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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 1 octobre 1997, n° 95-17153

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Restodéco ELC (SARL)

Défendeur :

Laudescher (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Duvernier

Conseillers :

Mme Mandel, M. Lachacinski

Avoués :

SCP d'Avoués Gibou-Pignot Grapotte Benetreau, SCP Goirand

Avocats :

Mes Braguier, Carriere

T. com. Paris, 2e ch., du 16 mai 1995

16 mai 1995

Faits et procédure

La Société Laudescher s'est spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de produits de décoration, et principalement de claustras qui sont des " meubles " décoratifs ou utilitaires constitués d'ensemble d'éléments en bois ajourés permettant la séparation et l'ornementation des espaces ;

A la suite de la diffusion du catalogue Documentation et Tarifs 1994/1995 par la société Restodécor-Espace et Loisirs du Centre ci-après dénommée Restodéco ELC qui a pour activités les travaux et les aménagements décoratifs intérieurs et extérieurs, la société Laudescher a assigné cette dernière devant le Tribunal de Commerce de Paris afin qu'elle soit déclarée responsable d'actes de concurrence déloyale à son égard et condamnée à lui payer, outre la somme de 10 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, celle d'un montant de 100 000 F à titre de dommages et intérêts, qu'il lui soit interdit sous astreinte d'utiliser le slogan " N° 1 Européen Cloisons Décoratives " et d'utiliser ses documents publicitaires actuels tant qu'ils n'auront pas été changées, de la condamner à modifier ses catalogues et publicités afin de faire disparaître les noms " Isigny ", " Carentan ", et " Cefini ", et d'ordonner la publication du jugement à venir ;

Par jugement assorti partiellement de l'exécution provisoire du 16 mai 1995, le tribunal saisi a :

- fait interdiction à la société Restodécor ELC d'utiliser le slogan " N ° 1 Européen Cloisons Mobiles Décoratives " sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée pendant trente jours passé lequel délai il sera à nouveau fait droit,

- condamné la société Restodécor ELC à payer à la société Laudescher les sommes de 10 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

- rejeté le surplus des demandes respectives des parties,

- condamné la société Restodécor ELC aux dépens ;

La société Restodécor ELC appelante prie la Cour d'infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions et de la décharger de toutes les condamnations mises à sa charge ;

Elle soutient ne pas commettre des actes de concurrence déloyale à l'égard de la société Laudescher puisqu'elle n'est pas spécialisée dans le procédé du claustras mais conçoit, produit et commercialise un ensemble beaucoup plus vaste de catégories de cloisons mobiles décoratives qui ne se limite pas aux claustras fabriqués par la société intimée ;

Elle indique que la société Laudescher n'a pas démontré, d'une part la mauvaise intention qui lui est imputée et le préjudice qu'elle aurait subi de son fait, et d'autre part la fausseté de l'allégation " On Ne Peut Pas Copier Nos Prix " au regard de l'article 44.1 de la loi du 23 décembre 1973 ;

Elle fait également valoir :

- que le fondement donné par le tribunal à sa condamnation tirée d'une considération de fait selon laquelle le marché prétendument relativement réduit des claustras constituerait un sous-ensemble d'un ensemble plus large constitué par des cloisons mobiles est erroné puisque ses activités commerciales sont beaucoup plus vastes que celles résultant de la seule création et de la seule fabrication des claustras qui ne sont que des matériaux constitués d'un canelage en bois ;

- qu'ayant une activité commerciale différente de celle exercée par la société Laudescher, cette dernière qui ne justifie d'ailleurs d'aucun droit sur la technique du claustras ne saurait selon elle en l'absence de grief lui reprocher de prétendre qu'elle n'est pas le numéro un européen des cloisons mobiles décoratives ;

La société Laudescher intimée demande à la Cour de confirmer le jugement entrepris qui a dit que d'utilisation du slogan " Restodécor ELC N° 1 Cloisons Mobiles Décoratives " constitue un acte de concurrence déloyale, mais de le réformer pour le surplus, puisque selon elle, en utilisant le slogan publicitaire " On Ne Peut Pas Copier Nos Prix " et les dénominations " Carentan ", " Isigny " et " Cefini " pour désigner trois modèles de claustras, la société appelante a commis volontairement des actes de dénigrements et de concurrence déloyale à son encontre ;

Elle demande par conséquent à la Cour de faire cesser toute utilisation de ces slogans et noms sous astreinte provisoire de 1 000 F par infraction constatée à compter de la signification de l'arrêt à venir, d'ordonner la publication dudit arrêt dans trois journaux de son choix aux frais de la société Restodécor ELC, le coût de chacune des insertions ne pouvant dépasser la somme de 10 000 F HT, de condamner la société Restodécor ELC à lui payer, outre la somme de 25 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile , également celle d'un montant de 300 000 F à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale et dénigrement commis à son encontre ;

