CA Chambéry, ch. civ. sect. 1, 24 février 1997, n° 9400528
CHAMBÉRY
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Vercor (SA)
Défendeur :
Accueil Systèmes (SA), Exertier
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Palisse
Conseillers :
Mme Kueny, M. de Loriol
Avoués :
Me Delachenal, SCP Buttin-Fillard
Avocats :
SCP Perez-Chat, SCP Clément Cuzin-Coutton-Brambilla.
Faits, procédure et moyens des parties
Monsieur Roger Exertier qui, au sein de la Société Sovedys, filiale à 100 % du groupe Saint Gobain vitrage, était responsable du département " Vercor " dont l'activité était la conception, la fabrication et la commercialisation de portes automatiques et de tourniquets, a été licencié par lettre du 5 août 1991 pour avoir refusé d'exercer les fonctions de directeur général d'une filiale qui devait être créée par le groupe St Gobain vitrage pour l'activité portes automatiques.
Il a créé une SA dénommée Accueil Systèmes le 21 avril 1992 dont l'objet social est la conception, le montage, l'installation et la commercialisation de tout système de fermeture et dont le siège social était situé ZA du Glatey 73410 La Biolle. Cette société dont il était nommé P.D.G. était immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 5 mai 1992.
La SA Vercor, filiale à 100 % de la Société Sovedys, créée par le biais d'une opération d'apport partiel d'actifs de la SA Sovedys, l'opération étant placée sous le régime de la scission, était immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 30 novembre 1992 pour une activité de montage, négoce et installation de portes automatiques, achat, vente et transformation de produits verriers.
La SA Vercor a engagé à l'encontre de la SA Accueil Systèmes et de M. Roger Exertier une action en responsabilité pour concurrence déloyale et a sollicité l'indemnisation des préjudices économique et financier qui résultent pour elle des agissements déloyaux commis par M. Exertier et sa société.
Par jugement du 14 janvier 1994, le tribunal de commerce de Chambéry s'est déclaré compétent pour connaître du litige, a déclaré recevable les demandes de la SA Vercor, a dit qu'elles n'étaient pas justifiées ni fondées et les a rejetées, a débouté la Société Accueil Systèmes de sa demande reconventionnelle, a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ni au prononcé de l'exécution provisoire et a condamné la Société Vercor aux dépens.
La SA Vercor a relevé appel de ce jugement le 23 février 1994.
Elle demande à la Cour de confirmer en ce que le tribunal s'est déclaré compétent et en ce qu'il a dit qu'étant substituée à tous les biens, droits et obligations attachés au fonds transmis par la société Sovedys, elle avait seule qualité et intérêt à agir pour demander réparation du préjudice patrimonial que lui occasionnent les agissements de M. Exertier et de la Société Accueil Systèmes. Elle sollicite l'infirmation des autres dispositions du jugement et demande à la Cour de déclarer recevables et bien fondées ses demandes, de dire et juger que la Sté Accueil Systèmes s'est, à compter de sa création, rendue coupable de manœuvres et de faits constitutifs d'une concurrence déloyale, avec une volonté de parasitisme économique et de dire et juger que les agissants déloyaux de M. Exertier lui ont causé un préjudice économique et financier qui doit être réparé par l'allocation d'une somme de 4 millions de francs à titre de dommages et intérêts.
A titre subsidiaire, elle demande que M. Exertier et la SA Accueil Systèmes soient condamnés solidairement à lui payer une provision de 1 500 000,00 F à valoir sur son préjudice pour la détermination duquel elle sollicite la nomination d'un expert qui aura pour mission ;
- de chiffrer son préjudice en se faisant communiquer par la SA Accueil Systèmes l'ensemble des documents commerciaux et comptables qu'il estimera utiles à l'accomplissement de sa mission,
- de préciser le chiffre d'affaires et le profit réalisés par la SA Accueil Systèmes du fait de ce détournement de clientèle, en donnant la liste nominative des clients détournés et de donner toutes précisions sur l'incidence financière dommageable qui en est résultée pour elle, non seulement à la suite de la perte de clientèle mais aussi en prenant en compte les surcoûts divers ou pertes de marge pour conserver certains clients ou pour reconstituer les parts du marché entamées.
