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Décisions

CA Rennes, 2e ch., 25 juin 1997, n° 9600736

RENNES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Ouest Distribution Courtage 44 (SARL), Goupil (ès qual.), Brunet-Beaumel (ès qual.)

Défendeur :

Veloce Auto (SA), Mustiere (SA), Centre Automobile de l'Étoile (SA), Garage Moison (SA), Patrick Gimbert Négoce (SA), Bodet J et B (SA), SDVN (SA), Sina (SA), Sonadip (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bothorel

Conseillers :

MM. Van Ruymbeke, Poumarede

Avoués :

Mes Chaudet, Brebion, Leroyer-B, Gauvain, Demidoff

Avocats :

Mes Fourgoux, Menard.

T. com. Saint-Nazaire, du 17 janv. 1996

17 janvier 1996

Exposé des faits - Procédure - Objet du recours

Le 3 février 1995, les sociétés Veloce Auto, Mustiere, Centre Automobile de l'Étoile, Moison, P. Gimbert Négoce, J et B Bodet, SDVN, Sina et Sonadip, concessionnaires exclusifs de plusieurs marques automobiles, ont fait assigner la société Ouest Distribution Courtage, lui reprochant de vendre des véhicules importés à des prix déloyaux, au mépris des réseaux de distribution et de la réglementation.

Par jugement rendu le 17 janvier 1996 et assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de commerce de Saint Nazaire a condamné la société Ouest Distribution Courtage à cesser, sous astreinte de 5 000 F par infraction constatée et par véhicule, toute vente illicite de véhicules neufs et tout procédé illicite de vente, l'a condamnée à payer à chacune des sociétés concessionnaires 200 000 F par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Par acte du 23 janvier 1996, la société Ouest Distribution Courtage a formé appel de ce jugement.

Moyens proposés par les parties

A l'appui de son appel, Maître Goupil, en sa qualité de mandataire liquidateur de la liquidation judiciaire de la société Ouest Distribution Courtage, et dont les conclusions ont été reprises par Maître Brunet Beaumel, en sa qualité de mandataire " ad hoc ", fait valoir que :

- elle importait des véhicules neufs en qualité de mandataire des utilisateurs finaux, ne constituant aucun stock, les achats et les ventes étant enregistrés simultanément,

- le 15 février 1996, la Cour de Justice des Communautés Européennes a décidé que le Règlement CEE n° 123-85 de la Commission du 12 décembre 1984, concernant l'application de l'article 85, § 3 du traité CEE à des catégories d'accords de distribution et de service de vente et d'après vente de véhicules automobiles, doit être interprété en ce sens qu'il ne fait pas obstacle à ce qu'un opérateur, qui n'est ni revendeur agréé du réseau de distribution du constructeur d'une marque automobile déterminée, ni intermédiaire mandaté au sens de l'article 3, point 11, de ce règlement, se livre à une technique de revente indépendante de véhicules neufs de cette marque, ou à une activité d'importation parallèle et de revente indépendante de véhicules neufs de cette marque, l'opérateur indépendant pouvant cumuler les activités d'intermédiaire mandaté et celles de revendeur non agréé de véhicules provenant d'importations parallèles,

- à la vente par un importateur à un prix inférieur à ceux pratiqués par les concessionnaires ne peut constituer un acte illicite de concurrence déloyale et relève du jeu normal de la concurrence,

- les sociétés concessionnaires n'apportent la preuve d'aucune faute,

- les ventes avec primes qu'elle pratique, limitées dans le nombre et dans le temps, sont conformes à la réglementation, les transports correspondant aux séjours offerts à l'étranger n'étant pas gratuits,

- de surcroît, elles n'ont causé aucun préjudice aux sociétés concessionnaires,

- la société Ouest Distribution Courtage a dû déposer son bilan en raison de l'exécution provisoire,

- les sociétés concessionnaires se sont livrées à une entente illicite pour l'éliminer.

