Livv
Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 25 juin 1997, n° 95-010521

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Prospections (SARL), Traditions et Perspectives (SARL)

Défendeur :

White's Electronics UK (Ltd)

T. com. Corbeil-Essonnes, du 27 oct. 199…

27 octobre 1993

La SARL Prospections et la SARL Traditions et Perspectives ont, suivant déclaration remise au Secrétariat-Greffe le 23 novembre 1993, interjeté appel du jugement rendu le 27 octobre 1993 par le Tribunal de Commerce de Corbeil-Essonnes qui s'est déclaré compétent pour statuer sur la demande de la société White's Electronics UK Limited, a constaté le caractère déloyal de la concurrence dont elles se sont rendues coupables envers cette société et les a condamnées à payer à cette dernière la somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts, a ordonné la publication du jugement dans son intégralité dans les trois parutions suivant son prononcé des revues Trésor de l'Histoire et Trésors et Détection sous astreinte de 40 000 F par défaut de parution, et les a condamnées solidairement à payer à la société White's Electronics la somme de 30 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de Procédure Civile et à supporter les dépens. L'exécution provisoire ordonnée par le jugement a été suspendue par ordonnance du Premier Président en date du 19 mai 1994.

La SARL Prospections et la SARL Traditions et Perspectives prient la Cour, réformant la décision entreprise, de débouter la société White's Electronics de toutes ses demandes et de la condamner au paiement de la somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de Procédure Civile.

Elles font valoir que ni la société White's Electronics ni le tribunal ne caractérisent la moindre faute à leur encontre, qu'il s'agisse de l'enquête réalisée par Traditions et Perspectives société de presse qui ne peut se trouver en situation de concurrence avec White's ou des articles publiés dans la revue de Prospections, justifiés par les nombreuses demandes d'intervention du service après-vente sur le matériel White's qu'elle distribuait et dont la qualité a baissé après que la fabrication en ait été transférée de l'Ecosse aux USA, ni le moindre préjudice subi par White's Electronics.

Par conclusions signifiées le 3 décembre 1996, les appelantes demandent le rejet des débats des pièces de la société White's cotées 74 à 85.

La société White's Electronics UK (ci-après White's) dont le siège est à Inverness (Ecosse), poursuit la confirmation du jugement entrepris sauf en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts qu'elle demande à la Cour de porter à la somme de 2.000.000 F, sollicitant en outre la somme complémentaire de 20.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Elle soutient qu'après avoir bénéficié d'articles élogieux dans la revue Trésors de l'Histoire éditée par la société Prospections qui distribuait son matériel de détection de métaux, elle a fait l'objet, après son refus d'accorder à cette dernière l'exclusivité de sa distribution, d'une campagne de dénigrement systématique tant dans cette revue que dans la revue Trésors et Détections publiée par la société Traditions et Perspectives, les deux sociétés ayant le même gérant et leurs revues constituant les seuls organes de presse spécialisés dans la recherche de trésors par les particuliers.

Sur ce, LA COUR,

Sur la demande de rejet des débats

Considérant que pour solliciter le rejet des débats des pièces numérotées 74 à 85 communiquées suivant bordereau du 25 novembre 1996, les appelantes font valoir qu'elles proviennent d'une "notification de griefs" adressée en juin 1996 par le Conseil de la Concurrence à la société White's, dont l'ordonnance du 1er décembre 1986 rappelle le caractère confidentiel ;

Considérant qu'en effet la pièce n° 75 constitue l'exemplaire n° 13 de la notification de griefs adressée à l'ensemble des parties devant le Conseil de la Concurrence (la SARL Prospections ayant pour sa part reçu l'exemplaire n°15) ; qu'il apparaît que la société White's n'a pu avoir connaissance des pièces numérotées 74 et 76 à 85 que dans le cadre de la communication effective par le Conseil avec la notification, dont le caractère confidentiel est sanctionné par l'article 24 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'il y a lieu en conséquence de rejeter ces pièces des débats ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu pour la Cour d'examiner la décision émanant du Conseil de la Concurrence, pièce qu'a cru devoir lui adresser la société White's après la clôture des débats et sans que la demande lui en ait été faite ;

Sur le fond

Considérant qu'il résulte des nombreuses pièces versées aux débats (et en particulier des échanges de correspondances extraits K bis et exemplaires des revues Trésors de l'Histoire et Trésors et Détections) que courant mars 1989 Monsieur Audinot, gérant de la SARL Prospections spécialisée dans le matériel destiné à la recherche de trésors et éditrice de la revue Trésors de l'Histoire lequel est également devenu gérant de la SARL Traditions Et Perspectives, crée en 1991, éditrice de la revue Trésors et Détections, a contacté la société White's installée à Inverness (Ecosse) et spécialisée dans la production d'appareils électroniques de détection de métaux pour lui proposer de diffuser en exclusivité sur la France les produits White's ;

