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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 18 juin 1997, n° 95-11841

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Vatron Mau et Compagnie (SA)

Défendeur :

Cogedi (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Duvernier

Conseillers :

Mme Mandel, M. Boval

Avoués :

SCP Menard Scelle Millet, Me Moreau

Avocats :

Mes Cortial, Clerget.

T. com. Corbeil-Essonnes, 3e ch., du 15 …

15 mars 1995

La SA Vatron Mau et Cie a pour objet la création d'installations industrielles dans le domaine agro-alimentaire, chimique, pharmaceutique et cosmétique.

Alléguant que la SARL Cogedi utilisait tant sa marque que son savoir-faire pour démarcher ses propres clients et capter divers marchés, la société Vatron Mau et Cie a, le 1er juin 1994, assigné celle-ci devant le Tribunal de commerce de Corbeil Essonne à l'effet de voir, avec le bénéfice de l'exécution provisoire :

- juger que la défenderesse s'était rendue coupable de contrefaçon de marque et de concurrence déloyale,

- commettre un expert afin de déterminer les responsabilités encourues et les préjudices tant commercial que financier résultant des faits invoqués,

- condamner la société Cogedi au paiement d'une indemnité provisionnelle de trois millions de frais et d'une somme de 40 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

- ordonner la publication du jugement à intervenir dans trois quotidiens nationaux et les revus Usine Nouvelle et Parfums Cosmétiques Arômes aux frais de la défenderesse.

Le 23 août 1994, la société Cogedi a conclu au débouté de la société Vatron Mau et Cie.

Par jugement du 15 mars 1995, le tribunal relevant d'une part, l'existence " d'une obligation de libre concurrence sur les affaires ", d'autre part, l'absence de " preuve d'un dépôt breveté de la marque VM ", a rejeté la demande.

Le 30 mars 1995, la société Vatron Mau et Cie a interjeté à l'encontre de cette décision un appel aux termes duquel elle sollicite dans le dernier état de ses écritures la condamnation de la société Cogedi à lui verser les sommes de 300 000 F à titre de dommages et intérêts et de 40 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et à supporter le coût de l'insertion du présent arrêt dans les revues Usine Nouvelle et Parfums Cosmétiques Arômes.

La société Cogedi poursuit la confirmation du jugement entrepris et l'attribution des sommes de 20 000 F en réparation d'un recours qualifié d'abusif et de 50 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Sur ce,

I- Sur la procédure :

Considérant que la clôture de l'instruction de la procédure a été prononcée le 21 avril 1997.

Que, le 25 avril 1997, la société Cogedi a, à titre principal, demandé la révocation de l'ordonnance de clôture susvisée au motif qu'elle versait aux débats une pièce complémentaire en réponse à une attestation versée à la procédure par la partie adverse le 3 avril précédent, et subsidiairement, le rejet de ladite attestation.

Mais considérant qu'elle ne justifie d'aucune cause grave qui l'aurait empêchée de répondre tant par des écritures que par la production d'une pièce avant le 21 avril 1997 à un document communiqué le 3 avril 1997.

Que cette demande sera rejetée et la pièce produite postérieurement à l'ordonnance de clôture, écartée des débats.

II- Sur la demande principale :

- sur les faits incriminés :

Considérant qu'il convient préalablement à l'examen du bien fondé de la demande de préciser que si l'appelante, dans ses conclusions du 31 juillet 1995, a incriminé des actes de concurrence déloyale et de contrefaçon de marque, en revanche ses écritures du 11 février 1997 ne visent plus que le premier grief, la contrefaçon de marque étant retenue comme élément constitutif de cette faute au sens de l'article 1382 du code civil (cf. p. 5 et 6) dont seule la réparation est sollicitée (p. 7), au motif qu'" il est constant que l'action en concurrence déloyale ne peut procurer une protection efficace lorsque le droit de marque n'a pas été constitué par l'acte de dépôt requis par la loi " (p. 4) et qu'en l'espèce, la concurrence déloyale serait notamment caractérisée " par la confusion qui a été créée par la reproduction de la marque d'usage de la société (Vatron Mau et Cie) figurant sur des photographies litigieuses sous le sigle VM " (p. 6).

Que la société Cogedi en a déduit à juste titre dans ses conclusions du 24 mars 1997 que la société Vatron Mau et Cie limitait désormais ses prétentions à une demande en paiement d'une somme de 300 000 F pour concurrence déloyale.

Considérant ceci exposé, que la société Vatron Mau et Cie allègue d'une part que la société Cogedi a démarché un certain nombre de ses clients en diffusant, de la fin de 1990 à juin 1994, une plaquette qui constituerait " un plagiat pur et simple, par la reproduction servile de photographies, de chaînes industrielles et de machines conçues et réalisées par (elle) " et d'autre part, que l'intimée l'a dénigrée auprès d'importantes sociétés.

Considérant que la société Cogedi réplique que la plaquette litigieuse a été remplacée, moins d'un mois après la délivrance de l'assignation, par un nouveau document et qu'aucune intention coupable de sa part n'est ni établie ni même invoquée et qu'aucune confusion ne saurait s'instaurer entre des sociétés qui n'ont pas de clients communs.

