CA Aix-en-Provence, 2e ch. civ., 13 mars 1997, n° 93-22641
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Yves Saint Laurent Parfums (SA)
Défendeur :
Fusco
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dragon
Conseillers :
MM. Semeriva, Isouard
Avoués :
SCP Liberas Buvat Michotey, SCP Boissonnet-Rousseau
Avocats :
Mes Di Marino, Ghozland.
Exposé du Litige :
Madame Andrée Fusco, qui exploite un commerce de parfumerie, a été distributeur agréé de la Société Yves Saint Laurent Parfums (la société YSLP). Des litiges sont nés entre elles au sujet de la violation du contrat de distribution et par jugement du 28 novembre 1991, le tribunal de commerce de Nanterre a prononcé diverses condamnations à l'encontre de Madame Fusco pour infraction aux règles de la distribution agréée et notamment a ordonné la publication de son jugement seulement en ce qui concerne Madame Andrée Fusco (il y avait une autre partie) et à ses frais dans trois journaux dont une publication de la région de Marseille, le tout au choix de la société YSLP.
Estimant que la manière dont cette publication avait été effectuée dans les journaux Le Provencal et Le Méridional du 13 février 1993 était fautive, Madame Fusco a poursuivi la société YSLP devant le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence lequel, par jugement du 1er décembre 1993, après avoir écarté les exceptions de procédure, a condamné cette dernière à payer à son adversaire la somme de 200 000 F de dommages-intérêts outre celle de 7 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
Le 10 décembre 1993, la société YSLP a interjeté appel de cette décision dont elle sollicite l'infirmation.
Tout d'abord, elle soulève l'incompétence territoriale du tribunal de commerce d'Aix-en-Provence au profit de celui de Nanterre dans le ressort duquel se trouve son siège social ou de celui de Marseille dans le ressort duquel le fait dommageable est subi.
Ensuite, elle demande le renvoi de l'affaire devant la Cour d'Appel de Versailles saisie de l'appel du jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 28 novembre 1991, en raison de la connexité entre les deux instances ou le sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour d'appel de Versailles se soit prononcée.
En outre, elle se plaint d'une violation du principe du contradictoire par les premiers juges qui ne lui ont pas permis de conclure au fond et de répliquer aux dernières écritures de son adversaire.
Enfin, au fond, elle soutient n'avoir commis aucune faute en procédant à une publication ordonnée par le tribunal car, d'une part, celui-ci n'a pas imposé de limite à la publication, d'autre part, aucune confusion ne peut exister entre cette publication et une publicité commerciale même sous forme rédactionnelle et, de troisième part, cette publication n'entre pas dans le champ de la loi sur la publicité mensongère et ne contient aucune mention fausse. Elle nie aussi l'existence d'un préjudice.
Elle réclame l'infirmation du jugement attaqué, le débouté de Madame Fusco et sa condamnation à lui payer la somme de 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
Madame Fusco conclut à la confirmation du jugement attaqué en ce qu'il reconnaît le comportement fautif de la société YSLP mais formant appel incident, demande la condamnation de celle-ci à lui verser la somme de 1 000 000 F de dommages-intérêts pour le préjudice subi, celle de 30 000 F de dommages-intérêts pour le caractère dilatoire de l'exception de connexité ainsi que celle de 30 000 F par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
Elle argue de la compétence du tribunal de commerce d'Aix-en-Provence, et de l'absence de connexité avec la procédure pendant devant la Cour d'appel de Versailles. Elle nie aussi toute violation du principe du contradictoire en première instance.
Quant au fond, elle soutient que la publication du jugement du 28 novembre 1991 par la société YSLP, par la dimension des encarts et l'importance de son coût constitue une publicité abusive, que n'énonçant pas qu'il s'agit d'une publicité elle contrevient à l'article 10 alinéa 2 de la loi du 1er août 1986 sur la presse et enfin qu'elle comporte des indications fausses, en infraction avec l'article 44-1 de la loi du 27 décembre 1973, en visant l'adresse d'un commerce non concerné par la distribution sélective et une infraction inexistante sans préciser au surplus que le jugement publié était frappé d'appel.