Elle prétend en contredisant tous les arguments soutenus par la société appelante que l'indication portée sur le catalogue 1993/1994 " Restodéco ELC N° 1 Européen Cloisons Mobiles Décoratives " constitue un acte de concurrence déloyale dans la mesure où cette affirmation est parfaitement inexacte et qu'elle est destinée à provoquer une confusion dans l'esprit de la clientèle afin de s'accaparer une notoriété et une place sur un secteur qu'elle ne possède pas ;

Elle indique que la parution de l'encart publicitaire " On Ne Peut Pas Copier Nos Prix " constitue une moquerie dans la mesure où selon elle cette publicité laissait sous entendre que les modèles présentés pouvaient et étaient copiés par la concurrence mais qu'elle était seule à pratiquer les meilleurs prix sur ces modèles ;

Elle soutient que la société Restodéco ELC en reproduisant dans sa publicité deux modèles de claustras désignés sous les noms de " Carentan " et d' " Isigny " qui sont identiques à ceux qu'elle fabrique est à l'origine d'une confusion dans l'esprit de la clientèle ;

Qu'elle est également selon elle responsable d'actes de dénigrement en utilisant, d'une part les noms susvisés, et d'autre part celui utilisant la forme de la dérision de " Cefini " qui reprend le modèle qu'elle commercialise sous le nom de " Capri " ;

Sur quoi, LA COUR,

Considérant que la société Laudescher estime que l'indication " Restodéco ELC N° 1 Européen Cloisons Mobiles Décoratives " portée sur le catalogue 1993/1994 édité par la société Restodécor ELC constitue pour elle un acte de concurrence déloyale dans la mesure où cette affirmation est parfaitement inexacte et qu'elle a pour but de jeter la confusion dans l'esprit de la clientèle et de permettre à la société Restodécor ELC de s'accaparer à son détriment et à celui des autres concurrents une place sur un secteur qu'elle ne possède pas ;

Mais considérant qu'il appartient à la société Laudescher en sa qualité de demanderesse à l'action, et contrairement à ce qu'elle soutient dans ses conclusions, de démontrer que les assertions inscrites sur la couverture du catalogue sus-visé diffusé par la société Restodéco ELC qui exercerait une activité similaire à la sienne sont constitutifs d'une faute et sont révélateurs d'un comportement de concurrent déloyal qui lui a occasionné un préjudice personnel, direct et certain ;

Considérant qu'il convient tout d'abord de constater que les activités des sociétés Laudescher et Restodéco ELC concernent exclusivement pour la première la fabrication et la vente de claustras, tandis que la seconde a pour activités les travaux et les aménagement décoratifs intérieurs et extérieurs qui impliquent l'utilisation de cloisons mobiles décoratives qui englobent également les claustras ;

Que ces deux sociétés exercent donc leurs activités commerciales dans un vaste secteur qui s'applique à des degrés divers aux claustras de telle sorte qu'elles sont obligées de respecter et de s'imposer les règles de la concurrence loyale qui enfreintes sont susceptibles d'être sanctionnées ;

Que la société Laudescher ne démontre cependant pas que le slogan qu'elle critique est emprunt de fausseté, puisqu'au contraire la société Restodéco ELC produit aux débats neufs attestations de sociétés et d'entreprises qui indiquent que la gamme de cloisons Restodéco pour sa spécificité est unique sur le marché français ;

Que la société Laudescher n'établit donc pas que la publicité constituée par le slogan " N° 1 Européen de la Cloison Mobile Décorative " utilisé par la société Restodéco ELC et destiné à la mettre en valeur constitue exclusivement à son égard un acte de concurrence déloyale;

Qu'elle ne justifie au surplus également pas du préjudice qu'elle prétend avoir directement subi à la suite des mentions qu'elle critique ;

Que le jugement déféré qui a condamné la société Restodéco ELC à payer à la société Laudescher la somme de 30 000 F à titre de dommages et intérêts sera donc infirmé ;

Considérant que la société Laudescher reproche également à la société Restodéco ELC d'avoir publié un encart publicitaire avec la mention " On Ne Peut Pas Copier Nos Prix " et d'avoir ainsi commis un acte de dénigrement à son encontre, puisqu'il convient selon elle de rapprocher cette affirmation du jugement rendu le 10 décembre 1990 qui a dit que la société Restodéco ELC qui lui opposait un droit protégeable sur ses modèles ne pouvait se prévaloir de l'existence de telles œuvres au titre du droit d'auteur, faute de nouveauté et d'originalité ;

