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Décisions

CA Rouen, 2e ch. civ., 18 septembre 1997, n° 1548-96

ROUEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Deutsche Grammophon (GMBH), Polygram (SA)

Défendeur :

Prova Record

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Credeville

Conseillers :

MM. Dragne, Pérignon

Avoués :

SCP Greff Curat, Me Couppey

Avocats :

Mes Boespflug, Elbaz.

TGI Rouen, du 18 mars 1996

18 mars 1996

La société de droit allemand Deutsche Grammophon est l'un des premiers producteurs de disques au monde. Elle est propriétaire, pour les désigner, de deux marques semi-figuratives, objet des enregistrements internationaux n° 430 667 du 26 mai 1977 et 518 308 du 9 septembre 1987, produisant effet en France.

Leur modèle, tel qu'il apparaît sur les extraits du Registre International des Marques versé aux débats, se présente comme suit :

EMPLACEMENT TABLEAU

Les deux marques sont donc quasiment identiques, comme constituées d'un cadre épais:

- de même forme générale rectangulaire, aux bords et angles particulièrement travaillés, avec des saillies extérieures et, vers l'intérieur, une succession de liserés conférant une impression de relief,

- entourant le même énoncé de la dénomination " Deutsche Grammophon ", écrite en caractères gras, sur deux lignes, et surmontée d'un emblème représentant un bouquet de tulipes stylisé, formant une sorte de couronne étirée sur la largeur.

Leur représentation, en noir et blanc sur les extraits, est accompagnée de la mention : " couleurs revendiquées: jaune, noir et blanc ". De fait, la société Deutsche Grammophon appose ses marques, sur ses disques et leur emballage, imprimées en noir sur fond jaune, avec certains liserés blancs :

S'agissant des disques compacts édités pour certaines œuvres musicales, telles " les quatre saisons " de Vivaldi, l'apposition en couleur s'accompagne de variantes, puisque apparaît :

- sur la face arrière de l'emballage : une marque pour le surplus conforme aux modèles reproduits sur les certificats d'enregistrement ;

EMPLACEMENT TABLEAU

- sur la face avant : une marque procédant sans doute des mêmes modèles, mais sensiblement modifiés en ce qui concerne tant le cadre que les mentions qu'il contient.

Figure en effet, sur le tiers supérieur de ladite face, un cartouche jaune ayant le même aspect que le cadre précité, mais largement étiré dans le sens horizontal et simplifié dans sa facture. A l'intérieur, l'indication du contenu du disque (auteur de l'œuvre; titre ...) remplace le nom " Deutsche Grammophon " et sa couronne. Ces derniers sont en revanche repris au sommet du cadre, en format réduit, à cheval au milieu du bord supérieur.

EMPLACEMENT TABLEAU

Dans la période contemporaine, la société Prova Record a commercialisé, notamment dans les grandes surfaces, un disque compact portant également sur un enregistrement des " quatre saisons " de Vivaldi, dont la face avant de l'emballage comportait un cartouche quelque peu ressemblant :

couleur jaune ; forme rectangulaire étirée dans le sens horizontal ; liserés; positionnement sur le tiers supérieur; indication du contenu du disque; dénomination surmontée d'une couronne, au sommet du cadre, la dénomination étant toutefois " Emperor " et la couronne faite de lauriers.

EMPLACEMENT TABLEAU

La société Deutsche Grammophon et son distributeur pour la France, sa filiale la société Polygram, se sont émues de cette commercialisation. L'estimant constitutive de contrefaçon et faits distincts de concurrence déloyale à l'égard de la première, de concurrence déloyale à l'égard de la seconde, elles ont fait assigner la société Prova Record en sollicitant des dommages- intérêts, outre les mesures habituelles d'interdiction et de publication.

C'est dans ces conditions que, par jugement du 18 mars 1996, le Tribunal de Grande Instance de Rouen a:

- notamment retenu :

Sur l'imitation de marque

En l'espèce l'élément imité est un rectangle mais de taille différente de celui déposé, entouré d'un liseré mais différent, surmonté d'un emblème végétal différent et de couleur jaune.

