CA Paris, 4e ch. A, 30 avril 1997, n° 95-017210
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Spir Communication (SA)
Défendeur :
Comareg (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Duvernier
Conseillers :
Mme Mandel, M. Ancel
Avoués :
SCP Lagourgue, SCP Valdelievre Garnier
Avocats :
Mes Omaggio, Delsart.
Statuant sur l'appel interjeté par la société Spir Communication du jugement rendu le 31 mai 1995 par le Tribunal de commerce de Corbeil Essonne dans un litige l'opposant à la société Comareg.
Faits et procédure
Référence étant faite au jugement entrepris pour l'exposé des faits, de la procédure et des moyens antérieurs des parties, il suffit de rappeler les éléments essentiels suivants :
Les sociétés Spir Communication et Comareg éditent en France des journaux gratuits de petites annonces.
Estimant que Comareg avait fait paraître dans ses gratuits " Bonjour " diffusés dans le département de l'Essonne des informations mensongères et trompeuses, Spir Communication a par exploit en date du 2 mars 1993, assigné Comareg devant le tribunal de commerce de Corbeil Essonne pour actes de concurrence déloyale et sollicité sa condamnation à lui payer la somme de 500 000 F à titre de dommages intérêts.
Elle réclamait par ailleurs diverses mesures de publication ainsi que paiement de la somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
Comareg concluait à ce que Spir Communication soit déboutée de ses prétentions et reconventionnellement sollicitait sa condamnation à lui payer la somme de 200 000 F à titre de dommages intérêts pour concurrence déloyale, des mesures d'interdiction et de publication ainsi que le versement d'une somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
Le tribunal après avoir retenu que les affirmations de Comareg quant à sa présence dans tous les départements devaient être qualifiées d'abus de langage et non pas de publicité mensongère et que Spir Communication n'apportait aucun élément permettant de mettre en doute les affirmations de Comareg concernant le tirage et ne justifiait d'aucun préjudice, a débouté Spir Communication de sa demande.
Il a également rejeté la demande reconventionnelle de Comareg à l'encontre de Spir Communication, après avoir estimé que les chiffres publiés dans une plaquette présentant le résultat d'un sondage Ipsos étaient trompeurs mais pas mensongers.
Il a condamné Spir Communication au paiement de la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
Appelante selon déclaration du 26 juin 1995, Spir Communication demande à la Cour de :
- dire que Comareg a commis une faute, notamment au sens des dispositions de l'article 44-1 de la loi du 27 décembre 1973 qui constitue un acte mensonger et une publicité trompeuse,
- dire que Comareg a commis un acte de concurrence déloyale,
- condamner Comareg à lui verser la somme de 500 000 F toutes causes confondues en réparation du préjudice subi,
- faire interdiction à Comareg de procéder au renouvellement des publicités incriminées,
- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans trois journaux de son choix et aux frais de Comareg dans la limite de 20 000 F HT par insertion,
- condamner Comareg à lui payer la somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
Comareg poursuit la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté Spir Communication.
Formant appel incident pour le surplus, elle prie la Cour de condamner Spir Communication à lui verser la somme de 200 000 F à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale, de lui faire interdiction sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée de distribuer la plaquette " sondage ipsos sur l'audience de presse gratuite ", d'ordonner la publication de l'arrêt dans trois journaux de son choix et aux frais de Spir Communication dans la limite de 20 000 F par insertion, de lui allouer la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
En réplique Spir Communication a conclu au rejet des prétentions de Comareg
Sur ce, LA COUR
I. - Sur l'appel principal
Considérant qu'à l'appui de sa demande en concurrence déloyale, Spir formule les griefs suivants à l'encontre de Comareg :
- avoir prétendu que les gratuits étaient diffusés dans toute la France alors qu'ils ne le sont que dans certaines villes,
- avoir présenté dans le département de l'Essonne les gratuits " Bonjour " en laissant croire aux lecteurs que chaque édition était tirée à 430 000 exemplaires alors d'une part que ce chiffre s'applique à l'ensemble des six éditions publiées dans le département et d'autre part qu'aucun organisme n'a contrôlé ce tirage,
- avoir annoncé des tirages supérieurs à la moyenne réelle, notamment en 1990, dans l'unique souci de tromper l'annonceur.