Que différentes commandes ont été passées par la société Prospections auprès de White's Ecosse jusqu'en janvier 1990 sans que pour autant l'exclusivité lui soit accordée, malgré ses demandes incessantes ; que parallèlement durant cette période des articles élogieux ont paru dans la revue Trésors de l'Histoire, en particulier le n° 58 de décembre 1989 qui rapportait le résultat de ses essais du modèle 5900 DI PRO SL qualifiait de modique le poids de ce matériel (2.700 g) ;

Qu'en janvier 1990, la société Prospections a tenté en vain d'obtenir l'exclusivité directement de White's USA, qui a répercuté sa demande sur White's Ecosse, laquelle lui a alors indiqué qu'elle prendrait comme prévu une décision prochainement, mais que, compte tenu de l'attitude de la société Prospections elle était enclin à lui refuser l'exclusivité sollicitée ; que les relations commerciales entre les parties ont alors cessé ;

Considérant que courant 1990 et 1991 la revue Trésors de l'Histoire a, dans plusieurs numéros (66, 73, 76, 79, 80) systématiquement présenté le matériel White's comme comportant de graves défauts, en utilisant notamment des qualificatifs toujours négatifs tels que "inutilisables" que ce soit en raison de leur poids (y compris le modèle 5900 SL dont les 2.700 g étaient précédemment considérés comme modiques) de leur "extrême encombrement" ou de leur "absence d'élimination des effets de sol" et en titrant ses articles, censés être informatifs, de façon particulièrement accrocheuse comme "Détecteurs White's : danger" (n° 79) ou "Détecteurs White's les surprises d'une étrange électronique" (n° 80) ;

Que s'agissant de la revue Trésors et Détection, le premier numéro (septembre-octobre 1991) comporte en page 17 trois colonnes sous le titre "les White's : des monstres inefficaces qui accusent leur âge" dont les commentaires sont particulièrement sévères, y compris pour la série SL précédemment encensée par Trésors de l'Histoire ; que le n° 3 (janvier-février 1992) présente de façon liminaire la marque White's comme "autrefois, dans les années 1975 à 1980, l'un des premiers fabricants de détecteurs de métaux, la qualité du produit offert étant alors légendaire" avant de procéder, sur deux pages à des considérations sur les efforts que devrait faire cette société pour "reconquérir le marché" ;

Considérant qu'aucune de ces revues n'a accepté de publier le droit de réponse de White's, qui s'estimait victime de dénigrement, la société Traditions et Perspectives devenue officiellement éditrice des deux revues incriminées répondant que ses appréciations ne faisaient que reprendre les 60 à 70 courriers reçus d'utilisateurs mécontents, parfois virulents (lettre du 20 novembre 1992) conformément au fax du 11 mai 1992 par lequel Monsieur Audinot, pour 1e compte de Prospections, prévenait White's de la prochaine publication dans les numéros de "Trésors de l'Histoire et Trésors et Détections" d'extraits de plaintes reçues par ces deux magazines de la part d'utilisateurs français ;

Considérant qu'effectivement le n° 7 (septembre-octobre 1992) de Trésors et Détections a publié sur deux pages un article intitulé " White's le résultat de notre enquête" comportant de nombreux extraits de lettres d'utilisateurs mécontents se plaignant notamment du poids et du volume de leur appareil, de la discrimination poussée engendrant des pertes en profondeur, de faux signaux constants et effets de sol... ;

Mais considérant que les sociétés appelantes versent elles-mêmes aux débats la pièce communiquée par leur conseil Me Victorion sous le n° 18-5, à savoir une lettre circulaire de "Trésors de l'Histoire" aux utilisateurs de détecteurs White's, en date du 10 juin 1992 ainsi libellée :

"Un certain nombre d'essais et de lettres de prospecteurs nous portent à penser que les détecteurs de métaux White's présentent, et ce depuis plusieurs années, un certain nombre de défauts dans leur conception.

"Concrètement, sur le terrain, ces défauts se traduiraient par :

1) manque de performances dans le sol

2) poids et volume encombrants

3) faux signaux constants

4) mauvaise atténuation des effets de sol

5) sensibilité à l'humidité

6) discrimination ne donnant pas satisfaction, avec l'acceptation de mauvaises cibles et des pertes en profondeur."

