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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 7 mai 1997, n° 95-11781

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Régine Ferrère (SARL)

Défendeur :

Kenzo (SA), Tamaris (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Duvernier

Conseillers :

Mme Mandel, M. Boval

Avoué :

SCP Narrat Peytavi

Avocats :

Mes Destremeau, Bessis.

CA Paris n° 95-11781

7 mai 1997

Faits et Procédure

Référence étant faite au jugement entrepris pour l'exposé des faits, de la procédure et des moyens antérieurs des parties, il suffit de rappeler les éléments essentiels suivants :

La société Tamaris licenciée de la société Kenzo pour la distribution des parfums portant cette marque, a en 1988 agréé la société Régine Ferrère.

Les relations contractuelles se sont poursuivies en 1990, 1991 et 1992.

Le 12 novembre 1992 Régine Ferrère a signé deux nouveaux contrats de distributeur agrée pour chacun de ses deux points de vente respectivement situés 60 rue de Miromesnil et 26 rue de la Boëtie à Paris 8ème.

Par courrier en date du 4 mars 1993, Tamaris a dénoncé les accords de distribution au motif que Régine Ferrère avait vendu des parfums Kenzo à la société suisse Alrodo et, en dépit des protestations de Régine Ferrère, a maintenu sa position.

Après avoir fait constater par huissier le 27 janvier 1994 que Régine Ferrère continuait à offrir à la vente des produits Kenzo, les sociétés Kenzo et Tamaris l'ont par exploit en date du 17 février 1994 assignée devant le tribunal de commerce de Paris en paiement de la somme de 200.000 F pour faits de concurrence déloyale et parasitaire.

Elles réclamaient par ailleurs des mesures de publication ainsi que le versement d'une somme de 30.000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

Régine Ferrère concluait au rejet des prétentions de Kenzo et Tamaris et reconventionnellement, faisant valoir que le contrat de distribution avait été rompu de manière abusive, sollicitait leur condamnation in solidum à lui payer la somme de 400.000 F à titre de dommages et intérêts outre celle de 100.000 F pour procédure abusive tout en réclamant par ailleurs des mesures de publication et le versement d'une somme de 30.000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

Le tribunal par la décision entreprise a débouté la société Kenzo de sa demande au motif que celle-ci était sans lien contractuel avec Régine Ferrère.

En revanche retenant qu'en commercialisant des produits Kenzo sans être soumise aux contraintes des distributeurs agrées et en bénéficiant en outre de la valeur publicitaire de la marque pour développer sa propre commercialisation Régine Ferrère s'était rendue coupable de faits constitutifs de concurrence déloyale et qu'elle avait également commis un acte de publicité mensongère en faisant croire qu'elle avait toujours la qualité de distributeur agrée, le tribunal l'a condamnée à payer à Tamaris la somme de 200.000 F à titre de dommages et intérêts et autorisé diverses mesures de publication aux frais de Régine Ferrère.

Estimant que Régine Ferrère n'établissait pas que la rupture de son contrat ait été abusive, il l'a déboutée de sa demande de ce chef ainsi que de celle en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Enfin il a condamné Régine Ferrère à payer à Tamaris la somme de 15.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

Appelante selon déclaration du 15 mai 1995, Régine Ferrère demande à la Cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et de :

- constater que Tamaris a justifié la résiliation unilatérale des contrats de distribution sur un motif erroné

- condamner in solidum les sociétés Kenzo et Tamaris à lui payer la somme de 400.000 F en réparation du préjudice par elle subi du fait de cette rupture abusive

- condamner in solidum les sociétés Kenzo et Tamaris au paiement de la somme de 100.000 F en réparation du préjudice par elle subi du fait des multiples procédures abusivement engagées à son encontre outre celle de 30.000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile

- autoriser la publication de l'arrêt à intervenir aux frais des intimées à concurrence d'une somme de 50.000 F HT.

Kenzo et Tamaris poursuivent la confirmation du jugement sauf en ce qui concerne les mesures de publication.

De ce chef elles réclament trois insertions de la décision dans la limite de 15.000 F par insertion.

Par ailleurs Kenzo dans les motifs de ses écritures demande qu'il soit fait droit à sa demande au même titre que celle de Tamaris.

