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Décisions

CA Amiens, 2e et 4e ch. civ. réunies, 15 septembre 1997, n° 267-97

AMIENS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Avenir France (SA)

Défendeur :

France Affiches (SA), Zervudacki-Farnier (ès qual.), Dauphin OTA (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Moinard

Conseillers :

Mmes Planchon, Barge Roch

Avoués :

SCP Le Roy, SCP Selosse - Bouvet, André, SCP Million-Plateau-Crepin

Avocats :

Mes Laroche-Vidal, Dartevelle, Bousquet.

T. com. Nanterre, du 7 déc. 1993

7 décembre 1993

Faits :

La Société France Affiches, Société Anonyme inscrite au RCS de Nanterre, a été créée en 1984 avec pour objet la réalisation d'affiches publicitaires. Elle a connu un développement rapide jusqu'en 1992, employant alors 49 salariés et réalisant un chiffre d'affaires de près de 50 millions de francs. Mais à compter de septembre 1992, à la suite selon elle d'une campagne de dénigrement, elle a été confrontée à la perte d'une partie de sa clientèle, constituée essentiellement par des agences de publicité, elles-mêmes mandatées par des annonceurs. Le 29 juillet 1993, elle a fait l'objet de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, et le 1er février 1995, a bénéficié d'un plan de continuation.

Procédure :

C'est dans ces conditions que par acte du 29 octobre 1993, la SA France Affiches et Maître Martine Zervudacki-Farnier, ès-qualités d'administrateur de la SA, ont saisi le Juge des Référés du Tribunal de Commerce de Nanterre, afin de faire cesser tout acte de dénigrement de ses produits, et d'ordonner une expertise.

Par ordonnance du 7 décembre 1993, le Président du Tribunal de Commerce de Nanterre a fait droit à ces demandes, a ordonné aux Sociétés défenderesses, la Société Dauphin Ota et la Société Avenir Havas Média (devenue Avenir France), de cesser la diffusion auprès de quiconque et par quelque moyen que ce soit des informations ou des documents dénigrant les produits de la Société France Affiches, et ce sous astreinte provisoire, et a désigné un expert, M. Ganneval, avec possibilité pour ce dernier de se faire assister de tout sapiteur, et si besoin du Centre Technique du Papier à Grenoble.

La SA Avenir Havas Média ayant interjeté appel de cette décision, la Cour d'Appel de Versailles, par arrêt du 11 mai 1994, a confirmé l'ordonnance sauf en ce qu'elle avait désigné comme éventuel sapiteur le Centre Technique du Papier, et a désigné en ses lieux et place le Laboratoire National d'Essais.

Sur pourvoi formé par les SA Avenir Havas Média et Dauphin Ota, la Cour de Cassation par arrêt du 3 décembre 1996 a cassé la décision de la Cour d'Appel en toutes ses dispositions. Elle reproche à la juridiction d'appel, tout d'abord, au vu de l'article 455 du Nouveau code de procédure civile, de s'être bornée pour ordonner la cessation du trouble " à relever qu'il résulte des productions " que ces Sociétés ont dénigré à plusieurs reprises auprès des agences de publicité la qualité des affiches imprimées par la Société France Affiches et que ce dénigrement n'est pas " sérieusement contestable " ; et en second lieu, au vu des articles 1382 du Code Civil et 873 du Nouveau code de procédure civile, d'avoir considéré qu'il existait un trouble manifestement illicite en affirmant que les Sociétés Avenir Havas Média et Dauphin OTA avaient la possibilité d'adresser leurs critiques aux annonceurs eux-mêmes, sans préciser les liens qui les auraient unies à ceux-ci et qui auraient justifié qu'elles s'adressent à eux plutôt qu'à leur donneur d'ordre.

La Cour de Cassation a renvoyé les parties devant la Cour d'Appel d'Amiens, que la SA France Affiches et Mme Zervudacki-Farnier ès-qualités ont saisie suivant déclaration de saisine du 20 janvier 1997, sollicitant le 21 janvier l'autorisation d'assigner les Sociétés adverses à jour fixe.