Il est constant que la marque Deutsche Grammophon est connue comme la marque à " l'étiquette jaune ".

Le rectangle, le liseré, l'élément floral et surtout la couleur jaune sont bien dans la marque en cause, en raison de son ancienneté et de sa notoriété des éléments distinctifs, caractéristiques et susceptibles à eux seuls de distinguer le produit qu'ils recouvrent.

Leur reproduction même avec des mentions ajoutées différentes, est susceptible de créer un risque de confusion dans la mesure où comme le dit l'exposé des motifs de la loi type de l'OMPI, " les marques se ressemblent de telle manière qu'une partie du public réagira sur la base du souvenir parfois vague qu'il a de l'autre ou supposera qu'il y a identité de provenance ou un rapport entre leur provenance. "

En effet s'il est certain, comme le soutient la défenderesse, que l'acheteur d'un disque classique fait preuve d'un minimum d'attention, il n'en reste pas moins que le consommateur moyen sera amené à penser que les disques vendus sous l'étiquette litigieuse ne sont pas étrangers à la société Deutsche Grammophon.

Il y a donc bien imitation de marque.

La Concurrence déloyale

Deutsche Grammophon fait état pour caractériser la concurrence déloyale à son égard d'autres similitudes que celle de la marque :

- l'emplacement de l'étiquette jaune sur la pochette du disque,

- le caractère saillant des emblèmes,

- la manière dont est imprimé le nom du compositeur et de l'œuvre.

Mais ces éléments ne sont pas caractéristiques et sont habituels en matière de couverture de disques.

La preuve n'est donc pas rapportée d'éléments caractérisant la concurrence déloyale, distincts de ceux retenus pour l'imitation de la marque.

Par contre, la concurrence déloyale doit être retenue en ce qui concerne le distributeur Polygram.

Elle est cependant très limitée.

Les disques Prova Record, très peu chers, s'adressent à une clientèle achetant des disques classiques en grande surface, ce qui n'est pas la clientèle habituelle achetant des disques Deutsche Grammophon.

- statué en conséquence comme suit :

Dit que la société Rova Record a commis des actes de contrefaçon par imitation des marques n° 430 667 et 513 308 appartenant à la société Deutsche Grammophon ainsi que des actes de concurrence déloyale aux dépens de la société Polygram,

Interdit à la société Prova Record de distribuer les disques compacts litigieux sous astreinte de 200 F par infraction constatée à compter du huitième jour suivant la signification du jugement et ce avec exécution provisoire,

Condamne la société Prova Record à payer à la société Deutsche Grammophon la somme de 20.000 F à titre de dommages- intérêts et celle de 5.000 F à la société Polygram,

La condamne à payer aux défenderesses la somme de 10.000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Appelantes de cette décision, les sociétés Deutsche Grammophon et Polygram font valoir que c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu la contrefaçon, alors que :

- les éléments figuratifs des deux marques internationales seraient protégeables en eux-mêmes, indépendamment de la dénomination " Deutsche Grammophon ", le public associant d'ailleurs la société aux disques revêtus de " l'étiquette jaune " ;

- il existerait, entre ces éléments figuratifs et ceux repris par leur adversaire, d'évidentes similitudes : forme rectangulaire; liserés; couleur jaune; graphisme des dénominations ;

- ces similitudes engendreraient un risque de confusion d'autant plus évident que la notoriété des marques serait un facteur aggravant, le consommateur étant à tout le moins conduit à un rapprochement entre les productions des deux entreprises.

