalable imposée par la loi du 18 janvier 1992, elle relève l'absence de preuve de la réalité du préjudice pouvant en résulter pour la société Editions La Rivière ;
Elle relève que le tribunal n'a critiqué que le document en quadrichromé diffusé sous forme de mailing aux annonceurs de sa publication et soutient que le premier grief relevé à savoir la provenance d'origines différentes des informations n'est pas fondé, puisque la société la Rivière refuse de se soumettre au contrôle de l'OJD pour son titre, refus qui est l'unique motif de son action judiciaire ; qu'elle même a dû en conséquence rechercher d'autres sources d'information et l'a clairement indiqué dans le document litigieux qui est reçu par des professionnels avertis de la spécialité et non susceptibles d'être induits en erreur ;
Elle en conclut que la publicité comparative effectuée est non seulement loyale mais aussi véridique en ce que la méthode de calcul adoptée objet du deuxième grief pour évaluer la force de vente des magazines est fiable et contrôlable ;
Elle fait valoir que le Tribunal a omis de statuer sur l'un de ses moyens de défense concernant la carence de la société La Rivière à démontrer l'exactitude de l'information publiée et dénonce le refus obstiné de l'intimée à entrer dans ce débat ;
Enfin, elle estime que le préjudice allégué évalué par le Tribunal dans son pouvoir d'appréciation à la somme de 500 000 F n'est toujours pas justifié ;
Elle sollicite la condamnation de la société La Rivière à lui payer une somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts à raison du caractère téméraire de son action, outre celle de 30 000 F, au titre des frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'exposer ;
La société Editions La Rivière intimée, conclut à la confirmation du jugement sauf à la cour d'ajouter à la violation de l'article 10-1 de la loi du 18 janvier 1992 d'une part et aux agissements de la concurrence déloyale d'autre part à raison de la seule diffusion du mailing aux annonceurs, le fait d'avoir publié un tableau comparatif pour l'année 1994 de l'évolution du volume de petites annonces dans les numéros 275, 277 et 276 de sa revue qui ne satisfait pas aux exigences de la loi du 18 janvier 1992 et est constitutif d'acte de concurrence déloyale ;
Elle fait appel incident sur le montant des dommages intérêts dont elle demande qu'il soit porté à la somme de 1 000 000 F à raison de la gravité des actes commis et de confirmer l'ensemble des autres dispositions du jugement relatives aux obligations de faire mises à la charge de la société Optipress sous une astreinte de 3 000 F par jour de retard ;
Elle sollicite la publication de l'arrêt à intervenir dans le numéro de Cheval Magazine suivant sa signification une pleine page ainsi que dans trois autre hebdomadaires ou mensuels aux frais avancés par la société Optipress ;
Elle réclame enfin l'indemnisation de ses frais irrépétibles à hauteur de la somme de 50 000 F par application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Elle estime critiquable l'insertion d'un tableau comparatif et de conclusions en commentaire faite dans les numéros 275, 277 et 276 d'où il ressort qu'existerait un lien direct entre le volume des petites annonces et le volume de diffusion d'un magazine d'une part, et le volume des petites annonces et le rendement commercial qui en découlerait d'autre part, ce qui est inexact et fautif et à ce titre constitutif d'un acte de concurrence déloyale.
Ce grief ajouté à ceux retenus par les premiers juges ainsi que la totale mauvaise foi de la société Optipress dans l'exécution de l'obligation mise à sa charge par l'ordonnance de référé en contrepartie de l'arrêt de l'exécution provisoire justifient l'augmentation de la condamnation pécuniaire prononcée ;
Elle relève la persistance de la société Optipress dans son comportement fautif, en faisant paraître, nonobstant la mise en demeure qu'elle lui avait adressée le 18 janvier 1995, dans les numéros 278, 279, 280, 281 et 282, un tableau comparatif des petites annonces sur les douze derniers mois très proche de celui litigieux précédemment publié et dont le commentaire induit encore volontairement dans l'esprit des lecteurs que le volume des petites annonces vendues est nécessairement le reflet du rendement de la communication dans la revue ;
Sur le plan des principes, elle rappelle que le fait pour la société Optipress d'avoir communiqué un volume de diffusion de Cheval Pratique inexact constitue un acte de concurrence déloyale, mais également que le seul fait de souligner de façon hyperbolique la faiblesse du volume de petites annonces de Cheval Pratique (même exact) et de sa diffusion, a nécessairement découragé les annonceurs de se tourner vers cette publication et suffit à caractériser l'agissement de concurrence déloyale ;
Elle relève l'impuissance de la société Optipress à démontrer le fondement des chiffres avancés qui ne sont ni loyaux, ni véridiques, ni vérifiables et pour ce qui concerne le mailing ouvert de comptabiliser les abonnements, ce mensonge par omission étant un élément supplémentaire de sa mauvaise foi ;
Enfin, elle se réserve la faculté de tirer toutes conséquences de droit de la persistance du comportement de la société Optipress depuis l'assignation, les modifications apportées aux publications étant toujours fautives ;
La société Optipress par conclusions additionnelles demande à la Cour d'ordonner une expertise comptable judiciaire afin de lui donner des éléments permettant d'apprécier le caractère loyal des informations publiées.