Moyens et prétentions des parties :

- Sur la procédure :

A l'appui de leur requête à jour fixe, la SA France Affiches et Mme Zerduvacki-Farnier font valoir qu'elles ont assigné les Sociétés Avenir Havas Média et Dauphin Ota devant le Tribunal de Commerce de Nanterre aux fins d'indemnisation du préjudice subi, et que les défenderesses ont sollicité un sursis à statuer au motif que l'expertise effectuée est en partie privée de fondement puisque l'arrêt de la Cour d'Appel de Versailles a été cassé ; que les pertes subies par la Société France Affiches s'élèvent selon l'expert à 35 291 498 F ; qu'il y a donc urgence à statuer après cassation.

Par ordonnance du 23 janvier 1997, le Premier Président de la Cour d'Appel d'Amiens a autorisé les requérantes à assigner à jour fixe pour l'audience solennelle du 3 mars 1997.

Les requérantes ont déposé des conclusions au fond le 31 janvier 1997, ainsi qu'un " bordereau de pièces communiquées " le 4 février 1997. Elles ont assigné les Société Dauphin Ota et Avenir Havas Média par actes du même jour, déposés au greffe de la Cour le 6 février 1997.

Par conclusions distinctes déposées le 24 février 1997, les Sociétés Avenir France (aux droits de la Société Avenir Havas Média) et Dauphin Ota font valoir que la Cour d'Appel de renvoi n'est pas valablement saisie par l'assignation à jour fixe ;

Qu'en effet, l'article 56 du Nouveau code de procédure civile dispose que l'assignation contient à peine de nullité :

* l'objet de la demande avec un exposé des moyens,

* l'indication des pièces sur lesquelles la demande est fondée ;

Que l'article 918 dispose que la requête doit contenir les conclusions au fond et viser les pièces justificatives ; que copie de la requête et des pièces doit être remise au Premier Président pour être versée au dossier de la Cour ;

Que selon la jurisprudence " doivent être écartées des débats, les pièces déposées après la présentation de la requête alors que l'intimée n'avait pas encore conclu " (Cass. civ. 3ème 19/2/92) ;

Qu'il convient de constater en l'espèce que les assignations délivrées ne contiennent aucun moyen sur le fond et ne visent aucune pièce ; que les pièces n'ont pas été déposées au secrétariat-greffe ; que la Cour n'est pas valablement saisie par l'assignation à jour fixe de la Société France Affiches ;

Que la Cour est en revanche valablement saisie de l'appel de la Société Avenir France, selon l'article 1032 du Nouveau code de procédure civile (la Société Dauphin Ota concluant également à la saisine de la Cour par l'appel qu'elle aurait interjeté) ;

Que, subsidiairement, les irrégularités commises par la Société France Affiches dans la saisine de la Cour justifient le renvoi de la procédure à la mise en état, afin de respecter le principe du contradictoire, les sociétés concluantes n'ayant pas reçu communication des pièces en temps utile ;

La Société Dauphin Ota ajoute que l'assignation qui lui a été délivrée ne comporte aucune mention sur la nécessité de constituer avoué avant la date d'audience ni sur la possibilité de prendre connaissance au greffe de la copie des pièces visées dans la requête ;

Les deux Sociétés demandent notamment à la Cour de déclarer nulle sa saisine par assignation à jour fixe, de renvoyer l'affaire à la Mise en Etat des causes, et subsidiairement d'écarter des débats les conclusions et pièces produites par la société France Affiches postérieurement à sa requête ;

Les requérantes répliquent que l'autorisation d'assigner pour l'audience du 3 mars 1997 précisait que les actes devaient être délivrés avant le 6 février et les pièces communiquées avant cette même date ; que les actes d'assignation ont été délivrés le 4 février, et que les pièces régulièrement déposées au greffe ont été retirées pour être communiquées à l'avoué de la Société Dauphin Ota le 7 février 1997, puis à l'avoué de la Société Avenir France le 21 février ; que dès le 4 février les parties assignées ont eu connaissance de l'assignation et des demandes de la Société France affiches, et qu'il n'y a pas lieu de renvoyer l'affaire à la mise en état.