La SA Vercor demande en outre à la Cour, d'ordonner à titre de réparation complémentaire, aux frais des intimés, la publication du présent arrêt, par extraits dans les journaux Le Moniteur des travaux publics, Verre Actualité et le Dauphiné Libéré et ce, dans la limite de 10 000,00 F par insertion. Elle demande enfin que la Société Accueil Systèmes et M. Roger Exertier soient condamnés in solidum à lui payer une indemnité de 50 000,00 F en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La SA Vercor expose que M. Exertier a créé la Société Accueil Systèmes à l'issue d'une activité salariée de directeur du secteur " Portes Automatiques " de la société Sovedys pendant plus de dix ans (septembre 1977 à novembre 1991), qu'au cours de cette période, il a acquis une connaissance de tous les rouages et de tous les projets de l'entreprise, qu'il connaissait parfaitement les fournisseurs, la clientèle et les processus industriels, qu'il souhaitait racheter cette branche d'activité, qu'il s'est vivement opposé à la filialisation de l'activité Portes Automatiques et qu'à partir du moment où le groupe Saint Gobain Vitrage France lui a opposé un refus, il n'a pas accepté d'exercer la direction de cette filiale, ce qui a motivé son licenciement.
Elle précise qu'il s'est alors employé à créer une société concurrente qui lui a permis de plagier purement et simplement l'activité qu'il quittait.
Elle ajoute que la jurisprudence a décidé que si un salarié qui n'est pas lié par une clause de non-concurrence est libre de créer une entreprise concurrente, il se livre à des actes de concurrence déloyale s'il exploite le savoir-faire de son ancien employeur, s'il démarche la clientèle ou s'il débauche du personnel, que Messieurs Tremino, Mantello et Messori ont quitté la SA Sovedys ensuite d'accords négociés intervenus les 6 février, 19 mars et 27 mars 1992 à une date où ils avaient déjà prévu de rejoindre la société Accueil Systèmes, que la lettre circulaire envoyée par la société Accueil Systèmes à tous les clients de la société qu'il avait quittée établit que ces trois salariés ont en fait créé les conditions de la rupture de leur contrat de travail, que Monsieur Tremino et Monsieur Exertier n'ont pas respecté l'article 6 de l'annexe " encadrement " de la convention collective de la miroiterie, que tous ses anciens salariés n'ont pas respecté l'article 19 du règlement intérieur de l'entreprise et qu'il est établi par les relevés d'appels téléphoniques qu'avant de quitter leur emploi, tous ces salariés ont transmis à Monsieur Exertier des informations commerciales et techniques utiles pour permettre un démarchage rapide de la nouvelle société.
La SA Vercor indique qu'en sus du débauchage de son personnel, Monsieur Exertier et la Société Accueil Systèmes ont procédé à un démarchage et à une prospection systématique de sa clientèle, que Monsieur Exertier a quitté Sovedys avec les adresses de l'ensemble des clients, que dans une lettre circulaire accompagnée de la documentation de la Société Accueil Systèmes, il s'est ouvertement prévalu du désir de concurrencer son ancien employeur, que le détournement du fichier clientèle est établi, que la plaquette de présentation de la société Accueil Systèmes insiste sur le fait que la Société est créée par les anciens salariés de haut niveau de la SA Vercor, que cette plaquette réalise en outre une fusion parfaite des deux plaquettes qu'elle utilise, qu'il s'agit d'un véritable plagiat destiné à créer une confusion au sein de la clientèle, que la lettre circulaire envoyée à tous ses clients a également contribué à entretenir une confusion en insinuant que la nouvelle société n'était que la continuité de la branche portes automatiques de la SA Sovedys.
Elle précise que les intimés ont procédé à un plagiat technique, que Monsieur Exertier a utilisé les plans établis pour elle par la Société Hydro Aluminium Pinon et la Société Lauzier ainsi que ceux élaborés par le bureau d'étude Sovedys, que les mécanismes qu'ils commercialisent sont exactement identiques aux siens, que les fournisseurs sont les mêmes et que la société Accueil Systèmes a en conséquence été en mesure de diffuser une gamme de produits moins chers et de pratiquer un parasitisme économique.
