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Décisions

Cass. com., 1 avril 1997, n° 94-22.129

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Editions de la Seine (Sté), Profrance (Sté)

Défendeur :

Librairie Larousse (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bezard

Avocat général :

Mme Piniot

Conseiller :

M. Léonnet

Avocats :

SCP Vier, Barthélémy, Me Choucroy

T. com. Paris, 18e ch., du 14 déc. 1990

14 décembre 1990

LA COUR : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Paris, 25 octobre 1994), que la société Librairie Larousse (société Larousse) ayant constaté que les Editions de la Seine commercialisaient, notamment dans les magasins à grande surface, des exemplaires du dictionnaire de la langue française, édité par la société Hachette, au prix de 139 F, alors que son prix de vente au public était, en application de la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre, fixé à 199 F, et diffusaient également d'autres exemplaires du même ouvrage au prix de 199 F, mais accompagné d'un livre offert en prime, les a assignées devant le tribunal de commerce pour qu'il soit mis fin à ces pratiques qu'elle estimait illicites et pour qu'elles soient condamnées au paiement de dommages-intérêts ; que les sociétés défenderesses ont conclu au rejet des demandes et au paiement de dommages-intérêts, notamment, pour procédure abusive ; que le Tribunal ayant débouté les parties, la société Larousse a interjeté appel et appelé en intervention forcée et déclaration d'arrêt commun les sociétés Profrance et Celiv ; que dans le cadre de la procédure de mise en état, une expertise a été ordonnée ; qu'au vu du rapport de l'expert, la société Larousse s'est désistée de ses demandes contre les sociétés Hachette et Celiv et a demandé que les sociétés Profrance et Editions de la Seine soient condamnées au payement de dommages-intérêts à son égard pour concurrence déloyale ;

Sur le premier moyen, pris en ses trois branches : - Attendu que les sociétés les Editions de la Seine et Profrance font grief à l'arrêt attaqué de les avoir condamnées au paiement de dommages-intérêts pour avoir commis des actes de concurrence déloyale à l'égard de la société Librairie Larousse, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'il résulte de l'article 4 du nouveau Code de procédure civile que les juges du fond sont liés par les conclusions prises devant eux et ne peuvent modifier les termes du litige dont ils sont saisis ; qu'il ressortait des dernières écritures de la société Larousse que, devant la cour d'appel, elle ne demandait plus la cessation des pratiques reprochées aux intimées et qu'en examinant néanmoins la question de l'intérêt légitime à agir de l'appelante au regard d'une demande en cessation de pratiques de concurrence déloyale qui n'était plus formulée devant la cour d'appel, celle-ci a modifié les termes du litige en violation de l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, qu'en matière de concurrence déloyale, l'intérêt à agir s'apprécie différemment selon que le demandeur tend à obtenir la cessation des pratiques déloyales ou la condamnation à des dommages-intérêts ; qu'en omettant par suite de statuer sur l'intérêt à agir de la société Larousse en condamnation des sociétés Editions de la Seine et Profrance à des dommages-intérêts bien que l'existence d'un tel intérêt fût formellement contestée, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 31 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, enfin, qu'il résulte de l'article 555 du nouveau Code de procédure civile que l'appel formé en déclaration d'arrêt commun pour la première fois devant la cour d'appel n'est recevable que si l'évolution du litige justifie la mise en cause de la personne ainsi assignée ; qu'il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué que le dépôt du rapport d'expertise, qui, selon la cour d'appel, constituerait l' évolution du litige, n'était pas intervenu à la date de l'assignation de la société Profrance en déclaration d'arrêt commun ; qu'en déclarant néanmoins cette assignation recevable au motif inopérant qu'une demande postérieure était justifiée par l'évolution du litige, la cour d'appel a violé l'article 555 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt a constaté que si la société Larousse s'était désistée de son appel visant les sociétés Hachette et Celiv, elle avait maintenu ses demandes contre les sociétés Editions de la Seine et Profrance " au vu du rapport de l'expert " ; qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel a décidé à bon droit, sans modifier les termes du litige, que la société Larousse avait un intérêt légitime à agir, au sens de l'article 31 du nouveau Code de procédure civile, contre ces sociétés qui, en diffusant des livres à des prix ou à des conditions illicites, lui avaient causé " préjudice " ;

