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Décisions

CA Poitiers, ch. civ. sect. 1, 24 juin 1997, n° 9403523

POITIERS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Le Brasseur (SA)

Défendeur :

Automobiles des Garages Sorin (SA), La Roche Automobiles (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mechiche

Conseillers :

Mme Braud, Mlle Lafon

Avoués :

SCP Paille Thibault, SCP Gallet

Avocats :

Mes Portolano, Doury.

T. com. La Roche-sur-Yon, du 6 sept. 199…

6 septembre 1994

Faits et procédure :

Statuant sur l'appel régulièrement formé par la SA Le Brasseur à l'encontre d'un jugement du Tribunal de commerce de La Roche sur Yon du 6 septembre 1994 qui a :

- dit que la société La Roche Automobiles a bien la qualité de concessionnaire à l'égard du constructeur Renault et qu'elle a bien par conséquent la qualité à agir pour faire reconnaître ses droits à l'égard des tiers,

- dit que l'action des demanderesses (La SA des Garages Sorin, concessionnaire de la marque Peugeot et la SA La Roche Automobiles, concessionnaire de la marque Renault) à l'encontre de la SA Le Brasseur est parfaitement recevable et bien fondée,

- dit que la SA Le Brasseur s'est rendue coupable d'infractions au règlement 123-85 du 12 décembre 1984, à la communication CEE du 4 décembre 1991 parue au Journal Officiel des Communautés Européennes du 18 décembre 1991 et de publicité illégale et mensongère sur le même fondement, le tout étant constitutif d'actes de concurrence déloyale à l'encontre des concessionnaires exclusifs Renault, Peugeot de La Roche sur Yon,

- interdit à la SA Le Brasseur de vendre des véhicules neufs et immatriculés depuis moins de trois mois ou ayant parcouru moins de trois mille kilomètres à tout commerçant, personne physique ou morale qui ne soit pas un utilisateur final,

- interdit à la SA Le Brasseur de vendre des véhicules neufs ou immatriculés depuis moins de trois mois qui ne soit pas un utilisateur final

-- sans s'être au préalable immatriculé au Registre du Commerce sous la seule activité de mandataire à l'exclusion de toute autre activité dans l'automobile,

-- sans s'évertuer à rendre impossible dans l'esprit du public toute confusion avec une activité de revendeur-marchand et donc en exerçant effectivement la seule activité de mandataire à l'exclusion de toute autre activité dans l'automobile,

-- sans avoir reçu au préalable mandat écrit d'un mandant identifié, utilisateur final, avant de commander ou d'aller chercher le véhicule pour lequel le mandat a été remis,

-- sans se conformer strictement à l'ensemble des dispositions communautaires régissant l'activité de mandataire,

- interdit à la SA Le Brasseur de posséder tout stock de véhicules neufs ou immatriculés de moins de trois mois ou ayant parcouru moins de trois mille kilomètres, sans se conformer strictement à l'ensemble des dispositions communautaires régissant la publicité des mandataires,

l'ensemble des interdictions étant prononcées sous astreinte provisoire de 50 000 F par infraction constatée,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement,

- condamné la SA Le Brasseur à payer à la société Automobile des Garages Sorin la somme de 46 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 62 000 F à la société La Roche Automobiles,

- condamné la SA Le Brasseur à payer la somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC à chacune des demanderesses,

Aux motifs que c'est à tort que le tribunal a statué ainsi alors :

- que l'action de la SA La Roche Automobiles était irrecevable faute de justification de sa qualité de concessionnaire exclusif,

- que lescontrats des concessionnaires ne renferment qu'une exclusivité de marque et non une exclusivité de vente, qu'ils ne respectent pas les dispositions du Règlement 123-85; qu'ils sont inopposables aux tiers,

- que l'activité de vendeur de véhicules neufs est licite, que l'approvisionnement n'est pas en soi un acte de concurrence déloyale,

- que le réseau de concessionnaires n'étant pas étanche il appartient aux concessionnaires de rapporter la preuve de l'illicéité de l'approvisionnement,

- que la jurisprudence en matière de parfums n'est pas applicable, que la SA Le Brasseur n'a pas trompé ses fournisseurs, que la loi du 1er juillet 1996 n'est pas applicable, qu'aucune faute ne peut lui être imputée en matière de publicité, que la garantie constructeur qu'elle mentionne est acquise,

- que les manœuvres des concessionnaires sont constitutives d'une entrave, qu'elle a subi un préjudice important dont elle justifie.

La SA Le Brasseur demande à la Cour de réformer le jugement déféré et de débouter les concessionnaires de leurs demandes et de les condamner solidairement à lui verser les sommes de 5 800 000 F en réparation de ses préjudices financier et économique du fait de l'interdiction qui lui a été faite de vendre des véhicules neufs en vertu de l'exécution provisoire du jugement et de 20 000 F en vertu de l'article 700 du NCPC.

La SA des Garages Sorin et la SA La Roche Automobiles, concessionnaires respectifs Peugeot et Renault concluent à la confirmation du jugement et demandent qu'il soit fait interdiction à l'appelant de prétendre à la garantie constructeur, que l'astreinte soit portée à la somme de 100 000 F par infraction et qu'il soit ajouté une indemnité de 25 000 F au titre de l'article 700 du NCPC à chacune des concluants en faisant valoir :

- que la position de la Cour des Communautés Européennes a ses limites, que si le revendeur non agréé ne s'est pas approvisionné régulièrement son activité est constitutive de concurrence déloyale,

- que les contrats de concession sont opposables aux tiers et valides,

- que l'appelant ne précise pas dans sa publicité que la garantie ne peut être appliquée que dans le réseau officiel du constructeur.

Une ordonnance de clôture est intervenue le 3 avril 1997.

