Livv
Décisions

CA Grenoble, ch. com., 19 février 1997, n° 95-1527

GRENOBLE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Norger (SARL)

Défendeur :

Norgil (SARL), Arlor (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Beraudo

Conseillers :

M. Baumet, Mme Comte

Avoués :

Me Ramillon, SCP Calas Balayn

Avocats :

Mes Eisler, Susini.

T. com. Grenoble, du 24 févr. 1995

24 février 1995

Attendu que par contrat de franchise du 9 janvier 1985, la société Norgil, franchiseur, a concédé à la société Norger l'exclusivité de la représentation de la marque dans le département de l'Isère ;

Que l'approvisionnement de la société Norger en produits capillaires Norgil était le fait de la société Arlor ;

Que le jugement déféré a condamné la société Norger à payer 67 566,42 F à la société Norgil à titre de redevances de franchises et 80 480,02 F à la société Arlor pour prix de fournitures diverses ;

Attendu que, devant la Cour, la société Norger conclut à la réformation, demande 500 000 F à titre de dommages-intérêts et 15 000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Que, sur la demande de la société Norger, elle fait valoir, d'une part, que le contrat, conclu pour cinq ans, a pris fin le 1er mars 1990, d'autre part, que la société Norgil n'a pas respecté la clause d'exclusivité en faisant distribuer " les mêmes produits, dans la même zone géographique, tout en faisant supporter à la société Norger, des dépenses de publicité extrêmement importantes " ;

Que, sur les demandes de la société Arlor, elle fait valoir que les factures ne sont pas crédibles ; qu'il n'y a ni bons de livraison, ni commande ;

Attendu que les sociétés Norgil et Arlor concluent à la confirmation et demandent 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Que, sur le contrat de franchise, la société Norgil fait valoir ceci :

" Le contrat n'a pas pris fin le 1er mars 1990,

Dans des conclusions d'appel, Norger soutient que les redevances postérieures au 28 février au 28 février 1990 ne sont pas dues puisque le contrat de franchise a nécessairement pris fin " à son échéance contractuelle du 1er mars 1990 ",

À l'appui de ces prétentions, elle fait valoir que le contrat litigieux ne comporte pas de clause de tacite reconduction mais seulement une possibilité de renouvellement à la demande du franchisé,

Or, dans son article 8, le contrat prévoit expressément que " le franchisé possède l'alternative de renouveler son contrat ou de le résilier au moins six mois avant l'échéance de la première période ", soit le 1er octobre 1989,

Force est de constater qu'à cette date, aucune résiliation expresse n'est intervenue alors que deux mois auparavant, la concluante avait rappelé le terme fixé au 1er mars 1990 à l'actuel gérant de Norger dans le but d'attirer son attention, comme l'a justement relevé le tribunal,

En conséquence, faute de manifestation de volonté contraire, le contrat de franchise a été reconduit tacitement à l'issue du terme initialement prévu, les redevances postérieures au 28 février 1990 restant dues,

La clause d'exclusivité insérée au contrat n'a pas été violée,

Pour les redevances impayées au titre de la période antérieure au 1er mars 1990, Norger entend tardivement bénéficier d'une exception d'inexécution des obligations contractuelles au motif que Norgil n'aurait pas respecté la clause d'exclusivité prévue au contrat,

À l'appui de cette allégation, Norger soutient que Norgil aurait " fait distribuer ses produits par Arlor " dans la même zone géographique et aurait, ce faisant, " organisé des infractions à la distribution exclusive ",

La Cour constatera que dans son courrier du 31 octobre 1991, Norger se borne à affirmer purement et simplement qu'elle aurait " découvert que Norgil ne respectait pas l'exclusivité... ",

Devant le tribunal, Norger n'a pas versé le moindre début de preuve au soutien de cette grave affirmation,

La carence de Norger demeure évidente et suffisante pour faire juger comme parfaitement abusif son refus de régler des redevances de franchise :

- dont le montant n'est pas contesté,

- et qui procèdent d'un contrat de franchise également non contesté,

En outre, les revendications de Norger visant les agissements d'Arlor sont irrecevables,

En effet, à supposer pour les simples nécessités du raisonnement, qu'Arlor ait fourni d'autres commerçants de l'Isère en produits Norgil, il n'en demeure pas moins vrai qu'étant tiers au contrat, elle n'a à justifier d'aucun engagement particulier à l'égard de Norger,

Enfin, Norger se borne à affirmer purement et simplement :

- qu'elle aurait exposé d'importantes dépenses de publicité,

- qu'elle aurait subi un préjudice " pouvant être " évalué à 500 000 F,

La Cour constatera que rien ne vient étayer ces allégations,

En conséquence, la Cour confirmera le jugement en ce qu'il condamne la société Norger au paiement de la somme de 67 566,42 F en principal majorée des intérêts de droit à compter du 09 décembre 1992 " ;

Que la société Arlor fait valoir ceci :

" Norger continue à soutenir :

- qu'elle n'aurait jamais reçu les factures litigieuses,

- qu'il n'y aurait eu ni bon de livraison, ni bon de commande correspondants et qu'à tout le moins, Arlor n'aurait jamais " malgré des réclamations insistantes y compris devant le Tribunal, produit le moindre bon de livraison ou de commande correspondant à ses factures totalement fantaisistes ! " ;

- que le Tribunal de commerce aurait à cet égard renversé la charge de la preuve,