Attendu, en second lieu, que la cour d'appel ayant relevé que depuis le prononcé du jugement de première instance, la mesure d'expertise ordonnée en cause d'appel avait permis de définir " les rôles respectifs de Profrance, des Editions de la Seine et de Hachette " a pu décider que la demande de condamnation de la société Profrance formée par conclusions déposées postérieurement au dépôt de ce rapport d'expertise, et bien que cette société ait été appelée liminairement devant la cour d'appel en déclaration d'arrêt commun était recevable à agir en application des dispositions de l'article 555 du nouveau Code de procédure civile ; - Que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses trois branches : - Attendu que les sociétés les Editions de la Seine et Profrance font encore grief à l'arrêt attaqué de les avoir condamnées au paiement de dommages-intérêts pour avoir commis des actes de concurrence déloyale à l'égard de la société Librairie Larousse, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'il ressort des constatations de l'expert que pour partie d'entre eux, les dictionnaires de la série dîte anonyme, ont été vendus accompagnés d'une facture (...) avec indication dans une colonne voisine du prix de vente public de 199 F ; qu'en énonçant néanmoins que l'ensemble des dictionnaires de la série anonyme ne comportaient pas de mention de prix public, la cour d'appel a dénaturé le rapport d'expertise et violé ainsi l'article 1134 du Code civil ; alors, d'autre part, qu'en ce qui concerne les dictionnaires de la prétendue " série anonyme ", l'expert s'était contredit en affirmant successivement : que les jaquettes ne comportaient " aucune mention... de prix public " ; que pour les ouvrages de cette seconde édition vendus par les Editions de la Seine à sa clientèle, aucun élément ne permet de dire si ceux-ci ont été ou non revêtus d'une " jaquette comportant... l'indication du prix public " ; que pour les " 90 624 ouvrages commercialisés par les sociétés du groupe Profrance (...) pour partie d'entre eux, ils ont été vendus accompagnés d'une facture (...) avec indication dans une colonne voisine du prix de vente public " ; que pour ces mêmes ouvrages, " la jaquette ne comporte aucune référence au prix public " ; et enfin, toujours pour les mêmes ouvrages " représentant un total de 90 624 livres (...), il n'est pas possible de dire exactement combien ont été (...) vendus (...) avec des factures ne comportant aucune référence au prix de vente public " ; qu'en se déterminant par suite au vu de ces constatations totalement contradictoires, la cour d'appel elle-même a vicié son arrêt d'une contradiction de motifs de fait et méconnu de la sorte les prescriptions de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; et, alors, enfin, que la société les Editions de la Seine avait fait valoir que le courrier de janvier 1990 par lequel les Editions de la Seine ont indiqué à Profrance qu'elle pouvait acquérir pour le revendre le dictionnaire Hachette auprès de Celiv en indiquant expressément que le prix de vente public de cet ouvrage étaient de 199 F (...) n'est en rien un document contractuel ; que le contrat permettant aux Editions de la Seine d'éditer l'ouvrage en formule club de livres avait pris fin et subsistait simplement pour elle la période contractuelle pour écouler son stock (...) qu'il illustre la volonté de cette entreprise de voir respecter le prix de vente public de 199 F et qu'il n'y a jamais eu à propos des ouvrages litigieux aucun rapport pécuniaire, aucune facturation, aucun versement de droit et aucun contrôle sur les commandes qu'ont pu passer ces revendeurs, dont Profrance, à la société Celiv ; qu'en omettant de répondre à ce moyen pertinent et fondé, la cour d'appel a violé derechef l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel, appréciant les éléments de preuve versés aux débats ainsi que les documents analysés par l'expert, a constaté, hors toute dénaturation et contradiction de motifs, que les ouvrages litigieux dans la version " anonyme " ne comportaient aucune référence ni à l'éditeur, ni au prix de vente public et que les factures examinées et non fournies par la société Profrance faisaient état d'un prix de vente de 132,50 F, mais sans aucune référence au prix de vente public de 199 F ;

