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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 23 mai 1997, n° 96-13946

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

L'Européenne Mercuriale (SARL)

Défendeur :

Tecmobat (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boval

Conseillers :

M. Ancel, Mme Regniez

Avoués :

Me Nut, SCP Garrabos

Avocats :

Mes Crevon, Rincourt.

T. com. Bobigny, 5e ch., du 25 févr. 199…

25 février 1993

LA COUR statue sur l'appel interjeté par la société Européenne Mercuriale d'un jugement rendu le 25 février 1995 par le Tribunal de commerce de Bobigny dans un litige l'opposant à la société Tecmobat.

Pour un bref exposé des faits il suffit de rappeler que :

- Tecmobat qui commercialise un système d'échafaudage dit Linefacade couvert par un brevet européenn avait confié jusqu'en novembre 1989 leur fabrication à la société SEJ et une partie de leur commercialisation à la société Européenne Mercuriale (ayant les mêmes dirigeants que SEJ),

- SEJ a entrepris la fabrication d'un système d'échafaudage similaire, distribué sous la marque Mercure par Européenne Mercuriale,

- Tecmobat a fait procéder le 14 novembre 1989 à une saisie contrefaçon, puis, en février 1990, a fait assigner SEJ et Européenne Mercuriale notamment en contrefaçon de son brevet et en concurrence déloyale,

- par un jugement du Tribunal de grande instance de Paris en date du 16 octobre 1992, confirmé par un arrêt de cette chambre du 29 novembre 1995, Tecmobat a été déboutée de ses demandes aux motifs notamment que le brevet par elle invoqué était inopposable aux sociétés défenderesses et qu'aucun agissement constitutif de concurrence déloyale n'était imputable à ces sociétés,

- en février, mars, et avril 1992, Européenne Mercuriale a reçu de la société VM France commande d'échafaudages Mercure qu'elle lui a livrés de mars à mai 1992 pour un montant total de 205 337,18 F,

- par lettre du 8 avril 1992 Tecmobat a fait à savoir VM France que les échafaudages Mercure auraient constitué la contrefaçon de son brevet, elle lui a fait injonction de cesser de les distribuer et lui a en outre indiqué que ces échafaudages auraient été dangereux,

- VM France a alors mis fin à ses relations commerciales avec Européenne Mercuriale.

C'est dans ces circonstances que par acte du 16 juillet 1992, Européenne Mercuriale a fait assigner Tecmobat en concurrence déloyale lui reprochant des actes de dénigrement et lui réclamant la somme de 1 million de francs à titre de dommages-intérêts. Tecmobat a conclu au débouté et réclamé reconventionnellement la somme de 200 000 F à titre de dommages-intérêts.

Par le jugement entrepris, le Tribunal a débouté Européenne Mercuriale de sa demande principale et Tecmobat de sa demande reconventionnelle. Européenne Mercuriale a été condamnée à payer une indemnité de 8 333 F à Tecmobat pour ses frais irrépétibles.

Tecmobat conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté Européenne Mercuriale de sa demande principale. Formant appel incident, elle renouvelle sa demande reconventionnelle en paiement d'une somme de 200 000 F à titre de dommages intérêts.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, il est fait référence au jugement entrepris et aux écritures échangées devant la Cour. Les deux parties sollicitent chacune le bénéfice des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Sur ce, LA COUR :

Considérant que le Tribunal a débouté Européenne Mercuriale au motif que " compte tenu de l'historique des relations entre les parties Tecmobat n'apparaissait pas répréhensible d'avoir pris les dispositions qu'elle estimait être en droit d'adopter pour conserver son client VM France et l'exploitation de son brevet ", alors que " Européenne Mercuriale n'a pas hésité à user de moyens contestables pour obtenir la clientèle de VM France qu'elle savait être un client de son adversaire " ;

Considérant que Tecmobat, concluant à la confirmation, fait valoir qu'elle n'a commis aucune faute eu égard au comportement de Européenne Mercuriale à laquelle elle reproche :

- de s'être frauduleusement emparée de ses secrets de fabrication,

- d'avoir démarché la société VM France, en son agence de Paris, alors que l'accord de commercialisation qui la liait à Tecmobat lui interdisait de prospecter la région parisienne,

- d'avoir eu un comportement parasitaire en se faisant passer auprès de VM France pour le mandataire de Tecmobat ;

Qu'elle verse aux débats une lettre que lui a adressée VM France le 22 juillet 1992, dans laquelle cette société écrit qu'elle a commis une confusion entre le matériel Mercure et Linefacade, que cette erreur a été induite par les agissements de Européenne Mercuriale, et que c'est seulement avec un retard d'un mois et demi, au contrôle de la facturation, qu'elle s'est aperçue que Tecmobat s'était transformée en Européenne Mercuriale ;