Par ailleurs elles sollicitent la condamnation de Régine Ferrère au paiement d'une somme de 100.000 F pour appel abusif et d'une indemnité complémentaire de 30.000 F du chef de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

Sur ce LA COUR

Sur la demande pour faits de concurrence déloyale

Considérant que Régine Ferrère fait valoir au soutien de son appel que Tamaris ne peut lui faire grief d'avoir continué postérieurement à la rupture du contrat de distributeur agrée, à vendre les produits laissés en sa possession dans la mesure où Tamaris s'est abstenue de les reprendre comme elle en avait contractuellement l'obligation.

Qu'elle ajoute qu'en se gardant délibérément de reprendre le stock de Régine Ferrère, les sociétés Kenzo et Tamaris ont favorisé, et ainsi avalisé la vente de produits Kenzo par un distributeur non agréé.

Qu'elle prétend encore que le fait pour un distributeur non agrée de commercialiser des produits relevant d'un réseau de distribution sélective ne constitue pas un acte de concurrence déloyale lorsque la preuve de l'acquisition irrégulière des produits n'est pas rapportée.

Qu'enfin elle expose qu'il était légitime qu'elle acquiert au coup par coup, auprès d'autres distributeurs, quelques produits pour compléter la gamme des produits qui lui restaient en stock dans l'un de ses magasins.

Mais considérant que les sociétés intimées répliquent à juste titre que l'article 10 du contrat faisant interdiction à Régine Ferrère en cas de rupture du contrat et quel que soit le motif invoqué de procéder à la vente des produits de la marque Kenzo encore en sa possession, sans qu'il y ait lieu de rechercher si le paiement des produits concernés a été ou non effectué.

Que l'article 10 ne prévoyant aucun délai pour écouler une partie du stock, il en résulte que cette interdiction de vente s'applique dès la rupture effective du contrat.

Qu'au surplus il résulte des termes de l'article 10 que c'est Régine Ferrère qui avait l'obligation de restituer le stock et le matériel de démonstration et de publicité à Tamaris qui ne pouvait les refuser et non celle-ci qui devait venir les reprendre.

Considérant que Régine Ferrère s'étant abstenue d'aviser Tamaris de ce qu'il lui restait un stock de produits Kenzo ne saurait en conséquence se prévaloir de ce que Tamaris n'a rien fait pour le reprendre.

Considérant par ailleurs que Régine Ferrère reconnaît expressément s'être, postérieurement à la rupture du contrat et alors qu'elle n'était plus distributeur agréé, procurée des produits de marque Kenzo auprès d'autres distributeurs agréés dont elle ne fournit pas l'identité.

Qu'au surplus il convient de relever que le constat établi par Me Delubac démontre que plus de dix mois après la rupture des relations contractuelles, Régine Ferrère détenait encore 20 produits de la marque Kenzo constituant une gamme complète.

Que Régine Ferrère qui avait l'interdiction de continuer à vendre des produits de marque Kenzo à compter du 4 mars 1993 et qui en tant qu'ancien distributeur connaissait parfaitement la réglementation, fait preuve d'une mauvaise foi caractérisée en affirmant : " qu'il était légitime d'acquérir au coup par coup, auprès d'autres distributeurs, quelques produits pour compléter la gamme des produits qui lui restaient en stock dans l'un de ses magasins ".

Que contrairement à ce qu'elle soutient, il n'appartient pas aux sociétés intimées de rapporter la preuve de l'approvisionnement irrégulier mais à celui qui détient les marchandises de justifier de la régularité de leur provenance.

Que si le fait de commercialiser des produits relevant d'un réseau de distribution sélective ne constitue pas en lui même un acte fautif, en revanche l'achat de marchandises, dans des conditions dont l'illicéité ou le caractère frauduleux est révélé par le refus de justifier leur provenance, constitue en lui même un acte de concurrence déloyale.

Considérant en outre que les premiers juges ont justement retenu que le fait pour Régine Ferrère qui n'était plus au nombre des distributeurs du réseau, de commercialiser des produits sans être soumise aux contraintes habituelles des distributeurs agréés et de bénéficier au surplus de la valeur publicitaire de la marque pour développer sa propre commercialisation était une attitude constitutive de concurrence déloyale.

Considérant enfin qu'il n'est pas contesté que les emballages des produits comportaient la mention selon laquelle ils ne pouvaient être vendus que par un distributeur agréé.