Motifs :

Attendu que les deux sociétés intimées justifient de leur qualité de concessionnaires respectifs des Automobiles Peugeot et Renault ;

Attendu que le litige n'intéresse pas la définition d'un véhicule neuf puisque la SA Le Brasseur revendique le droit de vendre des véhicules neufs en dehors du réseau des concessionnaires ;

Attendu que la Cour de Justice des Communautés Européennes a indiqué dans deux arrêts du 15 février 1996 que le règlement 123-85 de la Commission devait être interprété en ce sens qu'il ne fait pas obstacle à ce qu'un opérateur qui n'est pas un revendeur agréé se livre à une activité d'importation parallèle et de revente indépendante de véhicules neufs, que dès lors l'activité de vendeur de véhicules neufs est licite en soi mais que ce commerce doit s'exercer de manière loyale notamment à l'égard des concessionnaires de véhicules ;

Attendu que les constructeurs commercialisent leurs véhicules soit directement en les vendant à des utilisateurs finals soit par l'intermédiaire d'un réseau de concessionnaires ; que la validité de ces contrats de concession ne pourrait être contestée que par les concessionnaires eux-mêmes ; que lesdits contrats ont été jugés préférables à une libre concurrence en matière automobile ; qu'ils ne peuvent qu'être déclarés licites au regard du règlement 123-85 du 12 décembre 1984 ; que ces contrats qui imposent un service après-vente permettant l'exécution de la garantie du constructeur sont opposables aux vendeurs de véhicules hors réseau qui ainsi qu'il sera dit plus loin sont dans l'incapacité de mettre en application la garantie du constructeur ;

Attendu que les concessionnaires et les vendeurs de véhicules neufs poursuivent le même but économique qui est la revente de véhicules ; qu'ils sont donc présumés se fournir à la même source c'est à dire auprès du constructeur soit directement soit indirectement (mais alors en qualité de mandataire pour des clients et véhicules précis) ; qu'en vue de la revente le constructeur ne vend qu'à son réseau de concessionnaires, lequel ne peut lui-même vendre qu'à des utilisateurs finals ; que l'achat de véhicules par un vendeur est donc présumé avoir été fait auprès d'un concessionnaire en complicité d'une violation des engagements contractuels de ce dernier envers le constructeur ; qu'il s'agit là d'une pratique déloyale à l'égard des autres concessionnaires ; que le vendeur de véhicules neufs ne peut combattre la présomption qui pèse sur lui qu'en rapportant la preuve d'une acquisition régulière non seulement de sa part mais de celle de ses vendeurs et ce afin de remonter à l'origine du produit, soit à l'issue de la fabrication; qu'en l'espèce, force est de constater que la SA Le Brasseur ne rapporte pas la preuve de l'origine des véhicules qu'elle propose à la vente ; qu'elle se borne à indiquer l'identité de quelques uns de ses vendeurs sans que l'on sache comment ces vendeurs se sont procurés les véhicules ; que notamment elle justifie s'être approvisionnée auprès d'importateurs qui sont eux-mêmes soumis aux mêmes obligations qu'elle ; qu'elle ne combat pas utilement la présomption d'approvisionnement illicite qui pèse sur elle ; qu'il doit donc être retenu à son encontre des faits de concurrence déloyale ;

Attendu qu'il est reproché à la SA Le Brasseur de mentionner dans sa publicité la garantie du constructeur accordée aux véhicules qu'elle met en vente ; qu'il est exact que cette garantie est à la charge du constructeur quel que soit le circuit de vente des véhicules et l'endroit où ils ont été achetés dans la CEE et qu'elle doit appliquer dans tous les cas ; mais que l'utilisateur final d'un véhicule doit être entièrement et précisément renseigné sur les lieux et modalités d'application de la garantie du constructeur ; que la simple mention de la garantie annoncée par la SA Le Brasseur laisse à penser que cette société est apte à mettre la garantie en application alors que celle-ci ne peut être mise à exécution que par les concessionnaires; qu'elle crée une confusion dans l'esprit des utilisateurs finals qui souhaiteraient n'avoir qu'un seul interlocuteur en cas de vice ou de défaillances du véhicule dont ils font l'acquisition ; que seul le concessionnaire est en mesure d'assurer cette unité d'intervention dans le suivi de la vente de véhicules ; que cette confusion entretenue par la SA Le Brasseur est constitutive de concurrence déloyale; qu'il doit être fait interdiction à la SA Le Brasseur de faire mention sans plus de précision de la garantie du constructeur ;

Attendu qu'il résulte de tout ce qui précède que la SA Le Brasseur n'était pas fondée en son appel ; que le jugement déféré doit être confirmé en toutes ses dispositions sans qu'il y ait lieu d'augmenter le montant de l'astreinte par infraction fixée par le tribunal ; qu'il est ajouté au jugement la mention de l'interdiction sans précision de la garantie du constructeur ;

Attendu que la SA Le Brasseur non fondée en son appel est déboutée de toutes ses demandes et doit supporter les entiers dépens de la procédure ; qu'il n'est pas inéquitable de la condamner à verser à chacun des deux intimés une somme de 10 000 F pour frais irrépétibles d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement du Tribunal de commerce de La Roche dur Yon du 6 septembre 1994, en toutes ses dispositions, Y ajoutant, fait interdiction à la SA Le Brasseur de faire mention de la garantie du constructeur sans précision des modalités d'exécution, Condamne la SA Le Brasseur à verser à chacune des sociétés Automobiles des Garages Sorin et La Roche Automobiles une somme de 10 000 F pour frais irrépétibles d'appel, Condamne la SA Le Brasseur aux entiers dépens d'appel et autorise la SCP Jean et Henri-Noël Gallet à recouvrer directement ceux dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.