C'est en revanche à tort que les premiers juges auraient fixé l'indemnisation totale, allouée aux deux appelantes, à une somme d'à peine 25.000 F et refusé d'ordonner la publication de leur décision, perdant de vue :

- la banalisation et l'affaiblissement du pouvoir distinctif des deux marques, alors surtout que les productions de la société Prova Record seraient de qualité très inférieure, permettant une politique de vente à vil prix ;

- la tromperie des consommateurs sur l'origine des disques compacts litigieux, avec pour conséquence la privation de ventes qui auraient été autrement réalisées, notamment dans les grandes surfaces ;

- l'existence de faits distincts de la contrefaçon s'inférant des conditions de la copie : positionnement et dimension des cartouches, caractère saillant des emblèmes; impression du nom du compositeur de l'œuvre et du titre de celle-ci.

La Cour devrait donc :

Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il n'a condamné la société Prova Record à payer aux sociétés Deutsche Grammophon et Polygram qu'une somme de 25.000 F à titre de dommages-intérêts, a débouté ces dernières de leurs demandes de publication de la décision et a refusé d'admettre l'existence d'actes de concurrence déloyale distincts de ceux invoqués au titre de la contrefaçon par imitation des marques de la société Deutsche Grammophon,

Condamner la société Prova Record à payer une indemnité de 1.000.000 F au titre de la banalisation et de l'avilissement des marques de cette dernière,

Désigner tel expert qu'il plaira à la Cour de nommer avec pour mission d'évaluer le manque à gagner subi par les sociétés Deutsche Grammophon et Polygram,

Condamner la société Prova Record à payer aux sociétés Deutsche Grammophon et Polygram une provision de 500.000 F au titre de leur manque à gagner,

Ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans cinq périodiques au choix des sociétés Deutsche Grammophon et Polygram et aux frais de la société Prova Record, le coût de chaque insertion ne pouvant excéder la somme de 30.000 F HT,

Condamner la société Prova Record à payer à chacune des sociétés Deutsche Grammophon et Polygram une indemnité de 20.000 F en vertu de l'article 700 du NCPC.

Pour la société Prova Record, les premiers juges n'auraient pas tiré les conséquences de leurs propres constatations. En effet, c'est de façon à tout le moins paradoxale qu'ils auraient retenu la contrefaçon, après avoir relevé l'absence de toute similitude entre les marques en litige.

Par ailleurs, c'est sans aucunement la caractériser au regard des dispositions de l'article 1382 du Code Civil, qu'ils auraient retenu la concurrence déloyale à l'égard de la société Polygram, tout en soulignant que les clientèles des deux parties étaient particulièrement différentes.

C'est sans sérieux que, pour contester ce dernier fait, les appelantes ont cru pouvoir soutenir que leurs disques étaient également vendus en grandes surfaces. Tel n'aurait manifestement pas été le cas à la date de l'assignation et des débats en première instance.

En réalité, leur affirmation ne pourrait s'expliquer que par le fait qu'elles ont mis à profit l'exécution provisoire attachée à l'interdiction prononcée par les premiers juges pour pénétrer le marché dans lequel la société Prova Record développait sa clientèle.

Il appartiendrait en conséquence à la Cour de :

Réformer le jugement en date du 18 mars 1996 prononcé par le Tribunal de Grande instance de Rouen en toutes ses dispositions,

Rejeter l'ensemble des demandes formulées par les sociétés Deutsche Grammophon et Polygram,

Condamner les sociétés Deutsche Grammophon et Polygram au paiement de la somme de 100.000 F à titre de dommages- intérêts pour procédure abusive,

Condamner les sociétés Deutsche Grammophon et Polygram au paiement de la somme de 50.000 F en application de l'article 700 du NCPC,

Sur ce, LA COUR

Sur les marques, telles qu'enregistrées

Attendu que les enregistrements internationaux de marques - dont se prévalent au premier chef les appelantes - ont été effectués en application de l'accord international dit "Arrangement de Madrid pour l'enregistrement international des marques ", auquel la France est partie ; que, désignant cette dernière et n'y ayant pas fait l'objet d'un refus de protection, ils ont valeur d'enregistrement national ;

Que sont donc applicables les dispositions du Code de la Propriété Intellectuelle posant notamment pour principe que :

" L'enregistrement de la marque confère à son titulaire un droit de propriété sur cette marque pour les produits et services qu'il a désignés " (art. L. 713-1) ;

Sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s'il peut en résulter un risque de confusion dans l'esprit du public...

b) L'imitation d'une marque et l'usage d'une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l'enregistrement (art. L. 713-3) ;

L'atteinte portée au droit du propriétaire de la marque constitue une contrefaçon engageant la responsabilité de son auteur. Constitue une atteinte aux droits de la marque la violation des interdictions prévues aux articles ... L. 713-3 (art. L. 716-6) ;

Attendu que la contrefaçon doit au premier chef s'apprécier par référence au modèle de la marque, tel qu'enregistré, et non au modèle éventuellement modifié dont le propriétaire fait usage, peu important qu'il soit, à ce titre, le plus connu du public ;

Qu'en l'espèce, l'examen comparé des marques complexes, enregistrées au nom de la société Deutsche Grammophon, et de l'étiquette figurant sur les emballages de disques compacts, qu'il est reproché à la société Prova Record de commercialiser, conduit effectivement à constater qu'elles ont en commun :

- une forme générale rectangulaire, aux contours assortis de liserés, ainsi que l'énoncé d'un signe nominal surmonté d'un emblème en forme de couronne,

- sur un fond jaune dont il n'est pas contesté qu'il est inclu dans les actes originaux d'enregistrement et les publicités officielles subséquentes, même si les extraits du Registre International des Marques - seuls versés aux débats - se bornent à une reproduction en noir et blanc, assortie d'une mention de revendication de couleurs particulièrement vague, le jaune étant cité au même titre que deux autres (noir et blanc), sans précision sur leur disposition, combinaison ou nuance ;

Sur la contrefaçon de marque :

Attendu cependant que l'on ne saurait déduire de ces traits communs - portant sur des caractéristiques générales pouvant correspondre à une infinité de modèles - que l'étiquette litigieuse constitue la contrefaçon de l'aspect figuratif (seul invoqué et, dans la meilleure hypothèse, seul à pouvoir l'être) de l'une ou l'autre des deux marques ;

Qu'il apparaît tout au contraire que la contrefaçon n'est pas constituée, que l'on envisage chaque marque, soit dans son ensemble, soit dans un de ses éléments qui serait protégeable séparément ;

Attendu en effet que, particulièrement différentes dans leurs proportions (rapport largeur/longueur passant de 1 sur 2, à 1 sur 4,5), les formes générales rectangulaires des signes litigieux (marques et étiquettes) ne le sont pas moins dans leurs contours, leur contenu et la physionomie d'ensemble en résultant ;

Que ces différences, quelle que soit la couleur employée pour le fond, excluent tout risque de confusion dans l'esprit du public, sur le plan tant visuel qu'intellectuel, alors qu'en réalité on se trouve en présence :

- pour les marques : d'un cadre épais, aux bords et angles particulièrement travaillés et ornés de décorations faisant saillie vers l'extérieur, semblable aux cadres généralement rencontrés en matière de tableaux anciens, à l'intérieur duquel est mise en évidence la dénomination " Deutsche Grammophon " dans un graphisme très spécifique (ne pouvant être confondu avec les lettres anglaises), surmontée d'une couronne étirée sur la largeur et dont l'extrême stylisation fait disparaître le " caractère végétal " invoqué par les appelantes ; les liserés, sur lesquels insistent par ailleurs ces dernières, ont surtout pour objet de conférer, à la reproduction du cadre, une impression de relief ;

- pour l'étiquette : d'un banal cartouche, bordé de deux liserés simples, à l'intérieur duquel est mis en évidence l'énoncé du contenu du disque (auteur; titre de l'œuvre enregistrée) en caractères d'imprimerie courants ; La particularité la plus marquante du cartouche consiste sans doute dans la présence, en unique saillie au milieu du bord supérieur, de la dénomination " Emperor " en lettres anglaises, surmontée d'une couronne ronde de laurier ;

Attendu par ailleurs que c'est vainement que les appelantes tentent de mettre en avant ce qui serait, au moins, la reprise de certains éléments des marques invoquées, alors que :

