CA Aix-en-Provence, 2e ch. civ., 27 février 1997, n° 93-20257
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Etablissements J. Richard Ducros (SA)
Défendeur :
Constructions métalliques Finsider Sud (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents :
MM. Dragon, Isouard
Conseiller :
Mme Cordas
Avoués :
SCP Jourdan-Wattecamps, SCP Sider
Faits et procédure
La société Richard Ducros a saisi le Tribunal de commerce de Marseille aux fins de voir sanctionner le comportement déloyal d'une société italienne Constructions métalliques Finsider Sud (CMF Sud) qui, dans le cadre d'un appel d'offre lancé par la Chambre de commerce et d'industrie de Marseille pour l'extension de l'aéroport de Marseille Marignane, a fait une proposition de prix, retenue, qui ne pouvait être, selon la demanderesse, que le résultat d'une exécution à perte du marché avec le bénéfice d'aides et de subventions illégales de la part de l'Etat italien. Après avoir retenu sa compétence ratione loci, et déclaré la société Richard Ducros recevable à agir, le Tribunal de commerce a débouté la demanderesse sur le fond et l'a condamnée au paiement d'une somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
La société Richard Ducros a relevé appel de cette décision. Elle demande d'abord que les dispositions du jugement statuant sur la compétence du Tribunal de Marseille et l'intérêt qu'elle a à agir soient confirmées, la société CMF Sud les discutant. Elle souhaite par contre la réformation de la décision sur le bien fondé de sa demande et elle expose :
Qu'elle a soumissionné dans le cadre de l'appel d'offre de la Chambre de commerce en faisant une offre en association avec l'entreprise Eiffel, de 20 562 789 F HT
Que la société CMF Sud a emporté le marché avec un prix de 15 431 000 F, lequel ne peut être considéré comme sérieux et loyal sauf à traiter à perte.
Elle prétend démontrer que cette société depuis 1989 n'enregistre que des pertes et ne survit que grâce aux aides de l'état italien, faussant ainsi le jeu normal de la concurrence.
Elle rappelle qu'elle a saisi la Commission des Communautés Européennes sur le fondement de l'article 92-1 du Traité de Rome (ce qui ne dessaisit pas le juge national) et que le développement de cette procédure a permis de mettre en évidence le caractère illicite des aides reçues, la Commission n'ayant jugé celles-ci compatibles avec le marché commun que sous le respect par CMF Sud d'un plan de restructuration.
Elle soutient que c'est parce qu'elle bénéficiait de ces aides illégales que cette société - qui réalisait ainsi une économie illicite - a publiquement présenté un prix anormalement bas perturbant le marché, comportement déloyal constitutif d'une faute.
Soutenant par ailleurs qu'elle est arrivée en seconde position pour le marché en cause, elle en déduit qu'elle a perdu une chance de remporter celui-ci, et considère qu'elle doit être indemnisée de cette perte de chance.
Elle évalue le préjudice qu'elle a subi à ce titre à 7 % du chiffre d'affaires qu'elle réalise dans ce type d'activité et réclame 10 000 000 F de dommages et intérêts outre 50 000 F en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Constructions métalliques Finsider Sud qui déclare aux termes d'explications qu'elle donne en préambule que seule serait concernée par le litige une société CMF Sud dont le siège est à Naples et qui est en liquidation n'en développe pas moins des moyens devant la cour.
Elle prétend d'abord que seul le Tribunal civil de Naples (domicile du siège social de la société CMF Sud) était compétent pour statuer sur l'action quasi délictuelle engagée par Richard Ducros, le fait dommageable dont la société se plaint étant situé sur le territoire italien.
Elle soutient ensuite que l'appelante n'avait aucun intérêt à agir, son offre solidaire avec Eiffel n'ayant aucune chance d'être retenue car n'arrivant qu'en quatrième position.
Elle prétend enfin que les faits dont Richard Ducros se plaint ne sont pas établis.
Que la Commission Européenne saisie a en effet décidé le 16 mai 1995 d'autoriser les aides d'état accordées à CMF Sud.
Que seule une expertise aurait permis d'établir que le marché litigieux a été traité à perte par CMF Sud.
Que le préjudice allégué n'est pas plus démontré.
Elle conclut donc au débouté de la société Richard Ducros de toutes ses demandes et à sa condamnation à lui payer 50 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
Motifs de l'arrêt
L'irrecevabilité de l'appel n'a pas été soulevée. Rien dans le dossier ne conduit la Cour à le faire d'office.
La société Constructions métalliques Finsider Sud soutient que la demanderesse a mal dirigé sa procédure à l'origine.
Elle n'en tire cependant aucune conséquence juridique quant à la recevabilité de la demande à son égard.
Il s'avère au surplus en l'état du peu d'éléments justificatifs fournis à la Cour que c'est bien la société CMF Sud dont le siège était à Guasticce qui est intéressée par le marché marseillais qui est à l'origine du litige.
Il sera donc passé outre à cet argument, et répondu sur les moyens qu'elle soulève.
1°) Sur la compétence
Aux termes de l'article 5-3° de la Convention de Bruxelles de septembre 1968 applicable en l'espèce s'agissant d'une action en concurrence déloyale entre deux sociétés domiciliées dans deux pays signataires de cette convention, le défendeur peut être attrait devant le Tribunal du lieu ou le fait dommageable s'est produit.
Il est de jurisprudence acquise que l'expression lieu où le fait dommageable s'est produit s'entend en ce qu'elle vise à la fois le lieu ou le dommage est survenu et celui de l'événement causal qui a déterminé ce dommage, dans l'hypothèse bien entendu ou ces deux lieux sont différents.