Attendu, en second lieu, que l'arrêt ayant constaté que l'expert avait relevé à plusieurs reprises que M. Domas était le dirigeant social commun des deux sociétés Editions de la Seine et Profrance ayant édité et commercialisé les dictionnaires litigieux, n'avait pas à répondre à l'argumentation de la société les Editions de la Seine sur la portée d'une lettre en date du 9 février 1990 sous la signature de M. Domas faisant connaître à la société Profrance que le prix de vente au public du dictionnaire Hachette était de 199 F ; - Que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le troisième moyen, pris en ses cinq branches : - Attendu que les sociétés les Editions de la Seine et Profrance font grief à l'arrêt attaqué de les avoir condamnées au paiement de dommages-intérêts pour avoir commis des actes de concurrence déloyale à l'égard de la société Librairie Larousse, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'il résulte de l'article 1382 du Code civil que l'action en concurrence déloyale repose sur une responsabilité du défendeur pour faute prouvée à son encontre et non sur une présomption de responsabilité et que les juges du fond qui accueillent l'action doivent donc constater, non seulement l'existence de l'acte de concurrence, mais encore l'imputabilité de celui-ci au défendeur à l'action ; qu'en condamnant néanmoins les sociétés Profrance et Editions de la Seine du chef de concurrence déloyale sans caractériser de faute à la charge de l'une ni de l'autre, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; alors, d'autre part, qu'il résulte de l'article 1382 du Code civil que les faits de concurrence déloyale consistent en des manœuvres de confusion, de dénigrement, de parasitisme ou de désorganisation de l'entreprise ou du marché ; qu'en condamnant les sociétés Profrance et Editions de la Seine du chef de concurrence déloyale sans préciser en quoi les faits reprochés étaient constitutifs de concurrence déloyale et sans constater notamment la moindre désorganisation du marché, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; alors que, de troisième part, il résulte des dispositions des articles 1er, alinéa 4, de la loi n° 81-766 du 10 août 1981 relative au prix du livre et 29 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 que ce sont les détaillants qui doivent pratiquer un prix effectif de vente au public compris entre 95 et 100 % du prix fixé par l'éditeur ou l'importateur et qui ont l'interdiction de faire aux consommateurs une offre ou une remise de prime lors d'une vente ; qu'en condamnant néanmoins la société Editions de la Seine et Profrance du chef de concurrence déloyale pour des infractions à ces dispositions qui ne s'imposent qu'aux détaillants, la cour d'appel a violé par fausse application les articles 1, alinéa 4, de la loi du 10 août 1981 et 29 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; alors que, de quatrième part, violant encore à cet égard l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, la cour d'appel a omis de réfuter les motifs déterminants des premiers juges pris de ce que " ce sont les détaillants en l'occurrence une grande surface, qui décident d'opérer une promotion et c'est sous leur seule responsabilité qu'un livre en prime est adjoint au livre à promouvoir " (du 3 décembre 1981)... il est écrit que le détaillant doit pratiquer un prix effectif de vente au public compris entre 95 % et 100 % et de répondre aux écritures d'appel par lesquelles les sociétés Editions de la Seine et Profrance faisaient valoir que seule la responsabilité des détaillants concernés pouvait être recherchée ; et alors, enfin, qu'au prix d'une nouvelle violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, la cour d'appel s'est abstenue de répondre au moyen déterminant soulevé tant par la société les Editions de la Seine que par la société Profrance et pris de ce que dans le cadre des droits qui lui avaient été concédés par la société Hachette de publier exclusivement, dans son Club du livre, le dictionnaire Hachette pendant une durée déterminée, il était constant que la Société Les Editions de la Seine avait parfaitement respecté les dispositions légales et réglementaires quant à la fixation d'un prix unique de vente porté à la connaissance des détaillants et au moyen également déterminant soulevé par la société Profrance selon lequel il était indiscutable et indiscuté et qu'il n'avait été allégué par quiconque qu'aucun des ouvrages vendus par les magasins de grandes surfaces n'avait jamais été acquis de quelque manière que ce soit auprès de la société Les Editions de la Seine qui n'avait jamais perçu, à quelque titre que ce soit, aucun avantage ni aucune somme afférents aux opérations portant sur le dictionnaire litigieux, la société les Editions de la Seine exploitant exclusivement un club de livres ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant relevé que les sociétés litigieuses n'ont pas respecté la réglementation fixant le prix du livre et ont ainsi causé un préjudice à la société Larousse qui commercialisait des ouvrages de même nature, la cour d'appel a pu les condamner pour concurrence déloyale;

