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Décisions

CA Poitiers, ch. civ. sect. 2, 1 avril 1997, n° 2080-94

POITIERS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Yvrenogeau

Défendeur :

Chevrier

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cheveau

Conseillers :

MM. Andrault, Daniau

Avoués :

SCP Landry Tapon, SCP Musereau-Drouineau-Rosaz

Avocats :

Mes de Guerry, Misserey.

T. com. La Roche-sur-Yon, du 19 avr. 199…

19 avril 1994

Exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties :

Par contrat établi le 14 mai 1987 en référence au décret n° 58-145 du 23 décembre 1958 M. Jean-Paul Yvrenogeau, métreur, a confié le 14 mai 1987 à M. Roger Chevrier, agent commercial, la recherche par tous moyens à sa convenance de clients désirant faire construire leur maison individuelle, la négociation et la conclusion de conventions de maîtrise d'œuvre, la recherche de financements et le dépôt des pièces administratives.

Le contrat conclu pour une durée d'un an contenait une clause dite de non-concurrence par laquelle M. Roger Chevrier s'engageait à ne pas représenter, négocier ou démarcher pour le compte d'un autre bureau d'études, constructeur ou entreprise réalisant des maisons individuelles et s'interdisait dans le cas de résiliation ou de non renouvellement de le faire avec des clients qui auraient été contactés ou démarchés par M. Jean-Paul Yvrenogeau.

Ce dernier avait à rémunérer M. Roger Chevrier par le versement d'une commission de 5 % sur les affaires qui seraient traitées au prix indiqué par lui et dont le montant devait varier en plus ou en moins, soit qu'elles le dépassent ou ne l'atteignent pas.

Les relations ont continué entre M. Jean-Paul Yvrenogeau et M. Roger Chevrier au-delà du 14 mai 1988 mais sur la base à partir du 1er juin 1988 d'un barême différent de commissions au taux désormais progressif.

Elles ont cessé dans des conditions qui demeurent controversées et le 16 janvier 1992 M. Roger Chevrier a soumis au Président du Tribunal de commerce de la Roche-sur-Yon une requête tendant à ce qu'injonction soit faite à M. Jean-Paul Yvrenogeau de lui payer la somme de 44 715,75 F pour un arriéré de commissions.

Une ordonnance conforme a été rendue le 23 janvier 1992 que M. Jean-Paul Yvrenogeau a frappée d'opposition en protestant du préjudice important que lui aurait causé M. Roger Chevrier par une méconnaissance grave et délibérée de la clause de non-concurrence.

Il a par ailleurs sollicité du juge des référés du Tribunal de commerce de la Roche-sur-Yon l'organisation d'une expertise pour l'évaluation de ce préjudice et l'apurement des comptes entre les parties.

Désigné comme expert par ordonnance du 29 juin 1992, M. Jean-Paul Menard a déposé un rapport le 12 juillet 1993 chiffrant à 562 000 F en honoraires et ristournes d'entreprises le manque à gagner qu'aurait subi M. Jean-Paul Yvrenogeau du fait de contrats réalisés par M. Roger Chevrier au profit d'autres maîtres d'œuvre et à 30 669,65 F le montant des commissions restant dues par le premier au second.

Sur son opposition à l'ordonnance d'injonction de payer M. Jean-Paul Yvrenogeau s'est alors porté demandeur reconventionnel en paiement par M. Roger Chevrier de la somme de 562 000 F à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal depuis le 1er octobre 1991.

M. Roger Chevrier a de son côté fait valoir qu'aux 30 669,65 F de commissions indiquées par l'expert s'en ajoutaient deux autres de 5 786,36 F et 3 589,08 F.

Par jugement du 19 avril 1994 le Tribunal de commerce de la Roche-sur-Yon a considéré qu'aucun manquement de M. Roger Chevrier à son obligation de loyauté en cours de mandat n'avait été vérifié et que la clause invoquée contre lui, libellée en termes généraux, ne pouvait postérieurement le tenir à une obligation de non-concurrence.

M. Jean-Paul Yvrenogeau a été débouté de son opposition et condamné avec exécution provisoire à verser à M. Roger Chevrier pour solde de commissions la somme de 40 045,09 F avec intérêts légaux à partir de la décision ainsi rendue, une indemnité pour frais irrépétibles de 6 000 F et les entiers dépens étant en outre mis à sa charge.

Il a régulièrement interjeté appel.

