CA Paris, 4e ch. A, 22 octobre 1997, n° 95-18951
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Société d'Editions et de Périodiques Techniques (SA)
Défendeur :
Groupe LSA (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Duvernier
Conseillers :
Mme Mandel, M. Lachacinski
Avoués :
SCP Fanet, SCP Lecharny Chevillier
Avocats :
Mes Leibovici, Dreux.
La société en nom collectif " Groupe LSA et Cie " (ci-après LSA) édite depuis 1972 la magazine bi-mensuel Néo restauration, à l'usage des professionnels de la restauration et de l'hôtellerie.
Le 22 septembre 1994, la SA d'Edition et de Périodiques Techniques, dite SEPT, a publié en première page du n° 2375 de son hebdomadaire " L'Hôtellerie " un encart intitulé " Des lecteurs fidèles et nombreux : RHF Conseil confirme la position de " l'Hôtellerie ", ainsi rédigé :
" Dans l'étude sur le lectorat de la presse professionnelle des CHR que vient d'effectuer la Sté RHF Conseil, le classement de pénétration des titres confirme la position incontestable de " l'Hôtellerie " comme leader sur son secteur.
En effet dans l'ordre selon le taux de pénétration, le classement de RHF Conseil s'établir ainsi auprès de l'ensemble des CHR en France :
1 - L'Hôtellerie : 47 %
2 - Revue Technique Equip'hôtel : 23 %
3 - L'Industrie hôtelière : 19 %
4 - Néo Restauration : 11 %
5 - BRA : 11 %
6 - Le Chef : 9 %
7 - L'Auvergnat de Paris : 7 %
8 - TLN : 6 %
9 - CHD Génération : 3 %
Des chiffres qui parlent d'eux-mêmes ".
Le 27 octobre 1994, la société LSA se fondant sur les dispositions de la loi du 18 janvier 1992 et de l'article 1382 du Code Civil, a assigné la société SEPT devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins de voir, avec le bénéfice de l'exécution provisoire :
- juger que la publication de l'encart susvisé constituait une publicité comparative illicite et un acte de concurrence déloyale,
- condamner la défenderesse au paiement d'une somme de 200.000 F à titre de dommages-intérêts,
- ordonner la publication du jugement à intervenir dans cinq périodiques de son choix, aux frais de la société SEPT.
Elle a, en outre, sollicité l'attribution d'une somme de 20.000 F en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Le 24 janvier 1995, la société SEPT a conclu au rejet de la demande et a poursuivi reconventionnellement l'allocation d'une indemnité de 200.000 F pour procédure abusive et vexatoire et d'une somme de 30.000 F pour ses frais irrépétibles.
Par jugement du 16 mai 1995, le Tribunal a :
- dit que la publication litigieuse constituait un acte de concurrence déloyale,
- condamné la société SEPT à verser à la société LSA les sommes de 100.000 F à titre de dommages et intérêts et de 20.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile,
- ordonné sous astreinte l'insertion de sa décision dans deux éditions de l'hebdomadaire " L'Hôtellerie ".
La société SEPT a, le 23 juin 1995, interjeté à l'encontre de ce jugement un appel aux termes duquel elle poursuit l'infirmation de celui-ci en toutes ses dispositions et la condamnation de la société LSA à lui verser les sommes de 200.000 F sur le fondement de l'article 32.1 du nouveau Code de procédure Civile et de 30.000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
La société LSA conclut à la confirmation de la déloyale déférée et sollicite l'attribution d'une somme de 20.000 F pour ses frais non taxables.
Sur ce,
I - SUR LA DEMANDE PRINCIPALE
Considérant que la société LSA allègue que la publication litigieuse est " constitutive d'une information assimilable à une publicité comparative illicite et trompeuse et caractérise ainsi une concurrence déloyale ", dont elle est bien fondée à obtenir réparation.
Considérant que la société SEPT conteste l'existence d'une concurrence entre les titres concernés, subsidiairement le caractère comparatif de l'étude en cause et, plus subsidiairement, l'illicéité de la publication.
Sur la concurrence
Considérant que la société SEPT soutient que les deux magazines en cause ne peuvent être qualifiés de concurrents au motif que " Néo Restauration " couvrirait le secteur de la restauration collective et de la restauration commerciale de chaîne alors que " L'Hôtellerie " concernerait uniquement le secteur de la restauration commerciale indépendante.