Par des conclusions en réponse la société Editions La Rivière conclut au rejet d'une telle demande en rappelant qu'une expertise ne saurait être ordonnée pour suppléer la carence d'une partie dans la preuve qui lui incombe.
Sur ce, LA COUR
Considérant que la société Editions La Rivière dénonçait dans son exploit introductif d'instance deux agissements constitutifs de concurrence déloyale, le premier concernant la publication dans les numéros 275, 276 et 277 de Cheval Magazine de tableaux comparatifs représentant l'évolution des petites annonces parues dans Cheval magazine, d'une part avec celles de l'Eperon et de Cheval Pratique, assortie du commentaire, le second concernant l'envoi à ses annonceurs d'une lettre à laquelle était annexée sous forme de mailing trois documents en quadrichromés ;
Considérant que le Tribunal n'a retenu que le second agissement, en reprochant à la société Optipress " d'avoir utilisé " une publicité comparative qui n'avait pas satisfait à l'obligation d'information préalable, qui n'était pas véridique parce qu'elle faisait un amalgame entre des informations différentes, OJD pour certaines, autres sources non entièrement justifiées pour d'autres et qui étaient de nature à induire en erreur le destinataire par une présentation tendant à faire penser que toutes les informations chiffrées avaient la même fiabilité ;
Considérant que c'est cette motivation qui fonde l'appel principal qu'il convient d'examiner en premier ;
Considérant que la société Optipress reconnaît l'absence d'information préalable au mépris des dispositions de la loi du 18 janvier 1992 mais invoque l'absence de préjudice;
Considérant que ce moyen est sans portée, du fait qu'il ne ressort pas des motifs de la décision que les premiers juges aient fondé même pour partie la condamnation pécuniaire sur le préjudice que le non respect de cette obligation formelle aurait causé, qu'en toute hypothèse il convient de rappeler à la société Optipress que le seul respect de cette obligation peut permettre de prévenir le préjudice et que sa violation participe de ce fait à sa constitution;
Considérant que la société Optipress soutient que les informations étaient loyales, véridiques et vérifiables, et qu'une expertise permettrait de conforter ces faits;
Mais considérant que la charge de la preuve de la fiabilité de ses informations lui incombe et qu'une expertise ne saurait être ordonnée pour palier sa carence dans l'établissement de cette preuve ;
Considérant qu'il incombe en effet à la société Optipress d'apporter la preuve de la véracité des allégations de son message publicitaire, et notamment en l'espèce des chiffres de diffusion de Cheval Pratique, qu'elle met en exergue ;
Considérant qu'elle justifie le recours à ses propres investigations par le refus de la société La Rivière de communiquer ses chiffres de vente à l'Office de Justification de Diffusion (OJD) et insiste sur le soin pris par elle à faire dans les documents incriminés une distinction très claire entre les deux sources ;
Mais considérant qu'elle ne justifie ni de la réalité ni des modalités de ses investigations qui doivent être menées objectivement et impartialement, de telle sorte que comme l'ont relevé les premiers juges, ce dualisme de sources dont l'une officielle tend à officialiser l'autre, est de nature à induire en erreur le destinataire;
Considérant que la société Optipress ne saurait pour conforter sa position invoquer la qualité de professionnel averti des destinataires des informations publiées, en les supposant capables de les analyser, un tel argument renfermant l'aveu implicite de la faiblesse de ses propres informations ;
Considérant que la société Optipress justifie dans ses conclusions du mode de calcul de ses ventes mais n'apporte aucune réponse aux anomalies relevées par le tribunal dans la détermination des ventes de Cheval Pratique, de telle sorte qu'elle ne peut sérieusement affirmer que la comparaison effectuée était loyale et véridique ;
Considérant enfin qu'elle reproche aux premiers juges d'avoir omis de répondre au moyen pour elle pertinent selon lequel la société La Rivière ne démontrait pas l'irrecevabilité des chiffres annoncés concernant sa revue ;
Mais considérant que la société La Rivière lui oppose à juste titre que la charge de la preuve de l'exactitude de ses informations incombe à l'appelante et qu'en toute hypothèse la présentation hyperbolique des chiffres et pourcentages dans le seul but de mettre en évidence la faiblesse du volume des petites annonces de Cheval Pratique et de sa diffusion, est constitutive d'un agissement de concurrence déloyale en ce qu'elle tend nécessairement à décourager les annonceurs de se tourner vers la société Edition La Rivière ;
