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Décisions

CA Nîmes, 2e ch. B, 29 mai 1997, n° 96-790

NÎMES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Comptoir Général de Matières Premières (SA), Sernap (SA)

Défendeur :

Kaysersberg (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Martin

Conseillers :

M. Bestagno, Mme Miquel-Pribille

Avoués :

SCP Pomies Richaud Astraud, SCP Guizard

Avocats :

Mes Leroy, Boespflug.

T. com. Nîmes, du 14 déc. 1995

14 décembre 1995

Les faits - La Procédure

En invoquant une contrefaçon commise à son détriment par les sociétés Sernap et CGMP, la société Sodikay, aux droits de laquelle se trouve présentement la société Kaysersberg, a demandé au Tribunal de Commerce de Nîmes qu'il fasse défense aux prétendus contrefacteurs d'exploiter les dessins reproduits sur ses serviettes en papier et constituant bien des œuvres de l'esprit, dont les caractéristiques essentielles se retrouvent sur les produits commercialisés par les sociétés défenderesses.

Il a été fait droit à cette demande non pas au titre de la contrefaçon originairement invoquée mais à celui de la concurrence déloyale.

Une somme de 50 000,00 F a été allouée au demandeur, en réparation du préjudice subi, et de 5 000 00 F, sur le fondement des dispositions de l'art. 700 du Nouveau code de procédure civile.

La publication de la décision a été ordonnée dans trois journaux ou revues, au choix de la société Sodikay, le tout avec exécution provisoire.

Les sociétés Comptoir Général de Matières Premières et Sernap sont appelantes dudit jugement.

Les moyens et prétentions des parties

A l'appui de leur appel lesdites sociétés exposent :

- qu'en aucun cas la notion de contrefaçon ne peut être retenue, puisque la date [de] création de l'œuvre alors protégeable n'est pas déterminée, pas plus que son caractère original ;

- que les dessins et figures reproduits sur les trois modèles litigieux de serviettes sont extrêmement banals, dépourvus de toute originalité, et distribués de façon extrêmement vaste dans le domaine public ;

- qu'il est dès lors tout à fait normal que ce genre de dessins puissent se retrouver sur différents supports ;

- qu'il en est ainsi pour la coexistence de deux liserés dans des couleurs qui s'harmonisent, d'un liseré et d'une fleur stylisée, ou d'un cordage et d'un noeud ;

- que l'utilisation de ces motifs ne peut être constitutive d'une faute ;

- que la société Sodikay ne démontre pas être propriétaire, ni créatrice de l'assortiment des couleurs figurant sur les serviettes litigieuses, ou de l'apposition d'un liseré, et ne peut se prévaloir d'aucun signe distinctif de sa marque ;

- qu'en second lieu la société Sodikay ne démontre pas avoir subi un quelconque préjudice, qui pour ce faire ne saurait solliciter l'instauration d'une mesure d'expertise ;

- qu'enfin les modèles par elles utilisés se trouvant totalement dans le domaine public, il ne peut leur être reproché de s'être inspirées des produits Sodikay, ou de les avoir copiés, ni d'avoir bénéficié du pouvoir attractif de la marque de son concurrent ;

- qu'il ne saurait donc y avoir lieu à concurrence déloyale par parasitisme ;

- que le jugement déféré doit être réformé, et la société Sodikay déboutée de toutes ses fins, demandes et conclusions ;

- qu'en réparation du préjudice subi dans le cadre de la demande assortie de l'exécution provisoire une somme de 100 000,00 F lui doit être allouée, et de 20 000,00 F, sur le fondement des dispositions de l'art. 700 du Nouveau code de procédure civile, outre les entiers dépens.

La SA Kaysersberg oppose :

- que l'exploitation des serviettes litigieuses remonte, au moins, au mois de mars 1992 ;

- qu'elle doit donc être tenue pour titulaire des droits d'auteur afférents auxdits dessins depuis cette époque ;

- que les sociétés appelantes n'ont jamais apporté la preuve des antériorités au regard desquelles ses dessins ne pouvaient apparaître alors comme des œuvres de l'esprit ;

- que c'est donc à tort que les premiers juges lui ont refusé la protection reconnue par le Livre 1er du Code de la propriété intellectuelle ;

- que les sociétés Sernap et CGMP doivent bien être reconnues coupables de contrefaçon ;

- que les dessins incriminés sont identiques par leur composition à ceux dont elle est fondée à réclamer la protection ;

- subsidiairement, si l'action en contrefaçon ne devait aboutir, que devrait être alors confirmée la décision entreprise en ce qu'elle a accueilli son action en concurrence déloyale ;

- que les sociétés appelantes ont, en effet, cherché à bénéficier, sans bourse délier, des efforts par elle-même accomplis, et se placer dans son sillage ;

- que les actes de concurrence déloyale sont nécessairement préjudiciables ;

- en tout état de cause, que son préjudice, en première instance a été sous-estimé, qui ne saurait être évalué à moins de 200 000,00 F ,

- qu'une somme de 30 000,00 F lui doit être allouée sur le fondement des dispositions de l'art. 700 du Nouveau code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Sur quoi

Sur la recevabilité de l'appel

Attendu que la société intimée conclut à l'irrecevabilité de l'appel interjeté par les sociétés Sernap et CGMP Map, mais n'en fait pas connaître la cause ;