Force est de constater que Norger fait à nouveau preuve d'une attitude qui traduit sa parfaite mauvaise foi, en ne contestant la réalité des livraisons que lorsqu'elle est assignée en paiement, alors qu'elle n'avait précédemment jamais élevé la moindre contestation,

Dans l'hypothèse où les factures dont le paiement est réclamé n'auraient pas correspondu à des commandes passées par elle et des livraisons effectives, Norger n'aurait pas manqué de le constater dès réception en protestant auprès d'Arlor,

La Cour observera à cet égard, comme l'a justement noté le Tribunal, que la concluante, dans ses différentes lettres de relance, invitait Norger à prendre sans délai contact avec elle, en cas de contestation,

Or, force est de constater que Norger n'a jamais rien contesté " ;

Sur ce,

Attendu, sur le maintien en vigueur du contrat de franchise, que l'article 8 stipule qu'il est conclu pour cinq ans renouvelables ; que le même article dispose qu'à l'arrivée du premier terme, le franchisé possède l'alternative de renouveler son contrat ou de le résilier au moins six mois avant l'échéance de la période " ;

Qu'il est de fait que la société Norger n'a pas résilié le contrat ; que celui-ci a été reconduit pour cinq ans à compter du 9 janvier 1990 ;

Attendu, sur la méconnaissance par le franchiseur de son obligation d'exclusivité, que la société Norger établit par la production d'une facture qui lui est parvenue par erreur (987,94 F du 12 septembre 1991 à la suite d'une commande " Réparation ", M. Claveyrolat, référence 2204 ") que la société Arlor a livré en produits Norgil le salon Tino Coiffure sis Place Sainte Claire à Grenoble ;

Que la société Arlor ne verse aux débats aucun document de nature à établir que la livraison, à des tiers, de produits dont la société Norger avait l'exclusivité dans l'Isère a été occasionnelle ou accidentelle ;

Que le franchiseur doit au franchisé la garantie d'éviction des droits concédés même si l'éviction est le fait d'un tiers;

Qu'en l'absence de stipulation contraire dans le contrat de franchise, la société Norger a droit aux réparations prévues par l'article 1630 du code civil ;

Qu'au surplus les liens juridiques et économiques entre les sociétés Norgil et Arlor, (distributeur des produits Norgil), démontrés encore par le choix d'un avocat et d'un avoué uniques lors de la présente instance ainsi que des conclusions communes, empêcheraient de regarder la société Arlor comme un tiers et obligerait la société Norgil à réparation ainsi que le prévoit l'article 1628 du code civil ;

Qu'il s'ensuit que faute d'avoir bénéficié de l'exclusivité de la distribution des produits Norgil dans l'Isère, la société Norger n'a pas à payer le coût de la franchise ;

Attendu, sur le montant du préjudice subi par la société Norger, que celle-ci verse de nombreuses factures de publicité correspondant à des insertions dans des journaux, des périodiques, des annonces radio, des panneaux dans les stades ;

Que cette publicité en faveur du " Cabinet Norgil " bénéficiait nécessairement à la marque Norgil et aux produits, même dépourvus de marque, reconnaissables comme des produits Norgil ;

Qu'en tirant profit de cette publicité pour vendre ses produits, en violation de la clause d'exclusivité, à des concurrents de la société Norger, la société Norgil a, par ce comportement parasitaire, réalisé des gains illégitimes et causé un préjudice à la société Norger ;

Que compte tenu des coûts de la publicité, du type d'activité concernée et du chiffre d'affaires de la société Norger, la Cour chiffre ce préjudice à 100 000 F ;

Attendu, sur la demande de condamnation solidaire des sociétés Norgil et Arlor, qu'il est de fait que les actes matériels de méconnaissance de la clause d'exclusivité ont été l'œuvre de la société Arlor ; mais que celle-ci n'est pas liée par la clause d'exclusivité avec la société Norger ; que son comportement fautif à l'encontre d'un contrat qui lui est opposable comme un fait juridique est de nature délictuelle ; que la condamnation doit être prononcée " in solidum " ;

Attendu, sur les demandes de la société Arlor, que les pièces produites, même si certaines étaient intitulées commandes, sont dépourvues de signes tels qu'un cachet ou une signature indiquant qu'elles émanent de la société Norger ;

Que les factures s'échelonnent du 18 septembre 1989 au 12 septembre 1991, donc sur près de deux ans ;

Que, sauf circonstances particulières, absentes de la cause, il n'est pas raisonnable de penser qu'un fournisseur ait approvisionné un détaillant pendant deux ans sans se faire payer ;

Que la seule réclamation adressée par lettre recommandée date du 26 novembre 1991 et annonce la remise du dossier à un cabinet de contentieux ;

Que la Cour ne trouve donc pas dans les pièces produites par la société Arlor de preuve de sa créance ;

Que sa demande doit donc être rejetée ;

Attendu, sur la demande faite au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, que la Cour constate que la demande de la société Norger est inférieure à ce que réclament les sociétés Norgil et Arlor du même chef ; qu'elle y fait donc droit ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi, Infirme le jugement déféré ; Déboute les sociétés Norgil et Arlor de leurs demandes ; Les condamne in solidum à payer à la société Norger 100 000 F à titre de dommages-intérêts pour violation de la clause d'exclusivité concédée par la société Norgil ; Les condamne à payer 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Les condamne aux dépens.