Que ce courrier, qui précisait que l'avis des utilisateurs était sollicité dans le but de communiquer un certain nombre de remarques au fabricant et non aux fins de publication dans une revue spécialisée était accompagnée d'un pli affranchi pour la réponse ;

Qu'il apparaît ainsi que comme il l'a justement relevé le tribunal (sans motivation il est vrai) la prétendue enquête de la revue n'a pas été menée selon les règles et ses résultats n'ont pu être exposés que de manière partiale, puisque les réponses étaient induites par le questionnaire lui-même dont les objectifs réels avaient été dissimulés aux destinataires ;

Considérant que les appelantes ne peuvent pas plus prétendre que leur attitude était justifiée par les nombreuses demandes d'intervention du service après-vente sur le matériel White's qu'avait distribué Prospections, l'examen des fiches produites faisant apparaître que le principal sujet de mécontentement des clients est le fonctionnement du service après-vente de Prospections lui-même ;

Qu'elles n'établissent nullement le bien fondé de leur allégation selon laquelle la qualité du matériel White's aurait baissé après que la fabrication en ait été transféré d'Ecosse aux USA ;

Qu'au contraire, la société White's verse aux débats un fax émanant de "Traditions et Perspectives SARL Prospections" daté du 7 novembre 1996 -soit en cours de procédure d'appel- par lequel Monsieur Roudenko, qui indique être en charge du secteur import/export et connaître depuis longtemps la haute qualité des produits White's, se dit surpris de constater la place relativement discrète voire l'absence de White's dans les magazines de détection français et peut-être sur le marché français avant de terminer par la phrase "je sais également que vous êtes en conflit avec Prospections mais les choses changent et je serais heureux d'étudier avec vous comment ouvrir le marché français aux produits White's ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble des éléments ci-dessus analysés que la SARL Prospections, distributrice de matériels de détection de différentes marques, a systématiquement procédé à un dénigrement du matériel White's à travers sa revue "Trésors de l'Histoire" à partir du moment où la société White's lui a indiqué qu'elle ne lui confierait pas l'exclusivité de la distribution de ses produits ;

Considérant que s'il est constant que la SARL Traditions et Perspectives, simple éditrice de la revue "Trésors et Détections", ne peut se trouver en rapport de concurrence avec un fabricant de produits, elle a commis une faute engageant sa responsabilité sur le terrain des articles 1382 et 1383 du Code Civil en se prêtant complaisamment à la publication d'une pseudo-enquête totalement orientée par le questionnaire de "Trésors de l'Histoire", revue-soeur éditée par Prospections SARL ayant le même gérant ;

Qu'il y a lieu en conséquence de condamner in solidum les sociétés appelantes à réparer le préjudice subi par la société White's en raison de leur faute commune ;

Considérant que s'il est vrai que la société White's ne fournit aucun élément relatif au préjudice matériel qu'elle aurait subi, tel que baisse du chiffre d'affaires ou perte de clientèle, il s'infère nécessairement des actes déloyaux constatés l'existence d'un préjudice, fût-il seulement moral, résultant de l'atteinte portée à son image par la campagne de dénigrement dont elle a été victime pendant près de deux années ; que ce préjudice est d'autant plus important que les deux revues concernées étaient quasiment en situation de monopole sur le marché français à la date des faits, puisque sur les quatre autres revues citées par les appelantes seule Trésors et Découvertes est publiée depuis 1989, les autres ne l'ayant été que postérieurement à 1991 (avril 1992 pour Trésors Magazine, octobre 1992 pour le Prospecteur, 4ème trimestre 1994 pour Détection Passion) ainsi qu'il résulte des exemplaires versés aux débats ;

Qu'il y a lieu de le réparer d'une part par l'allocation de la somme de 300.000 F à titre de dommages et intérêts, d'autre part par la publication du dispositif du présent arrêt dans deux numéros successifs de chacune des revues "Trésors de l'Histoire" et "Trésors et Détection" dans le délai de neuf mois de la signification du présent arrêt, sous astreinte de 40.000 F par défaut de parution ;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la société White's la charge des frais irrépétibles par elle exposés pour l'ensemble de la procédure à hauteur de la somme de 30.000F ;

Par ces motifs : Rejette des débats les pièces numéros 74 à 85 communiquées suivant bordereau du 25 novembre 1996 ; Réforme le jugement entrepris et statuant à nouveau, Constate le caractère déloyal de la concurrence et le dénigrement dont se sont rendues fautives les sociétés Prospections et Traditions et Perspectives au travers des revues Trésors de l'Histoire et Trésors et Détections courant 1991-1992 envers la société White's Electronics ; Les condamne in solidum à payer à la société White's Electronics la somme de 300.000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 30.000 sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Ordonne la publication du dispositif du présent arrêt dans deux numéros successifs de chacune des revues "Trésors de l'Histoire" et "Trésors et Détection" dans le délai de neuf mois de la signification du présent arrêt sous astreinte de 40.000 F par défaut de parution ; Déboute les parties du surplus de leurs demandes ; Condamne in solidum la SARL Prospections et la SARL Traditions et Perspectives aux entiers dépens de première instance et d'appel ; Accorde à la SCP Fisselier-Chiloux-Boulay au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.