Attendu qu'il ne sera donc pas fait droit à cette prétention ;

Sur l'action en contrefaçon

Attendu que la société Sodikay, aux droits de laquelle se trouve la société Kaysersberg, commercialise trois modèles de serviettes en papier appelés " Arcade ", " Marine " et " Orchidée " ;

Attendu que pour la protection des dessins figurant sur lesdits modèles l'auteur n'a procédé à aucun dépôt, qui ne peut donc qu'invoquer les dispositions de la loi du 11 mars 1957 relative à la protection des œuvres de l'esprit et aujourd'hui codifiée sous l'article L. 112.1 du Code de la propriété intellectuelle ;

Attendu, à ce titre, que si ces dessins méritent protection parce qu'ils sont le résultat d'une véritable démarche créatrice, révélatrice de la personnalité de leur auteur, aucune reproduction ou imitation ne peut être reprochée aux sociétés appelantes qui ont fait figurer sur leurs modèles d'autres dessins ;

Attendu qu'il ne saurait donc y avoir lieu à contrefaçon, à ce titre ;

Attendu, en second lieu, que la combinaison d'un liseré et des deux motifs ornementaux que constituent un noeud marin et une fleur stylisée ne peut être considérée comme une œuvre originale, ni davantage l'assortiment harmonieux de deux couleurs, telle que le bleu et le gris, le bleu et le blanc, le rose et le violet ;

Attendu que le manque d'originalité des procédés ainsi mis en œuvre fait que ne peut être réclamé le bénéfice de la protection susmentionnée pour les modèles " Marine " et " Orchidée " ;

Attendu, relativement au modèle " Arcade ", que les sociétés appelantes justifient avoir utilisé avant le mois de mars 1992, jusqu'auquel la société intimée fait remonter la naissance de son droit, d'une part, le motif ornemental consistant en un double liseré s'entrecroisant aux quatre coins de la serviette selon un dessin particulier et distinctif, et, d'autre part, l'assortiment des couleurs bordeaux et gris sur un modèle " Omega " ;

Attendu, dès lors, que la composition du dessin " Arcade " réunissant le procédé du double liseré et des deux couleurs susmentionnées n'apparaît pas originale ;

Attendu que, dans ces conditions, l'action en contrefaçon exercée à l'encontre des sociétés appelantes ne peut prospérer ;

Attendu que l'appel incident formé par la société Sodikay, aux droits de laquelle se trouve la société Kaysersberg, n'est pas fondé, tendant précisément à l'établissement et à la sanction de la contrefaçon ;

Attendu surabondamment que le fait que les sociétés appelantes aient réclamé la protection légale présentement revendiquée par la société intimée, relativement à son modèle Lisère 8, ne prouve pas la pertinence de ce moyen ;

Sur la concurrence déloyale

Attendu que la gamme de serviettes constituée par les sociétés appelantes est identique à la collection créée par la société Sodikay ;

Attendu que cette similitude porte sur la composition même du catalogue qui comporte des motifs identiques, même si chacun d'eux se trouve différemment réalisé;

Attendu, ainsi que les collections Sodikay et Map sont composées de serviettes en papier qui comportent les mêmes motifs qui sont le double liseré, le noeud marin et la fleur stylisée, alors que les sociétés appelantes auraient dû constituer leur collection d'une façon différenciée ;

Attendu, en effet, qu'en produisant la même gamme de produits lesdites sociétés ne pouvaient ignorer qu'elles reproduisaient la gamme préexistante de la société Sodikay, et créaient ainsi, volontairement, les conditions d'une confusion destinée à capter une clientèle attachée à une société concurrente dont le choix proposé dans sa collection de modèles avait constitué toute la réputation reconnue sur le marché, et ainsi convoitée;

Attendu que cette imitation particulière est bien, comme l'ont justement considéré les premiers juges, constitutive d'une faute et d'une concurrence déloyale ;

Attendu que sur ce moyen la décision entreprise doit être confirmée ;

Sur les dommages et intérêts

Attendu que les premiers juges ont évalué le préjudice subi par la société intimée à la somme de 50 000,00 F ;

Attendu que celle-ci réclame la réformation du jugement entrepris, de ce chef, mais n'apporte aucun élément permettant de caractériser l'insuffisance de la réparation ainsi accordée ;

Attendu qu'en cause d'appel la société Kaysersberg ne démontre pas que son préjudice est d'une consistance supérieure ;

Attendu que l'évaluation faite en première instance sera donc maintenue ;

Attendu que les sociétés appelantes, qui succombent, ne peuvent réclamer le bénéfice de dommages et intérêts compensateurs du préjudice ni de l'exécution provisoire de la décision critiquée ;

Par ces motifs : LA COUR statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort ; Au fond, Déclare non fondés l'appel interjeté par les sociétés Sernap et CGMP Map, sauf sur la publication du jugement entrepris, et l'appel incident de la société Sodikay aux droits de laquelle se trouve la société Kaysersberg ; Infirme seulement la décision déférée en ce que sa publication a été ordonnée ; Dit n'y avoir lieu à publication ; Confirme le surplus ; Condamne les sociétés Sernap et CGMP Map à payer à la société Kaysersberg la somme de 5 000,00 F par application des dispositions de l'art. 700 du Nouveau code de procédure civile ; Condamne les mêmes aux dépens, et autorise la SCP Guizard à recouvrer directement ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans recevoir provision.