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Décisions

CA Douai, 2e ch., 15 juillet 1997, n° 96-05862

DOUAI

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Innovations et Prestations (SA)

Défendeur :

Duthoit, Aubertin, Bleger, Cabinet Bleger-Rhein (SA), Compagnie Nationale des Conseils En Propriété Industrielle, Bureau Duthoit Legros (SA), Legros, Rhein

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ludet

Conseillers :

Mmes Chaillet, Laplane

Avoués :

Mes Le Marc'hadour Pouille-Groulez, Masurel-Thery, Levasseur-Castille-Lambert, Chevallereau-Martin, Durieux

Avocats :

Mes Descamps, Dhonte, Durand, Escande,

CA Douai n° 96-05862

15 juillet 1997

Procédure et prétentions des parties :

Sur assignation délivrée à l'encontre de Messieurs Duthoit, Aubertin, Rhein, Mesdames Legros et Bleger, le Cabinet Bleger Rhein et le Bureau Duthoit Legros en concurrence déloyale par la SA Innovations et Prestations, le tribunal de commerce de Lille a, par jugement du 29 mai 1996 auquel il convient de se référer quant à l'analyse des faits :

- reçu Monsieur Michel Duthoit, Madame Martine Legros, Monsieur Alain Rhein, Madame Hélène Bleger, la SA Bureau Duthoit Legros, la SA Cabinet Bleger Rhein d'une part et la Compagnie Nationale des Conseils en Propriété Industrielle d'autre part en leur exception d'incompétence;

- s'est déclaré compétent;

- donné acte à la Compagnie Nationale des Conseils en Propriété Industrielle de ses observations dans l'intérêt de la profession qu'elle défend ;

- reçu Monsieur Alain Rhein, Madame Hélène Bleger et la SA Cabinet Bleger-Rhein en leur exception de litispendance, mais les en a déboutés ;

- débouté Monsieur François Aubertin de sa demande en liquidation anticipée de la SA Innovations et Prestations et de sa demande tendant à voir nommer expert;

- condamné Monsieur Michel Duthoit, Madame Martine Legros, Monsieur Alain Rhein, Madame Hélène Bleger, la SA Bureau Duthoit Legros et la SA Cabinet Bleger Rhein à payer solidairement à la SA Innovations et Prestations la somme de 1.000.000 F (un million de francs),

- dit n'y avoir lieu à nomination d'expert ;

- débouté la SA Innovations et Prestations de sa demande à l'encontre de Monsieur François Aubertin ;

- débouté la SA Innovations et Prestations de sa demande visant à interdire aux assignés et ce sous astreinte, tout contact avec sa clientèle,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné solidairement Monsieur Michel Duthoit, Madame Martine Legros, Monsieur Alain Rhein, Madame Hélène Bleger, la SA Bureau Duthoit Legros et la SA Cabinet Bleger Rhein à payer à la SA Innovations et Prestations la somme de 30.000 F au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile;

- débouté les parties de leurs plus amples demandes,

Appel de la décision a été interjeté par la SA Innovations et Prestations qui demande à la Cour de :

- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a rejeté les exceptions d'incompétence et de litispendance soulevées par les intimés ;

- confirmer la décision. entreprise en ce qu'elle a dit que les intimés s'étaient livrés à des actes de concurrence déloyale caractérisée ;

- réformant pour le surplus, dire et juger que les assignés se sont rendus coupables à l'encontre de la société Innovations et Prestations de faits caractérisés de concurrence déloyale;

- les condamner à payer conjointement et solidairement à la société Innovations et Prestations, à titre de réparation du préjudice par elle subi à ce jour, la somme provisionnelle de 2.000.000 F ;

- dire et juger que sous peine d'une astreinte de 100.000 F par infraction constatée, les assignés devront s 'abstenir de tout contact, de toute démarche, de tout travail auprès ou au bénéfice de toute société ou personne physique, cliente ou correspondant de la société Innovations et Prestations à la date du 29 juin 1995 ;

- condamner les intimés au paiement de la somme de 30.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Monsieur François Aubertin demande à la Cour de :

- débouter la SA Innovations et Prestations de son appel;

- confirmer la décision du tribunal de Lille en ce qu'elle déboute la société Innovations et Prestations de sa demande à l'encontre de Monsieur Aubertin ;

