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Décisions

CA Lyon, 3e ch., 4 avril 1997, n° 95-01970

LYON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Pyragric (SA)

Défendeur :

Ruggieri (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Karsenty

Conseillers :

M. Durand, Mme Robert

Avoués :

SCP Aguiraud, SCP Cabannes

Avocats :

Mes Forestier, Ravaud.

T. com. Lyon, du 30 janv. 1995

30 janvier 1995

Faits, procédure et prétentions des parties :

La société Ruggieri a pour activité la fabrication et la commercialisation des produits d'artifice.

La société Pyragric exerce dans le domaine de la Pyrotechnie une activité concurrente.

La société Pyragric a constaté que la société Ruggieri avait fait paraître dans des quotidiens hebdomadaires des encarts intitulés " et si nous faisions un feu d'artifice de table " et comportant la mention Ruggieri depuis 1739 Maître artificier.

Par acte en date du 26 janvier 1994, la société Pyragric a assigné la société Ruggieri en concurrence déloyale.

Par jugement en date du 30 janvier 1995, le Tribunal de commerce de Lyon a :

- rejeté l'intégralité des demandes de la société Pyragric ;

- dit que la société Ruggieri n'avait pas commis l'infraction de publicité fausse ou de nature à induire en erreur ;

- déclaré que l'utilisation de la dénomination de maître artificier est dans le domaine public ;

- déclaré que l'utilisation de la dénomination de maître artificier ne nuit pas aux intérêts de la société Pyragric, ne lui cause aucun préjudice, ne constitue pas de ce fait une concurrence déloyale ;

- condamné la société Pyragric à payer à la société Ruggieri la somme de 80 000 F à titre de dommages et intérêts.

La société Pyragric a relevé appel de cette décision.

Elle demande à la Cour :

- de dire et juger la société Ruggieri, coupable d'actes de concurrence déloyale ;

- de faire défense à la société Ruggieri sous astreinte définitive de 10 000 F par infraction constatée de faire paraître une publicité comportant l'appellation de Maître, l'infraction s'étendant à tout support ;

- d'ordonner la publication du dispositif de l'arrêt dans les quotidiens " Le Figaro " et " Le Monde ", l'hebdomadaire " Paris Match " et le magazine " Madame Figaro " ainsi que dans trois journaux de son choix ;

- de condamner la société Ruggieri à lui payer la somme de 1 000 000 F à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice commercial et financier et la somme de 80 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Elle fait valoir à l'appui de ses prétentions :

- qu'est passible d'une peine d'amende toute personne qui sans droit utilise vis à vis de la clientèle, la qualité d'artisan, de maître artisan, de maître ou qui met en vente un produit ou offre un service dont la dénomination comporte le mot artisan ou ses dérivés ;

- qu'en se qualifiant illicitement de maître, Ruggieri a fait insérer une publicité fausse et de nature à induire en erreur ;

- que la décision du 11 juin 1982 est dépourvue de toute autorité de chose jugée ;

- que les faits sont différents et la législation applicable est totalement différente ;

- que la fausseté ou l'ambiguïté de l'expression Ruggieri " Maître artificier depuis 1739 " ne peut être discutée puisque depuis 1882 aucune personne physique ne porte le nom de Ruggieri et n'exerce le métier d'artificier ;

- que le fait pour Ruggieri de se présenter faussement pour un maître artificier depuis 1739 alors qu'il s'agit d'une société anonyme, entreprise industrielle au capital de 33 659 000 F porte bien sur l'identité, les qualités ou les aptitudes du fabricant ;

- que l'appellation " Maître artificier " laisse à penser que tous les produits commercialisés par la société Ruggieri sont des produits français fabriqués en France ce qui n'est pas le cas ;

- que l'expression Ruggieri depuis 1739 est fausse et qu'elle donne à penser que Ruggieri est artisan de père en fils alors qu'il n'existe actuellement aucun descendant de la famille Ruggieri dans l'entreprise ;

- que la mention Ruggieri " depuis 1739 " est fausse et que le premier Ruggieri n'est venu en France qu'en 1743.