Il prie la Cour de réformer ce jugement, de débouter M. Roger Chevrier de ses demandes et de la condamner à lui payer la somme de 531 330,35 F avec intérêts au taux légal à compter du 1er octobre 1991 et celle de 15 000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Il soutient que l'intimée :

- comme le prouverait notamment une attestation de M. Jacky Bodart, démarchait pour le compte d'un autre maître d'œuvre, M. Racineux, alors qu'il travaillait encore avec lui, détournant nécessairement une partie de la clientèle qu'il aurait dû diriger vers lui,

- a perçu après la rupture des relations contractuelles en mars 1991 des commissions concernant des chantiers qu'il avait démarchés auparavant et qui ont été réalisés par d'autres maîtres d'œuvre,

- a commis encore des actes de concurrence déloyale, ouvrant droit de toute façon à une action en réparation à fondement délictuel, en utilisant alors sur des dépliants publicitaires et avec la même présentation des dessins de maison dont lui-même pourtant était l'auteur, en entretenant par là une confusion dans l'esprit des clients.

Il indique qu'il reconnaît devoir à M. Roger Chevrier la somme de 30 669,65 F de commissions il conteste formellement les autres réclamations de celui-ci, en particulier les 3 589,08 F concernant un dossier Moinet qui ont été réglés le 18 avril 1991.

Il maintient que son préjudice a été justement évalué par l'expert à 562 000 F et que c'est donc lui qui après compensation est créancier de 531 330,35 F.

M. Roger Chevrier conclut quant à lui à la confirmation de la décision querellée et à ce que M. Jean-Paul Yvrenogeau soit condamné à lui verser une indemnité supplémentaire de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et aux dépens d'appel.

Il fait valoir :

- qu'après le 15 mai 1988 les relations contractuelles se sont poursuivies sur la base d'un simple mandat d'intérêt commun et que la clause de non-concurrence a disparu,

- qu'il n'en a pas moins toujours eu une attitude loyale et n'a jamais travaillé avec des constructeurs concurrents,

- que lorsque ce mandat verbal a été rompu à son initiative en mars 1991 il a retrouvé sa liberté,

- qu'il a donc normalement alors entretenu des relations avec d'autres constructeurs et que M. Jean-Paul Yvrenogeau l'avait d'ailleurs remplacé par M. Jacky Bodart,

- que l'appelant ne s'est jamais étonné de ne plus recevoir de dossiers de lui avant de ne réagir que sur la notification de l'injonction de payer,

- que les photos qu'il a utilisées dans ses dépliants publicitaires lui appartenaient et qu'il les avait simplement prêtées à M. Jean-Paul Yvrenogeau qui ne saurait donc lui adresser le moindre reproche de ce chef,

- que toutes les commissions réclamées, outre celles retenues par l'expert, lui sont bien dues.

L'ordonnance de clôture est du 28 novembre 1996.

Motifs de l'arrêt :

Attendu que lorsque le contrat d'agent commercial conclu dans le cadre des dispositions du décret du 23 décembre 1958 alors en vigueur entre M. Jean-Paul Yvrenogeau et M. Roger Chevrier pour une durée déterminée d'un an est arrivé à son terme le 14 mai 1988 il ne s'est pas, nonobstant l'argumentation de l'appelant, transformé en contrat à durée indéterminée comme ne le prévoira que l'article 11 de la loi du 25 juin 1991 dont une application rétroactive ne saurait être revendiquée.

Attendu que les relations professionnelles qu'ils ont ensuite maintenues entre eux sans rédaction du nouvel écrit qui eût été nécessaire s'ils avaient voulu demeurer liés dans des conditions identiques n'ont plus procédé que d'un mandat informel d'intérêt commun que ne régissaient plus leurs conventions antérieures et pour la mise en œuvre duquel ils se sont du reste accordés sur un mode de rémunération différent dès le 1er juin 1988.

Attendu que M. Jean-Paul Yvrenogeau ne pouvait plus par conséquent soumettre M. Roger Chevrier à la prohibition de la représentation d'une entreprise concurrente qu'il n'aurait pas acceptée.

Attendu qu'il ne pouvait davantage se prévaloir de la clause dite de non-concurrence après résiliation ou non renouvellement figurant au contrat du 14 mai 1987 qui, rédigée en termes généraux sans limitation dans le temps ni l'espace, doit être réputée non écrite et donc dépourvue d'une quelconque efficacité.

Attendu d'ailleurs qu'il a bien eu parfaitement conscience de la liberté qu'avait désormais M. Roger Chevrier de démarcher pour le compte d'autres constructeurs, liberté dont il semble que celui-ci n'ait même usé qu'après avoir pratiquement cessé d'entreprendre toute négociation pour lui, puisqu'il ne lui a jamais à cet égard adressé le moindre avertissement de n'en rien faire ni quelque observation que ce soit avant de réagir seulement sur les poursuites engagées en 1992 par l'intimé pour le recouvrement de commissions impayées.