- constater l'absence d'éléments en rapport avec la situation de celui-ci, l'absence de concurrence déloyale, le refus de l'appelante à répondre aux arguments soulevés, sur ce motif, et l'utilisation abusive des tribunaux et la volonté de nuire ;

- en conséquence, de condamner la société Innovations et Prestations à verser 500.000 F de dommages et intérêts à Monsieur Aubertin;

- recevant Monsieur Aubertin en son appel incident, infirmer la décision du tribunal en ses autres points ;

- constater la faute de l'actionnaire majoritaire en date du 28 juin 1995, entraînant l'illégalité de l'être moral en tant que société en conseil en propriété industrielle ;

- constater la modification de l'être moral de manière substantielle dans son objet ;

- constater dans ces conditions l'absence de concurrence déloyale en application de l'article 1382 du code civil ; au contraire, constater la faute de l'actionnaire majoritaire, puis de la société "Innovations et Prestations" à l'égard de la législation sur la propriété industrielle ; en conséquence, constater l'ampleur du litige et l'impossibilité de la continuité de l'affectio societatis au sein de la société "Innovations et Prestations" ; en conséquence, prononcer la dissolution anticipée de la société ;

- condamner Monsieur Lepage es qualités au règlement d'une indemnité de 30.000 francs en application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Dans leurs conclusions rectificatives du 22 novembre 1996, Messieurs Duthoit et Rhein. Mesdames Legros et Bleger, la SA Bureau Duthoit-Legros et la SA Bleger Rhein. concluent au débouté de l'appel de la SA Innovations et Prestations ainsi qu'à lia réformation du jugement en demandant à la Cour de :

- dire irrecevables et mal fondées les demandes présentées par la SA Innovations et Prestations à l'encontre des conseils en propriété industrielle que sont les intimés ;

- dire que les faits évoqués par la société Innovations et Prestations ne sont pas constitutifs de concurrence déloyale ; en conséquence, débouter la SA Innovations et Prestations de l'ensemble de ses prétentions ;

- accueillant les demandes reconventionnelles, condamner la SA Innovations et Prestations au paiement de la somme de 1.800.000 F, soit 300.000 F au profit de chacun des concluants pour procédure abusive et préjudice moral ;

- condamner la SA Innovations et Prestations au paiement de la somme de 60.000 F au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile;

- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir aux frais de la SA Innovations et Prestations dans deux journaux de diffusion régionale, La Voix du Nord et Les Dernières Nouvelles d'Alsace, ainsi que dans une publication professionnelle à diffusion nationale, telle que le PIBD ;

La Compagnie Nationale des Conseils En Propriété Industrielle demande à la Cour de la recevoir en son appel incident et de :

- réformer le jugement rendu par le tribunal de commerce en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence rationae materiae soulevée par la concluante;

- renvoyer les parties à se pourvoir devant le tribunal de grande instance de Lille, seul compétent pour statuer à raison de l'exercice de la profession purement civil ;

- à titre subsidiaire, donner acte à la CNCPI de ses observations, dans l'intérêt de la profession qu'elle a mission de défendre ;

- constater que la société Innovations et Prestations ne peut plus pratiquer quelqu 'acte que ce soit, tenant de la profession de conseil en propriété industrielle ou de la consultation de la rédaction d'actes et de tout acte juridique qui en serait la conséquence portant sur l'application du Code de la Propriété Intellectuelle, tant au regard du droit des marques, des dessins et modèles et des brevets ;

- condamner la SA Innovations et Prestations au paiement d'une somme de 30.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Motifs :

En préliminaire, il convient d'écarter des débats la note en délibéré adressée par Messieurs Aubertin, Duthoit, et autres le 15 mai 1997 comme prohibé par l'article 445 du nouveau code de procédure civile ;

Sur la compétence :

La Compagnie Nationale des Conseils en Propriété Industrielle soutient que l'activité de conseil en propriété industrielle est une activité libérale qui peut être exercée individuellement ou en groupe et que celui qui l'exerce ne peut accepter que des missions particulières à caractère non commercial ; que les questions soumises au tribunal de commerce touchaient à l'application propre du statut de la profession et de l'inscription en titre de mandataire européen de brevet ; que les tribunaux civils sont seuls compétents pour connaître des actions en justice dans lesquelles l'une des parties est une société d'exercice libéral ainsi que les contestations survenant entre associés d'une telle société.

Les autres parties ne formulent aucune observation sur ce point dépourvu d'intérêt pratique au stade de l'appel eu égard aux dispositions de l'article 79 al 1er du nouveau code de procédure civile ;

La société Innovations et prestations a été radiée de manière définitive de la section spéciale de la liste des Conseils en propriété industrielle du fait de sa non-conformité aux prescriptions de l'article 422-7 du code de la propriété industrielle en vertu d'une décision de la Chambre de Discipline de la Compagnie Nationale, des Conseils en propriété industrielle en date du 15 septembre 1995 et ne peut plus aux dires mêmes de cet organisme exercer les activités réservées aux Conseils en propriété industrielle.

Il s'agit donc d'une société anonyme en litige avec ses associés, ex-administrateurs révoqués, à qui elle reproche des actes de concurrence déloyale. C'est à juste titre que le tribunal de commerce a retenu sa compétence.

Sur l'exception de litispendance :

La société Innovations et Prestations sollicite la confirmation de la décision sur ce point qui ne fait l'objet d'aucune critique des intimés.

Sur la concurrence déloyale :

- Sur l'existence d'une concurrence :

La SA Innovations et Prestations soutient :

- que les modifications intervenues en son sein pas plus que la situation personnelle de ses dirigeants n'ont de conséquence pour elle sur le traitement de sa clientèle ;

- que les Conseils en propriété industrielle n'ont pas seuls la possibilité de représenter les tiers devant l'Institut National de la propriété industrielle, la loi du 26 novembre 1990 ne leur assurant le monopole que pour les actes dits réservés, à savoir le dépôt des brevets en France et en matière de marque la procédure d'opposition;

- que M. Lepage mandataire agréé auprès de l'Office Européen des Brevets peut obtenir le dépôt d'un brevet en France en utilisant la voie européenne.

Les intimés répliquent :

- que le nouvel objet social adopté le 22 août 1995 ne vise qu'à entretenir la confusion dans l'esprit des interlocuteurs de la société et ne constitue qu'une "mascarade" juridique,

- qu'en s'excluant du champ d'application de la loi du 26 novembre, la SA Innovations et Prestations ne peut ni conseiller, ni assister, ni représenter des tiers, en vue de l'obtention, du maintien de l'exploitation, de la défense des droits, de propriété industrielle, droits annexes et portant sur toutes questions connexes, ni effectuer des consultations juridiques, ni rédiger d'actes sous-seing privés;

- que le décret n° 92-281 concerne notamment la contribution au développement de la production cinématographique et audiovisuelle.

M. Aubertin ajoute que seules des personnes physiques peuvent être inscrites sur la liste des mandataires agréés européens et qu'en conséquence la société appelante personne morale ne peut obtenir par cette voie un dépôt de brevet français; que la société Innovations et Prestations devenue purement commerciale n'est plus soumises aux conditions d'exercice de la profession de Conseils en propriété industrielle et ne rend plus à sa clientèle les services rendus avant le 29 juin 1995.

La Compagnie Nationale des Conseils en propriété industrielle fait la même analyse juridique en précisant que le fait pour M. Lepage d'être encore inscrit sur la liste des mandataires européens ne lui confère aucun droit spécifique lui permettant de transgresser la réglementation professionnelle applicable en France et que le libre choix par les clients de la société Innovations et Prestations de leurs Conseils en propriété industrielle ne peut être qualifié d'acte concurrentiel.

Il est constant que par décision du 29 juin 1995, l'assemblée générale ordinaire de la société Innovations et Prestations a révoqué de leurs fonctions d'administrateurs, Mme Legros, MM. Aubertin et Duthoit, tous trois Conseils en propriété industrielle pour les remplacer par M. Lepage ancien conseil en brevet d'invention radié et deux membres de sa famille non-inscrits sur la liste des Conseils en propriété industrielle. Dès le 30 juin 1995, la Compagnie Nationale des Conseils en propriété industrielle mettait en garde tous les Conseils en propriété industrielle salariés de la société contre les risques inhérents à la poursuite de leur activité au sein d'une société ne répondant plus aux conditions légales requises et les informait de ses démarches pour faire procéder à sa radiation qui fut prononcée dès le 15 septembre.