- eu égard à leur banalité et à leur imprécision - et nonobstant l'usage fait des marques - les éléments en cause ne sauraient, considérés isolément ou en combinaison, faire l'objet d'une appropriation indépendamment des conditions dans lesquelles ils sont matérialisés dans les actes d'enregistrement ;

- leur prétendue reprise correspond, de toute manière, à des éléments de l'étiquette litigieuse qui, eux-mêmes considérés isolément ou en combinaison, se présentent comme visuellement et intellectuellement très différents et exclusifs de tout risque de confusion dans l'esprit du public ;

Qu'il va de soi qu'elles ne sauraient prétendre voir consacrer à leur profit, sur le fondement des enregistrements de marque qu'elles invoquent, un quelconque droit exclusif et absolu à l'utilisation d'une " étiquette jaune " dans le domaine des disques, quelles qu'en soient la forme, le contenu et la nuance de couleur ;

Sur le droit commun de la responsabilité civile :

Attendu qu'il n'en est pas moins vrai que Deutsche Grammophon - tout à la fois dénomination sociale et marque de l'une des sociétés appelantes - est notoirement connue, ainsi qu'il en est justifié, pour sa place de premier plan dans l'industrie du disque ;

Que les productions de la société Deutsche Grammophon se caractérisent par leur qualité, tant technique qu'artistique; que, s'agissant notamment des enregistrements de musique classique, elles sont largement associées dans l'esprit du public aux disques à " l'étiquette jaune " ;

Que le spécimen versé aux débats, s'inscrivant dans une série portant sur d'autres œuvres classiques, en constitue une illustration :

- enregistrement " stéréo " des " quatre saisons " de Vivaldi exécuté par un orchestre prestigieux : l'Orchestre Philharmonique de Berlin - Herbert von Karajan ;

- omniprésence d'un fond jaune dans l'étiquetage : marque, telle qu'enregistrée, apposée sur le disque et la face arrière de l'emballage ; cartouche étiré dans lequel s'inscrit, sur la face avant, l'énoncé du contenu du disque; tranche de l'emballage (cf. supra : reproductions couleur, p. 4) ;

Attendu qu'en droit de commercialiser l'enregistrement d'une autre interprétation de la même œuvre - y compris dans des conditions permettant des prix plus compétitifs (prix public de 24,50 F) - la société Prova Record, professionnel parfaitement averti des productions de ses concurrentes, se devait de rester dans les limites de l'exercice normal de la liberté du commerce et de l'industrie ;

Que tel n'a pas été le cas; que l'exemplaire de son disque compact, produit aux débats (cf. supra : reproduction couleur, p. 4), met tout au contraire en évidence qu'elle s'est abusivement placée dans le sillage de la société Deutsche Grammophon, afin de tirer profit de sa renommée ;

Que là où rien ne l'imposait ou pouvait le légitimer, l'emballage de son disque reprend systématiquement les principales caractéristiques de la présentation de sa concurrente, dans des conditions ne pouvant que conduire le public, sinon toujours à penser qu'il s'agit d'une production Deutsche Grammophon, du moins à établir un inévitable rapprochement avec celle-ci ;

Qu'indépendamment de la couleur jaune également adoptée pour la tranche de l'emballage, seront à cet égard relevés :

- l'indication du contenu du disque (auteur; œuvre enregistrée) dans un cartouche jaune, en surimpression sur la toile de fond brune d'un tableau occupant toute la face avant de l'emballage et procédant d'un thème commun ;

- les mêmes, positionnement, forme globale rectangulaire étirée, et dimensions du cartouche jaune, dont l'identité d'impression d'ensemble se trouve renforcée par les liserés serrés, qui en soulignent l'intérieur, et l'apposition, en saillie sur le milieu du bord supérieur, de la marque nominale de chaque partie surmontée d'une couronne, dans un format réduit atténuant sensiblement leurs différences pour conduire le consommateur moyennement attentif à surtout en retenir les ressemblances ;

