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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 24 septembre 1997, n° 95-017827

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

La Redoute Catalogue (SA), Pinault Printemps Redoute (SA)

Défendeur :

Paris je t'aime (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Duvernier

Conseillers :

Mme Mandel, M. Lachacinski

Avoués :

SCP Teytaud, SCP Bommart Forster

Avocats :

Mes Bertrand, Legrand.

T. com. Paris, 2e ch., du 30 mai 1995

30 mai 1995

Faits et procédure

Référence étant faite au jugement entrepris pour l'exposé des faits, de la procédure et des moyens antérieurs des parties, il suffit de rappeler les éléments essentiels suivants :

Depuis septembre 1992 la société Paris je t'aime commercialise une série de quatre torchons à fond écru avec des impressions de couleur gris foncé soit de flacons et carafes, soit de verres, soit de couverts soit encore de théières ;

Ayant constaté que dans le catalogue automne hiver 1994-1995 de La Redoute étaient offerts à la vente un tissu ainsi qu'un rideau imprimé " Crystal " à fond écru avec des dessins imprimés en noir reproduisant des carafes, des verres, des couverts, des assiettes, des tasses, la société Paris je t'aime a par exploit en date du 8 novembre 1994 assigné devant le tribunal de commerce de Paris les sociétés La Redoute Catalogue et Pinault Printemps Redoute en concurrence déloyale et parasitaire ;

Elle sollicitait outre des mesures d'interdiction sous astreinte et de publication, la condamnation in solidum de ces deux sociétés à lui verser la somme de 200 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;

Redoute Catalogue et Pinault Printemps Redoute concluaient à ce que Paris je t'aime soit déboutée de ses demandes et reconventionnellement réclamaient sa condamnation à leur payer la somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et celle de 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;

Le tribunal par le jugement entrepris a retenu que les deux sociétés défenderesses s'étaient rendues coupables de concurrence déloyale et parasitaire en s'appropriant les fruits de la création de Paris je t'aime ainsi que ses efforts d'ordre économique, notamment publicitaires et les a condamnées à payer à cette société la somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts ;

Il a par ailleurs prononcé des mesures d'interdiction sous astreinte de 1 000 F par jour de retard à compter de la signification du jugement et autorisé diverses mesures de publication ;

Il a ordonné l'exécution provisoire sauf du chef des mesures de publication ;

Appelantes selon déclaration du 22 juin 1995, les sociétés Redoute Catalogue et Pinault Printemps Redoute prient la Cour de réformer le jugement en ce qu'il les a condamnées pour faits de concurrence déloyale et parasitaire et reconventionnellement elles sollicitent le versement d'une somme de 500 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et celle de 50 000 F du chef de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;

Paris je t'aime poursuit la confirmation du jugement et réclame par ailleurs paiement d'une somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;

Sur ce, LA COUR,

I. Sur la concurrence déloyale et les agissements parasitaires

Considérant que les sociétés appelantes font valoir que le tissu Crystal n'est pas, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, une compilation des modèles de la société Paris je t'aime mais une création indépendante de la société Ute qui l'a fait réaliser en février 1993 par M. Faure et qui l'a commercialisée à compter de la mi août 1993 ;

Qu'elles ajoutent que La Redoute a commandé ce tissu à la société Ute en janvier 1994 et qu'en conséquence il ne peut lui être fait grief de s'être procurée en février 1994 un échantillon du tissu de Paris je t'aime pour, par la suite, l'utiliser pour faire fabriquer et mettre dans le commerce le modèle Crystal ;

Que par ailleurs elles exposent que le tissu Crystal est une création originale qui ne reproduit pas servilement les modèles de Paris je t'aime et qu'il n'existe aucun risque de confusion entre eux ;

Qu'enfin elles contestent avoir cherché à profiter des efforts de création ou de mise au point de Paris je t'aime ;

Considérant que certes les appelantes versent effectivement aux débats un dessin signé par M. Faure identique à celui imprimé sur le tissu litigieux, une facture de M. Faure en date du 27 mars 1993 pour deux dessins, une attestation de M. Venot responsable de la création des produits de collection chez Ute ainsi que les justificatifs de mise en gravure en avril 1993 dudit dessin par les Ets Michel, tous éléments qui démontrent que M. Faure a réalisé ce dessin en mars 1993 selon les desiderata d'Ute ;

Mais considérant qu'il demeure que cette création est postérieure à septembre 1992, date à laquelle Paris je t'aime a présenté pour la première fois ses modèles au salon Paas ;

Considérant par ailleurs que les appelantes ne rapportent nullement la preuve de ce qu'elles auraient commandé le tissu critiqué en janvier 1994 ;

Considérant en effet que les pièces produites établissent simplement qu'un échantillon de l'article Cristal 2 ref 003771 a été remis le 18 janvier 1994 à Madame Rosze par la société Ute et que la même société a adressé le 24 janvier 1994 la gamme de coloris de cet article à la société Danset Création Sylvie Thiriez ;

Mais considérant que si la société Ute a facturé le 18 février 1994 la société Danset pour 33 mètres de tissu Cristal, en revanche il n'est pas établi que la société Redoute ait passé en janvier ou février 1994 la moindre commande de ce tissu à la société Ute ;

