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Décisions

CA Orléans, ch. civ. sect. 2, 8 avril 1997, n° 94003429

ORLÉANS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Cabinet Creste et Lefevre (SA)

Défendeur :

Arc Sogex (SA), Pean

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tay

Conseillers :

M. Bureau, Mme Magdeleine

Avoués :

SCP Laval-Lueger, SCP Duthoit-Desplanques

Avocats :

Mes Roussel, Bouvier, Stoven.

CA Orléans n° 94003429

8 avril 1997

Jean-Pierre Pean a été collaborateur salarié de la SA Creste et Lefevre, société d'expertise comptable, du 03 janvier 1988 au 31 juillet 1991 date à laquelle il est devenu expert-comptable associé de la SA Arc Sogex ;

A son départ, il a envisagé que six clients personnels puissent vouloir le suivre dans sa nouvelle société c'est pourquoi les cabinets Creste et Lefevre et Arc Sogex ont procédé a un échange de courriers le 12 juillet 1991 matérialisant un accord d'indemnisation pour ces six clients sur la base de 80 % du montant des honoraires facturés pour l'exercice 1990 ; en fait cinq clients de cette liste sont allés vers la société Arc Sogex et la somme due à ce titre a donc été réduite à 69 974 F TTC mais la société Creste et Lefevre a alors invoqué le détournement de treize autres clients par son adversaire pour lui réclamer des sommes supplémentaires qui ont donné lieu à litige ;

Par jugement du 27 juillet 1994, le Tribunal de grande instance de Blois a condamné la société Arc Sogex à payer la somme de 69 974 F TTC résultant de l'accord du 12 juillet 1991, outre une indemnité de procédure de 5 000 F mais a débouté les parties de toutes leurs autres demandes ;

La société Creste et Lefevre a relevé appel de cette décision ; elle fait valoir que la société Arc Sogex a détourné treize clients à son profit dans l'année qui a suivi le départ de Pean ; elle estime que l'indemnisation du préjudice qu'elle a subi du fait de cette attitude doit se faire sur la base de l'accord du 12 juillet 1991 qui doit s'appliquer à l'ensemble des clients concernés ; elle réclame donc la somme de 261 044,80 F de ce chef ; à titre subsidiaire, elle demande la condamnation solidaire d'Arc Sogex et de Pean à lui payer la même somme sur le fondement de la concurrence déloyale ;

Elle considère en effet que la concomitance de la fuite de la clientèle pour la société Arc Sogex et du départ de Pean pour travailler au sein de celle-ci démontre le détournement frauduleux de clientèle ; elle ajoute que ses adversaires ont violé l'article 15 alinéa 8 et 9 du code des devoirs professionnels et qu'ils ont d'ailleurs fait l'objet d'un avertissement de la part de la Chambre de discipline du conseil régional de l'Ordre sur ce point ;

La société Creste et Lefevre demande, par ailleurs, que ses adversaires soient condamnés à lui payer la somme de 53 834,20 F au titre d'honoraires impayés par trois des clients détournés (Boscher, SCI La Grande et Lebreton) ainsi que 100 000 F de dommages-intérêts et 20 000 F d'indemnité de procédure ; elle conclut, enfin, à la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société Arc Sogex à lui verser la somme de 69 974 F mais réclame que Pean soit solidairement tenu au même montant ;

La société Arc Sogex fait valoir que les six clients faisant l'objet de l'accord du 12 juillet sont des membres de la famille de Pean ou des amis d'enfance de ce dernier et qu'il était prévisible qu'ils le suivissent dans sa nouvelle affectation ce pourquoi l'accord du 12 juillet 1991 a été conclu avant même le départ de Pean dans un souci de confraternité total ; elle fait valoir, qu'au contraire, le départ des dix autres clients (et non treize) qui se sont retrouvés chez elle était totalement imprévisible et qu'il n'a été le fait d'aucun démarchage ni d'aucun acte de concurrence déloyale ; elle relève que les arrestations produites émanées de ces clients démontrent qu'ils étaient simplement attachés aux bons services de Pean et surtout qu'ils étaient mécontents des prestations de la société Creste et Lefevre ainsi que des tarifs pratiqués par celle-ci ;