Que, ce faisant, la société Prova Record a engagé sa responsabilité civile sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil à l'égard, tant de la société Deutsche Grammophon, que de son distributeur pour la France, la société Polygram ;

Attendu cependant qu'en l'état du dossier, il apparaît que les agissements critiqués se sont limités à un seul disque compact (" les quatre saisons de Vivaldi ") commercialisé au travers d'un seul magasin à grande surface, encore que d'importance ;

Qu'il va de soi que les sociétés Deutsche Grammophon et Polygram n'auraient pas manqué, si les agissements litigieux avaient revêtu une plus grande ampleur, de réunir et verser aux débats les justifications qui s'imposent, comme il leur était aisé de le faire ;

Qu'en tout cas, elle ne sauraient suppléer leur défaillance dans l'administration de la preuve - qui leur incombe - par le niveau élevé du montant des dommages-intérêts auxquels elles prétendent (1.000.000 F pour la banalisation et l'avilissement des marques; 500.000 F à parfaire, pour le manque à gagner) et leur demande d'expertise ;

Attendu que la commercialisation litigieuse s'est effectuée dans des conditions n'ayant d'évidence entraîné qu'un manque à gagner limité pour les intéressées ; qu'en réalité, le préjudice a essentiellement consisté en une atteinte à la renommée des produits de la société Deutsche Grammophon et de sa marque notoire y faisant corps ;

Que la mesure de remise en état s'imposant au premier chef, consiste en la publication du présent arrêt, sollicitée par les appelantes, dans les conditions prévues au dispositif; que, pour le surplus - et faute par les intéressées de justifier d'un montant supérieur - les dommages-intérêts seront fixés à 50.000 F pour le préjudice propre à la société Deutsche Grammophon et 10.000 F pour celui commun à cette dernière et à la société Polygram ;

Que la décision entreprise sera réformée en conséquence, la mesure d'interdiction prononcée par les premiers juges étant maintenue, seul le fondement s'en trouvant modifié ;

Attendu que la partie qui succombe doit supporter les dépens; qu'il serait inéquitable de laisser à la charge des sociétés Deutsche Grammophon et Polygram les frais non compris dans les dépens qu'elles ont par ailleurs exposés;

Qu'il sera fait droit, comme dit au dispositif, à leur demande formée au titre de l'article 700 du NCPC;

Par ces motifs, LA COUR, reçoit les sociétés Deutsche Grammophon et Polygram en leur appel, la société Prova Record en son appel incident, Infirme le jugement du Tribunal de Grande Instance de Rouen du 18 mars 1996 en ce qu'il a retenu la contrefaçon de marque et écarté la concurrence déloyale à l'égard de la société Deutsche Grammophon, Statuant à nouveau, Déboute les sociétés Deutsche Grammophon et Polygram du chef de la contrefaçon de marque, Dit qu'en commercialisant un disque compact des " quatre saisons de Vivaldi ", revêtu d'un emballage destiné à susciter dans l'esprit du public une confusion ou tout au moins un rapprochement avec le disque édité par le société Deutsche Grammophon, la société Prova Record a engagé sa responsabilité civile à l'égard des sociétés Deutsche Grammophon et Polygram, Autorise les sociétés Deutsche Grammophon et Polygram à publier le présent arrêt dans deux journaux ou périodiques de leur choix, aux frais de la société Prova Record, sans que le coût de chaque annonce puisse excéder le prix de 15.000 F HT, Porte les dommages-intérêts alloués par les premiers juges à 50.000 F, pour le préjudice propre à la société Deutsche Grammophon, 10.000 F pour celui commun aux sociétés Deutsche Grammophon et Polygram, Dit que la société Prova Record doit payer ces montants aux intéressées, Fixe à 12.000 francs l'indemnité supplémentaire qu'elle doit leur payer au titre de l'article 700 du NCPC, Laisse à sa charge les dépens d'appel qui pourront être recouvrés par la SCP Greff Curat, avoués associés, dans les conditions prévues à l'article 699 du NCPC.