En conséquence, la société Ouest Distribution Courtage demande à la Cour de rejeter les demandes des sociétés concessionnaires et réclame 1 000 000 F à titre de dommages et intérêts avec publication de l'arrêt dans 3 journaux au choix de la société Ouest Distribution Courtage, ainsi que 30 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Les sociétés Veloce Auto, Mustiere, Centre Automobile de l'Étoile, Moison, P. Gimbert Négoce, J et B Bodet, SDVN, Sina et Sonapid, font valoir que :

- en leur qualités de concessionnaires automobiles exclusifs, ils sont seuls habilités à vendre des véhicules neufs sur le territoire qui leur a été concédé,

- le réseau de distribution sélective d'automobiles est licite au regard du Traité de Rome,

- la société Ouest Distribution Courtage a commis des actes de concurrence déloyale en s'approvisionnant auprès de concessionnaires d'autres pays membres et en pratiquant des ventes avec primes,

- la société Ouest Distribution Courtage est un revendeur, et non un mandataire, ainsi que cela résulte de ses annonces publicitaires, de ses factures (non détaillées) et de sa comptabilité,

- leur action se fonde sur l'article 1382 du Code civil et sur des actes de concurrence déloyale,

- la revente est sanctionnable en cas de faute détachable de la seule activité de revente, la faute résultant d'autres éléments que la seule méconnaissance des réseaux de distribution, à savoir le fait pour la société Ouest Distribution Courtage de se faire passer pour un mandataire afin de s'approvisionner dans le réseau, alors qu'elle était un véritable revendeur,

- en effet, au vu d'un mandat, le concessionnaire ne peut refuser de livrer le véhicule neuf au bénéficiaire du mandat,

- la société Ouest Distribution Courtage offrait des voyages liés à des commandes, ce qu'interdit l'article 29 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 sur les ventes avec primes procédé constitutif d'une concurrence déloyale,

- elles n'ont pas exécuté le jugement et ne peuvent donc être à l'origine du dépôt de bilan de la société Ouest Distribution Courtage dû à un important redressement fiscal.

Elles concluent à la confirmation de la décision déférée en son principe, à l'admission de leurs créances à la liquidation judiciaire de la société Ouest Distribution Courtage pour 200 000 F au titre du préjudice, à la condamnation de Maître Brunet Beaumel en sa qualité de mandataire " ad hoc " de la société Ouest Distribution Courtage, à leur payer, par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, 30 000 F pour les frais irrépétibles de première instance et 50 000 F pour ceux exposés devant la Cour.

Motifs de l'arrêt

La licéité des importations parallèles

Considérant que le Règlement CEE n° 123-85 de la Commission du 12 décembre 1984, visant l'application de l'article 85 § 3, du traité CEE à des catégories d'accords de distribution et de service de vente et d'après-vente de véhicules automobiles, constitue, comme l'a précisé la Cour de Justice des Communautés Européennes par deux arrêts rendus le 15 février 1996 (Grand Garage Albigeois et Nissan France SA) et par un arrêt du 20 février 1997 (Fontaine), une dérogation au principe de la libre concurrence en matière de ventes automobiles, permettant la constitution de réseaux de distribution exclusive;

Considérant que ce Règlement ne concerne que les rapports contractuels entre les fournisseurs et leurs distributeurs agréés; quil n'a en revanche pas pour fonction de réglementer l'activité des tiers intervenant sur le marché en dehors du circuit des accords de distribution ;

Considérant que ce Règlement ne fait pas obstacle à ce qu'un opérateur, qui n'est pas revendeur agréé du réseau de distribution du constructeur d'une marque automobile déterminée, se livre à une technique de revente indépendante de véhicules neufs de cette marque, ou à une activité d'importation parallèle et de revente indépendante de véhicules neufs de cette marque;

Considérant ainsi que l'activité de mandataire ou de revendeur de véhicules neuf hors réseau de distribution est licite ; que la qualification de mandataire ou de revendeur importe peu, puisque la revente indépendante est tout aussi licite que l'activité de mandataire ;

L'action en concurrence déloyale

Considérant que l'action en concurrence déloyale trouve son fondement dans les dispositions des articles 1382 et 1383 du Code civil qui visent une faute délictuelle ou quasi délictuelle ; que la preuve d'une faute doit être rapportée ;

Considérant qu'une importation parallèle ne saurait constituer en elle-même un acte de concurrence déloyale à l'égard des concessionnaires ;