La société Ruggieri sollicite la confirmation de la décision déférée et la condamnation de la société Pyragric à la somme de 10 000 F pour procédure et appel abusif et à la somme de 25 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Elle soutient :

- qu'elle n'est pas sans droit sur le nom commercial " Maître artificier " qu'elle a utilisé de façon continue pendant vingt-neuf année ;

- que la loi a vocation à protéger les artisans et que l'activité d'artificier ne figure pas parmi les activités susceptibles de donner lieu à immatriculation de telle sorte que la dénomination " Maître artificier " n'existe pas ; qu'elle n'a pas violé les dispositions du décret ;

- que la dénomination " Maître artificier " est une dénomination de fantaisie ; qu'il s'agit d'une dénomination commerciale qui lui appartient ;

- que tous les moyens et arguments de Pyragric fondés sur autre chose que la prétendue violation du décret du 2 février 1988 seul élément nouveau de cette instance, se heurte à l'autorité de la chose jugée ;

- qu'il n'existe aucun risque de confusion, un artisan ne pouvant avoir les moyens financiers de passer des annonces en pleine page dans plusieurs journaux et hebdomadaires.

Motifs et décision :

Attendu qu'il est constant que la société Ruggieri a fait paraître dans " Le Figaro, Le Monde, Paris Match, Mme Figaro " des encarts publicitaires intitulés " et si on faisait un feu d'artifice de table " et comportant les mentions suivantes " Ruggieri depuis 1739 Maître artificier " :

Attendu que la société Pyragric fait valoir que l'expression " Ruggieri depuis 1739 Maître artificier " constitue bien une publicité fausse et de nature à induire en erreur ;

Qu'elle soutient que l'expression " Ruggieri depuis 1739 " est fausse et donne à penser que Ruggieri est artisan de père en fils et qu'il existe actuellement un descendant de la famille Ruggieri dans la société ; que Ruggieri ne peut se prévaloir d'une ancienneté datant de 1739 alors que le premier Ruggieri n'est venu en France qu'en 1743 ;

Mais attendu que la société Ruggieri utilise valablement le nom de Ruggieri ; que la famille Ruggieri est restée intéressée à la gestion de cette entreprise jusqu'à la fin du XIXe siècle ; qu'il existe une véritable continuité historique de Ruggieri en tant qu'entreprise ; que d'autre part, il est sans intérêt de rechercher si la notoriété de Ruggieri remonte à 1739 ou 1743 ;

Attendu qu'ainsi le litige doit se limiter à l'usage du terme " Maître artificier " ;

Attendu qu'il est vrai que la société Pyragric a déposé plainte en 1978 avec constitution de partie civile pour publicité mensongère contre Ruggieri au motif que Ruggieri utilisait le terme " Maître artificier " en tête de ses catalogues ;

Que par arrêt en date du 11 juin 1982, la cour a dit que les éléments de publicité mensongère ne pouvaient être dégagés ;

Mais attendu que dans les motifs de sa décision, la cour d'appel a relevé que l'importance des catalogues et des collections proposées, les mentions concernant le capital social, le caractère de société anonyme des Etablissements Ruggieri, la localisation de son siège social, la dispersion d'usines, les conditions générales de vente et d'expédition dépassaient à l'évidence les moyens de fabrication de l'artisan et ne peuvent être appliqués à cette qualité ; que l'expression " Le Maître artificier " replacée dans son contexte était un slogan publicitaire destiné à vanter la maîtrise ancienne que la société Ruggieri croyait invoquer et n'est pas de nature à induire en erreur ;

Qu'il apparaît ainsi que la décision précitée a considéré que le délit de publicité mensongère n'était pas constitué en se fondant sur l'impossibilité pour l'acheteur d'être induit en erreur sur la qualité de fabricant ou le mode de fabrication en raison des indications portées sur l'ensemble des documents publicitaires ;