A l'audience solennelle du 3 mars 1997, la Cour d'Appel d'Amiens a renvoyé par simple mention au dossier l'affaire à la mise en état. Les Sociétés Dauphin Ota et Avenir France ont reçu injonction de conclure au fond du Magistrat de la mise en état, et ont déposé leurs conclusions le 6 mai 1997. L'ordonnance de clôture a été prononcée le 9 juin 1997.

- Sur le fond :

Par conclusions du 31 janvier 1997, la Société France Affiches et Maître Zervudacki-Farnier ès-qualités de commissaire à l'exécution du plan de la Société, saisissantes et intimées, font valoir que la Société a été victime d'actes de dénigrement, constitutifs d'un trouble manifestement illicite et d'un dommage imminent pour son existence ; que pour comprendre le dénigrement, il convient de connaître les acteurs directs et indirects du litige, ainsi que leurs rapports ; que la Société France Affiches, chargée de réaliser des affiches publicitaires, a pour clients des agences de publicité, elles-mêmes mandatées par des annonceurs pour choisir un imprimeur ; que ses produits sont destinés à des afficheurs, dont le rôle consiste à s'assurer que les affiches fabriquées par l'imprimeur soient convenablement apposées sur son réseau de panneaux (qualité de colle, compétence des poseurs d'affiches, entretien des panneaux...) ; que la Société Dauphin Ota et Avenir France sont les deux principales Sociétés d'affichage sur le territoire national ; que son principal concurrent en France pour l'impression des affiches est la Société Affiches Européennes ; qu'il existe des organismes professionnels tels que l'Association des Professionnels de l'Affiche (APA), l'Union des Chambres Syndicales d'Affichages et de Publicité Extérieure (UPE), la Commission Technique de l'Affiche (CTA), qui ont pour activité d'édicter des normes professionnelles ; qu'ainsi l'UPE est à l'origine de la norme AFNOR Q. 33 004 (relative aux propriétés physiques de l'affiche) que l'on reproche à la Société concluante de ne pas respecter ; que ces divers organismes ont pour expert technique commun un laboratoire artisanal, Clémentine Ingénierie.

Elles ajoutent que tous ces participants ont des intérêts croisés ; qu'en effet, la Société Avenir France est entrée dans le capital de la Société Affiches Européennes ; que des accords commerciaux existent entre la Société Affiches Européennes d'une part, et tant la Société Avenir France que la Société Dauphin Ota pour une implantation commune dans les pays européens ; que les deux afficheurs sont liés dans le cadre d'un GIE ; que les organismes professionnels comme l'UPE, l'APA ou la CTA sont présidés par des dirigeants des Sociétés Dauphin Ota, Avenir France ou Affiches Européennes ; qu'ainsi ces trois Sociétés liées entre elles dirigent directement les organisations professionnelles de leur secteur d'activité ; qu'au cours de l'année 1991, le groupe Affiches Européennes avait proposé à la Société France Affiches une alliance au sein d'une holding ; qu'après que cette dernière a décliné l'offre ont couru des rumeurs sur son éventuel dépôt de bilan et sont intervenus les dénigrements concertés ayant abouti à la perte de clientèle.

Elles soutiennent que cette situation de quasi-monopole, dont certains excès ont été condamnés tant par les instances judiciaires que par le Conseil de la Concurrence, a permis les dénigrements des produits de la Société France Affiches.

Qu'ainsi, en septembre 1992, l'agence de publicité Conquest Europe a confié à la Société France Affiches la réalisation d'affiches pour la marque Afla Roméo ; que la Société Avenir a directement dénoncé à Conquest Europe la prétendue mauvaise qualité des affiches et a imposé la rupture des relations avec France Affiches ; que les autres afficheurs de cette campagne n'ont éprouvé aucune difficulté d'affichages ; que l'expert désigné à l'occasion de ce litige a contesté le rapport technique établi par le laboratoire Clémentine Ingénierie.