Elle souligne qu'il y a également eu plagiat commercial puisqu'il y a eu reproduction par copie servile du " désign " de sa plaquette publicitaire, le photographe étant le même, que les documents commerciaux de la société Accueil Systèmes sont identiques aux siens, qu'ils adoptent la même présentation alors que de telles similitudes pouvaient parfaitement être évitées et qu'elles ne visent qu'à entretenir la confusion à l'égard de la clientèle entre les deux entreprises, qu'une telle confusion est d'ailleurs établie puisque la société Omnium de Miroiterie a adressé à la Société Sovedys une commande destinée à la Société Accueil Systèmes et que la société Richier lui a demandé un prix en ACL 100 alors qu'il s'agit d'un matériel diffusé par la société Accueil Systèmes.
La SA Vercor estime que l'exploitation déloyale par la société Accueil Systèmes d'un savoir-faire et d'un travail intellectuel et technique qui lui sont propres et dont la Société Sovedys, dans le cadre de l'exploitation de son département " Portes automatiques " a supporté les frais de recherche et d'investissement, constitue une pratique fortement répréhensible, justifiant l'application des dispositions de l'article 1382 du code civil.
Au soutien de sa demande d'indemnité, la SA Vercor relève que sa perte de chiffre d'affaires, pour la seule clientèle négoce et pour la première année de concurrence déloyale, a été de 4 274 496,00 F, chiffre qui a été certifié par le commissaire aux comptes, que toutefois, seul l'examen de la comptabilité de la société Accueil Systèmes permettra de déterminer l'ampleur réelle de son préjudice et qu'une expertise s'impose.
La Société Accueil Systèmes et Monsieur Exertier déclarent former appel incident et sollicitent la réformation du jugement déféré en ce qu'il s'est déclaré compétent pour connaître des demandes de la SA Vercor, en ce qu'il les a déclarés recevables et en ce qu'il a rejeté leurs demandes de dommages intérêts et d'indemnités pour frais irrépétibles, ils réclament 400 000,00 F en réparation de leur préjudice et 30 000,00 F pour compenser les frais irrépétibles qu'ils ont dû exposer.
Monsieur Exertier soutient qu'il n'a pas la qualité de commerçant de sorte que le tribunal de commerce de Chambéry était incompétent pour connaître des demandes dirigées à son encontre, lesquelles ne pouvaient être portées que devant le tribunal de grande instance de Chambéry et précise que la Cour ne saurait le priver du double degré de juridiction.
Les intimés ajoutent que la SA Vercor n'a aucun intérêt à agir dans la mesure où elle a été constituée juridiquement après la Société Accueil Systèmes et soulignent que l'apport partiel d'actifs a été réalisé en parfaite connaissance de cause à une époque où la société Accueil Systèmes existait et où la société Sovedys n'avait émis aucune protestation et n'avait engagé aucune action, de sorte que l'appelante qui a acquis un fonds de commerce sans réserves ne peut prétendre succéder en aucune manière à une action de la Société Sovedys.
Ils font valoir que Monsieur Exertier n'a pu accepter le poste de direction qui lui était offert par Saint Gobain car ce poste représentait une régression par rapport à la situation qu'il avait, qu'il a cherché sans succès un emploi salarié et qu'à défaut, il a été contraint de créer sa propre entreprise, que la SA Vercor créée après la Société Accueil Systèmes ne peut sérieusement prétendre qu'elle aurait été plagiée, qu'en tout état de cause, comme le tribunal l'a relevé à juste titre, l'objet social des deux sociétés est particulièrement banal de sorte qu'il ne peut donner lieu à aucune imitation, que la conception, la fabrication et l'utilisation du produit litigieux sont très courants, que ce travail ne nécessite aucun savoir-faire, que les appelants ne font état d'aucune protection et qu'ils ne peuvent faire grief à Monsieur Exertier d'avoir mis à profit son expérience et ses compétences, d'autant qu'eux mêmes lui reconnaissent des qualités dans leurs conclusions.