Attendu qu'il résulte du dossier qu'il n'ignorait pas quelles en avaient été les activités concurrentielles.

Attendu qu'il ne paraît pas s'être en particulier ému de ce que n'a pas manqué de lui rapporter M. Bodart, agent commercial dont il utilisait maintenant les services dans diverses foires et expositions et au témoignage duquel il se réfère, au sujet de la présence de M. Roger Chevrier dès 1991 aux mêmes manifestations sur le stand de M. Racineux, également maître d'œuvre.

Attendu qu'il n'a donc pas d'action contre l'intimé de ce chef, quelques perturbations qu'il en ait subi sur son chiffre d'affaires qui n'a sans doute pas été de surcroît, comme l'ont pertinemment observé les premiers juges, uniquement affecté par la défection ou les activités qu'il lui reproche ainsi et qui n'étaient pas en soi anormales.

Mais attendu que la concurrence, pour légitime qu'elle soit, doit être loyale et n'autorise pas des comportements qui manifestement ne le sont pas.

Or attendu qu'il est constant que M. Roger Chevrier a utilisé dans sa propre publicité des perspectives graphiques en couleur qui avaient été créées par M. Jean-Paul Yvrenogeau et pour lui.

Que le fait que M. Jean-Paul Yvrenogeau lui ait facturé des photographies de ces documents ne signifie nullement qu'il lui aurait cédé la propriété de cette création et le droit de s'en servir à son gré à des fins commerciales.

Attendu qu'un tel usage, non autorisé, et source évidente de confusion dans la clientèle, a causé un préjudice certain à l'appelantque la Cour est en mesure, selon les éléments d'appréciation dont elle dispose, d'évaluer à 25 000 F.

Attendu qu'en réparation M. Roger Chevrier, qui aurait éventuellement à répondre de celui qu'il causerait encore en y persistant, sera condamné à payer cette somme à M. Jean-Paul Yvrenogeau à titre de dommages et intérêts.

Attendu que l'expert a strictement vérifié le compte des commissions restant dues à M. Roger Chevrier pour un montant de 30 669,65 F.

Qu'il a bien pris en considération, contrairement à ce que soutient l'intimé, l'intégralité de ce qui était dû sur un chantier Moinet, de même, et très clairement (cf. page 17 du rapport), que les conséquences d'une erreur d'évaluation de M. Roger Chevrier concernant un mur en parpaings sur un chantier Jobard / Cottin édifié par l'entreprise de maçonnerie Guérin.

Qu'il n'y a rien à y ajouter comme le tribunal l'a à tort estimé.

Attendu par suite qu'après compensation entre la créance de commissions de M. Roger Chevrier (30 669,65 F) et celle de dommages et intérêts de M. Jean-Paul Yvrenogeau (25 000 F) c'est la somme de 5 669,65 F que le second sera en définitive condamné à régler au premier.

Attendu que cette somme portera intérêts au taux légal à partir du présent arrêt.

Attendu que l'équité ne commande pas d'indemniser l'une ou l'autre des parties de ses débours irrépétibles.

Qu'elles seront déboutées de leurs demandes respectives d'application à leur profit de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Attendu qu'en raison de l'aboutissement du litige chacune conservera la charge de ses propres dépens à l'exception des frais d'expertise qui seront partagés entre elles par moitié.

Par ces motifs : LA COUR, Reçoit M. Jean-Paul Yvrenogeau en son appel, Réforme le jugement du Tribunal de commerce de la Roche-sur-Yon du 19 avril 1994, Et statuant à nouveau, Dit que M. Jean-Paul Yvrenogeau reste redevable envers M. Roger Chevrier de la somme de trente mille six cent soixante neuf francs soixante cinq centimes (30 669,65 F) pour solde de commissions, Dit que M. Roger Chevrier par l'utilisation non autorisée à des fins commerciales de documents créés par M. Jean-Paul Yvrenogeau a causé à celui-ci un préjudice d'un montant de vingt cinq mille francs (25 000 F) dont il lui doit réparation, En conséquence, après compensation, condamne M. Jean-Paul Yvrenogeau à verser à M. Roger Chevrier la somme de cinq mille six cent soixante neuf francs soixante cinq centimes (5 669,65 F) qui portera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt. Déboute les parties de toutes leurs demandes, Dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile au profit de l'une ou de l'autre, Dit que chacune supportera la charge de ses propres dépens de première instance et d'appel à l'exception des frais d'expertise qui seront partagés par moitié entre elles. En prononce distraction au profit des avoués de la cause.