Considérant que bien que s'agissant de sociétés qui exploitent un secteur d'activités voisines ou proches, la société Laudescher ne peut, s'en en rapporter la preuve, affirmer comme elle le fait, que l'encart publicitaire qui n'est d'ailleurs pas daté, constitue de la part de la société Restodécor la réponse dénigrante qui fait suite au jugement de condamnation susvisé prononcé en sa faveur contre la société Restodéco ELC, et qu'il était essentiellement destiné à le dénigrer dans le milieu professionnel ;

Qu'en effet, en l'absence de mesure de publication du jugement du 10 décembre 1990 qui bénéficie de l'effet relatif et qui n'a donc pu en l'absence de preuve contraire, être porté que de façon très limitée à la connaissance du public, et de ce que la société Laudescher n'est pas directement désignée comme la destinataire de la publicité ou de ce qu'il n'est pas démontré qu'elle est susceptible d'être reconnue par les lecteurs de la publicité, elle ne peut soutenir que ladite publicité lui était spécialement destinée et lui a de ce fait occasionné un préjudice qui justifie réparation;

Considérant que la société Laudescher reproche enfin à la société Restodécor ELC d'avoir dans son catalogue 1994/1995 et dans l'encart publicitaire susvisé, d'une part reproduit deux modèles de claustras identiques à ceux qu'elles fabriquent et qui ont été désignés sous les noms de " Carentan " et d' " Isigny ", et d'autre part désigné un modèle qu'elle commercialise sous le nom de " Cefini " pour par dérision dénigrer selon elle son propre modèle nommé " Capri " ;

Considérant que l'utilisation conjuguée dans son catalogue par la société Restodéco ELC pour désigner des claustras du noms " Carentan " et de celui d' " Isigny " qui ont effectivement un rapport client et certain avec la société Laudescher qui dans ces villes a exercé ou exerce encore ses activités industrielles et commerciales, et du nom de " Cefini " pour parodier le modèle dénommé " Capri " fabriqué par la société intimée constitue une action positive de dénigrement dirigée contre la société Laudescher destinée à lui nuire et à faire croire qu'il s'agit d'objets fabriqués par la société Laudescher et donc ainsi à détourner la clientèle des fabrications réalisées par cette dernière;

Que ce comportement émanant de la société Restodécor ELC qui exploite pour partie le même secteur d'activités que son concurrent est manifestement déloyal et donc fautif puisqu'il est contraire aux usages commerciaux qui veulent que la liberté d'entreprise s'exerce dans le respect des droits d'autrui ;

Que cette atteinte à la réputation et au crédit de la société Laudescher lui cause manifestement pour les motifs susvisés un préjudice direct et certain qui justifie que la société Restodéco ELC soit condamnée à lui payer la somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts ;

Que le jugement déféré sera donc réformé sur ce point ;

Considérant que tant les mesures de publication du dispositif du présent arrêt que d'interdiction sous astreinte d'utiliser les noms susvisés constituent un moyen efficace destiné à permettre à la société Laudescher de réparer le préjudice que lui a causé la société Restodécor ELC doivent par conséquent être ordonnées dans les termes prévus ci-après ;

Considérant qu'il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la société Laudescher la totalité des dépens qu'elle a dû engager en cause d'appel qui ne sont pas compris dans les dépens, et qu'il convient de compenser à hauteur de la somme de 25 000 F, ceux accordés à la société intimée au même titre par le jugement déféré devant lui être acquis ;

Par ces motifs : Infirme le jugement rendu le 16 mai 1995 par le Tribunal de Commerce de Paris en toutes ses dispositions, à l'exception de celles se rapportant aux frais non compris dans les dépens mis à la charge de la société Restodéco ELC, Et statuant à nouveau, Dit que la société Restodéco ELC en utilisant les noms de " Carentan ", d' " Isigny " et de " Cefini " pour désigner trois modèles de claustras a commis des actes de dénigrement à l'encontre de la société Laudescher, Interdit en conséquence à la société Restodéco ELC d'utiliser ces noms sous astreinte provisoire de 1 000 F à compter de la signification du présent arrêt et par infraction constatée, Ordonne la publication du dispositif [du] présent arrêt dans trois journaux au choix de la société Laudescher et aux frais de la société Restodéco ELC sans que le coût de chacune des insertions puisse dépasser la somme de 10 000 F HT, Condamne la société Restodéco ELC à payer à la société Laudescher la somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts, Condamne la même société à payer à la société Laudescher la somme de 25 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, Rejette toute demande autre, contraire ou plus ample, Condamne la société Restodéco ELC aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ces derniers au profit de la SCP d'Avoués Gibou-Pignot Grapotte-Benetreau dans les conditions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.