Considérant sur le premier grief que les gratuits " Bonjour " comportent en encart publicitaire dans lequel il est indiqué qu'avec le nouveau réseau Bonjour il est possible de passer une annonce à travers la France entière.
Considérant que Spir allègue que cette publicité est mensongère et fait état de 14 départements dans lesquels Comareg ne serait pas présente.
Considérant que l'annonce litigieuse ayant été diffusée en novembre 1992, il convient de se placer à cette date pour déterminer si Spir était effectivement présente sur toute la France et en mesure de diffuser une annonce dans n'importe quelle ville ou département.
Or considérant que si Comareg établit par la production d'un tarif 1993, que sur les 34 départements cités par Spir Communication, 7 seulement n'ont pas de journaux édités soit directement soit en vertu d'un contrat de régie par Comareg, il demeure que fin 1992 elle ne justifie pas avoir été en mesure de diffuser une annonce dans ces 14 départements.
Qu'en particulier il résulte de sa carte qu'elle n'était pas implantée à Paris, dans les départements 92, 93, pas plus que dans des villes comme Cherbourg (50), Colmar (68), Limoges (87), Auch (32), Laval (53).
Qu'elle n'était en 1992 pas davantage établie en Corse ou dans les départements d'outre mer.
Qu'en conséquence en annonçant faussement qu'elle était présente sur l'ensemble du territoire français, Comareg a commis une faute.
Considérant en revanche que Comareg est bien fondée à soutenir que le deuxième grief n'est pas fondé.
Considérant en effet qu'il n'est pas mentionné en première page de chacune des éditions de l'Essonne que chaque édition est tirée à 430 000 exemplaires.
Qu'à côté du titre " Bonjour " figure la mention Edition Orsay ou Edition Monthléry ou encore Edition Argenteuil, six éditions au total existant dans le département de l'Essonne.
Que dans un autre encart placé plus bas et portant le titre Sommaire, il est mentionné n° 460 du 16/11/92 430 000 EX. en Essonne (souligné par la Cour).
Qu'il ne peut dont être soutenu que Comareg a cherché à tromper le lecteur en lui laissant croire que chacune des six éditions du département de l'Essonne était tirée à 430 000 exemplaires.
Considérant enfin qu'il n'existe aucune obligation pour un journal d'annonces gratuites de se soumettre en ce qui concerne son tirage à un contrôle et qu'au demeurant Comareg justifie par la production des factures que le numéro 460 du 16 novembre 1992 a été tirée à 430 407 exemplaires.
Considérant qu'en ce qui concerne le troisième grief relatif aux tirages de 1990, les pièces produites par Spir ne sont [pas] pertinentes.
Qu'en effet la pièce intitulée " Comareg premier groupe français de communication directe ", à partir de laquelle Spir fonde sa démonstration, n'étant pas datée, rien ne permet d'affirmer que les tirages qui y sont annoncés sont ceux de l'année 1990.
Considérant que Spir et Comareg étant en France, les deux principaux éditeurs de journaux gratuits de petites annonces, il en résulte que Comareg en annonçant de manière mensongère qu'elle était présente partout en France lui a causé un préjudice.
Que certains annonceurs ont pu ainsi être attirés par les publications de Comareg.
Que par ailleurs en cherchant à se présenter aux yeux de la clientèle comme " le leader " de ce type de presse, Comareg a porté atteinte à l'image de marque de Spir.
Que toutefois cette société ne produisant aucun document comptable de nature à permettre de déterminer l'incidence financière qu'a eu sur son chiffre d'affaires le comportement de Comareg, son préjudice essentiellement moral sera justement réparé par l'attribution d'une somme de 50 000 F.