Que de même, en juin 1983, l'annonceur Goodyear a confié une campagne à l'agence de publicité Mac Cann, qui a fait réaliser les affiches par France Affiches ; que la Société Dauphin Ota a refusé de poser celles-ci au motif que le papier n'était pas conforme au normes ; qu'après réimpression, Dauphin Ota a réitéré son refus, s'appuyant sur une étude technique du laboratoire Clémentine Ingénierie ; que sur expertise le Centre Technique du Papier à Grenoble, organisme officiel indépendant de toute organisation professionnelle, a conclu à la conformité du papier à la norme Afnor.

Que d'autres dénigrements ont été commis tant par Avenir France que par Dauphin Ota durant l'année 1993, lors des campagnes entre deux mers, Civb, Lutti, Total, Air France, Cable Cite Vision (pour laquelle les afficheurs ont à nouveau refusé de coller les affiches, malgré leur conformité certifiée par le Centre Technique du Papier) ; qu'en septembre 1993, lors de la campagne Pierval, les afficheurs ont adressé directement des courriers aux clients dénonçant la défectuosité des affiches, défectuosité qu'ils imputaient au dépôt de bilan de la Société France Affiches.

Que ces dénigrements ont été la cause d'un dommage considérable pour France Affiches, chaque incident détériorant ses relations avec chaque agence de publicité, qui, pour préserver sa responsabilité à l'égard de son client annonceur, évite l'imprimeur " défaillant ", alors qu'elle représente un marché non négligeable d'annonceurs.

La Société France Affiches et son commissaire à l'exécution du plan concluent à la compétence du Juge des Référés, tant sur le dommage imminent (fragilisation de la Société France Affiches) que sur le trouble manifestement illicite, caractérisé par le dénigrement systématique exercé par les afficheurs auprès des clients de France Affiches, qu'ils soient annonceurs ou agences de publicité ; que France Affiches est seule à engager sa responsabilité contractuelle à l'égard de ses clients, et que les critiques éventuelles des afficheurs doivent s'adresser à elle-même, et non aux annonceurs tiers par rapport aux afficheurs ; que l'interdiction sous astreinte est donc une mesure conservatoire, qui n'interdit pas la concurrence loyale, mais vise les faits de dénigrement ; que la mesure d'expertise est entièrement justifiée pour permettre d'établir le caractère mensonger des propos des afficheurs de manière contradictoire, et mesurer l'étendue des dénigrements opérés.

C'est pourquoi elles demandent à la Cour de :

- confirmer l'ordonnance du 7 décembre 1993 :

Y ajoutant :

- fixer à 100 000 F l'astreinte à l'encontre des Sociétés Avenir Havas Média et Dauphin Ota en cas de fait nouveau de dénigrement,

- substituer le Laboratoire National d'Essais au Centre Technique du Papier en qualité de sapiteur,

- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans trois journaux nationaux et trois journaux professionnels aux frais des Sociétés d'affichages dans la limite de 20 000 F par insertion,

- condamner solidairement les Sociétés Avenir Havas Média et Dauphin Ota à la somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile,

- les condamner solidairement aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Selosse - Bouvet et André, avoué à la Cour.

La Société Avenir France - nouvelle dénomination de la Société Avenir Havas Média - réplique que les conditions exigées par les articles 872 et 873 du Nouveau Code de Procédure Civile n'étaient pas remplies en l'espèce et que le Juge des Référés a excédé ses pouvoirs.