Mais considérant que le tribunal lui a exactement objecté que l'article litigieux divulguant les taux de pénétration de différents titres et notamment de ceux appartenant aux parties à la présente instance, une telle étude n'avait de sens que si les publications en cause étaient concurrentes et, appartenaient, selon le terme employé par l'appelante au même " secteur ".
Qu'au surplus, le rapport établi par la société RHF Conseil précise dans le paragraphe consacré aux objectifs de l'étude que celle-ci porte sur la notoriété, la pénétration, le taux de lecture des titres de presse du secteur des CHR (cafés, hôtels, restaurants, " fast foods ", cafétérias) et le secteur de la restauration collective ou sociale et que son ambition est de fournir aux différents intervenants sur ce marché des résultats fiables et exploitables statistiquement.
Sur la publicité comparative
Considérant que la société SEPT expose que l'article incriminé qui reprend une étude réalisée par un organisme spécialisé sur souscription d'une quinzaine de sociétés " ne consiste qu'en la publication des résultats d'un sondage qui n'a aucun caractère publicitaire mais seulement un caractère d'information ".
Que la société LSA réplique qu'il est manifeste que " L'Hôtellerie " est le bénéficiaire de la publication effectuée en première page de couverture d'un sondage, au demeurant commandé par ses propres soins.
Considérant qu'il ne saurait être contesté qu'une publicité peut être constituée par l'adresse à un destinataire " ciblé " d'un message de quelque forme et nature que ce soit, lorsque celui-ci a pour but de valoriser la personne ou l'entreprise pour le compte de laquelle est réalisée cette communication.
Qu'en l'espèce, le message en cause a eu pour effet d'informer le lecteur professionnel de la primauté du titre édité par l'appelante dont il convient de souligner qu'en toute hypothèse, elle ne conteste pas avoir fait partie des souscripteurs aux frais desquels a été réalisée l'enquête.
Que le tribunal en a exactement déduit que la société SEPT était un annonceur de l'article 10 de la loi du 18 janvier 1992 et que la publication litigieuse, réalisée pour son compte à destination de ses lecteurs, par son contenu constituait une publicité comparative.
Sur la licéité de la publication
Considérant que la société SEPT " affirme que le Groupe LSA ne peut en aucun cas qualifier de déloyales ou fausses les informations communiquées qui ont été extraites de l'étude de l'agence RHF Conseil qui a réalisé un sondage technique très complet et dont la réputation n'a jamais été contestée ".
Qu'elle soutient que " ces informations ne font qu'indiquer la pénétration des titres des journaux cités en établissant un classement d'audience de lecture ".
Qu'elle ajoute qu'il appartient à l'intimé de prouver que les données de fait divulguées seraient inexactes.
Mais considérant qu'il convient de lui opposer qu'elle n'établit pas, contrairement aux prescriptions légales qui lui en faisaient obligation, avoir communiqué, préalablement à sa diffusion, l'annonce comparative à la société LSA et mis celle-ci en mesure de vérifier l'exactitude de ses allégations, indications ou présentations.
Qu'elle a, de ce fait, engagé sa responsabilité dans les conditions retenues par le jugement déféré.
Sur la réparation du préjudice
Considérant que le tribunal a, à juste titre, évalué l'indemnisation du dommage causé à la société LSA à la somme de 100.000 F.
Que les mesures de publication particulièrement appropriées à l'espèce, seront également confirmées, le présent arrêt se substituait seulement au jugement.
II - SUR LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE
Considérant que la demande principale étant bien fondée, la société SEPT ne saurait invoquer à son profit les dispositions de l'article 32.1 du Code de Procédure Civile et solliciter une indemnité de 200.000 F.
III - SUR LES FRAIS NON TAXABLES
Considérant que la société SEPT qui succombe, sera déboutée de la demande par elle fondée sur les dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Qu'il est en revanche équitable de confirmer la condamnation de cette société à verser à l'intimée une indemnité de 20.000 F pour les sommes non comprises dans les dépens exposées par elle sans qu'il soit nécessaire d'élever celle-ci en cause d'appel.
Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions étant précisé que les mesures de publication ordonnées porteront non sur cette décision mais sur le présent arrêt, rejette toutes autres demandes, condamne la Sté SEPT aux dépens d'appel, admet la SCP Fanet, titulaire d'un office d'avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de Procédure Civile.