Considérant sur l'appel incident de la société Edition La Rivière tendant à ce que soit reconnue comme constitutive d'actes de concurrence déloyale l'insertion dans les numéros 275, 276 et 277 de Cheval Magazine de tableaux comparatifs présentant l'évolution de petites annonces parues dans Cheval Magazine d'une part et dans l'Eperon et Cheval Pratique d'autre part, ainsi que du commentaire que la société La Rivière critique la présentation des tableaux et l'affirmation qui y serait faite d'une double proportionnalité entre d'une part le nombre de petites annonces et la diffusion du magazine, et d'autre part le volume des petites annonces et le rendement commercial qui en découlerait ;
Considérant qu'en appel la société Optipress ne répond pas sur le moyen mais soutenait devant les premiers juges qu'il s'agissait d'un simple débat d'idées en matière de marketing ;
Considérant toutefois que ce commentaire va au delà du simple débat d'idées en posant le postulat d'une corrélation mécanique entre le volume des petites annonces et la diffusion du magazine d'une part d'autre part avec le rendement commercial, lequel postulat appliqué aux tableaux comparatifs faisant ressortir la faible part de marché du magazine Cheval Pratique par rapport à celle réalisée par Cheval magazine, est de nature à induire en erreur les lecteurs et les détourner de la revue éditée par la société La Rivière ;
Considérant que cette insertion est elle aussi constitutive d'agissements de concurrence déloyale et de violation de la loi du 18 janvier 1992; qu'il convient de faire droit à l'appel incident sur ce point ;
Considérant que la société Optipress fait valoir qu'en tout état de cause de preuve d'un préjudice n'est pas rapportée ;
Mais considérant que les agissements fautifs sont établis et que le préjudice s'en infère ;
Considérant que le tribunal a chiffré à la somme de 500 000 F le montant des dommages et intérêts réparant le trouble commercial occasionné ;
Considérant que la société Edition La Rivière demande d'en porter le montant à la somme de 1 000 000 F, pour tenir compte de tous les agissements incriminés et du comportement de la société appelante en cours de procédure ;
Mais considérant que le trouble commercial causé par les agissements de la société Optipress n'est pas nécessairement comptablement quantifiable en fonction du nombre d'agissements incriminés ;
Considérant enfin que le préjudice qui résulterait des conditions de parution de la publication ordonnée par ordonnance du Premier Président en date du 5 avril 1996 sera réparé par la publication qu'il convient d'ordonner du dispositif du présent arrêt dans le numéro de Cheval Magazine sur une pleine page et dans les mêmes conditions dans trois hebdomadaires ou mensuels aux frais de la société Optipress ;
Considérant qu'il convient dès lors de confirmer le jugement entrepris du chef de condamnation pécuniaires ;
Considérant que le surplus des dispositions du jugement relatives aux obligations de faire à charge de la société Optipress seront confirmées sauf à dire que l'astreinte sera de 3 000 F par jour de retard ;
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Les Editions La Rivière la totalité des frais irrépétibles exposés ;
Par ces motifs : Statuant publiquement par arrêt contradictoire en dernier ressort ; Reçoit la SNC Optipress en son appel et la dit mal fondée ; Dit la société Edition La Rivière partiellement fondée en son appel incident ; Confirme le jugement du tribunal de commerce de Nanterre en date du 13 décembre 1995 en ce qu'il a dit que la SNC Optipress s'est rendue coupable de violation des dispositions de l'article 10-1 de la loi du 18 janvier 1992 d'une part de concurrence déloyale par diffusion d'un mailing aux annonceurs ; Y ajoutant : Dit que la SNC Optipress a commis une violation de la loi du 18 janvier 1992 et un agissement de concurrence déloyale en publiant dans les numéros 275, 276 et 277 de la revue Cheval magazine un tableau comparatif pour l'année 1994 de l'évolution du volume de petites annonces accompagné d'un commentaire porté en marge ; Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SNC Optipress à payer à la société Edition La Rivière la somme de Cinq Cent mille Francs (500 000 F) à titre de dommages et intérêts et ordonné des obligations de faire à la charge de la SNC Optipress sauf à dire que l'astreinte est de trois Mille Francs (3 000 F) par jour de retard ; Condamne la SNC Optipress à payer à la société Editions La Rivière la somme de Cinquante Mille Francs (50 000 F) au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Ordonne la publication du dispositif du présent arrêt suivant sa signification dans le numéro de Cheval Magazine sur une pleine page et dans les mêmes conditions dans trois hebdomadaires ou mensuels aux frais de la société SNC Optipress ; Condamne la société Optipress aux dépens.