Que cette mention usurpée est, ainsi que l'ont dit avec pertinence les premiers juges, de nature à favoriser la vente et à faire croire à la clientèle que Régine Ferrère avait toujours la qualité de distributeur agréé Kenzo et constitue également un acte de concurrence déloyale.

Considérant que devant la Cour, Kenzo fait valoir que compte tenu de l'usage non autorisé de la marque Kenzo, manifestement utilisée de plus à titre de marque d'appel, elle doit être déclarée bien fondée en sa demande au même titre que Tamaris.

Mais considérant qu'outre le fait que la société Kenzo, il convient de relever que n'exploitant personnellement aucun des produits concédés en licence à Tamaris elle n'est pas en concurrence avec Régine Ferrère.

Que dès lors que la seule demande introduite est une demande pour faits de concurrence déloyale, c'est à juste titre que les premiers juges ont débouté la société Kenzo.

Considérant sur le préjudice que Régine Ferrère fait valoir que les condamnations prononcées à son encontre sont excessives et hors de proportion avec le prétendu préjudice subi par les sociétés intimées.

Mais considérant que Régine Ferrère, professionnelle de la parfumerie, en continuant à vendre des produits de marque Kenzo près d'un an après la rupture de son contrat de distributeur agrée et en acquérant irrégulièrement ces mêmes produits, a porté atteinte à l'image de marque des produits Kenzo tout en désorganisant le réseau de distribution.

Que le tribunal a fait une juste appréciation du préjudice subi par Tamaris en le fixant à la somme de 200.000 F et en autorisant celle-ci à faire procéder à des publications dans deux journaux aux frais de Régine Ferrère dans la limite de 15.000 F par insertion.

Que toutefois ces mesures devront faire mention du présent arrêt.

Sur la demande relative à la rupture du contrat

Considérant que Régine Ferrère fait valoir au soutien de son appel que c'est pour un motif fantaisiste et erroné que Tamaris a résilié les contrats dès lors d'une part qu'elle démontre qu'elle n'a jamais vendu de parfums Kenzo à la société suisse Alrodo, d'autre part que, que n'étant pas tenue d'établir de factures pour la vente au détail, il ne peut lui être fait grief d'avoir présenté une comptabilité non fiable.

Qu'elle ajoute que les quatre produits retrouvés dans les magasins de la société Alrodo ont vraisemblablement été " ramassés " dans les magasins Régine Ferrère, pratique qui consiste pour des distributeurs hors réseau à contracter avec des équipes de professionnels chargés d'acheter au détail et de façon discrète chez les distributeurs un certain nombre d'exemplaires de parfum afin de leur revendre ensuite avec une marge aux revendeurs.

Considérant que les intimées répliquent que la preuve se trouve rapportée par :

- les constats effectués en Suisse que Régine Ferrère a vendu des parfums à un distributeur non agréé la société Alrodo

- le constat de Me Vignat huissier que la comptabilité de Régine Ferrère n'était ni fiable ni probante.

Considérant ceci exposé qu'aucune disposition des clauses du contrat ou des conditions générales de vente qui y sont annexées ne fait obligation à Régine Ferrère de tenir une comptabilité spécifique en ce qui concerne la vente des produits Kenzo.

Qu'il est constant qu'en tant que commerçant détaillant, elle n'est pas tenue de délivrer de factures à ses clients qui sont des particuliers mais doit en revanche établir des comptes annuels à la clôture de l'exercice au vu des enregistrements comptables et de l'inventaire et ce conformément aux dispositions des articles 8 et suivants du code de commerce et tenir un livre journal, un grand livre et un livre d'inventaire.

Que s'agissant des particuliers, le Code Général des impôts lui fait simplement obligation de fournir une facture pour les ventes à distance et les livraisons intra-communautaires.

Que dans ces conditions les intimées ne sauraient se prévaloir pour justifier la résiliation du contrat du fait que Me Vignat a constaté que des souches étaient manquantes dans les " facturiers " " Exacompta " dans la mesure où celles ci ne sont manifestement pas des factures au sens comptable du terme mais de simples reçus remis aux clients qui en font la demande.

Que l'huissier n'a pas examiné les livres comptables de Régine Ferrère et qu'en toute hypothèse les intimées n'ont pas qualité pour critiquer sa comptabilité.