Elle fait valoir que, dans ces conditions, aucune faute n'est établie à son encontre et que la preuve d'une telle faute ne saurait résulter du simple avertissement qui a été infligé à son dirigeant social puisqu'il ne s'agit pas là d'une peine disciplinaire et qu'un manquement déontologique peut exister sans que, pour autant, un tel manquement ne constitue une faute civile ;

L'intimée précise qu'elle a exécuté le jugement en principal et intérêts sur les sommes qui découlent de l'accord du 12 juillet 1991 et qu'elle ne saurait être tenue de payer les honoraires dus à la société Creste et Lefevre par les trois clients détaillants puisque, s'il peut lui être reproché de ne pas s'être assurée de ce qu'ils avaient payé celle-ci avant d'accepter leur clientèle, cette négligence ne la rend pas pour autant débitrice des sommes dont s'agit ; elle ajoute que, d'ailleurs, Lebreton a désormais payé à l'appelante lesdits honoraires ;

Enfin, elle forme appel incident pour se voir accorder les 50 000 F réclamés devant le tribunal à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive outre 20 000 F en couverture de ses frais irrépétibles ;

Jean-Pierre Pean fait siens les moyens de la société Arc Sogex ; il ajoute que son passage au sein de celle-ci est une évolution normale de carrière et qu'il ne s'est accompagné d'aucun démarchage ni d'aucun acte constitutif de concurrence déloyale ; il ajoute que, d'ailleurs, il n'était tenu par aucune clause de non-concurrence et que, le principe de la liberté d'activité étant la règle, la société Creste et Lefevre doit apporter la preuve de fautes à l'origine de la perte des clients qu'elle invoque, ce qu'elle ne fait nullement en l'espèce ; il réclame outre la confirmation du jugement, la condamnation de l'appelante à lui verser 8 000 F d'indemnité de procédure ;

Sur quoi, LA COUR :

1°) Sur la somme de 69 974 F découlant de l'accord du 12 juillet 1991 :

Attendu que cette condamnation n'est remise en cause par personne ; que la société Arc Sogex justifie, par ailleurs, avoir exécuté le jugement en principal et intérêts ;

Attendu que la demande de la société Creste et Lefevre tendant à obtenir la condamnation solidaire de Pean est dénuée de sérieux dans la mesure où la somme litigieuse découle de l'exécution d'un accord contractuel qui n'est pas opposable à Pean qui n'y est pas partie ; que le jugement sera donc confirmé sur ce point ;

2°) Sur la demande en paiement de la somme de 261 044,80 F :

Attendu que cette somme est réclamée sur le double fondement contractuel et délictuel ; que le premier sera écarté sans développements particuliers dans la mesure où il est hors de question d'appliquer aux dix clients ayant fui la société Creste et Lefevre les dispositions contractuelles prévues uniquement pour les six clients dont la liste limitative figure dans la lettre du 12 juillet 1991 matérialisant l'accord des parties sur ce point ;

Attendu que, pour que cette somme soit accordée à titre de dommages-intérêts sur un fondement délictuel, la société Creste et Lefevre doit justifier d'une faute de la société Arc Sogex et/ou de Pean ; faute qui, selon elle serait constituée par des faits de concurrence déloyale par détournement de clientèle ;

Mais attendu qu'il ne suffit pas, pour que de tels actes soient constitués, de constater la concomitance du départ de Pean pour la société Arc Sogex et de l'exode d'une dizaine de clients au profit de cette dernière société ;

Que, d'ailleurs, il convient d'ores et déjà de constater que si l'intimée est effectivement la principale bénéficiaire de la fuite des clients de la société Creste et Lefevre à cette époque, elle n'est pas la seule puisqu'en tout ce sont trente-six clients qui sont partis dont dix chez Arc Sogex ;

