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Décisions

Cass. com., 7 octobre 1997, n° 95-20.446

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Les Desserts Gavroche (SARL)

Défendeur :

Bretagne dessert (SA), Biscuiterie Jean-Louis Joubard (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Léonnet

Avocat général :

M. Raynaud

Avocats :

Mes Choucroy, Copper-Royer, SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle.

T. com. Lorient, du 22 avr. 1994

22 avril 1994

LA COUR : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Rennes, 6 septembre 1995), que la société Les Desserts Gavroche (la société Gavroche), dont le siège social est à Marseille, commercialise et distribue exclusivement aux collectivités des produits de pâtisserie industrielle et de confiserie; qu'alléguant que six de ses salariés, trois étant chauffeurs-livreurs et les trois autres agents de distribution, dont les départs s'étaient échelonnés sur une période de plus de deux ans entre le 13 octobre 1989 et le 3 janvier 1992 et qui avaient été engagés par deux entreprises concurrentes, les sociétés Bretagne dessert (la société BD) et la biscuiterie Jean-Louis Joubard (la société LDG), étaient constitutifs de concurrence déloyale par débauchage de personnel et d'une "confusion dans l'esprit de la cientèle", les a assignées en dommages-intérêts devant le tribunal de commerce et pour qu'elles mettent fin aux relations existantes avec ses anciens salariés ;

Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches : - Attendu que la société Gavroche fait grief à l'arrêt confirmatif d'avoir rejeté ses demandes, alors que, selon le pourvoi, d'une part, contrairement à une clause de non-concurrence qui doit être nécessairement limitée dans le temps ou l'espace, la clause dite de confidentialité ou de discrétion par laquelle un salarié, eu égard à sa formation et à sa position au sein de l'entreprise, s'oblige à ne pas faire profiter une entreprise concurrente des renseignements propres à son entreprise sur la clientèle commune, est licite indépendamment de toute limitation de durée; qu'en l'espèce, où la clause litigieuse des contrats de travail n'était qu'une clause de confidentialité et de discrétion, elle ne pouvait être annulée et son respect s'imposait tant pour les salariés réembauchés par des entreprises concurrentes que pour ces entreprises elles-mêmes, d'autant que les salariés avaient tous reconnu devant le magistrat instructeur qu'ils s'adressaient à la même clientèle dans les mêmes secteurs avec le même savoir-faire; que l'arrêt a donc violé les articles 1131, 1134 et 1382 du Code civil; d'autre part, que la désorganisation intervenue dans la société Gavroche résultait nécessairement du départ sur 18 mois seulement de près de la moitié de l'effectif du personnel qualifié et spécialement formé en vue de la distribution des produits à la clientèle et seul le contact direct et quasi-permanent avec celle-ci, ce qui s'était traduit, du reste, par un arrêt brutal de l'expansion d'une entreprise performante et des pertes de marché en raison de la nécessaire formation d'un personnel de remplacement, ainsi que le précisaient les conclusions; que l'arrêt qui ne s'en explique pas est entaché d'un défaut de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil; alors, de troisième part, que l'arrêt a écarté à tort la confusion qui s'était produite entre la société Gavroche et ses concurrentes en raison du démarchage de la même clientèle par les mêmes salariés, dans la mesure où il s'évinçait des deux lettres citées de Jean Moraux et du Centre hospitalier de Pont-à-Mousson que si ceux-ci avaient fait des "propositions de fournitures pour le compte de la SA BJ" intimée, ces clients s'interrogeaient sur le point de savoir "si c'est la nouvelle appellation de votre société" ou "si un accord ou une fusion étaient intervenus"; que l'arrêt a donc violé encore l'article 1382 du Code civil; et alors, enfin, qu'il y avait eu, à tout le moins, tentative de débauchage caractérisée des salariés de la société Gavroche, établie avec certitude par l'attestation de Thierry Delhaye au début de l'année 1990 à l'encontre de ce salarié, dans la mesure où les deux salariés Benoist et Lorson avaient été embauchés [par] la suite pendant la période de préavis et où, au moins, le salarié Jean-Claude Depothuis avait reçu une promesse d'embauche avant de démissionner comme le constate l'arrêt, d'autant que les six salariés avaient été systématiquement affectés aux mêmes postes, dans les mêmes secteurs d'activité et auprès de la même clientèle; que l'arrêt a encore violé l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'il résulte des écritures d'appel de la société Gavroche que celle-ci avait soutenu "qu'elle n'avait jamais eu l'intention de fonder principalement son action sur la violation de la clause litigieuse ; que la violation de la clause de confidentialité et de discrétion souscrite ne constitue qu'un accessoire, qu'un subsidiaire, un élément complémentaire d'appréciation"; qu'elle ne saurait, dès lors, faire grief à la cour d'appel, qui a constaté que cette clause était "rédigée de façon confuse", et qui l'a écartée en la déclarant nulle pour être illimitée dans le temps et disproportionnée par rapport à la qualification et aux missions confiées aux salariés démissionnaires, d'avoir violé cette clause; que le moyen, pris en sa première branche, qui contredit l'argumentation soutenue devant les juges du fond, est, dès lors, irrecevable ;

Attendu, en second lieu, qu'ayant analysé concrètement les divers éléments de preuve versés aux débats et ayant constaté que les licenciements ou démissions des six salariés s'étaient déroulés sur une période comprise entre le 13 octobre 1989 et le 3 février 1992, qu'il n'était pas établi que les sociétés BD et LDG aient agi "de concert" pour le recrutement de ces salariés et qu'il n'était pas démontré que, compte tenu de l'étalement dans le temps des départs litigieux, il y ait pu avoir "une confusion dans l'esprit de la clientèle", la cour d'appel n'encourt pas les griefs du moyen pris en ses trois dernières branches; que le moyen, irrecevable en sa première branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Sur le second moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société Gavroche fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à chacune des deux sociétés concurrentes des dommages-intérêts pour procédure abusive, alors, selon le pourvoi, que, d'une part, une cassation obtenue sur le moyen précédent doit entraîner la censure de ce chef "abusif" par voie de conséquence nécessaire au regard de l'article 6 du nouveau Code de procédure civile; et alors, d'autre part, et en tout cas, que l'arrêt n'a pas caractérisé l'abus de procédure, eu égard à un acte d'assignation assorti de douze pièces dont une consultation positive d'un professeur de droit et à des conclusions fortement argumentées, tout plaideur pouvant se méprendre sur l'étendue de ses droits; que l'arrêt a donc violé l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu, d'une part, que le premier moyen ayant été rejeté, le second moyen, pris en sa première branche, doit l'être également ;

Attendu, d'autre part, que l'arrêt a constaté que la société Bretagne "a assigné ses adversaires en juin 1993, pour des faits insuffisamment étayés, à la suite de la cessation des contrats de travail de certains de ses salariés survenue entre la fin 1989 et le début de l'année 1992"; qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a pu estimer que cette entreprise avait agi avec légèreté, sinon avec malice, et qu'elle avait commis une faute en abusant de son droit d'agir en justice qui devait être sanctionnée par l'octroi de dommages-intérêts aux défendeurs ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi.