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Décisions

CA Versailles, 13e ch., 26 juin 1997, n° 7572-95

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Gyma Surgelés (SA)

Défendeur :

Daregal (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Monteils

Avoués :

SCP Lissarrague-Dupuis & associés, SCP Jullien-Lecharny-Rol

Avocats :

Mes Greffe, Lubet.

T. com. Nanterre, du 13 juill. 1995

13 juillet 1995

La société Daregal a été créée il y a plus d'un siècle à Milly La Fôret. Son activité est celle de la recherche, culture, production, commercialisation d'herbes aromatiques.

En 1976, elle a commencé à commercialiser des herbes surgelés et a déposé deux brevets. Elle était alors en situation de monopole.

La société Gyma Surgelés s'est constituée en 1992, sous l'égide de Monsieur Gilbert Ducros, qui venait de céder son entreprise familiale au groupe italien Feruzzi.

La société Gyma Surgelés a effectué une publicité extrêmement importante et a connu un essor rapide. La presse spécialisée a rendu compte de la lutte des deux sociétés pour accaparer ce nouveau marché.

En octobre 1993, la société Sodiape et la société Daregal ont assigné la société La Surgélation Bretonne et la société Gyma Surgelés en contrefaçon et concurrence déloyale.

La société Daregal a fait publier dans le journal spécialisé, LSA, des annonces publicitaires dont le titre est le suivant :

" Des résultats que certains imaginent et que d'autres célèbrent ".

En avril 1994, la société Gyma Surgelés a assigné la société Daregal sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil en concurrence déloyale, pour violation des règles applicables en matière de publicité comparative, non-respect de l'obligation de communiquer son annonce avant toute diffusion.

Par jugement du 13 juillet 1995, le Tribunal de Commerce de Nanterre :

- a constaté que la publicité publiée par Daregal dans la revue LSA de novembre et décembre 1993 n'a pas le caractère de concurrence déloyale, a débouté la SA Gyma Surgelés de ses demandes,

- a dit recevables les demandes reconventionnelles de Daregal à l'exception des faits déjà soumis à l'appréciation du Tribunal de Grande Instance de Paris,

- a constaté que la publicité de la SA Gyma Surgelés publiée dans la revue LSA de février 1995 est trompeuse, vise à créer, dans l'esprit des professionnels lecteurs de la publication, une confusion quant à son positionnement et à tirer avantage de la notoriété qui s'attache à la première place, non contestée, détenue par la SA Daregal sur le marché des herbes aromatiques surgelés et constitue un acte de concurrence déloyale,

- a condamné Gyma Surgelés à payer à la SA Daregal une somme de 250 000 F à titre de dommages et intérêts et 40 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

- a ordonné la publication du jugement dans dix publications au maximum, au choix de Daregal, aux frais de Gyma Surgelés sans que le coût global puisse excéder 100 000 F,

- a rejeté la demande d'exécution provisoire.

La société Gyma Surgelés fait appel.

Elle demande " d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- de constater que la publicité de la société Daregal est bien comparative,

- de constater que la société Gyma Surgelés est bien visée dans cette publicité,

- de constater que la société Daregal n'a pas respecté les obligations lui incombant en matière de publicité comparative,

- de constater que la société Daregal a dénigré la société Gyma Surgelés,

- de constater que la société Daregal a fait état d'éléments mensongers ou de nature à induire en erreur.

En conséquence,

- de la condamner à payer à la société Gyma Surgelés :

* la somme de 1 F à titre de dommages et intérêts pour préjudice commercial,

* la somme de 250 000 F à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi par elle,

- d'ordonner la publication de l'arrêt à intervenir aux frais de la société Daregal dans cinq périodiques aux choix de la société Gyma Surgelés pour un montant maximum de 30 000 F par publication,

- de rejeter l'intégralité des demandes de la société Daregal.

En tout état de cause,

- de condamner la société Daregal à payer à la société Gyma Surgelés une somme de 50 000 F en application de l'article 700 du NCPC ".