Que par ailleurs il y a lieu de faire droit aux mesures d'interdiction sollicitées par Spir dans les conditions précisées au dispositif.
II. Sur l'appel incident
Considérant que Comareg fait valoir à l'appui de sa demande en concurrence déloyale que la plaquette publicitaire diffusée par Spir présente de manière trompeuse les résultats d'un sondage Ipsos sur l'audience de la presse gratuite en région parisienne.
Considérant que Spir présente dans cette plaquette les résultats d'une enquête par titres : DEP, HIP, GRAT, et compare le taux de pénétration de ces 3 journaux par rapport à ceux de neuf autres journaux gratuits d'annonces pour les départements 93 et 77 d'une part et 78, 92 et 95 d'autre part et par rapport à six autres journaux d'annonces gratuites pour les départements 91 et 94.
Que la plaquette montre que dans les trois hypothèses Spir se place en tête en termes de pourcentage de pénétration.
Considérant que contrairement à ce que soutient Comareg les résultats indiqués par Spir en ce qui concerne les taux de pénétration ne sont pas mensongers dans la mesure où ils sont bien rapportés à la population dans la zone de distribution des journaux de Spir et non à la population totale des départements.
Qu'au surplus il convient de relever qu'il est mentionné dans le bas de la page 2 de la plaquette : " résultats zone de diffusion titres Spir ".
Considérant en revanche que même si Spir voulait montrer l'impact de chacune de ses trois publications DEP, HIP, GRAT, elle a agi de manière déloyale en présentant les résultats de son sondage en regroupant entre eux plusieurs départements.
Qu'en effet dès lors qu'elle entendait comparer son taux de pénétration à celui de ses concurrents, elle se devait de montrer les résultats département par département dans la mesure où plusieurs des journaux des sociétés concurrentes ne sont distribués que dans un département de la région parisienne.
Considérant que Comareg étant le principal concurrent de Spir et le monde de la communication étant très étroit, la diffusion de cette plaquette n'a pu que nuire à son image de marque même si le nom des journaux de Comareg n'est pas expressément mentionné.
Que le préjudice subi par Comareg sera justement réparé par le versement d'une somme de 50 000 F.
Considérant qu'il convient également d'ordonner des mesures d'interdiction dans les conditions précisées au dispositif.
Considérant qu'eu égard aux circonstances de la cause, il n'y a pas lieu de faire droit aux mesures de publication sollicitées par chacune des parties.
Que de même l'équité ne commande pas faire application des dispositions de l'article 700 NCPC à l'une quelconque des parties.
Par ces motifs, Infirme le jugement du Tribunal de commerce de Corbeil Essonne en toutes ses dispositions, Dit que la société Comareg a commis un acte de concurrence déloyale engageant sa responsabilité en publiant une publicité contenant des informations inexactes, Condamne la société Comareg à payer à la société Spir communication la somme de Cinquante Mille Francs (50 000 F) à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice par elle subi, Fait interdiction à la société Comareg de procéder à toute nouvelle diffusion de la publicité, décrite dans les motifs du présent arrêt, et faisant état de ce que les gratuits " Bonjour " sont diffusés dans toute la France sous astreinte de 30 F par infraction constatée, à savoir par exemplaire de journal distribué, passé un délai d'un mois à compter du présent arrêt, Dit que la société Spir Communication a commis un acte de concurrence déloyale en diffusant une plaquette publicitaire dont la présentation est tendancieuse, La condamne à payer à la société Comareg la somme de Cinquante Mille France (50 000 F) à titre de dommages intérêts, Fait interdiction à la société Spir Communication de distribuer sa plaquette " sondage Ipsos " sous astreinte de 30 F par infraction constatée, passé un délai d'un mois à compter du présent arrêt, Déboute les parties du surplus de leurs demandes, Dit que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens de première instance et d'appel.