Motifs de la décision :
La recevabilité de l'appel n'est pas contestée et rien dans le dossier des parties ne conduit la cour à la décliner d'office.
Sur l'exception d'incompétence :
L'article 46 du Nouveau code de procédure civile dispose qu'en matière délictuelle le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction où demeure le défendeur, celle du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi.
En cas de publicité fautive, le fait dommageable se produit dans tous les lieux où l'article incriminé est diffusé.
Il est constant que les journaux Le Provencal et Le Méridional du 13 février 1993 ont été diffusés dans le ressort du tribunal de commerce d'Aix-en-Provence. Ainsi le dommage, à le supposer établi, s'est produit dans ce ressort et qu'en conséquence ledit tribunal était compétent pour statuer sur le préjudice qui en aurait résulté.
L'exception d'incompétence doit être rejetée.
Sur la connexité et le sursis à statuer :
Par arrêt du 5 mai 1994, la Cour d'appel de Versailles a statué sur l'appel du jugement du 28 novembre 1991 du tribunal de commerce de Nanterre.
La demande de renvoi de la présente instance à la Cour d'appel de Versailles, en raison du lien de connexité qui aurait existé avec celle dont cette cour était saisie, est devenue sans objet.
Depuis cet arrêt du 5 mai 1994, il n'existe plus d'événements en attente susceptible d'influer sur la solution du litige et la demande de sursis à statuer est aussi devenue sans objet.
Sur la violation du principe du contradictoire :
Madame Fusco a communiqué à son adversaire le 8 novembre 1993, date reconnue par ce dernier, des conclusions en réplique à de précédentes écritures. Ces conclusions du 8 novembre 1993 ne font que répondre aux différentes exceptions soulevées par la société YSLP et le délai de deux jours dont a disposé cette dernière jusqu'à l'audience du 10 novembre 1993 s'avère suffisant pour y répliquer compte-tenu de l'oralité des débats devant le tribunal de commerce.
La société YSLP a conclu au fond pour cette audience comme l 'établissent ses conclusions déposées à l'audience du 10 novembre 1993 figurant au dossier de première instance et les mentions du jugement attaqué.
Ainsi, il n'existe aucune violation du principe du contradictoire.
Sur le fond :
Les journaux Le Provencal et Le Méridional ont publié le 13 février 1993 l'encart suivant sur une page entière (format 52 cm x 38 cm).
EMPLACEMENT TABLEAU
Cette insertion sous l'aspect de publication d'une décision de justice, constitue, en réalité un véritable encart publicitaire. Cela ressort de :
- son importance qui excède, et de beaucoup, la nécessité de publier un texte relativement court ;
- son en-tête (Yves Saint Laurent Parfums) non directement lié au texte qui le suit et donc non nécessaire, écrit avec le graphisme propre à cette marque propre à cette marque alors que le reste du texte présente une typographie habituelle ;
- sa fin, constituée par les trois lettres YSL superposées et enlacées emblème de la marque Yves Saint, placées au centre de la page détachée du reste du texte, inutile à l'infirmation.
Son importance et sa forme montrent que le but poursuivi par la société YSLP consistait non pas à porter à la connaissance du public ou des autres membres de son réseau une infraction à ses règles de distribution sélective mais à nuire à Madame Fusco en donnant à la publication de la décision un impact qui dépasse ce qui était nécessaire à la seule information. Peu importe que le Tribunal de commerce de Nanterre n'ait pas dans son jugement défini les limites de la publication, cette absence n'autorisant pas la société YSLP à exercer de manière excessive le droit que lui avait accordé le tribunal.
Cet encart constitue par là, un détournement de l'information qu'il apparaît donner, tant à des fins publicitaires que de dénigrement.