C'est le cas en l'espèce où, si l'on peut considérer que l'octroi par l'Etat italien des aides à CMF Sud a publiquement constituer le fait entraînant la responsabilité quasi délictuelle de cette société, le dommage qui a pu en résulter pour Richard Ducros se situe nécessairement en France et plus particulièrement à Marseille où elle déclare avoir subi la perte d'une chance d'obtenir le marché de l'aéroport.
Le Tribunal de commerce de Marseille a donc retenu à juste titre sa compétence
2°) Sur l'intérêt à agir de la société Richard Ducros
La société Richard Ducros n'apparaît effectivement pas la moins disante après CMF Sud sur un document produit aux débats provenant de la Chambre de commerce, et dont l'origine n'est pas discutée.
Ce document doit cependant être relativisé dans la mesure où l'appelante démontre que l'offre de CMF Sud n'avait été faite que pour le lot A du marché alors que son offre l'était pour les lots A + B, et où elle soutient sans être vraiment contredite qu'elle pouvait arriver en troisième puis en seconde position, du fait du retrait des deux sociétés qui la précédait qui ne seraient que des sociétés écran.
La société appelante avait donc au moins un intérêt à faire juger la réalité des faits fautifs de son adversaire susceptibles de l'avoir privée d'une chance de remporter le marché.
Son action doit être déclarée recevable
3°) Sur le fond
Il appartient à la société Richard Ducros qui agit sur le fondement de la concurrence déloyale, d'apporter la démonstration du comportement fautif de son adversaire, du préjudice qui a pu en résulter pour elle et du lien de causalité entre eux.
Un tel comportement peut effectivement résulter comme elle le soutient, d'une offre de prix anormalement basse de la part d'une entreprise soumissionnaire sur appel d'offre, qui n'a été rendue possible que par les économies illicites que cette entreprise a pu réaliser en fraude d'une loi ou d'un règlement, et qui a pu perturber le marché au détriment de ses concurrents.
La société appelante entend tirer des éléments de la procédure qu'elle a engagée devant la Commission Européenne la démonstration de la fraude qu'aurait commise CMF Sud.
S'il n'apparaît cependant pas discutable, et la lecture des communications de la Commission des Communautés européennes qui avait été saisie en application de l'article 93 § 2 du Traité le révèle, que la société CMF Sud a bénéficié d'aides importantes sous forme d'apports publics en capital ou de garanties, qualifiées par la Commission d'aide au fonctionnement, pour autant le caractère illicite de ces aides n'est pas établi, en l'état de la décision rendue par la Commission le 16 mai 1995 à l'issue de la procédure qui avait été engagée par Richard Ducros déclarant les aides accordées à CMF Sud compatibles avec le marché commun, et les autorisant.
Certes cette décision frappée d'un recours ne s'impose pas au juge national
Les conclusions tirées par la Commission de l'enquête qu'elle a réalisée apparaissent cependant comme les seuls éléments de démonstration d'un comportement déloyal de son adversaire utilisés par la société appelante.
Or il ne résulte d'abord pas expressément des communications de la Commission que les aides que CMF Sud a pu recevoir lui aient permis de fausser les conditions normales de la concurrence en 1990 année de la passation du marché litigieux.
On relève en effet dans la première communication publiée le 20 octobre 1993 que CMF Sud avait effectivement enregistré des pertes substantielles en 1989 et 1990, mais la procédure de l'article 93 § 2 du traité n'a été engagée en ce qui concerne la licéité des aides publiques qu'à partir de l'apport en capital d'un montant de 32 907 millions de lires consenti par Italimpianti à sa filiale à 100 % CMF Sud, lorsque cette dernière a décidé en 1991 d'utiliser son capital social pour couvrir les pertes substantielles subies en 1989 et 1990.
Il est permis d'en déduire qu'antérieurement à 1991 CMF Sud n'avait bénéficié d'aucune aide publique significative qui lui ait permis directement de fausser les conditions de la concurrence intercommunautaire, et plus particulièrement, celles du marché d'appel d'offre dont Richard Ducros prétend avoir été évincé déloyalement, et sur lequel d'ailleurs la Commission ne s'est pas prononcée.
En tout état de cause, la démonstration n'est pas faite de ce que dans ce marché les aides dont a bénéficié CMF Sud, dont le caractère illicite n'est pas établi, ont seules permis à cette société de présenter l'offre de prix la moins chère.
D'autres facteurs ont en effet pu intervenir (coût de productivité moindre pour l'Italie peut être également aspect monétaire) dont il n'est pas tenu compte par Richard Ducros et qui ne permettent pas de dire contrairement à ce que la société appelante suggère, que le lien de causalité est évident entre l'octroi d'aides publiques à CMF Sud et son éviction du marché de l'aéroport.
Ne faisant pas la démonstration d'un comportement fautif de la part de son adversaire dans la réception des aides publiques qui lui ont été accordées par l'état italien, ni de l'incidence directe que ces aides ont pu avoir sur son éviction du marché de l'aéroport de Marseille, la société Richard Ducros ne peut qu'être déboutée de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour concurrence déloyale.
Par motifs substitués le jugement sera donc confirmé. La société appelante qui succombe supportera la charge des dépens et des frais non répétibles de l'appel à hauteur de 10 000 F.
Par ces motifs : La Cour statuant publiquement et par arrêt contradictoire Reçoit l'appel, Confirme le jugement et y ajoutant Condamne la société Richard Ducros à payer la somme supplémentaire de 10 000 F au titre de l'article 700 du code de procédure civile. La condamne aux dépens de l'appel qui seront distraits au profit de Me Sider conformément à l'article 699 du nouveau Code de Procédure Civile.