Elle soutient tout d'abord, sur la demande faite par la Société France Affiches, que l'existence d'un dénigrement se heurte à une contestation sérieuse et que celle d'un trouble manifestement illicite n'est pas caractérisée ; que sur le premier point, le dénigrement ne peut résulter que du caractère excessif et discréditoire des critiques faites par les afficheurs et relatives aux affiches produites par France Affiches, ainsi que par la destination fautive de ces critiques ; que cette analyse exige que soit examiné un nombre considérable de pièces produites et qu'il n'y a donc nulle évidence ; que, sur le deuxième point, le trouble ne saurait être qualifié de manifestement illicite alors que le caractère déloyal des critiques n'a pas été mis en évidence ; que c'est à tort que le Premier Juge a estimé que les afficheurs Avenir Havas Média et Dauphin Ota étaient des concurrents de l'imprimeur France Affiches ; que la recherche des liens juridiques entre les parties relève de la seule compétence du juge du fond ; qu'ainsi le juge ne peut fonder sa décision sur les dispositions de l'article 873 du Nouveau code de procédure civile.

Sur la mesure d'expertise, l'appelante fait valoir que la Cour ne peut ni confirmer l'expertise ordonnée par le Premier Juge, ni faire droit à une nouvelle demande d'expertise ; qu'en effet, la mesure d'expertise ordonnée sur le fondement de l'article 873 du Nouveau code de procédure civile est atteinte par la cassation comme la décision qui en est le support ; qu'en application de l'article 625 alinéa 2 du Nouveau code de procédure civile, et de l'effet dévolutif de l'appel (articles 561 et 562 du Nouveau code de procédure civile), la mesure d'expertise a été exécutée en application de l'arrêt cassé, seulement partiellement confirmatif de l'ordonnance du Premier Juge ; que devant la Cour de Renvoi, l'existence d'une contestation sérieuse et l'absence d'évidence d'un trouble illicite ne sauraient justifier le prononcé d'une nouvelle mesure sur le fondement des articles 872 et 873 du Nouveau code de procédure civile ; qu'également il ne saurait être fondé sur les dispositions de l'article 145 du Nouveau code de procédure civile, la mesure d'instruction devant être justifiée dans ce cas par un motif d'établir avant tout procès la preuve de faits dont dépendrait la solution du litige, alors qu'en l'espèce le juge du fond est saisi par la Société France Affiches d'une demande en indemnisation des prétendus faits de dénigrement, et que l'expertise sollicitée ne vise pas la preuve des faits de dénigrement, mais seulement les causes du décollement des affiches ; qu'en outre, le prononcé d'une telle mesure se heurte à l'obligation faite au Juge des Référés de se placer à la date de la décision pour en apprécier l'opportunité, et à l'écoulement d'une période de 75 jours au-delà de laquelle la conservation de la qualité des affiches ne peut plus être garantie ; que la demande d'expertise devant la Cour de Renvoi est donc sans objet.

La Société Avenir France soutient en conséquence qu'il ne saurait y avoir lieu à prononcé d'astreinte, et qu'elle est en revanche bien fondée à solliciter une somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

La Société Avenir France demande en conséquence à la Cour de :

La dire recevable et bien fondée en son appel.

Vu l'arrêt de la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation du 3 décembre 1996.

1/ - Sur le fondement des articles 872, 873 du Nouveau code de procédure civile :

- dire que les demandes de France Affiches se heurtent à une contestation sérieuse,

- dire que France Affiches ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un trouble manifestement illicite.

Dire n'y avoir lieu à référé.

2/ - Subsidiairement, sur le fondement de l'article 625 alinéa 2 du Nouveau code de procédure civile.

Dire que l'expertise ordonnée le 7 décembre 1993 ne saurait être confirmée.

3/ - Plus subsidiairement, sur le fondement des articles 145 et 865 du Nouveau code de procédure civile.

- constater que le Tribunal de Commerce de Nanterre a été saisi d'une action au fond.

Dire irrecevable et mal fondée la demande d'une nouvelle expertise.

4/ - Condamner la Société France Affiches au paiement de la somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

5/ - La condamner aux dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la SCP Le Roy, avoué, sur le fondement de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.

La Société Dauphin Ota soutient également qu'il n'y a lieu à référé, tout d'abord parce que la Cour de Renvoi est tenue d'apprécier les mesures sollicitées à la date à laquelle elle statue, et ensuite parce que ni les conditions de l'article 872, ni celles de l'article 873 du Nouveau code de procédure civile ne sont réunies.