L'objet social modifié le 22 août 1995 par l'assemblée générale extraordinaire vise les prestations de services hors champ de la loi du 26 novembre 1990, du décret du 27 mars 1992 et de textes subséquents ainsi qu'en matière de propriété littéraire et artistique et ce dans un cadre tant national qu'européen et international. Ce libellé reproduit tel quel au registre du commerce et des sociétés recouvre au vu de la convocation adressée aux actionnaires les actes non réservés en matière de brevets, marques et modèles et le maintien de l'activité antérieure pour tous les actes européens et étrangers devant les Offices Européens et Internationaux.

S'il n'est pas contesté que M. Lepage demeure inscrit sur la liste des mandataires agréés auprès de l'Office Européen des Brevets, cette habilitation au vu des textes ne le concerne qu'à titre de personne physique et tout acte concurrentiel à son activité de mandataire ne pourrait ouvrir droit à réparation que d'un préjudice personnel distinct de celui de sa société. Or en l'espèce, M. Lepage n'est pas partie au procès.

Cette inscription n'autorise la société ni à déposer des brevets européens ni même à effectuer des prestations de services en amont du rôle du mandataire de M. Lepage tout au moins sur le territoire national français et européen. De surcroît, elle ne dispose plus d'aucune capacité à agir auprès de l'institut National de la propriété industrielle.

Il résulte de la loi du 26 novembre 1990 complétée par les décrets du 30 janvier 1992 et du 5 octobre 1993 que les activités hors champ de son application ne peuvent consister qu'en une simple exécution de formalités sous peine de porter atteinte aux règles régissant les actes réservés au monopole de la consultation juridique des Conseils en propriété industrielle et des avocats et à la protection du titre de Conseils en propriété industrielle, la société Innovations et Prestations ne correspondant à aucune des catégories de l'article 422-4 du code de la propriété industrielle.

C'est donc à la lumière d'une activité concurrentielle extrêmement réduite que doivent être appréciés les agissements des intimés.

- Sur le cas de M. Aubertin

La SA Innovations et Prestations dirige ses demandes contre l'ancien président directeur général sans cependant critiquer le jugement en ce qu'elle a été déboutée de sa demande à son égard, ce que ne manque pas de souligner M. Aubertin dans ses écritures.

La Cour fait sienne la motivation des premiers juges qui constatent à bon escient qu'aucun acte de concurrence déloyale ne peut être reproché à M. Aubertin sans activité salariée depuis le 1er janvier 1994, sans lien avec les cabinets créés par les ex-administrateurs de la société depuis sa révocation du 29 juin 1995.

- Sur le caractère déloyal des actes reprochés aux autres intimés

La société appelante invoque :

- d'une part, le débauchage de quatre membres de son personnel par les cabinets Bleger-Rhein et Duthoit-Legros qui, ajouté à la démission des quatre Conseils en propriété industrielle avec refus d'exécuter le préavis, a totalement désorganisé son fonctionnement, en faisant valoir que la concomitance des départs et leur caractère massif constituent la preuve directe de manœuvres concertées imputables aux assignés ;

- d'autre part le pillage de la clientèle : en s'appuyant sur les courriers des nombreux clients demandant restitution de leurs dossiers, la remise des dossiers opérée par le cabinet Bleger-Rhein, les dépôts par ce cabinet de marques pour la société Budendorf, cliente de la société, le démarchage systématique de la clientèle par les deux cabinets pour les aviser de la nouvelle composition du conseil d'administration, les pratiques de dénigrement et de désinformation systématiques des actionnaires de la société dont certains exerçaient encore des fonctions d'administration ou de direction.