Qu'il n'est produit ni télécopie en ce sens, ni bon de commande, ni facture et il n'est pas plus démontré que la société Danset soit le fournisseur de La Redoute et que Madame Rosze soit une acheteuse de cette société ;

Que la version des faits telle que donnée par les appelantes n'est donc pas prouvée ;

Considérant cependant qu'eu égard à la date à laquelle le dessin incriminée a été crée (février 1993), il ne peut être valablement soutenu que les appelants l'aient fait réaliser après qu'un de ses salariés M. Lobbens soit venu sur le stand de Paris je t'aime au Paas en février 1994 et ait commandé des échantillons des modèles de torchons avec des impressions de couverts et de tasses ;

Considérant qu'il ne peut pas davantage être retenu qu'il existe un risque de confusion entre les modèles en cause résultant d'une copie quasi servile ;

Considérant en effet alors que chacun des torchons commercialisés par l'intimée présente un thème unique à savoir les verres, les carafes, les tasses ou les couverts, le tissu commercialisé par Pinault Printemps Redoute et proposé dans le catalogue édité par Redoute Catalogue reproduit à la fois des couverts, des verres, des carafes, des tasses et des assiettes ;

Que par ailleurs l'agencement choisi est différent ;

Que le créateur du dessin incriminé présente ces différents articles de vaisselle pêle mêle, sans ordre précis, tantôt tournés vers la droite ou vers la gauche, les couverts étant présentés séparés ou entrecroisés et les assiettes superposées ;

Considérant en revanche que le créateur des modèles de l'intimée a opté pour une présentation très sobre et aérée, que tous les verres ou carafes sont alignés et droits, que les couverts ne sont jamais entrecroisés ;

Considérant en conséquence qu'il ne peut être fait grief aux appelantes d'avoir cherché à entretenir une confusion entre son tissu et les torchons de Paris je t'aime en commercialisant une copie quasi servile ;

Que le jugement doit donc être réformé en ce qu'il a dit que les sociétés appelantes avaient commis des actes de concurrence déloyale ;

Mais considérant que les premiers juges ont justement retenu que les sociétés appelantes ont indéniablement cherché en offrant à la vente et en vendant les articles incriminés à se placer dans le sillage de la société Paris je t'aime dont les modèles créés en 1992 avaient reçu un certain succès auprès du public puisqu'en 1994 l'intimée les vendait toujours et avait même étendu sa gamme ;

Qu'en reprenant le même thème des objets de style 18ème et 19ème siècles utilisés pour la table, en choisissant un tissu à la texture identique à fond écru avec des impressions en noir et des dessins rappelant la toile de Jouy et en proposant ses articles pour l'agencement de la cuisine, les appelantes ont voulu indéniablement profité des initiatives et des efforts dont a fait preuve Paris je t'aime pour faire connaître ses produits et bénéficié ainsi à moindres frais du courant d'articles établi auprès de la clientèle pour ce type d'articles ;

Qu'un tel comportement est constitutif d'agissements parasitaireset engage la responsabilité des sociétés appelantes l'une commercialisant les articles incriminés, l'autre en assurant la promotion grâce au catalogue qu'elle édite ;

Qu'à juste titre le tribunal a retenu la responsabilité in solidum des sociétés Pinault Printemps Redoute et Redoute Catalogue, celles-ci ayant ensemble participé aux agissements parasitaires ;

Que le jugement sera donc confirmé de ces chefs ;

II. - Sur les mesures à prendre

Considérant que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a prononcé des mesures d'interdiction sous astreinte pour mettre un terme aux actes condamnés ;

Qu'il a exactement apprécié le préjudice subi par Paris je t'aime et sa réparation eu égard notamment à l'importante publicité faite par La Redoute pour promouvoir ses articles et au fait que ceux-ci ont été présentés tant dans le catalogue automne hiver 94/95 que dans le catalogue printemps été 95 ;

Que le jugement sera également confirmé en ce qu'il a fait droit à des mesures de publication lesquelles devront toutefois faire mention du présent arrêt ;

III - Sur la demande reconventionnelle

Considérant que les sociétés appelantes qui succombent ne sauraient qualifier d'abusive la procédure diligentée à leur encontre ;

Qu'elles seront en conséquence déboutées de leur demande en paiement de dommages et intérêts de ce chef ;

IV - Sur l'article 700 du NCPC

Considérant que l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile aux sociétés appelantes ;

Considérant en revanche qu'il convient d'allouer à la société Paris je t'aime qui a dû engager de nouveaux frais hors dépens devant la Cour une somme supplémentaire de 15 000 F ;

Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a dit que les sociétés Redoute Catalogue et Pinault Printemps Redoute avaient commis des actes de concurrence déloyale, Statuant à nouveau et y ajoutant, Déboute la société Paris je t'aime de sa demande au chef de concurrence déloyale, Dit que les mesures de publication devront faire mention du présent arrêt, Déboute les sociétés appelantes de leur demande en paiement de dommages et intérêts, Les condamne à payer à la société Paris je t'aime une somme supplémentaire de 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, Les condamne au dépens d'appel, Admet la SCP Bommart Forster titulaire d'un office d'avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de Procédure Civile.