Elle justifie en premier lieu le montant où statue la Cour de Renvoi comme devant être celui en fonction duquel s'apprécie la mesure d'expertise sollicitée, au regard de l'article 625 alinéa 2 du Nouveau code de procédure civile et de la portée de la cassation, l'expertise n'étant qu'un acte de la décision cassée, et au regard des pouvoirs du Juge des Référés, qui selon une jurisprudence constante doivent s'apprécier au jour du prononcé de la décision ; que pour ces deux motifs il ne peut y avoir ni validation de l'expertise ni prononcé d'une nouvelle mesure.

En second lieu, elle affirme que les conditions d'application de l'article 872 du Nouveau code de procédure civile ne sont pas réunies ; que les faits allégués de dénigrement datent de 1993 et 1994, et que la mesure d'interdiction de procéder à de nouveaux dénigrements ne peut être justifiée par l'urgence ; qu'en outre toute interdiction générale serait contraire au principe de liberté d'expression ; que la demande d'expertise se heurte à l'écoulement d'une période supérieure à 75 jours qui ne permet plus la conservation des qualités techniques des affiches ; qu'enfin, il y a contestation sérieuse sur les faits de dénigrement, qu'ainsi cette question nécessite une appréciation et une qualification juridique des faits qui relèvent de la compétence du juge du fond.

En troisième lieu, elle fait valoir que l'article 873 du Nouveau code de procédure civile ne peut pas davantage servir de fondement à la confirmation de l'ordonnance dont appel, puisqu'aucun dommage imminent n'est établi ; que le lien entre une faute des afficheurs et la précarité financière de la Société France Affiches n'est pas rapporté et ne pourrait l'être que par le juge du fond ; que le trouble manifestement illicite n'est pas non plus établi ; qu'en effet, le caractère discréditoire, c'est à dire excessif, des critiques formulées par les afficheurs n'est pas évident, ni dans les termes employés, ni par le fait qu'il s'agit de communication entre professionnels ; que les relations contractuelles entre les divers intervenants diffèrent d'une campagne de publicité à l'autre et nécessitent une analyse qui ne relève pas de la compétence du Juge des Référés ; qu'ainsi la Cour ne peut qu'infirmer l'ordonnance.

Elle demande à la Cour de :

La déclarer recevable et bien fondée en son appel ;

Dire n'y avoir lieu à référé ;

1/ Sur le fondement de l'article 625 du Nouveau code de procédure civile :

Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 3 décembre 1996,

Dire que la Cour de Renvoi ne saurait confirmer l'expertise ordonnée par le Tribunal de Commerce de Nanterre le 7 décembre 1993.

2/ Sur le fondement des articles 872 et 873 du Nouveau code de procédure civile : Dire que les conditions d'application desdits articles ne sont pas réunies.

3/ Sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile :

Condamner la Société France Affiches au paiement de la somme de 50 000 F au titre des frais irrépétibles qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de Dauphin Ota.

4/ Sur le fondement de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile :

Condamner la Société France Affiches en tous les dépens dont distraction au profit de la SCP Million - Plateau et Crepin, avoués près de la Cour d'Appel d'Amiens.

Dans de dernières conclusions, la Société France Affiches et Mme Zervudacki-Farnier répliquent :

- que la cassation de l'arrêt ayant été prononcée pour défaut de motivation, rien n'interdit à la Cour de Renvoi apportant les précisions manquantes de confirmer l'ordonnance,

- que les faits de dénigrement dont a été victime France Affiches ne peuvent donner lieu à contestation sérieuse, contrairement à ce que soutiennent les afficheurs,

- que la Société France Affiches ne fonde d'ailleurs sa demande ni sur l'absence de contestation sérieuse, ni sur l'article 145 du Nouveau code de procédure civile, mais sur l'article 873 du Nouveau code de procédure civile, l'existence d'un dommage imminent et celle d'un trouble manifestement illicite ; qu'ainsi le Juge des Référés est compétent pour statuer sur sa demande, et confirmer la mesure d'expertise, destinée à déterminer l'ampleur du dénigrement,