Attendu, en second lieu, que l'arrêt a constaté que les dictionnaires dits " anonymes ", sans nom d'éditeur et sans mention de prix, avaient été édités par la société les Editions de la Seine et diffusés aux grandes surfaces par l'intermédiaire de la société Profrance pour qu'elles les commercialisent ; qu'une autre diffusion avait été faite par les mêmes sociétés avec indication d'un prix de 199 F, chaque dictionnaire bénéficiant d'une prime sous forme de remise du livre " un Sac de billes ", de Joseph Joffo, d'une valeur indiquée de 55 F ; que par ces seules constatations établissant que les sociétés litigieuses n'avaient pas fixé le prix de vente des dictionnaires diffusés, ou les avaient commercialisés en donnant un livre en prime aux acheteurs des grandes surfaces en ne respectant pas ainsi le prix de vente figurant sur la jaquette du dictionnaire, la cour d'appel, qui n'avait pas à répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, n'a pas violé les dispositions de l'article 1er, alinéa 1, de la loi n° 91 766 du 10 août 1981 relative au prix du livre ; - Que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le quatrième moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que les sociétés les Editions de la Seine et Profrance font encore grief à l'arrêt attaqué de les avoir condamnées au paiement de dommages-intérêts pour avoir commis des actes de concurrence déloyale à l'égard de la société Librairie Larousse, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en se référant au " nombre important d'exemplaires du dictionnaire de la langue française " vendus à un prix inférieur au minimum légal, la cour d'appel a dénaturé le rapport d'expertise qui énonçait (p III 1-6) que parmi les ouvrages " correspondant à la seconde impression représentant un total de 90 624 livres " " il n'est pas possible en l'état de dire combien ont été commercialisés à destination de magasins à grandes surfaces en étant vendus 132,50 F HT " ; que la violation de l'article 1134 du Code civil est certaine ; et alors, d'autre part, qu'il résulte de l'article 1382 du Code civil que le préjudice matériel qui donne droit à réparation pour concurrence déloyale par l'octroi de dommages-intérêts s'exprime par une perte de clientèle, la victime des agissements déloyaux devant apporter la preuve soit d'une diminution de son chiffre d'affaires, soit du fléchissement de ses ventes, soit d'une manière générale de l'évolution négative de son activité ; qu'en chiffrant le préjudice subi par la société Larousse à la somme de 1 800 000 F sans constater aucune perte de clientèle, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu que la cour d'appel a évalué le montant des dommages-intérêts subis en prenant en compte le " nombre d'exemplaires offerts à la vente, de leur prix et du fait que la période au cours de laquelle a été réalisée cette opération coïncidait avec la rentrée scolaire et était donc particulièrement propice à la diffusion de ce type d'ouvrages " et en relevant que la société Larousse " commercialisait dans le même temps des ouvrages de même nature " ; qu'à partir de ces constatations, elle a pu évaluer le dommage causé par les deux entreprises à la société Larousse sans encourir les griefs du moyen ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le cinquième moyen : - Attendu que les sociétés Editions de la Seine et Profrance font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leurs demandes en dommages-intérêts pour procédure abusive alors, selon le pourvoi, qu'en ne s'expliquant sur l'existence d'une véritable intention de nuire manifestée par la société Larousse tant par l'introduction de la procédure que par son maintien et ce, bien qu'elle fût saisie de conclusions précises en ce sens tant de la société les Editions de la Seine que de la société Profrance, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu, ainsi que l'a relevé à bon droit la cour d'appel, que dans la mesure où la société Larousse était déclarée fondée, même partiellement, en sa demande principale, les demandes reconventionnelles des deux entreprises concurrentes pour procédure abusive et vexatoire ne pouvaient qu'être rejetées ; que le moyen n'est pas fondé ;

Par ces motifs : Rejette le pourvoi.