Qu'il ressort par ailleurs que les publicités incriminées s'adressaient à une clientèle de professionnels ;

Qu'en outre est intervenu postérieurement le décret du 2 février 1988 qui consacre et protège la dénomination de " Maître " ;

Qu'il s'ensuit que l'autorité de la chose jugée ne s'oppose pas à ce que soit recherché si l'utilisation des mentions " Maître artificier " est constitutif ou non de concurrence déloyale ;

Que de même le fait que la profession d'artificier ne figure pas dans la nomenclature des professions artisanales et qu'il n'y ait pas eu de violation qui entraînerait l'application des sanctions par l'article 21 du décret du 10 juin 1983 n'est pas exclusif de l'existence d'une concurrence déloyale ;

Qu'également l'utilisation constante depuis plusieurs années des termes " Maître artificier " par la société Ruggieri ne peut permettre à cette société de soutenir utilement qu'elle dispose d'un droit acquis sur cette dénomination ;

Attendu que si l'utilisation du mot " Maître " ne peut être reproché à la société Ruggieri, il se trouve en l'espèce accolé à l'indication d'une activité qui est celle d'artificier;

Que cette dénomination évoque pour un consommateur d'attention moyenne une activité artisanale à laquelle est attachée l'idée d'un service de meilleure qualité;

Que l'appellation " Maître artificier " rapprochée des mots Ruggieri depuis 1739, donne à penser qu'un artisan particulièrement qualifié et expérimenté a mis au point et commercialisé un feu d'artifice de table;

Que, en outre, dans certaines publicités, l'emploi à deux reprises du terme boutique est de nature à graver l'impression d'activité artisanale;

Orattendu qu'aucune personne physique, ne porte depuis 1882 le nom de Ruggieri dans l'exercice du métier d'artificier au sein de la société Ruggieri;

Que la société Ruggieri est une société anonyme, entreprise industrielle au capital de 33 659 000 F qui importe une partie de ses produits ;

Qu'il s'ensuit que la publicité litigieuse qui s'adresse à un large public comporte des indications de nature à induire le public en erreur sur la qualité du fabricant et constitue un acte de concurrence déloyale;

Attendu qu'en conséquence, il échet de faire défense à la société Ruggieri sous astreinte provisoire de faire paraître une publicité comportant le terme " Maître artificier " ;

Attendu qu'il convient d'ordonner la publication du dispositif de la présente décision dans trois journaux du choix de Pyragric, le coût de chaque publicité ne pouvant excéder 10 000 F ;

Attendu que la société Pyragric n'apporte pas de justification à l'appui de sa demande en paiement de la somme de 1 000 000 F à titre de dommages et intérêts et de ce fait ne peut se voir reconnaître qu'une indemnisation de principe, qu'il y a lieu de chiffrer à 30 000 F ;

Attendu que la société Ruggieri doit être condamnée à payer à la société Pyragric la somme de 40 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Par ces motifs : LA COUR, Réformant la décision déférée ; Dit que la société Ruggieri a commis des actes de concurrence déloyale en ayant fait paraître dans les journaux " Le Monde, Le Figaro ", et les hebdomadaires " Paris Match et Madame Figaro " une publicité trompeuse comportant l'appellation " Maître artificier " ; Fait défense à la société Ruggieri sous astreinte provisoire de 5 000 F par infraction constatée de faire paraître une publicité comportant l'appellation de " Maître artificier ", l'infraction s'entendant de tout support ; Ordonne la publication du dispositif de la présente décision dans trois journaux au choix de la société Pyragric, le coût de chaque publication ne pouvant excéder 10 000 F ; Condamne la société Ruggieri à payer à la société Pyragric la somme de 30 000 F à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice commercial ; Condamne la société Ruggieri à payer à la société Pyragric la somme de 40 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Condamne la société Ruggieri aux dépens de première instance et d'appel avec pour ceux d'appel recouvrement direct au profit de la SCP Aguiraud, avoués.