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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 17 octobre 1997, n° 97-17385

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Werner et Mertz France (Sté)

Défendeur :

Phytotech (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boval

Conseillers :

M. Ancel, Mme Regniez

Avoués :

SCP Fanet, SCP Roblin-Chaix de Lavarenne

Avocats :

Mes Hollier Larousse, SCP Thomas.

T. com. Evry, du 10 juill. 1997

10 juillet 1997

LA COUR statue sur l'appel que la société Werner et Mertz France a été autorisée à relever à jour fixe à l'encontre d'un jugement rendu le 10 juillet 1997 par le Tribunal de commerce d'Evry dans un litige l'opposant à la société Phytotech.

Référence étant faite au jugement entrepris et aux écritures échangées en cause d'appel pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, il suffit de rappeler les éléments qui suivent.

Depuis 1988, Phytotech a créé une gamme de produits biologiques, mettant en œuvre des micro-organismes, destinés à de multiples utilisations, notamment domestiques. Ces produits, qui se présentent sous forme de pastilles, sont conditionnés sous " blisters " de couleur et sont commercialisés dans les magasins de grande surface. La gamme " Biop's " de Phytotech se compose des quatre produits suivants :

- un déboucheur biologique spécial lavabos, commercialisé sous blister de couleur verte (depuis 1988),

- un déboucheur biologique spécial WC, commercialisé sous blister de couleur bleue (depuis 1988),

- un activateur biologique, commercialisé sous blister de couleur rouge (depuis 1990),

- un nettoyeur biologique, commercialisé sous blister de couleur jaune (depuis 1990).

Début 1996, Werner et Mertz France a mis sur le marché une gamme de quatre produits " Tarax ", à usage domestique qui se présentent sous forme de pastilles, également commercialisées sous " blister " de couleur.

Par lettre de mise en demeure en date du 17 avril 1996, le cabinet Herrburger, pour le compte de Phytotech a demandé à Werner et Mertz France de " modifier de façon substantielle la présentation et les couleurs (que celle-ci avait) adoptées afin... d'éviter les risques de confusion générés par la similitude entre les deux gammes de produits ".

Werner et Mertz France a refusé de donner suite à cette demande en soutenant qu'aucune confusion n'était possible. Elle faisait valoir notamment que les nuances des couleurs étaient tout à fait différentes de celles utilisées par Phytotech et que celle-ci ne pouvait revendiquer un droit privatif sur les quatre coloris, bleu, rouge, vert et jaune alors que " leur choix était imposé par leur pouvoir évocateur " et qu'ils étaient " couramment utilisés dans le domaine des produits d'entretien ".

C'est dans ces conditions que Phytotech, par acte du 21 novembre 1996, a fait assigner Werner et Mertz France. Lui imputant des actes de concurrence déloyale et parasitaire, elle réclamait les mesures habituelles d'interdiction, de destruction et de publication, et demandait que son adversaire soit condamnée à lui payer, dans l'attente des résultats d'une expertise également sollicitée, une indemnité provisionnelle de 1 million de francs.

Le jugement entrepris a :

- déclaré fondées les demandes de Phytotech,

- ordonné des mesures d'interdiction et de destruction sous astreinte, ainsi que des mesures de publication,

- condamné Werner et Mertz France à payer à Phytotech la somme de 1 F à titre de dommages-intérêts provisionnels,

- avant dire droit nommé un expert aux fins de déterminer le préjudice subi et notamment la perte constatée et le manque à gagner de Phytotech.

Au soutien de son appel, Werner et Mertz France, qui poursuit principalement la réformation intégrale du jugement entrepris, fait valoir qu'elle ne s'est pas rendue coupable d'actes de concurrence déloyale et parasitaire en commercialisant les produits Tarax et elle réclame que soit ordonnée la publication de l'arrêt à intervenir aux frais de son adversaire. Subsidiairement, pour le cas où le jugement serait confirmé dans son principe, elle demande que les astreintes dont sont assorties les mesures de destruction et d'interdiction ne courent qu'à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date du prononcé de l'arrêt à intervenir.

Phytotech conclut à la confirmation sauf sur le montant de la provision allouée et celui des frais des publications. Elle prie la Cour de condamner Werner et Mertz France à lui payer une somme de un million de francs à titre de dommages-intérêts provisionnels, à parfaire après exécution de la mesure d'expertise ordonnée par les premiers juges, et d'élever le coût global des mesures de publication, mis à la charge de Werner et Mertz à la somme de 100 000 F HT.