Ils relèvent que les salariés qu'il a embauchés n'était liés par aucune clause de non-concurrence à la Société Vercor, qu'ils ont été licenciés par la société Sovedys et n'ont donc pas été débauchés par leurs soins, qu'ils ont d'ailleurs été engagés à des conditions inférieures à celles dont ils bénéficiaient au sein de la société Vercor, que le débauchage de clientèle allégué n'est pas établi, qu'ils n'ont fait qu'utiliser les schémas classiques de publicité à l'égard de la clientèle, que la lettre circulaire dont il est fait état ne constitue pas un fait de concurrence déloyale dès lors qu'il ne comporte ni dénigrement, ni informations inexactes, ni allégations mensongères ou injurieuses, que les plaquettes de publicité sont quelconques eu égard à la nature de l'activité, qu'il ne pouvait y avoir plagiat technique dès lors que tous les professionnels procèdent de la même façon, que les fournisseurs sont les mêmes pour tous, que la technique ne peut être différente et que la SA Vercor n'apporte pas la preuve d'une quelconque exploitation déloyale de savoir-faire pour un travail intellectuel et technique qui lui appartiendrait.
Les intimés indiquent enfin que la SA Vercor n'établit aucunement l'existence d'un préjudice.
Dans ses dernière conclusions, la SA Vercor fait valoir que le jugement du conseil de Prud'hommes de Chambéry qui a dit que le licenciement de Monsieur Exertier reposait sur une cause réelle et sérieuse a été confirmé par un arrêt du 9 mai 1995 qui a notamment relevé que l'intéressé ne pouvait en aucune façon s'opposer à la décision de filialisation prise par St Gobain Vitrage par rapport à Sovedys pour l'activité portes automatiques, l'employeur au vu de l'intérêt de l'entreprise.
Elle ajoute qu'en ce qui concerne le problème de compétence soulevé, la Cour pourra, le cas échéant, soit faire application des dispositions de l'article 89 du Nouveau Code de Procédure Civile et évoquer le fond, soit faire application des dispositions de l'article 79 du Nouveau Code de Procédure Civile, ce qui lui permettra de statuer au fond quant bien même elle estimerait que la juridiction commerciale n'était pas compétente.
Motifs et décision
Le tribunal s'est appuyé sur une jurisprudence bien établie pour décider que l'exception d'incompétence soulevée par Monsieur Exertier n'était pas justifiée et cette motivation pertinente n'a fait l'objet d'aucune critique, de sorte que la Cour l'adopte.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a retenu la compétence du tribunal de commerce de Chambéry.
Il a également fort bien démontré que la SA Vercor avait exclusivement qualité et intérêt à agir au nom de la société Sovedys pour toutes les actions en réparation d'un préjudice patrimonial attachés à la branche d'activité apportée. Dès lors que l'action dont s'agit n'est pas prescrite, il importe peut qu'elle n'ait pas été introduite par la société Sovedys avant l'apport partiel d'actifs à la SA Vercor et dans la mesure où les intimés se sont bornés à reprendre les moyens qu'ils avaient développés en première instance sans apporter la moindre critique à la motivation pertinente du tribunal, le jugement déféré sera également confirmé en ce qu'il a déclaré recevable la demande la SA Vercor.
L'action en concurrence déloyale qui repose sur les dispositions de l'article 1382 du code civil exige que soit rapportée l'existence d'une faute. La doctrine et la jurisprudence ont établi une typologie des fautes et retiennent essentiellement le dénigrement, la confusion, la désorganisation et le parasitisme, étant observé qu'il n'est plus actuellement exigé la preuve du caractère intentionnel de la faute, une simple imprudence suffisant à caractériser le comportement de concurrence déloyale, la victime de l'agissement déloyal n'ayant pas à démontrer l'intention de nuire de l'auteur de l'acte.