Considérant que l'examen de la plaquette publicitaire diffusée entre 1990 et 1994 par la société Cogedi révèle que celle-ci reproduit, en couverture, une installation revêtue du sigle " VM ", habituellement apposé sur les produits de la société Vatron Mau et Cie et, au verso, la photographie d'une réalisation de l'appelante .

Que ces faits ne sont, au demeurant pas contestés par l'intimée qui, après assignation, a déclaré à la société Vatron Mau et Cie, le 14 juin 1994 :

" ...Nous venons de découvrir votre réalisation parmi les nôtres sur la présentation de notre plaquette publicitaire... "

et s'est engagée à éditer une autre plaquette assortie d'une note à l'usage de la clientèle mentionnant :

" ...Une erreur s'est glissée dans notre planche photographie. Elle représentait la réalisation d'une société Vatron Mau "...

Considérant que la reproduction d'installations industrielles de la société Vatron Mau et Cie suffit à établir la volonté de la société Cogedi de susciter une confusion entre ses produits et ceux de l'appelante dans l'esprit des clients potentiels de l'une et l'autre entreprise, étant observé d'une part que la société Cogedi saurait d'autant moins s'exonérer de la faute par elle commise en invoquant sa bonne foi qu'il lui appartenait, en sa qualité de professionnelle, de prendre soin de ne divulguer que ses propres réalisations et d'autre part, que la publication d'une nouvelle brochure n'est pas de nature à effacer rétroactivement le fait incriminé.

Considérant que la société Vatron Mau et Cie fait en outre valoir que si la société Cogedi a effectivement diffusé un autre prospectus, elle a adressé celui-ci à 14 de ses clients en lui annexant la note suivante :

" Une erreur s'est glissée dans notre planche photographique. Elle représentait la réalisation d'une société Vatron Mau. Nous nous excusons par avance auprès de cette société. C'est pourquoi veuillez trouver notre nouvelle planche des réalisations effectuées par notre société qui, comme vous le noterez, présentait dans sa plaquette publicitaire ancienne, déjà des réalisations techniques de caractère plus complexe à réaliser ".

Que l'appelante soutient " qu'il est tout à fait anormal que la société Cogedi qui reconnaît l'infraction commise par elle au lieu de la réparer, en profite encore pour aggraver le préjudice subi par la société Vatron Mau auprès des sociétés très importantes dont les commandes se chiffrent en millions de francs " alors que la société Cogedi n'était nullement contrainte d'introduire un élément de comparaison (à son) préjudice ".

Considérant qu' "il ne saurait être contesté que l'usage du terme " complexe " tend à susciter dans l'esprit du lecteur de la note la conviction que les produits de la société Vatron Mau et Cie seraient d'une réalisation plus difficile que ceux de la société Cogedi et qu'il conviendrait, de ce fait, de préférer ces derniers.

Qu'une telle attitude qui tend à jeter le discrédit sur les produits fabriqués par un concurrent dans le but évident de bénéficier de la clientèle de celui-ci suffit à caractériser le grief de dénigrement invoqué.

Considérant en conséquence que la demande en concurrence déloyale de la société Vatron Mau et Cie est bien fondée.

Sur la réparation du préjudice :

Considérant que l'appelante fait valoir qu'au moyen de la plaquette incriminée, la société Cogedi a notamment démarché des clients potentiels de l'importance du Centre de transfusions sanguines, des laboratoires Guerbet, des sociétés Belin et Sanofi.

Qu'il s'infère nécessairement de toute concurrence déloyale un préjudice dont la réparation, en l'espèce, peut-être évaluée à la somme de 150 000 F.

Qu'il sera en outre fait droit à la demande en publication du présent arrêt dans les conditions qui seront précisées au dispositif de celui-ci.

III- Sur la demande reconventionnelle :

Considérant que l'appel de la société Vatron Mau et Cie étant bien fondé, la société Cogedi ne saurait se voir attribuer une indemnité pour recours abusif.

IV- Sur les frais non taxables :

Considérant que la société Cogedi qui succombe, sera déboutée de la demande par elle fondée sur les dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Qu'il est en revanche, équitable d'allouer à ce titre à la société Vatron Mau et Cie une somme de 30 000 F.

Par ces motifs, Rejette la demande de révocation de l'ordonnance de clôture de la société Cogedi, Dit en conséquence irrecevable la communication de pièce faite par l'intimée postérieurement à ladite ordonnance, Réforme le jugement déféré et, statuant à nouveau, Dit la demande de la société Vatron Mau et Cie recevable et bien fondée, Condamne la société Cogedi à payer à la société Vatron Mau et Cie les sommes de : - cent cinquante mille francs (150 000 F) à titre de dommages et intérêts, - trente mille francs (30 000 F) en application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, Autorise la société Vatron Mau et Cie à publier le présent arrêt dans deux périodiques de son choix, aux frais de la société Cogedi dans la limite d'un coût de 25 000 F HT par insertion, Rejette toutes autres demandes, Condamne la société Cogedi aux dépens de première instance et d'appel, Admet la SCP Menard Scelle Millet, titulaire d'un office d'avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.