Chacune des parties revendique l'application à son profit des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Sur ce, la Cour :

Sur la concurrence déloyale

Considérant que l'appelante dénie avoir commis les actes de concurrence déloyale qui lui sont reprochés en faisant valoir pour l'essentiel :

- que l'emballage des produits Tarax se différencie très nettement de celui des produits de Phytotech de sorte qu'aucune confusion ne serait possible entre les deux gammes,

- que son adversaire a en outre aujourd'hui abandonné la présentation de ses produits Biop's sous " blisters ",

- que le choix des couleurs des " blisters " Tarax a été imposé par le pouvoir évocateur desdites couleurs, qui sont très largement employées sur le marché des produits d'entretien,

- que le fait de pratiquer des tarifs inférieurs à ceux d'un concurrent ne constitue pas un acte de concurrence déloyale ;

Considérant que les produits Tarax incriminés sont :

- un désengorgeur biologique pour toutes canalisations, commercialisé sous blister vert,

- un activateur biologique pour fosses septiques et puisards, commercialisé sous blister rouge,

- un détartrant anti calcaire concentré pur ou dilué, vendu sous blister bleu,

- un dégraissant concentré à diluer, vendu sous blister jaune ;

Considérant qu'il ne résulte pas des pièces versées aux débats, qui font apparaître une très grande diversité des coloris employés pour le conditionnement des produits d'entretien de toutes provenances, que le choix des quatre couleurs déjà mentionnées aurait, comme le prétend l'appelante, été imposé par leur pouvoir évocateur ou aurait correspondu à un " code couleur standard " utilisé sur le marché pour tous les produits de même usage ; que la comparaison entre les emballages utilisés par les deux parties établit également que les quatre couleurs respectivement employées, vert, rouge, bleu et jaune, sont, au delà de certaines différences de nuances, essentiellement similaires ; que l'argumentation de Werner et Mertz France selon laquelle Phytotech aurait actuellement abandonné l'emploi de " blisters " est dénuée de pertinence, dès lors qu'à l'époque de l'assignation (et au moment de la mise sur le marché des produits incriminés) l'intimée utilisait encore ces conditionnements auxquels elle indique avoir dû depuis lors renoncer provisoirement en raison de ses difficultés financières ;

Considérant que les premiers juges ont relevé à juste titre, d'une part, qu'il y avait une similitude complète entre les produits commercialisés sous les emballages de couleur verte et rouge, le texte descriptif et les fonctions mentionnées étant identiques, et, d'autre part,que la similitude des couleurs des autres emballages, bleu et jaune, créait une impression d'ensemble de nature à induire en erreur une clientèle identique; qu'ils ont justement retenu que ces ressemblances, encore accentuées par la forme identique des " blisters " et par l'effet de gamme, en dépit de différences secondaires portant en particulier sur l'apposition de la marque Tarax, suscitaient un risque de confusion pour le consommateur d'attention moyenne, de sorte qu'étaient caractérisés de la part de Werner et Mertz France des agissements constitutifs de concurrence déloyale ;

Sur la concurrence parasitaire

Considérant que les premiers juges ont estimé, dans les motifs de leur décision, que Werner et Mertz France avait commis des actes de parasitisme, en se plaçant dans le sillage de Phytotech afin de tirer profit, sans rien dépenser en recherches, de ses efforts et de son savoir faire ; qu'ils ont noté que Phytotech versait aux débats les maquettes (gravure cylindrique hélio de la société Cebal) datées du 16 novembre 1988 ainsi que les plans, datés du 15 novembre 1990, établis en vue de la réalisation des conditionnements des produits de la gamme Biop's ;

Considérant cependant qu'il n'est pas contesté par l'intimée que la présentation sous forme de pastilles est usuel et banal dans le domaine des produits d'entretien; qu'il ressort du dossier que les Etablissements Linossier, fabricants de pastilles effervescentes, ont dès 1957 utilisé pour les produits de ce genre le concept du comprimé-dose, auparavant apparu dans le domaine pharmaceutique ; que cette présentation s'est rapidement développée dans le secteur des produits d'entretien ménagers en raison de ses avantages pour la manutention et le stockage ; quePhytotech ne justifie pas d'efforts de recherches particuliers que ce soit pour ce qui concerne le recours même aux " blisters " ou pour le choix des coloris, ni d'aucun investissement promotionnel ou commercial autre que les sommes acquittées pour bénéficier du " référencement " de sa gamme auprès de diverses centrales d'achat; que Werner et Mertz France établit avoir elle même engagé des frais considérables (plus de 1 million de francs) pour obtenir le référencement des produits Tarax et justifie également des investissements qu'elle a effectués pour la mise au point des emballages des produits Tarax, emballage créés bien avant la mise sur le marché des quatre produits qui font l'objet du présent litige, en vue de la commercialisation d'un javel sous forme de pastilles portant la marque Tarax dès novembre 1994 ;

Considérant que Phytotech n'établit donc pas, contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, que son adversaire se serait indûment approprié le fruit de ses efforts de recherche ou plus généralement aurait commis des agissements parasitaires distincts des faits de concurrence déloyale retenus à son encontre;