Aucun fait de dénigrement n'est signalé mais il est fait état d'actes destinés à créer une confusion. La SA Vercor fait essentiellement référence à la lettre de présentation de la société Accueil Systèmesdont le texte était le suivant : " Nous sommes heureux et fiers de vous présenter notre nouvelle société où nous avons décidé de continuer à exercer notre profession : la porte automatique. Mes anciens collaborateurs Messieurs Mantello, Messori et Tremino ont décidé de me suivre dans cette voie et ont participé activement à l'élaboration de ce projet. Nous sommes persuadés que nous pourrons continuer à vous apporter un produit compétitif de qualité et surtout le service que vous méritez... ".
Ce texte, qui est manifestement destiné aux clients de la branche portes automatiques de la société Sovedys, reprise par la SA Vercor est particulièrement ambigu. La référence à une nouvelle société laisse présumer que l'ancien fournisseur a disparu, qu'il s'est transformé ou qu'il a cédé ses actifs.
Le fait que toute une partie du personnel adhère à ce nouveau projet implique un affaiblissement de l'ancienne société et dès lors qu'aucune explication claire n'est donnée, cette lettre n'a pu que créer une certaine confusion dans l'esprit de la clientèle de la société Vercor. En insistant sur le fait que la majeure partie de l'équipe qui s'occupait des portes automatiques dans l'ancienne société participait à ce nouveau projet, la société Accueil Systèmes laisse planer un doute sur la situation et les possibilités de la société Vercor et ces allusions sont proches d'un dénigrement, de sorte que le démarchage opéré n'apparaît pas loyal.
Le fait de s'adresser systématiquement aux mêmes fournisseurs entretient également la confusionet la société Lander qui fournit les moteurs à la société Vercor a immédiatement remarqué que Monsieur Exertier manquait de prudence puisque dans une télécopie en date du 19 décembre 1991, elle lui signalait : " Après étude un peu plus détaillée de votre projet, il nous semble correct de votre part. Si nous interprétons correctement votre projet, il nous semble que votre idée de distribution ressemble à la structure Vercor... ".
Cette mise en garde prouve que le risque de confusion est apparu évident à la société Landert.
La confusion peut également résulter de la ressemblance des plaquettes publicitaires, la société Accueil Systèmes ayant purement et simplement opéré une synthèse des deux plaquettes de la société Vercor, les deux idées originales, à savoir la présence d'un calque et d'un personnage en ombre chinoise étant reprise. Monsieur Exertier ne peut prétendre s'exonérer de cette faute en soutenant qu'il est l'auteur de la plaquette de la Société Vercor, étant donné qu'un salarié n'est pas propriétaire des idées qu'il développe ou des réalisations qu'il fait pendant son temps de travail pour le compte de son employeur.
Les intimés n'ont discuté ni le plagiat technique, ni le plagiat commercial qui ont longuement été développés par la société Vercor et se sont bornés à soutenir que le caractère banal des produits distribués interdisait toute protection à ce niveau. Toutefois la jurisprudence sanctionne par la concurrence déloyale le fait de réaliser une copie servile d'un produit concurrent, même si ledit produit ne revêt aucune originalité. En l'espèce la faute ne réside pas uniquement dans le fait que les produits soient identiques, ce qui n'a pas été contesté, mais elle résulte du fait que les mêmes produits soient distribués par les mêmes hommes, avec les mêmes méthodes, dans la même région, d'où un risque de confusion évident. Un comportement loyal exigeait au contraire une extrême prudence de la part des intimés qui devaient prendre certaines distances par rapport à la société Vercor et avoir le souci constant d'éviter tout risque de confusion.
La Société Vercor estime que le comportement des salariés qu'elle a dû licencier était induit par les intimés, qu'il s'agissait en effet d'une opération préméditée entre lesdits salariés et la Société Accueil Systèmes qui avait décidé de les embaucher mais cette conjecture n'est pas démontrée. En effet, quelles que soient les véritables raisons qui ont justifié leur départ, il est établi que la société Sovedys avait décidé de licencier Messieurs Tremino, Messori et Mantello et que par la suite, ils ont signé avec l'entreprise des protocoles d'accords transactionnels, de sorte que l'initiative de la rupture des contrats de travail incombe à l'employeur.