Les quatre Conseils en propriété industrielle et les deux sociétés anonymes nées de la création de deux cabinets l'un sur Lille, l'autre sur Strasbourg, font valoir pour leur défense:

- que la société Innovations et Prestations a mis ses salariés dans l'impossibilité d'exercer leur profession dans un cadre licite, rompant ainsi unilatéralement leur contrat de travail ;

- que leur propre départ ayant été considéré comme légitime par les premiers juges, le prétendu débauchage ne concerne plus que quatre salariés sur quatorze ;

- que la société appelante ne rapporte la preuve d'aucune manœuvre frauduleuse de leur part ; que les courriers des salariés démontrent leur totale liberté de décision ;

- que la clientèle d'une société de Conseils en propriété industrielle n'est attachée à celle-ci qu'en raison de la relation particulière de confiance qui existe entre mandant et mandataire ; que concurrence déloyale et confusion ont été et sont le fait de M. Lepage ;

- que M. Rhein et Mme Bleger n'ont restitué personnellement aucun dossier et ont été contactés par les clients dans le cadre de leur nouveau cabinet parce que sans nouvelles de leur dossier à la société Innovations et Prestations;

- que l'imprimé mis à la disposition des mandants ne comporte aucune mention diffamatoire ou mensongère et a été signé et expédié par l'industriel, pleinement responsable de ses actes et de ses décisions ; que la responsabilité de la significations des sommations interpellatives incombe également aux mandants ;

- que le courrier de la Compagnie Nationale des Conseils en propriété industrielle dont preuve n'est pas rapportée qu'elle ait fait l'objet d'une diffusion systématique ne fait qu'exposer une situation objective sans référence à leur intervention ou à leur initiative.

Quant au débauchage, il convient de constater en premier lieu que seules les SA Duthoit-Legros et Rhein-Bleger, nouveaux employeurs des quatre salariés, pourraient en être accusées et en second lieu que la société appelante ne verse aux débats que les lettres des intéressés, à l'exclusion de toute preuve du nombre de salariés dans chaque établissement, de tous témoignages ou documents établissant que les cabinets lillois et strasbourgeois aient exercé des pressions, accompli des manœuvres frauduleuses ou promis des avantages matériels, ou rémunérations anormalement élevées pour les décider à rejoindre leur personnel.

Le contrat de travail de M. Rolland, embauché comme ingénieur, mettait à la charge de la société Innovations et Prestations l'obligation de lui assurer une formation professionnelle en vue d'acquérir la pratique nécessaire à l'obtention du diplôme de Conseils en propriété industrielle en contrepartie de son engagement à le préparer.

Il ne peut lui être fait grief d'avoir quitté une société qui ne pouvait plus de par sa nouvelle physionomie respecter ses engagements.

Il résulte des courriers rédigés par Mmes Gomes et Guthertz que leur décision a fait suite à un entretien du 10 juillet où M. Lepage a tenté de convaincre le personnel qu'il était possible de poursuivre l'activité antérieure et à leur refus de participer à une activité illégale selon renseignements pris auprès des organismes professionnels, ce qui implique une véritable liberté de choix. Les mêmes craintes sont évoquées par Mme Quenensse de l'agence de Lille qui impute la responsabilité de la rupture du contrat de travail à l'employeur.

Le caractère collectif de la démarche ne procède nullement d'une action concertée non démontrée mais n'est que la résultante d'une situation sciemment créée par la décision du 29 juin 1995 et de l'impossibilité pour les Conseils en propriété industrielle de continuer à faire fonctionner la société dans l'intérêt de l'ensemble du personnel.

Quant au détournement de clientèle, la société verse aux débats les nombreux courriers émanant des clients qui, à compter du 3 juillet, lui ont réclamé restitution de leurs dossiers, ou lui ont notifié le retrait de tous les mandats confiés en matière de brevets, marques et/ou modèles, mandats confiés le jour même dans certains cas au bureau des ex-Conseils en propriété industrielle de la société (ex-laboratoires Anios pour le Cabinet Duthoit-Legros), les courriers émanant des intimés informant les clients étrangers de la nouvelle situation et les réponses de ces derniers, la justification des dépôts effectués à l'INPI à compter du 5 juillet 1995 pour le compte de ses clients par les bureaux Duthoit-Legros et Rhein-Bleger ainsi que les sommations interpellatives rédigées selon [un] modèle unique.

Dans un domaine où la célérité s'impose pour protéger les droits de la clientèle, il ne peut être reproché aux quatre Conseils en propriété industrielle avertis dès le 30 juin 1995 par leur compagnie des risques encourus en cas de poursuite d'activité d'avoir procédé à une information immédiate de la clientèle sur le changement de la situation sociale sur les conséquences desquelles la compagnie avait attiré l'attention de la société dès le 22 juin 1995.