Sur le préjudice

Considérant que Phytotech soutient qu'elle a, du fait des agissements de l'appelante, perdu en 1996 son référencement dans l'ensemble des magasins Continent et Champion, de même que dans plusieurs magasins Leclerc et, à partir de juillet 1996, auprès de la chaîne Auchan, au profit de Werner et Mertz France ; qu'elle affirme qu'il en est résulté pour elle une perte de 62 % de son chiffre d'affaires, passé de l'ordre de 3 millions entre 1990 et 1995, à 1 200 000 F en 1996, de sorte que la perte totale cumulée sur deux ans s'élèverait à environ 4 millions de francs ;

Considérant que Werner et Mertz France réplique que rien n'établit que la perte de marchés éprouvée par Phytotech serait directement ou indirectement liée à la commercialisation de ses produits sous les quatre couleurs litigieuses ; qu'elle soutient que l'examen des comptes de Phytotech pour les exercices 1992 et 1993 démontrerait que la perte de marchés aurait été ancienne et due exclusivement aux insuffisances de gestion de l'intimée ;

Considérant que l'appelante fait en toute hypothèse exactement observer qu'il résulte des pièces produites par son adversaire que le chiffre d'affaires de celle-ci avec les centrales d'achat Leclerc et Mammouth, a diminué dans son ensemble et non pas seulement pour ce qui concerne la gamme de produits Biop's ; qu'elle relève aussi à juste titre que les récriminations adressées aux centrales d'achats par Phytotech concernent non seulement 1993 mais aussi les années antérieures ; qu'elle ajoute enfin, au vu des mêmes pièces, que la diminution du chiffre d'affaires de Phytotech ne s'est pas limitée aux réseaux commerciaux dans lesquels elle a introduit les produits Tarax, mais s'est manifestée auprès des centrales d'achats, comme celle de Carrefour, où les produits Tarax n'ont jamais été référencés ;

Considérant que le déclin de la gamme Biop's ne peut donc pas être entièrement imputé à la mise sur le marché des produits Tarax incriminés ; qu'elle est partiellement antérieure à l'introduction de ces produits et s'est manifestée dans des réseaux commerciaux où lesdits produits n'ont pas été distribués ; que toutefois il ressort de façon manifeste des pièces versées aux débats que le " déférencement " de la gamme Biop's au moins chez Promodes et Leclerc a été corrélatif à la mise en place dans les magasins concernés des produits Tarax ; que les agissements imputables à Werner et Mertz ont donc clairement aggravé les difficultés éprouvées par Phytotech et accentué son recul sur le marché ; que l'appelante doit réparation à son adversaire du préjudice qu'elle lui a ainsi causé ;

Considérant que Phytotech ne rapporte en revanche aucune preuve de ses autres allégations selon lesquelles la qualité, selon elle médiocre, des produits commercialisés par Werner et Mertz France aurait entraîné un avilissement du " segment de marché des produits d'entretien biologiques " ; que l'appelante verse aux débats les résultats d'analyses qui ne font pas apparaître de différence de qualité significative entre les produits concurrents, notamment en ce qui concerne la présence de micro-organismes ;

Considérant qu'en définitive, eu égard à l'ensemble des circonstances de la cause et des factures divers ci-dessus rappelés, la Cour, évoquant, dispose, sans qu'il soit nécessaire de recourir à une expertise, d'éléments suffisants pour fixer à 700 000 F le montant du préjudice subi par Phytotech, dont la réparation doit incomber à Werner et Mertz ;

Considérant que les mesures de publication, d'interdiction et de destruction seront confirmées ; qu'il échet toutefois de préciser par réformation du jugement que le point de départ des astreintes assortissant les mesures de destruction et d'interdiction dont l'exécution provisoire a été suspendue sera fixé au jour de la signification du présent arrêt ;

Considérant qu'eu égard à la succombance de Werner et Mertz France, celle-ci sera déboutée de sa demande reconventionnelle ;

Considérant que l'équité commande d'allouer à Phytotech, qui n'avait rien obtenu à ce titre en première instance, une indemnité d'un montant de 25 000 F pour ses frais irrépétibles ;

Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges : Confirme le jugement déféré sauf en ce qui concerne l'expertise et le point de départ des astreintes ; Réformant, statuant de nouveau, évoquant et ajoutant : Condamne la société Werner et Mertz à payer à la société Phytotech la somme de 700 000 F à titre de dommages intérêts ; Dit que les astreintes assortissant les mesures de destruction et d'interdiction courront à compter du jour de la signification du présent arrêt ; Dit que les mesures de publications ordonnées par les premiers juges devront faire mention du présent arrêt ; Condamne la société Werner et Mertz France à payer à la société Phytotech une somme de 25 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; Rejette toute autre demande ; Condamne la société Werner et Mertz France aux dépens ; Admet la SCP Roblin-Chaix de Lavarenne au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.