Considérant que les réseaux automobiles ne sont pas étanches, les fabricants ne réservant pas, au sein de l'Union Européenne et ailleurs dans le monde, la vente de leurs produits à des concessionnaires exclusifs ; qu'en effet les ventes directes, hors réseau, constituent une fraction importante du marché des ventes de véhicules neufs ; qu'une faute ne peut ainsi résulter, dans le secteur de la distribution automobile, du seul refus du distributeur non agréé de justifier la provenance des véhicules ;

Considérant que les concessionnaires, auxquels incombent la preuve d'un approvisionnement irrégulier, n'établissent pas en l'espèce que les véhicules vendus par la société Ouest Distribution Courtage ont été acquis auprès de membres du réseau, et ce au mépris d'une interdiction contractuelle connue d'elle contournée par le recours à des mandats fictifs ; qu'ils n'apportent aucun élément de nature à établir l'origine irrégulière des véhicules alors que les réseaux de distribution ne sont pas étanches et qu'il existe un marché parallèle important ; que le seul fait que la société Ouest Distribution Courtage ne communique pas ses sources d'approvisionnement ne peut constituer une telle preuve ;

Considérant par ailleurs qu'aux termes de l'article L. 121-35 du Code de consommation, toute vente ou prestation de services faite avec primes est interdite, sauf si les biens ou services offerts sont identiques ou si la prime est de faible valeur ; qu'un séjour à l'hôtel d'une semaine au Maroc même si le billet d'avion n'est pas offert, constitue une prime interdite excédant le plafond légal de 350 F ;

Considérant que ces offres promotionnelles illicites constituent une faute à la charge de la société Ouest Distribution Courtage et, par voie de conséquence, des actes de concurrence déloyale, puisque de telles publicités visaient, de façon prohibée, à attirer la même clientèle que celle des concessionnaires ;

Considérant cependant que les concessionnaires, qui ne justifient pas avoir exercé à l'époque une action aux fins de cessation de la publicité litigieuse, ne démontrent pas qu'ils aient effectivement subi un préjudice du fait de ces actes ; que ces publicités apparaissent, au vu des éléments produits, isolées ; que de plus, l'offre de voyage, limitée aux commandes passées dans la semaine, ne figure sur les encarts publicitaires qu'en marge des offres de véhicules ;

Considérant en conséquence que, faute de préjudice, la demande de dommages intérêts sera rejetée ;

Les autres demandes

Considérant de même que la société Ouest Distribution Courtage ne démontre pas que le dépôt de bilan soit dû au prononcé du jugement frappé d'appel et non exécuté par les sociétés concessionnaires ; que le passif de la liquidation judiciaire de la société Ouest Distribution Courtage comprend en effet d'importantes dettes fiscales, puisqu'elles s'élèvent à 2.799.606 F, de nature à justifier un dépôt de bilan ;

Considérant que la société Ouest Distribution Courtage ne démontre ainsi l'existence d'aucun préjudice lié à l'action des concessionnaires, qui ont eu recours à des voies de droit ; que le fait qu'ils aient groupé leur action exercée collectivement en raison de leur intérêt commun, alors qu'il ne s'agit que d'une action judiciaire, ne suffit à caractériser une volonté d'entente ; que de surcroît ces sociétés sont elles mêmes concurrentes entre elles ;

Considérant en conséquence que la demande de dommages intérêts présentée par la société Ouest Distribution Courtage sera rejetée ; qu'il en sera de même de sa demande de publication coûteuse et inutile ;

Considérant qu'il convient en conséquence d'infirmer la décision déférée et de rejeter l'ensemble des demandes ; que les sociétés concessionnaires, qui succombent en appel, ne sont pas fondées à réclamer le remboursement de leurs frais irrépétibles et supporteront la totalité des dépens ;

Considérant qu'au vu de la discussion qui s'est instaurée, il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de Maître Goupil, en sa qualité de mandataire liquidateur de la liquidation judiciaire de la société Ouest Distribution Courtage et de Maître Brunet Beaumel, en sa qualité de mandataire " ad hoc " de cette même société, les sommes exposées par eux et non comprises dans les dépens ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Infirme le jugement déféré, Rejette l'ensemble des demandes, Condamne les sociétés Veloce Auto, Mustiere, Centre Automobile de l'Étoile, Moison, P. Gimbert Négoce, J et B Bodet, SDVN, Sina et Sonadip à l'ensemble des dépens, ceux d'appel pouvant être recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.