Cette information ne peut être qualifiée de dénigrement dans la mesure où les clients ne pouvaient plus attendre de la société Innovations et Prestations les principales prestations de services assurées par les Conseils en propriété industrielle.

La radiation définitive de la société étant à bref délai "inévitable" selon les termes de la compagnie nationale des Conseils en propriété industrielle, la sauvegarde des intérêts des clients exigeait qu'avant même son prononcé, ceux-ci soient avertis de la situation, puissent en toute liberté décider de maintenir ou de retirer leur mandat et se faire remettre le cas échéant l'intégralité du dossier pour le confier à un nouveau mandataire, conformément au règlement intérieur de la profession approuvé par arrêté du 29 juillet 1994.

Le fait d'avoir procédé avec l'accord des sociétés concernées au dépôt de marque pour les dossiers parvenus à leur terme ne saurait constituer une faute alors qu'en tout état de cause, la société Innovations et Prestations ne pouvait plus accomplir cette démarche et que tout dépôt fait illégalement par cette dernière ne pouvait être que contestable.

Enfin, il ne peut être tiré aucune conséquence du modèle unique de sommation interpellative remis aux clients alors que plusieurs d'entre eux s'étaient plaints auprès de la compagnie nationale de leurs difficultés de transmission de leurs dossiers abusivement retenus par la société appelante.

Au vu de ces divers éléments, il est manifeste qu'il n'y a eu ni comportement fautif, ni même lien entre la perte de clientèle et les agissements des Conseils en propriété industrielle démissionnaires. Même en l'absence de réaction rapide de leur part, la société Innovations et Prestations aurait perdu la plupart de ses clients dès le prononcé de la radiation définitive. Son préjudice n'étant que la conséquence de sa réorganisation, il convient d'infirmer le jugement et de débouter la société Innovations et Prestations de toutes ses demandes, y compris celle tendant à interdire sous astreinte aux intimés de poursuivre les contacts avec la clientèle.

Sur les demandes reconventionnelles :

La société Innovations et Prestations ne formule aucune observation à leur sujet.

Sur la demande en dommages intérêts formulée, par Mmes Legros et Bleger, MM. Rhein et Duthoit et les deux sociétés :

Les intéressés invoquent à l'appui de leur demande le harcèlement judiciaire de la société appelante, l'atteinte portée à leur image de professionnels sérieux et compétents aggravée par la lettre diffamatoire adressée le 26 octobre 1995 aux entreprises du Nord-Pas-de-Calais et de l'Alsace-Lorraine.

Ce courrier versé aux débats vise l'ordonnance de référé rendue par le président du tribunal de commerce de Lille en date du 12 octobre 1995. Bien que réformée en appel, cette décision interdisait effectivement sous astreinte aux intimés tout contact, démarche ou travail auprès "ou" au bénéfice des clients de la société Innovations et Prestations, mais en revanche ne contenait aucune condamnation des intéressés "pour concurrence déloyale par démarchage de la clientèle", fausse information de nature à ternir la réputation et l'honorabilité des quatre Conseils en propriété industrielle et l'image de marque de leurs deux sociétés. Néanmoins, compte tenu du contentieux existant de longue date entre les parties, et des circonstances ci-dessus développées, les clients étaient à même d'en relativiser la portée. Il sera donc octroyé à chacun des intimés la somme de 20.000F.

Sur la demande en dommages-intérêts de M. Aubertin pour préjudice moral et financier :

M. Aubertin invoque d'abord la volonté de l'appelante de lui nuire à défaut de tout motif d'appel. Si le recours exercé de manière injustifiée à l'encontre de M. Aubertin est de nature à troubler sa retraite à cause des soucis dus à une procédure longue et toujours incertaine quant à ses résultats, l'intention maligne n'est pas établie. Quant à l'utilisation abusive des tribunaux, elle ne peut être source de préjudice financier pour M. Aubertin. Il sera donc attribué à ce dernier la somme de 10.000 F en' réparation de son préjudice moral.