- que la validité de la mesure d'expertise, mise en œuvre en vertu de l'ordonnance du Tribunal de Commerce de Nanterre, n'est pas atteinte par la cassation, et cela en application de l'article 625 alinéa 1er du Nouveau code de procédure civile ; qu'elle n'a jamais sollicité le prononcé d'une nouvelle expertise,

- que sur renvoi après cassation, la Cour de Renvoi doit connaître du litige dans l'état où il se trouvait devant la juridiction dont la décision a été cassée ; qu'au surplus, la Société France Affiches continue à être victime de dénigrements de la part des Sociétés Avenir France et Dauphin Ota ; que l'exigence d'un délai de 75 jours pour la conservation des affiches est imposée par la réglementation professionnelle de l'UPE, organisme auquel n'a jamais adhéré la Société France Affiches,

- que les critiques des afficheurs à l'égard des productions de France Affiches s'appuient sur des spécifications techniques édictées par l'UPE ou découlant de la norme NF Q 33 004 qui ne lui sont pas opposables.

C'est pourquoi elles demandent à la Cour de débouter les Sociétés adverses de toutes leurs demandes.

Motifs de la décision :

- Sur la procédure à jour fixe :

Attendu que par déclaration de saisine du 20 janvier 1997, la SA France Affiches de Me Zervudacki-Farnier, ès-qualités ont saisi la Cour d'Appel d'Amiens sur renvoi après cassation ; que par ordonnance du 23 janvier 1997 les parties saisissantes ont été autorisées à assigner la Société Avenir France et la Société Dauphin Ota à jour fixe pour l'audience du 3 mars 1997 ; qu'à l'audience du 3 mars 1997, l'affaire a été renvoyée par mention au dossier à la mise en état, conformément à l'article 925 du Nouveau code de procédure civile ;

Attendu que la procédure s'est alors poursuivie selon les règles applicables en matière ordinaire avec représentant obligatoire, conformément à l'article 910 aliéna 1er du Nouveau code de procédure civile ;

Que la saisine de la Cour de Renvoi ayant été faite selon les dispositions de l'article 1032 du Nouveau code de procédure civile, il y a lieu de la déclarer valable, sans avoir à procéder à l'examen de la régularité de l'assignation à jour fixe ;

- Sur le fondement juridique de la demande :

Attendu que les Sociétés Avenir France et Dauphin Ota sollicitent la Cour de déclarer n'y avoir lieu à référé sur le fondement des articles 872 et 873 du Nouveau code de procédure civile ;

Attendu que la Société France Affiches, dans des conclusions déposées le 30 mai 1997, demande à la Cour statuant en qualité de Juge des Référés de retenir sa compétence sur le fondement de l'existence d'un dommage imminent et d'un trouble manifestement illicite, mais n'entend pas fonder sa demande sur l'absence de contestation sérieuse ;

Attendu qu'aux termes de l'article 873 du Nouveau code de procédure civile, " le président peut, dans les mêmes limites, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite " ;

Et attendu que les décollements d'affiches, dont l'importance en pourcentage dans une campagne est contestée par la Société France Affiches, peuvent avoir diverses causes, parfois cumulées, tenant notamment à la qualité du papier mais aussi à la préparation des affiches au moment de l'encollement, à l'entretien des panneaux, à la nature de la colle, au savoir faire du personnel, aux conditions atmosphériques ; qu'en mettant en cause systématiquement et de façon répétée en 1992 et 1993 auprès de leurs cocontractants la seule qualité du papier lors des décollements allégués, en menaçant ou en refusant effectivement de continuer à procéder à la pose des affiches, en s'abstenant d'emblée d'envisager d'autres facteurs aux décollements, ainsi que cela résulte, abstraction étant faite de toute appréciation subjective ou imputation contenues, des écritures des appelantes dont en eux-mêmes les faits relatés sont justes et bien vérifiées par les pièces produites, les afficheurs Avenir France et Dauphin Ota ont adopté un comportement déloyal susceptible de causer un préjudice injustifié au fabricant d'affiches France Affiches, en dénigrant ses seuls produits et en ruinant son seul crédit auprès des autres acteurs de campagnes publicitaires; que ces actes étaient manifestement insusceptibles de trouver leur justification dans les obligations contractuelles des afficheurs envers les agences de publicité ou leurs propres mandants;