Mais considérant qu'il résulte des correspondances mises aux débats et qu'il n'est pas contesté que Régine Ferrère a passé commande le 3 juillet 1992 de " grosses quantités " (sans autre précision) de Parfum d'Été uniquement sous forme de vaporisateurs 50 ml alors qu'habituellement les quantités étaient d'une douzaine.

Que Régine Ferrère ne dénie pas les affirmations de Tamaris selon lesquelles elle l'aurait assurée que ces produits Parfum d'Été ne se retrouveraient pas sur le marché parallèle.

Que cette commande a été livrée le 28 septembre 1992.

Or considérant que les constats effectués tant à Berne qu'à Bâle (Suisse) démontrent que la société Alrodo détenait en octobre et novembre 1992 dans chacun de ses magasins implantés des vaporisateurs " Kenzo parfum d'été " comportant le numéro d'identification 20 50 35 dont il n'est pas contesté qu'il correspond à celui affecté aux produits livrés à Régine Ferrère en septembre 1992.

Considérant que les rétrocessions de la part d'un distributeur agrée ne sont possibles qu'à un autre distributeur agrée installé en France ou dans un Etat membre de la CEE.

Que par ailleurs un nouveau produit ne peut pas être livré pendant l'année qui suit son lancement sans que le distributeur ne s'assure que Tamaris a déjà mis en vente ce produit chez les distributeurs agréés de l'Etat membre de la CEE d'où provient la commande.

Or considérant que la Suisse n'est pas un état membre de la CEE et qu'en outre " Parfum d'Été " n'était pas encore lancé sur le marché suisse par l'intermédiaire du circuit de distribution sélective en octobre 1992.

Considérant qu'il résulte de ces éléments que les produits retrouvés chez Alrodo proviennent manifestement de chez Régine Ferrère.

Considérant que celui-ci ne saurait se prévaloir de ce que sa comptabilité n'a enregistré aucune vente à l'Export dans la mesure où d'une part elle ne la produit pas et où la revente à Alrodo étant en toute hypothèse illicite, il est indéniable qu'elle s'est abstenue de la mentionner dans ses écritures comptables.

Considérant qu'Alrodo s'abstenant dans ses attestations de révéler le nom de son fournisseur, Régine Ferrère ne peut valablement soutenir que les produits ont été acquis chez elle par la technique dite du " ramassage ".

Considérant dans ces conditions que Régine Ferrère ayant revendu des produits de parfumerie Kenzo " Parfum d'Été " à un parfumeur non agréé, implanté en Suisse, soit dans un pays non membre de la CEE, alors au surplus que ce produit n'était pas encore mis sur le marché dans ce pays a méconnu les dispositions de l'article 2-3 du contrat de distribution.

Que Tamaris était donc bien fondée à résilier le contrat le 4 mars 1993 et que le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a débouté Régine Ferrère de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour rupture injustifiée.

Sur la demande en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive

Considérant que les sociétés intimées ne rapportant pas la preuve que Régine Ferrère ait interjeté appel dans le but de nuire à leurs intérêts et le simple exercice d'une voie de recours n'étant pas en lui même abusif, les sociétés Kenzo et Tamaris seront déboutées de leur demande en paiement de dommages et intérêts de ce chef.

Sur la demande de Régine Ferrère en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive

Considérant que Régine Ferrère qui succombe ne saurait qualifier d'abusive, la procédure diligentée à son encontre.

Que sa demande en paiement de dommages et intérêts de ce chef sera donc rejetée.

Sur l'article 700 du NCPC

Considérant qu'il est équitable de laisser à la charge de Régine Ferrère les frais par elle exposés.

Qu'en revanche Tamaris ayant été contrainte d'engager de nouveaux frais irrépétibles devant la Cour, il convient de lui allouer une somme supplémentaire de 20.000 F.

Considérant que le constat de Me Delubac n'ayant été ordonné ni par le tribunal ni par la Cour, les frais engagés de ce chef ne sauraient être inclus dans les dépens.

Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Déboute les sociétés Kenzo et Tamaris de leur demande en paiement de dommages et intérêts pour appel abusif, Rejette toute autre demande des parties, Condamne la société Régine Ferrère à payer à la société Tamaris une somme supplémentaire de vingt mille francs (20.000 F) sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile, La condamne aux dépens d'appel, Admet la SCP Narrat Peytavi avoués au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de Procédure Civile.