Sur la demande en dommages-intérêts pour concurrence déloyale de la part de la SA Innovations et Prestations :

M. Aubertin soutient que la société cherche à semer la confusion et tend à induire la clientèle en erreur, en lui laissant accroire qu'il est possible de contourner les dispositions légales et se déclarant apte à consulter en cette matière, qu'elle a laissé ouvert son bureau secondaire à Mulhouse, a refusé de restituer les dossiers et a envoyé la lettre circulaire diffamatoire du 25 octobre 1995 aux différents correspondants et clients des deux sociétés défenderesses.

M. Aubertin ne peut sans se contredire se déclarer retiré de toute activité de Conseils en propriété industrielle et réclamer des dommages intérêts pour des agissements postérieurs au 29 juin 1995. Il convient de le débouter de cette demande.

Sur la dissolution anticipée de la société :

M. Aubertin fait valoir que l'abus de majorité est patent, que la décision de M. Lepage du 29 juin 1995 a été prise à l'encontre de l'intérêt social et de l'intérêt commun, que la demande de dissolution a été faite de manière anticipée pour éviter une nouvelle procédure; que les actionnaires minoritaires ne peuvent être obligés de demeurer dans une société parfaitement étrangère à celle d'origine et enfin que la gestion réelle de la société dans le respect de l'affectio societatis est impossible.

L'abus de majorité pour patent qu'il soit ne peut donner lieu qu'à une action dirigée à l'encontre du ou des actionnaires majoritaires ayant commis l'abus soit en annulation des délibérations soit en responsabilité. M. Lepage n'étant pas mis en cause à titre personnel, cette notion ne peut être invoquée que comme moyen à l'appui de la demande de dissolution anticipée.

M. Aubertin, titulaire de 10 % des actions, est le seul actionnaire à former cette demande.

Si les multiples procédures, les conséquences du retour de M. Lepage à la tête de la société Innovations et Prestations et l'ensemble des éléments ci-dessus établissent à satiété que la notion d'intérêt commun a disparu et qu'il y a conflit incessant entre les associés, M. Aubertin n'établit pas que cette mésentente paralyse le fonctionnement de la société commerciale au sens de l'article 1844-7 du code civil. Il convient de confirmer le jugement sur ce point.

Sur les demandes d'indemnités procédurales :

Il paraît inéquitable de laisser à la charge des intimés l'intégralité des frais irrépétibles exposés à l'occasion de cette procédure tant en première instance qu'en appel.

Sur la demande de publication :

Il y a lieu de faire droit à la demande des Conseils en propriété industrielle et de leurs sociétés à titre de réparation complémentaire du préjudice subi du fait de la publicité inexacte donnée par le Cabinet Lepage à l'ordonnance de référé du 12 octobre 1995.

Par ces motifs, Confirme le jugement : 1) en ce qu'il a rejeté les exceptions d'incompétence et de litispendance, 2) en ce qu'il a débouté la SA Innovations et Prestations de sa demande à l'encontre de M. Aubertin et de sa demande tendant à l'interdiction sous astreinte de tout contact avec la clientèle ; 3) débouté M. Aubertin de sa demande de dissolution anticipée et de constat d'abus de majorité; de sa demande en dommages-intérêts pour concurrence déloyale ; Reformant pour le surplus, Déboute la SA Innovations et Prestations de toutes ses autres demandes, Condamne la SA Innovations et Prestations à payer : 1) à M. Aubertin la somme de 10.000 F pour préjudice moral et de 15.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; 2) à Mme Legros, Mme Bleger, M. Rihein, M. Duthoit, à la SA Bureau Duthoit Legros et à la SA Cabinet Bleger-Rhein la somme de 20.000 F chacun à titre de dommages-intérêts et la somme globale de 20.000 F pour les six intimés, 3) à la Compagnie Nationale des Conseils en propriété industrielle la somme de 15.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Ordonne la publication du présent arrêt aux frais de la SA Innovations et Prestations dans deux journaux de diffusion régionale, la Voix du Nord et les Dernières Nouvelles d'Alsace ainsi que dans une publication professionnelle à diffusion nationale, chaque insertion ne pouvant excéder le coût de 30.000F, Condamne la SA Innovations et Prestations aux dépens de première instance et d'appel, Autorise la SCP Masurel Thery et la SCP Levasseur Castille Lambert, avoués, à recouvrer directement les dépens conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.