Par contre, c'est à tort que Madame Fusco reproche à la société YSLP la violation de l'article 10 de la loi du 1er aout 1986 sur la presse qui énonce dans son alinéa 2 que tout article doit être précédé de la mention " publicité " ou " communiqué ", mention absente à l'encart litigieux. En effet cet encart n'a pas l'apparence d'un article rédactionnel, c'est à dire provenant d'un journaliste ayant sélectionné une information objective. Il apparaît clairement comme une publication faite par la société YSLP à la suite d'une décision de justice qui aurait autorisé cette insertion.
Vainement aussi, Madame Fusco se plaint-elle du caractère erroné de la publication.
Certes, il est exact que seul son fonds de commerce situé à Marseille bénéficiait de l'agrément de la société YSLP pour la distribution des produits et non pas son autre fonds de La Penne sur Huveaune. Mais le tribunal de commerce de Nanterre, dans son jugement du 28 novembre 1991, note (p.8) que la parfumerie de Madame Fusco à la Penne sur Huveaune vendait à un autre parfumeur des produits Yves Saint Laurent qui ne pouvaient provenir que du fonds de Marseille. Ainsi pour enfreindre les règles de la distribution sélective, Madame Fusco a utilisé ses deux magasins et l'indication de l'adresse de chacun d'eux dans la publication ne contrevient pas à la réalité.
Madame Fusco critique également l'annonce litigieuse au motif qu'elle accrédite l'idée que l'interdiction faite par un fabricant de parfums à ses distributeurs agréés de vendre aux comités d'entreprise est illicite. Elle nie également avoir vendu des produits Yves Saint Laurent à ces comités. Mais l'encart paru dans la presse, ne contient aucune référence aux principes de la distribution sélective et se limite à rappeler que la condamnation de Madame Fusco se fonde sur la vente, en violation de son contrat de distribution sélective, des parfums Yves Saint Laurent à des comités d'entreprise et à des distributeurs non agréés. Il s'agit là des faits que le tribunal de commerce de Nanterre a reconnu vrais et la critique de leur pertinence ne peut se faire que par la voie de l'appel de ce jugement que d'ailleurs la cour de Versailles a confirmé. La publication ne fait que reproduire sans la déformer la décision rendue et n'est entachée d'aucune inexactitude.
Madame Fusco reproche encore à l'encart de ne pas indiquer que la décision du tribunal de commerce de Nanterre a été frappée d'appel. Pour que ce grief soit pertinent, il faudrait que Madame Fusco justifie que la publication soit intervenue après que la société YSLP ait été intimée devant la cour d'appel de Versailles. Or aucun des éléments produits ne permet de connaître cette date.
Sur le préjudice :
Eu égard à la faute de la société YSLP et à l'incidence qu'elle a eu sur la réputation commerciale de Madame Fusco dont elle a aggravé le discrédit, il convient de fixer le préjudice subi par cette dernière à la somme de 100 000 F, outre intérêts au taux légal à compter de ce jour, date d'évaluation du préjudice.
Sur les autres demandes :
Madame Fusco n'établit pas que l'exception de connexité ait été soulevée de manière fautive par son adversaire ni ne cerne le préjudice qui en aurait résulté. Elle doit être déboutée de sa demande de ce chef.
La société YSLP, qui reste débitrice, doit être déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile et condamnée de ce chef à payer à son adversaire la somme de 10 000 F.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement : Reçoit l'appel ; Réforme le jugement du tribunal de commerce d'Aix-en-Provence du 1er décembre 1993 ; Statuant à nouveau : Se déclare compétent ; Dit devenues sans objet l'exception de connexité et la demande de sursis à statuer ; Condamne la société Yves Saint Laurent Parfums à payer à Madame Andrée Fusco la somme de 100 00 F (cent mille francs) de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal à compter de ce jour ; Déboute Madame Fusco de sa demande en dommages-intérêts fondée sur le caractère abusif de l'exception de connexité ; Déboute la société Yves Saint Laurent Parfums de sa demande au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; Condamne la société Yves Saint Laurent Parfums à payer à Madame Fusco la somme de 10 000 F (dix mille francs) au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; Condamne la société Yves Saint Laurent Parfums aux dépens et autorise la SCP d'Avoués Boissonnet-Rousseau à recouvrer directement ceux d'appel dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.