Par ailleurs, aucune conséquence certaine ne peut être tirée des relevés d'appels téléphoniques versés aux débats, l'objet et le contenu des conversations n'étant nullement établis.
Aucun des comportements reprochés à la Société Accueil Systèmes et à Monsieur Exertier ne peut être qualifié de parasitisme, étant observé que l'application systématique par la société Accueil Systèmes de prix plus bas que ceux pratiqués par la Société Vercor n'est pas en soi fautive dès lors que le dumping invoqué n'est pas démontré, d'autant qu'il n'est pas certain que les produits comparés soient identiques.
Au vu de ce qui précède, la Cour estime devoir retenir à l'encontre de la Société Accueil Systèmes et de Monsieur Exertier des faits ayant contribué à créer pour la clientèle une confusion entre la SA Vercor et la SA Accueil Systèmes, ce qui constitue un comportement déloyal qui ouvre droit à réparation.
Le jugement déféré sera dès lors infirmé en ce qu'il a débouté la SA Vercor de l'ensemble de ses demandes.
S'il est certain qu'un tel comportement a entraîné une baisse du chiffre d'affaires de la Société Vercor, d'autre paramètres, compte tenu de la conjoncture actuelle, ont pu influencer cette donnée de sorte que la Cour estime devoir organiser une expertise, avant dire droit, sur l'évaluation du dommage de l'appelante. La mission de l'expert sera précisée au dispositif. La demande de provision de la Société Vercor est prématurée et sera rejetée.
Il convient de surseoir à statuer sur les autres demandes des parties.
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré le tribunal de commerce de Chambéry compétent pour connaître des demandes de la SA Vercor et en ce qu'il les a déclarées recevables. L'infirme pour le surplus, Statuant à nouveau, Dit et juge que la société Accueil Systèmes et Monsieur Exertier ont commis des faits susceptibles d'entraîner pour la clientèle une confusion avec la société Vercor et qu'il s'agit d'une concurrence déloyale ouvrant droit à réparation. Avant dire droit sur le préjudice de la Société Vercor, Commet en qualité d'expert : Georges Sagnol, expert inscrit sur la liste de la Cour d'Appel de Lyon, y demeurant 113 Boulevard Stalingrad - 69626 Villeurbanne Cédex, avec pour mission : - d'entendre les parties, de recueillir leurs observations, de se faire remettre tous documents utiles, - de rechercher si le chiffre d'affaires de la SA Vercor a subi une baisse significative à compter d'avril 1992, d'en rechercher les causes et de préciser notamment si des clients ont été perdus au bénéfice de la Société Accueil Systèmes, - de donner à la Cour tous les éléments qui lui permettront de calculer les préjudices éventuellement subis par la SA Vercor par suite des agissements déloyaux de la Société Accueil Systèmes, Dit que la SA Vercor consignera au greffe de la Cour la somme de 8 000,00 F dans le délai d'un mois du prononcé de l'arrêt, Dit qu'à défaut de consignation à l'expiration de ce délai, la désignation devenant caduque, la procédure sera reprise conformément aux dispositions de l'article 271 du Nouveau Code de Procédure Civile, Dit que lors de la première réunion, ou au plus tard de la deuxième réunion des parties, l'expert dressera un programme de ses investigations et évaluera, d'une manière aussi précise que possible, le montant prévisible de ses honoraires et de ses débours et sollicitera, le cas échéant, le versement d'une consignation complémentaire, Dit que l'expert déposera au greffe de la Cour d'Appel un rapport de ses opérations dans le délai de six mois à compter de l'avis de consignation et en fera tenir une copie, et une copie de sa note d'honoraires, à chacune des parties et à chacun de leurs avoués, toutes observations pouvant être faites par ceux-ci au Conseiller taxateur dans les dix jours de leur réception, Dit que le conseiller de la mise en état - 1re Section - sera chargé du contrôle des opérations d'expertise, Dit qu'il sera pourvu au remplacement de l'expert dans les cas, conditions et formes des articles 234 et 235 du Nouveau Code de Procédure Civile. Déboute la SA Vercor de sa demande de provision. Sursoit à statuer sur les autres demandes des parties. Réserve les dépens.