Mais considérant que cette argumentation, critiquée par l'appelante, ne saurait être suivie ;

Qu'il doit [être] relevé que Tecmobat a été déboutée par l'arrêt de cette chambre du 29 novembre 1995 de ses demandes en contrefaçon et en concurrence déloyale contre Européenne Mercuriale, aucun acte de contrefaçon de brevet, n'ayant été retenu à l'encontre de cette dernière société, la Cour ayant par ailleurs estimé, d'une part, que si le gérant de Européenne Mercuriale avait mis en œuvre le savoir faire acquis à la suite de sa collaboration avec Tecmobat, il ne s'était pas emparé de secrets de fabrique, et, d'autre part, que l'échafaudage Mercure n'était nullement la copie servile ou quasi servile du dispositif Linefacade et était présenté dans des documents publicitaires comportant des présentations graphiques, des expressions et des couleurs différentes ;

Qu'en outre, les relations commerciales entre Tecmobat et Européenne Mercuriale, qui n'avaient pas été formalisées dans un contrat de distribution écrit, avaient cessé en novembre 1989, plus de deux ans avant les ventes litigieuses faites à VM France début 1992, de sorte qu'il ne peut être reproché à Européenne Mercuriale d'avoir violé l'accord de distribution qui l'avait liée à son adversaire ;

Qu'enfin, la lettre de VM France du 22 juillet 1992 écrite plusieurs mois après les faits litigieux, manifestement pour écarter la menace de poursuites contenue dans le courrier du 8 avril de Tecmobat, n'est nullement probante ; que les pièces versées aux débats par Européenne Mercuriale démontrent que Vm France s'est délibérément adressée à elle pour acheter du matériel Mercure, les télécopies et les bons de commande parfaitement explicites produits par l'appelante ne permettant pas d'imaginer que VM France aurait pu croire, ainsi qu'elle le prétend dans sa lettre du 22 juillet adressée à Tecmobat, se fournir auprès de cette société en matériel Linefacade ;

Considérant que les manœuvres déloyales imputées à Européenne Mercuriale par Tecmobat ne sont donc pas établies ; qu'en toute hypothèse, de tels agissements, même avérés, n'auraient pas été de nature à légitimer les actes caractérisés de dénigrement commis par Tecmobat, en accusant inexactement son adversaire d'avoir commis des faits de contrefaçon et en affirmant que son produit Mercure était dangereux ; que si le contexte conflictuel ayant existé entre les deux sociétés peut expliquer les dispositions qu'a cru devoir prendre Tecmobat, à ses risques et périls, il ne saurait pour autant les justifier ; qu'il s'ensuit que, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, les actes de dénigrement commis par Tecmobat engagent sa responsabilité à l'égard de Européenne Mercuriale et ouvrent à celle-ci droit à réparation ;

Considérant que l'appelante, qui indique qu'elle réalisait une marge brute de 60 000 F sur le montant mensuel des commandes de VM France, affirme qu'elle aurait été privée en raison des manœuvres de son adversaire d'un préavis de 6 mois au cours duquel elle aurait dû réaliser un bénéfice de 360 000 F et qu'elle aurait subi un préjudice commercial complémentaire portant à 1 million de francs son manque à gagner global ; que cependant les commandes de VM France ne s'inscrivait pas dans un marché plus large qui aurait prévu un préavis en faveur de Européenne Mercuriale, laquelle n'apporte par ailleurs aucune espèce de justification du montant du préjudice commercial complémentaire qu'elle allègue ; qu'eu égard à ces éléments et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire, notamment de la brièveté des relations commerciales entre l'appelante et VM France, la Cour estime qu'une indemnité de 100 000 F réparera équitablement le préjudice subi par Européenne Mercuriale ;

Considérant que la demande reconventionnelle en dommages-intérêts de Tecmobat dont les griefs à l'encontre de Européenne Mercuriale ont été ci-dessus repoussées ne saurait prospérer ; que le jugement sera confirmé de ce seul chef ;

Considérant que l'équité commande d'allouer à Européenne Mercuriale, pour ses frais irrépétibles de première instance et d'appel une indemnité de 15 000 F ;

Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Tecmobat de sa demande en dommages intérêts ; Le réforme pour le surplus ; Statuant de nouveau sur ces chefs et ajoutant : Condamne la société Tecmobat à payer à la société Européenne Mercuriale la somme de 100 000 F à titre de dommages intérêts et celle de 15 000 F pour ses frais irrépétibles de première instance et d'appel ; Rejette toute autre demande ; Condamne la société Tecmobat aux dépens de première instance et d'appel ; Admet la SCP Garrabos au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.