Attendu que l'intimée verse aux débats des attestations de ces clients qui révèlent qu'ils n'ont pas fait l'objet de démarchage quelconque de la part de Pean ou d'Arc Sogex mais qu'ils ont pris leur décision de changer de comptable librement, pour des raisons personnelles ou parce qu'ils étaient mécontents des services et des tarifs de Creste et Lefevre ; que, même s'il faut prendre ses témoignages avec circonspection compte tenu du lien qui unit ces témoins à l'intimée et de la nature du litige, il convient aussi de remarquer que la société Creste et Lefevre reste très vague sur les conditions fautives dans lesquelles le détournement de clientèle aurait eu lieu ;

Attendu qu'elle n'invoque à cet égard qu'un fait unique, relatif au client Boscher, en reprochant à Pean d'avoir laissé ce client en possession de son dossier ce qui aurait eu la double conséquence de lui interdire d'user de son droit de rétention et de permettre à Pean de re-contacter pour son compte ce client ;

Mais attendu qu'il résulte de la procédure disciplinaire que le dossier était resté en la possession de Boscher uniquement parce que celui-ci faisait l'objet d'un contrôle fiscal et non dans une intention de nuire de la part de Pean ;

Attendu, enfin, que l'appelante se rabat sur la procédure disciplinaire pour tenter d'établir la faute de ses adversaires et le détournement de clientèle ;

Mais attendu qu'outre le fait que l'existence d'une faute déontologique ou d'une atteinte à la confraternité ne constitue pas nécessairement une faute civile, il convient de constater qu'aucun acte de concurrence déloyale n'a été précisément retenu contre Pean et Ravineau, dirigeant d'Arc Sogex dans cette procédure, puisqu'il leur était reproché principalement une violation de l'article 14 § 8 du code des devoirs professionnels pour n'avoir pas averti Creste et Lefevre du fait qu'ils prenaient sa suite avec ces clients et pour ne pas s'être assuré au préalable que les honoraires de leur confrère avaient été payés, autant d'éléments qui, postérieurs à l'arrivée des dix clients litigieux chez Arc Sogex, ne peuvent, par hypothèse, constituer le détournement de clientèle qui leur est reproché ;

Attendu, dans ces conditions, que les actes de concurrence déloyale ne sont pas établis ; que le jugement sera donc confirmé sur ce point ;

3°) Sur la demande en paiement des honoraires dus par certains clients :

Attendu que, s'il peut être reproché aux intimés d'avoir accepté la clientèle de deux des dix clients au moins alors que ceux-ci n'étaient pas en règle de leur honoraires auprès de Creste et Lefevre, cette faute déontologique ne saurait rendre pour autant Pean et Arc Sogex débiteurs personnellement desdits honoraires alors que la dette leur est totalement étrangère, se révèle complètement indépendante de la faute commise et que l'appelante conserve ses recours contre ses débiteurs récalcitrants ; que le jugement sera donc intégralement confirmé ;

Attendu que pour n'être pas fondée la demande n'en est pas, pour autant, abusive et n'ouvre pas droit à dommages-intérêts ; que cette demande sera rejetée ;

Attendu qu'il apparait inéquitable de laisser supporter aux intimés la charge de la totalité des frais irrépétibles qu'ils ont dû engager ; qu'il leur sera accordé à chacun, une indemnité de 4 000 F à ce titre ;

Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ; Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; Condamne la société Creste et Lefevre à payer à la société Arc Sogex et à Jean-Pierre Pean, chacun, une somme de 4 000F à titre d'indemnité de procédure ; Déboute les parties de leurs autres demandes ; Condamne l'appelante aux dépens ; Accorde, pour les dépens d'appel, à la société civile professionnelle JP Duthoit et V. Desplanques, Avoués associés, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.