La société Daregal demande " de confirmer le jugement en ce qu'il a dit que la société Gyma Surgelés s'était livrée au préjudice de la société Daregal, à des agissements de concurrence déloyale,

- de confirmer les diverses condamnations prononcées à l'encontre de la société Gyma Surgelés,

Y ajoutant,

- de porter le montant des dommages et intérêts à la somme de 500 000 F,

- de constater d'autre part que la publicité publiée par la société Daregal dans la revue LSA de novembre et décembre 1993 ne constitue pas un acte de concurrence déloyale,

- de condamner la société Gyma Surgelés pour l'appel à payer à la société Daregal la somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du NCPC "

Discussion

Considérant que la société Gyma Surgelés fait observer que la publicité de Daregal vise de manière incontestable son concurrent Gyma, qui est identifiable immédiatement par les lecteurs de LSA, professionnels de la distribution ; que la comparaison faite avec Gyma est illicite car elle dénigre les produits Gyma, n'informe pas de manière loyale et comporte des éléments mensongers ou erronés ;

Considérant qu'il n'est pas contesté qu'à la date à laquelle est parue la publicité incriminée, il n'existait sur le marché des herbes surgelées que deux entreprises, Daregal et Gyma Surgelés, qu'il est donc évident que la comparaison pour l'un comme pour l'autre, ne pouvait se faire qu'avec le compétiteur direct et unique ; que cette constatation suffit à établir que Daregal n'a pas sélectionné un adversaire particulier pour se comparer à lui ;

Considérant que Gyma soutient que Daregal a fait paraître une publicité dénigrante, que la première phrase - des résultats que certains imaginent et que d'autres célèbrent - porte atteinte à sa marque et tentant de la ridiculiser, de faire naître des doutes sur la véracité des résultats annoncés ;

Considérant que la phrase incriminée contient, certes, une référence à la publicité de Gyma - Gyma j'imagine - ; que l'on ne saurait reprocher cependant à une publicité d'être parfois spirituelle et de relever de manière amusante ce que la publicité du concurrent peut contenir de particulièrement frappant ; que cet échange attire l'attention sur la marque Gyma et n'est donc pas contraire au but qu'elle veut atteindre;

Considérant que l'annonce critiquée contient des affirmations qui ne sont que la retranscription des résultats diffusés pour la période de juillet à août 1993, que par une motivation que la Cour adopte, le Tribunal a dit qu'il était légitime que Daregal tire argument de sa position de premier dans les résultats annoncés ;

Considérant que c'est donc à juste titre que la société Gyma a été déboutée de sa demande ;

Considérant que la société Daregal a reproché à la société Gyma d'avoir utilisé de fausses allégations, des chiffres erronés, d'avoir effectué un matraquage publicitaire, d'avoir copié des documents commerciaux, d'avoir utilisé la référence Ducros ; le Tribunal n'a retenu que le seul grief d'avoir fait paraître une publicité trompeuse dans le magazine LSA de février 1995 ;

Considérant que devant la Cour, la société Daregal reprend les griefs d'utilisation du nom Ducros, d'usage des études effectuées par Daregal pour établir un dossier publicitaire distribué aux clients potentiels, d'avoir copié ses tarifs, d'avoir fait paraître des chiffres inexacts sur ses résultats ;

Considérant que c'est à juste titre que le Tribunal de Nanterre a jugé que les demandes relatives à la reproduction des tarifs de Daregal ne pouvaient être examinés, dès lors que les mêmes demandes étaient formulées devant le Tribunal de Grande Instance de Paris ;

Considérant que l'utilisation du nom de Ducros qui est celui du dirigeant de Gyma Surgelés, même si elle a été habilement distillée aux journalistes, ne peut être reprochée à la société Gyma qui n'avait pas à cacher le nom de ses principaux actionnaires ;

Considérant que la similitude des tarifs pratiqués par Gyma Surgelés avec ceux de Daregal ne procède pas d'une volonté de copier, mais procède de la classification naturelle des produits vendus, que ce reproche n'est pas fondé ;

Considérant que l'annonce de février 1995 parue dans LSA ne contient pas d'affirmations grossièrement mensongères ; qu'en cause d'appel, Gyma Surgelés a rapporté la preuve de l'exactitude des propositions contenues dans cette publication, et notamment la preuve qu'elle avait investi en publicité des sommes considérables, ce qui n'est pas interdit, et ne rélève que du contrôle des actionnaires au vu des résultats ;

Considérant qu'il convient donc d'infirmer le jugement en ce qu'il a fait droit à la demande reconventionnelle de Daregal ;

Considérant qu'il n'est pas inéquitable de laisser aux parties les frais irrépétibles qu'elles ont pu exposer ; qu'il y a lieu de partager les dépens par moitié, chacune des parties succombant en ses demandes ; que les dépens de première instance resteront à la charge de la société Gyma Surgelés qui a pris l'initiative du litige ;

Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Emende le jugement du 13 juillet 1995, Déboute la société Daregal de ses demandes, Confirme le jugement pour le surplus, Déboute les parties de toutes autres demandes, Fait masse des dépens d'appel qui seront supportés par moitié par chacune des parties et accorde aux avoués en cause le droit de recouvrement conforme aux dispositions de l'article 699 du NCPC.