Attendu que cette attitude non conforme au comportement devant présider aux relations entre professionnels constitue un trouble manifestement illicite et, par le préjudice commercial susceptible d'en découler, un dommage imminent, lesquels justifient la compétence du Juge des Référés ;

Attendu que selon l'article 491 du Nouveau code de procédure civile, le juge statuant en référé peut prononcer condamnation à astreinte, mesure qui en l'espèce, constitue le moyen de faire cesser le trouble et d'en prévenir toute réitération ; que l'ordonnance du Premier Juge sera confirmé sur ce point, la Cour portant toutefois son montant de façon dissuasive à 50 000 F par infraction constatée ;

- Sur la mesure d'expertise :

Attendu qu'aux termes de l'article 625 alinéa 1er du Nouveau code de procédure civile, " sur les points qu'elle atteint, la cassation replace les parties dans l'état où elles se trouvaient avant le jugement cassé " ; qu'aux termes de l'article 489 du même code, " l'ordonnance de référé est exécutoire à titre provisoire " ;

Attendu qu'il résulte de ces dispositions combinées que la mise en œuvre de la mesure d'expertise, jugement ordonnée eu égard aux nécessités techniques du litige, trouve sa justification dans l'exécution par provision de l'ordonnance de référé du 7 décembre 1993 ;

Attendu que la Société Avenir France soutient que la Cour de Renvoi serait départie de sa compétence pour ordonner une mesure d'instruction sur le fondement de l'article 145 du Nouveau code de procédure civile au motif que le Tribunal de Commerce de Nanterre est saisi du litige du fond par assignation du 25 octobre 1996 ;

Mais attendu que la Cour de Renvoi, qui selon l'article 625 sus-rappelé, et l'article 631 du même code, est saisie du litige dans les termes qui se trouvaient être les siens avant l'arrêt du 11 mai 1994 ; qu'à cette date le juge n'était pas saisi du litige au fond ; qu'au surplus, ni la Cour d'Appel de Versailles ni celle d'Amiens ne se trouvent saisies d'une demande tendant à ordonner une nouvelles mesure d'expertise ; qu'il sera donc fait droit à la demande de confirmation pure et simple de cette mesure, fondée sur les nécessités d'apporter toute preuve et toute explication utile sur l'origine de faits, objets par eux-mêmes d'une contestation sérieuse, sauf à substituer le Laboratoire National d'Essais au Centre Technique du Papier de Grenoble déjà intervenu ;

- Sur la demande de publication :

Attendu que cette demande, qui peut s'analyser en demande de dommages et intérêts dont l'allocation n'est pas de la compétence du Juge des Référés, est parfaitement prématurée ;

- Sur l'article 700 du Nouveau code de procédure civile :

Attendu que l'équité commande de ne faire droit à aucune des demandes indemnitaires présentées par les parties sur le fondement de l'article susvisé ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Donne acte à la Société Avenir Havas Média de sa nouvelle dénomination " Avenir France ", Confirme l'ordonnance de référé rendue le 7 décembre 1993 par le Président du Tribunal de Commerce de Nanterre sauf à porter le montant de l'astreinte à 50 000 F par infraction constatée et à substituer le Laboratoire National d'Essais au Centre Technique du Papier de Grenoble, Déboute les parties de toutes autres demandes, Condamne les Sociétés Avenir France et Dauphin Ota aux entiers dépens avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Selosse - Bouvet et André, avoué, Rejette enfin en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile les demandes d'allocations de frais hors dépens.